Sant�� maternelle, n��onatale et infantile en Afrique: Analyse de la situation et perspectives
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Connaissances et pratiques des mères en matière d’alimentation des enfants et rôles des groupes bénévoles d’assistance en nutrition au Bénin
Knowledge and practices of mothers in child feeding and roles of voluntary nutrition assistance groups in Benin
ASSOGBA Hermine Nadège
Socio-anthropologue de développement, Assistante technique,Assistante de recherche associée
Laboratoire d’Analyse des Dynamiques Sociales et du Développement (LADyD)
Centre Béninois pour l’Environnement et le Développement Economique et Social (CEBEDES-Xudodo)
assogbahermine@yahoo.fr
OLANIGNAN Mondoukpè Reine
Ingénieur agronome, Assistante de recherche associée
Laboratoire d’Analyse des Dynamiques Sociales et du Développement (LADyD), Faculté des Sciences Agronomiques (FSA)
Université d’Abomey-Calavi (UAC)
reine.olanignan@gmail.com
MONGBO Roch Lambert
Professeur Titulaire de Socio-anthropologie du Développement
Laboratoire d’Analyse des Dynamiques Sociales et du Développement (LADyD), Faculté des Sciences Agronomiques (FSA)
Université d’Abomey-Calavi (UAC)
roch.mongbo@fsa.uac.bj
La malnutrition est un problème prioritaire de santé publique dans les pays en développement. Au Bénin, 12,5% des nourrissons avaient en 2014 un poids inférieur à 2500 grammes à la naissance et 34% des enfants de moins de cinq ans présentaient un retard de croissance en 2015 (UNICEF BENIN, 2017, p.8). Une légère amélioration a été enregistrée en 2018, (EDS-Bénin, 2018, p.32), l’incidence dépassant quand même le seuil de gravité de 30%. La malnutrition cause plusieurs problèmes dont la morbidité, la mortalité, et des handicaps qui affectent la croissance physique, le développement cognitif, l’état de santé des enfants et des adultes, de même que le succès scolaire de l’enfant et la productivité de l’adulte (UNICEF, 2015, p.3). La plupart des programmes/ projets de nutrition et de développement ont permis peu de progrès parce que les bénéficiaires ont souvent été considérés comme des « patients » et non « des clients » (Hawkins et Kim, 2012, p.194). Les nouveaux programmes de nutrition optent alors pour des approches de participation communautaire et de responsabilisation des collectivités locales (FAO, 2010, p.1).
Le Bénin a entrepris en 2009 une réforme du secteur avec l’institution du Conseil de l’Alimentation et de la Nutrition (CAN)[1], présidé par le Chef de l’Etat. Le CAN a lancé en 2011 un programme national de nutrition mis à l’échelle de 2014 à 2019 à travers un Projet couvrant 40 des 77 communes du Bénin. Son objectif est d’accroitre la couverture et l’utilisation des interventions relatives à la nutrition et à la croissance des enfants dans les zones ciblées (SP-CAN, 2018, p.37). Des Organisations Non Gouvernementales ont été contactées pour l’exécuter, usant d’une approche participative portée par les communautés (Mongbo et al. 2020, p.13). Des Groupes d’Assistance en Nutrition (GAN) se sont constitués au sein des communautés avec l’assistance des équipes des ONG. Leurs membres, hommes et femmes, constituent le socle de la participation communautaire et sont la cheville ouvrière des activités de nutrition au sein des communautés. Ils sont sensés, une fois initiés aux soins nutritionnels, dispenser à titre bénévole et volontaire, des soins et conseils nutritionnels à toutes les mères et gardiennes d’enfants de leurs communautés respectives.
Les travaux de recherche portant sur la nutrition sont sans équivoque quant à l’apport de la participation communautaire à la réduction de la malnutrition. C’est le cas de la République Démocratie du Congo où la participation communautaire à contribuer à l’amélioration des conditions de vie des communautés (Bulondo et All, 2008, p.121). Toutefois, les succès en matière de réhabilitation nutritionnelle et de changement des comportements sont le produit d’un processus long et continu (ACF International, 2013, p.46) et dans la plupart des cas, l’adhésion de la communauté et son engagement restent faibles Belghali (1999, p.20). Une solution serait l’investissement volontaire et enthousiaste d’acteurs des communautés, convaincues de cette valeur. En effet, la participation communautaire est d’abord une situation de coopération et de collaboration entre des acteurs mais aussi entre des individus et des institutions. L’essence de la participation réside dans les relations entre les individus. Or, il est bien connu de tous qu’aucune relