5 |Variation saisonnière du paludisme et risque de perturbation du calendrier agricole dans le District sanitaire de Bouaké Sud
Seasonal variation of malaria and risk of disturbance of the agricultural calendar in the health District of South Bouak
Mots-clés:
Bouaké| Calendrier agricole| Risque de perturbations| Paludisme| Activités agricoles| District sanitaire|Résumé
Le paludisme représente un enjeu sanitaire important pour les pouvoirs publics et les populations surtout rurales. Cette étude a permis d’analyser l’influence saisonnière du paludisme sur le calendrier cultural de l’igname en se basant sur l’analyse des paramètres climatiques comme la pluviométrie, la température et l’hygrométrie. Les résultats de cette étude reposent sur l’exploitation des sources secondaires relatives aux morbidités de paludisme diagnostiquées dans les établissements sanitaires ruraux et des données d’enquête de terrain sur le calendrier agricole.
Ce travail a révélé une variation saisonnière de la transmission du paludisme. Cependant, il a permis de montrer l’influence peu significative de l’effet de la pluie sur l’accentuation du risque palustre. L’augmentation de la pluie n’a modulé que de 6,60% les risques de transmission du paludisme dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. Par contre, l’hygrométrie a influencé hautement l’accentuation du risque palustre à hauteur de 76,6%. Les analyses ont aussi révélé que le risque de perturbation du calendrier agricole de la culture de l’igname est également élevé. Les activités de buttage, ensemencement et sarclage peuvent être perturbées à cause de l’accentuation du risque de transmission du paludisme pendant les périodes où ont lieu ces activités. Les paysans ayant contractés le paludisme durant la période culturale de l’igname accuse respectivement 30 jours de retard sur la durée de l’activité de buttage et de sarclage. Cette étude a permis d’aboutir à la conclusion selon laquelle le paludisme est un facteur de perturbation de la culture de l’igname.
Introduction
Le paludisme reste un problème de santé publique majeure en Afrique Subsaharienne (OMS, 2013, p.8) malgré les efforts de financement des plans stratégiques nationaux de lutte contre cette maladie par le Fond Mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et le paludisme. Le financement et la couverture des programmes de lutte contre cette maladie ont connu une augmentation depuis 2000 (OMS, 2014, p.3). En dépit de ces efforts, le paludisme sévit de façon endémique dans la zone intertropicale en général et en Côte d’Ivoire en particulier. C’est pourquoi, dans l’optique de lutter efficacement et durablement contre cette endémie, la Côte d’Ivoire a affiché sa volonté manifeste en l’inscrivant parmi les priorités des Plans Nationaux de développement sanitaire (PNDS, 1996-2001 ; 2009-2013 ; 2012-2015). En référence à l’Objectif 6 des OMD, les activités de lutte contre le paludisme ont été axées entre autres sur le renforcement de la sensibilisation et la mobilisation des populations, l’accroissement de la disponibilité et l’accessibilité des moustiquaires, la promotion de l’utilisation des moustiquaires imprégnées, le renforcement de la lutte antivectorielle, la disponibilité des médicaments antipalustres de qualité et à moindre coût (Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, 2008, p.92). Malgré la volonté affichée notamment par la Côte d’Ivoire, à travers le PNDS 2012-2015 de réduire le taux d’incidence du paludisme de 80‰ à 50‰ de 2012 à 2015, le taux d’incidence de cette maladie reste élevé (291,66‰) dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. Celui-ci reste très particulièrement élevé en milieu rural (478‰) (District Sanitaire Bouaké Sud, 2015, p.2). L’intérêt de cette étude notamment en milieu rural réside dans le fait que le taux d’incidence élevée de cette maladie endémique apparaît comme une menace pour la mobilisation de la force de travail mise au service de l’économie agricole dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. Cette maladie peut être une source de pertes économiques tant direct qu’indirect (M. Audibert, 2004, p.30). La lutte contre celle-ci est perçue comme un fardeau économique (BAD, 2002, p.4 ; A.D Meva’a, 2016, p.29). Au delà des dépenses engendrées par le traitement des cas de paludisme, cette maladie pourrait avoir des effets négatifs sur la capacité et la productivité de la population active. L’effet néfaste du paludisme sur le rendement scolaire a été déjà révélé par J. Thuilliez (2009, p.171). Par contre, dans le domaine agricole, Audibert et al., (2009, p.160) ont révélé que le paludisme n’a pas d’effet significatif sur les productions de café et de cacao en Côte d’Ivoire. Si le paludisme à une faible influence sur les cultures pérennes, cela n’est pas forcement le cas pour une culture annuelle telle que l’igname. C’est ce qui motive cette présente étude. Ainsi, la question centrale qui se dégage de tels constats consiste à savoir dans quelle mesure, la variation saisonnière du paludisme interfère sur le calendrier cultural de l’igname des populations paysannes dans le District Sanitaire de Bouaké Sud ? Cet article se propose ainsi d’analyser l’influence de la variation saisonnière du paludisme sur le calendrier cultural de l’igname dans le District Sanitaire de Bouaké Sud.
Méthodologie
1. Matériels et méthodes
1.1. Présentation de la zone d’étude
Le district sanitaire de Bouaké sud se situe dans le département de Bouaké au centre de la Côte d’Ivoire. Il est compris entre 7°20 N et 7°40 N de latitude nord et 5°8 W et 4°5 W de longitude ouest (Carte n°1). La population de ce district sanitaire est essentiellement agricole. Selon O. Brissy et al, (2018, p. 86), le District Sanitaire de Bouaké Sud a été créé en 2002 et ouvert en 2004. Ce territoire a été morcelé en 11 aires sanitaires. Avec une superficie de 733 km², il comptait 250567 habitants en 2017 et s’étend sur deux sous-préfectures et commune est composé de deux sous-préfectures et communes qui sont Bouaké et Djébonoua. La superficie du district sanitaire est d’environ 733 km² (Carte n°1).
Carte n°1: Localisation et présentation du District Sanitaire de Bouaké Sud
Source : District Sanitaire de Bouaké Sud ; Conception et Réalisation : Brissy O.A, juillet 2018
1.2. Données de l’étude
Les résultats de cette étude reposent sur l’exploitation des rapports sur les morbidités de paludisme diagnostiquées en 2014 provenant des services de santé ruraux, des données climatiques de 2014 (pluviométrique, thermique et hygrométrique) issues de la Direction Nationale Météorologie (DMN) affiliée à la Société de Développement et d’Exploitation Aéroportuaire, aéronautique et Météorologique (SODEXAM) ont été consultées.
Les données sociodémographiques (nombre de paysans infectés par le paludisme) de 2014 ont été collectées dans toutes les localités rurales dudit district sanitaire. Il s’agit de Kouassiblékro, Kongodékro, M’lan kouassikro, Assouakro, Lengbré, Tiéplé. La présence d’un service de santé a constitué pour nous le principal critère discriminant pour le choix des villages qui ont été retenus pour conduire l’enquête de terrain. Comme sus-mentionnés ces centres disposent des registres de consultation qui ont permis de faire l’état des lieux des morbidités de paludisme diagnostiquées. Selon la loi statistique de la distribution de la normale, qui stipule qu’en absence d’une population mère, l’échantillon doit comporter 30 individus, un échantillon de 30 producteurs d’igname par localité a été déterminé pour les besoins de l’enquête. Les données ont été collectées grâce à une enquête longitudinale qui part de janvier 2014 à décembre 2014. Quatre enquêtes à passage répété calquées sur la variation saisonnière des cas de paludisme et le calendrier agricole ont été effectuées durant l’année 2014. D’abord, la première enquête a été réalisée de janvier à mars. Ensuite, la seconde a couvert la période allant de mars à juin. La troisième a été effectuée de juillet à septembre. Enfin, la quatrième phase d’enquête a été exécutée de septembre à décembre. Pour cette étude, c’est la main d’œuvre familiale qui a été utilisée pour mieux appréhender l’effet de la maladie sur la force de travail d’un ménage donné.
Résultats
2. Résultats et discussion
2.1. Une variation saisonnière de l’incidence du paludisme influencée par des paramètres climatiques dans le District Sanitaire de Bouaké Sud
2.1.1. Une influence de l’évolution mensuelle de la pluviométrie sur l’endémicité du risque palustre
Le climat qui couvre le territoire de Bouaké Sud comporte deux saisons de pluie et deux saisons sèches d’inégale durée (K.H.M. Kanga, 2016, p. 131). En 2014, la station synoptique de Bouaké a présenté un régime pluviométrique bimodal confus (Figure n°1). L’analyse de la figure 1, nous révèle 3 pics en avril, juin et septembre. La grande saison pluvieuse qui devrait couvrir la période allant du mois d’Avril à juillet a été interrompue par une anomalie pluviométrique au mois de mai. La grande saison pluvieuse a été a été interrompue aussi par un mois de répit en Août. Ce mois de répit a été suivie par une reprise de la pluviométrie qui a eu lieu en Septembre. Le maximum hydrique de cette série a été obtenu au mois de Septembre avec une précipitation de 265 mm de pluie. Cette période pluvieuse est suivie par une grande saison sèche qui part d’octobre à mars. L’analyse du régime pluviométrique révèle une période pluvieuse entrecoupée de mois deux mois secs mai et août avec des coefficients inférieurs à 1. Selon M. ELDIN (1971, p. 83), une saison est une suite d’au moins trois consécutifs qui présente les mêmes caractères. Ainsi, à la station de Bouaké la saison sèche a duré 6 mois. Ce résultat est confirmé par ceux de K.H.M. Kanga (2016, p. 131).
Figure n°1: Régime pluviométrique de Bouaké en 2014
Source: SODEXAM, 2014 Conception : Kanga et al., Septembre 2018
L’évolution inter mensuelle de l’indice pluviométrique de l’année 2014 présente des périodes sèches et humides. En guise d’illustration, nous avons la figure 2.
Figure n°2: Evolution inter mensuelle de la pluviométrie en 2014
Source: SODEXAM, 2014 Conception : Kanga et al, Septembre 2018
Les fluctuations s’observent avec les mois excédentaires et les mois déficitaires. Dans la phase humide qui court d’avril à septembre, le mois de septembre a connu une forte pluviométrie avec un indice maximum de 2,22. Cette phase humide est entrecoupée par des mois déficitaires (mai et août). Par contre, dans la phase sèche d’octobre à mars, le mois de Décembre a connu une faible pluviométrie avec un indice de -1,14. Cette analyse est confirmée par l’analyse du régime pluviométrique de la station de Bouaké faite par K.H.M Kanga (2016, p. 131). Pour lui, le mois de septembre est celui qui enregistre le plus de pluie tandis que décembre enregistre les plus faibles pluviométries.
Pour suivre l’évolution des morbidités palustres couplées à l’indice de pluviométrie, la figure 3 présente ci-dessous a été réalisée.
Figure n°3: Evolution inter mensuelle des indices de pluviométrie et de morbidités de paludisme
Source: SODEXAM, 2014 Conception : Kanga et al., Septembre 2018
L’évolution inter-mensuelle des indices de morbidité palustres et pluviométriques ont une allure similaire. Il est noté deux pics (en juin et novembre) concernant l’indice de morbidité palustre et aussi deux pics en avril et septembre pour l’indice pluviométrique. Cependant, il s’observe un décalage de un à deux mois entre les maxima de pluviométrie et les pics de morbidité. Des résultats similaires ont été obtenus par N’Diaye O. et al., (2001, p. 30) à travers une étude sur les variations climatiques et mortalité attribuée au paludisme dans la zone de Niakhar au Sénégal. Ce décalage de un à deux mois peut dépendre du cycle du parasite et des interactions parasite-homme-vecteur. La mise en eau par la pluie des gîtes larvaires est suivie en quelques semaines par la pullulation des anophèles qui ont une forte capacité de multiplication due à la fois à un fort taux de croissance (jusqu'à 2 000 œufs pondus par une femelle au cours de sa vie) et à un développement pré-imaginal ultra-rapide pour un métazoaire (une dizaine de jours) (O. N’Diaye et al., 2001, p. 30). La prévalence des gamétocytes de P. falciparum est relativement faible en début de saison de transmission palustre (Ndiaye F., Molez JF., Trape JF., 1998, p. 121). N’Diaye O. et al., (2001, p. 30) ont pensé que les premières anophèles s'infecteront peu et qu'il faudra attendre la multiplication des porteurs pour voir se multiplier le nombre d'accès palustre. De plus, seuls les anophèles femelles âgés au moins de dix jours (durée du cycle sporogonique du parasite) sont capables d'inoculer des sporozoïtes à un homme. Enfin, le parasite doit achever la phase hépatique (une semaine) et plusieurs cycles érythrocytaires (au moins une semaine) avant, éventuellement, de provoquer un accès palustre. Le décalage de un à deux mois entre les pics de pluviométrie et de mortalité palustre semble tout à fait logique par rapport à ce que l'on connaît de la biologie du vecteur et du parasite.
Le coefficient de corrélation (r = 0,25) entre la pluviométrie montre que l’évolution des morbidités palustre est faiblement corrélée à l’évolution de la pluviométrie. La p-value (p = 0,42) du test de corrélation au seuil de significativité de 5%, montre que l’évolution de la pluviométrie influence faiblement l’évolution des morbidités palustre dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. L’augmentation de la pluie module de 6,60% les risques de transmission du paludisme dans le District Sanitaire de Bouaké Sud. La pluie favorise la prolifération des espèces vectrices de transmission du paludisme à travers la pullulation des gîtes larvaires (O. A. Brissy, 2017, p. 130).
La pluie entraine la prolifération des eaux stagnantes qui représentent en réalité le substratum de ponte des espèces vectrices du paludisme. L’attractivité des sites de ponte dépend du niveau d’occupation du sol. Ainsi, du fait du tropisme ou de la taxie, les populations anophéliennes ont tendance à aller davantage vers les milieux propices à leur développement (N. Moiroux, 2012, p. 27). Chaque type de milieu présente un microclimat spécifique plus ou moins favorable à la prolifération des moustiques. Les microclimats spécifiques créés par les précipitations offrent des conditions nécessaires, mais pas suffisantes pour la compréhension de l’accentuation du risque de transmission du paludisme. Ainsi, au travers des exigences écologiques du vecteur et du parasite les milieux apparaissent comme des conditions nécessaires, mais pas suffisantes pour la compréhension l’accentuation multifactorielle du risque palustre. Même si la prolifération des eaux stagnantes sert de substratum au complexe paludique, celui-ci se spécifie par sa dimension anthropocentrique.
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Influence de l’humidité relative de l’air sur l’influence de l’endémicité palustre
L’humidité relative ou vapeur d’eau contenue dans l’air influence l’endémicité palustre et varie aussi en fonction de la température. Elle a un effet déterminant sur la survie et l’activité des moustiques. La figure 4 montre l’évolution mensuelle des indices centrés réduits de l’humidité relative et du paludisme.
Figure n°4 : Variation des indices hygrométriques en fonction des indices de morbidités du paludisme
Source: SODEXAM, 2014 Conception : Kanga et al., Septembre 2018
Le coefficient de corrélation (r = 0,766) montre une très forte association positive entre la variation du taux d’humidité et l’évolution des charges de morbidités du paludisme. Cette très forte association positive entre la variation du taux d’humidité et l’évolution des charges de morbidités du paludisme veut dire que les morbidités enregistrées dans le District Sanitaire de Bouaké Sud augmentent lorsque l’humidité relative dans l’air augmente. Et cela peut s’observer sur la figure 4 pendant deux phases. La première phase court d’avril à juillet et la seconde phase d’octobre à novembre. L’humidité a donc un effet déterminant sur la survie et l'activité du moustique adulte (A. Noguer, 1979, p. 21).
2.1.3. Une influence de l’évolution mensuelle de la température sur le risque palustre
La température moyenne mensuelle de Bouaké est de 25,23°C. Cette valeur moyenne illustre une hausse de la température (température moyenne au-dessus de 24°C). Une telle valeur moyenne est caractéristique du climat subéquatorial. L’analyse de l’évolution mensuelle de la température en 2014 indique que les mois les plus chauds sont novembre, décembre, janvier, février, mars, avril et mai avec une température supérieure à 25°C. Cette séquence correspond à la grande saison sèche. Le mois de février est le plus chaud avec une température de 27,3°C. Il représente le maximum thermique de cette série chronologique. Par contre, la température est relativement basse en juin, juillet, août, septembre et octobre avec des valeurs comprises entre 23,8 et 24,5°C du fait de l’influence des fortes précipitations de la saison des pluies. Le mois d’Août est le mois, le moins chaud avec 24,4°C. L’amplitude thermique moyenne mensuelle est faible. Elle s’élève à 4°C. Les températures demeurent élevées plus du 1/3 des mois de l’année. La figure 5 montre l’évolution de la température moyenne mensuelle du District Sanitaire de Bouaké Sud.
Figure n°5: Evolution mensuelle de la température moyenne dans la zone d’étude en 2014
Source: SODEXAM, 2014 Conception : Kanga et al, Septembre 2018
La tendance des variations inter mensuelles de la température de l’air montre une hausse régulière de la température en 2014. Cependant, cette évolution se caractérise une alternance des mois de températures relativement basses et des mois de températures élevées. Ce qui donne lieu à deux grandes phases d’évolution dans la série chronologique. La première période part de janvier à mai avec un indice de température au dessus de 0°C. La seconde phase part de juin à décembre. C’est la période des mois les plus chauds. En guise d’illustration, nous avons la figure 6.
Figure n°6: Evolution entre les indices thermiques et les indices de morbidités du paludisme
Source: SODEXAM, 2014 Conception : Kanga et al., Septembre 2018
Le coefficient de corrélation (r = -0,35) montre une association négative entre l’évolution de la température et l’évolution des morbidités de paludisme. Cette association négative veut dire que les morbidités enregistrées dans le District Sanitaire de Bouaké Sud diminuent lorsque la température augmente. La température est, en effet, un facteur contrôlant le développement des moustiques aussi bien dans l’eau que sur terre. La température est un paramètre clé dans la production et la distribution des vecteurs du paludisme. L’étude menée par M.H. Craig, R.W Snow et D. le Sueur à travers l’Afrique a montré l’influence de la température sur la durée de la sporogonie, la longévité du moustique et la durée de développement larvaire (F. Moussa, 2015, p. 100). Nos investigations ont révélé que l’ensoleillement durant la période chaude favorise l’assèchement des sites pouvant entrainer la prolifération des vecteurs de transmission du paludisme. L’assèchement influence la production des vecteurs de transmission du paludisme. L’augmentation de la température est le facteur qui justifie le fait que les indices de morbidités restent faibles durant le mois de Janvier à Mars. L’augmentation de la température allonge le cycle de développement du plasmodium falciparum. La durée de ce cycle, également appelé cycle sporogonique (ou extrinsèque) du Plasmodium chez l’anophèle, est largement dépendante de la température. La durée du cycle diminue avec l'accroissement des températures (N. Moiroux, 2012, p. 23). Autrement dit, la durée du cycle augmente avec la diminution de la température. La température qui oscille entre 23,8 et 27,3 °C offre un contexte thermique favorable au développement du parasite. Les températures, variant entre 23,8°C et 27,3 °C, sont constamment favorables à un développement sporogonique optimum de plasmodium falciparum. Le plasmodium falciparum se développe dans des conditions de température oscillant en 18°C et 35 °C. Les températures maximales supérieures à 35 °C, sont défavorables tant pour le développement sporogonique que pour la survie des moustiques adultes.
2.2. Les risques de perturbations du calendrier agricole de production de l’igname dans le district sanitaire de Bouaké-Sud
La culture de l’igname passe plusieurs activités. Selon Ngue Bissa et al (2007 p. 10 à 16) et Ndabalishye (1995 p. 141 à 144), la production de l’igname commence par le défrichage. Ensuite, succèdent les phases du buttage, d’ensemencement, de sarclage, du tuteurage et enfin la récolte qui reposent exclusivement sur l’utilisation de l’énergie humaine. Pour Amani (2014, p. 231), les pratiques agricoles sont enfermées dans les cycles de saisons dans le département de Tiassalé. Pour lui, les activités de défrichement et brulis sont confinés pendant la grande saison sèche de décembre à avril. Les semis conviennent mieux aux saisons des pluies. Dans notre espace étudié, les paysans ont aussi calqué leurs activités champêtres sur le cycle des saisons pluviométriques.
A l’analyse des figures 3, 4 et 5, il se dégage des périodes de forte endémicité palustre au cours de l’année 2014. La première période de fortes incidences avec des indices de morbidité positifs dure quatre mois (avril, mai, juin et juin). La seconde phase de fortes incidences avec aussi des indices de morbidité positifs dure moins longtemps, elle couvre deux mois : octobre et novembre. Ces deux phases de fortes endémicités correspondent à des activités champêtres comme le montre la figure 7.
Figure n°7 : Calendrier cultural des paysans sains et paysans ayant contracté le paludisme dans le district sanitaire de Bouaké sud
Source: Enquêtes de terrain, 2018
L’analyse de la figure 7, montre que l’indice de morbidité positif (cas élevé de paludisme) correspond plus d’abord aux activités de buttage et ensemencement d’avril à juillet ensuite le sarclage qui débute aussi en juillet. Cette période coïncide avec la saison pluvieuse qui a pour corollaire la pullulation des vecteurs responsables du paludisme. Cela expose donc les populations paysannes à plus de risques paludiques. Selon I. Ndabalishe (1995, p. 148), en Côte d’Ivoire les activités de préparation de sol (défrichage ; labour et buttage) et de plantation durent 72 jours par hectare dans le cas des variétés tardives. Cette durée concorde avec les résultats d’A. Caburet et V. Lebot, (2005, p. 840) qui indiquent que les activités de préparation de sol et plantation se déroule respectivement entre 60 et 90 jours jours pour les premiers et entre 20 et 30 jours pour la seconde activité. Selon nos enquêtes, la durée normale de préparation des sols et de plantation d’igname est de 70 jours dans les localités d’étude. Cependant, pour les populations ayant contracté le paludisme durant la période des activités de préparation de sol et de plantation, nos investigations révèlent que la durée de ces activités avoisine 112 jours (Figure n°7). Les épisodes de paludisme contractés par les paysans au cours de cette période d’intenses activités allongent la durée du calendrier culturale. Par exemple pour le buttage, les paysans qui sont affectés par le paludisme accusent en moyenne 30 jours de retard. Pour ces paysans le sarclage débutent au mois d’août pour prendre fin au mois d’octobre. Tandis que chez les paysans sains, cette activité s’étale sur la période allant de juin à septembre. Il s’observe un raccourcissement de la durée (30 jours) du sarclage chez les paysans ayant été malade. La fébrilité de la force de travail imputable à la survenue des épisodes de paludisme a des effets néfastes sur le déroulement des activités agricole de l’igname dans le District Sanitaire Bouaké sud.
Conclusion
Conclusion
La saison des pluies avec son corollaire de fortes hygrométrie et basses températures au niveau du District Sanitaire de Bouaké Sud offre un milieu particulièrement propice aux exigences écologiques de développement du vecteur et du parasite de transmission du paludisme.
En effet, l’augmentation de la pluie module de 6,60% les risques de transmission du paludisme dans le District Sanitaire de Bouaké Sud, tandis que la hausse de l’hygrométrie module de 76,6% les risques de transmission du paludisme. La conjugaison de ces paramètres climatiques favorise la prolifération des espèces vectrices de transmission du paludisme à travers la pullulation des gîtes larvaires. Alors que les paysans attendent les premières pluies pour entreprendre les activités de buttage et d’ensemencement, la prolifération des gites larvaires constituent donc un grand risque pour ces derniers de contracter le paludisme. La période de convalescence du paludisme entraine des jours d’indisponibilité perturbant ainsi davantage les activités de buttage et d’ensemencement.
Cette étude peut être menée dans une dynamique spatio-temporelle plus grande pour mieux appréhender le risque de perturbation du calendrier agricole à différentes échelles. Le temps pourrait s’appréhender en décennie ou trente années. Quant à l’espace, l’analyse pourrait se mener à l’échelle sous-préfectorale voire même départementale ou régionale. Cette étude pourrait s’affiner en évaluant le risque de perturbation de chaque activité agricole.
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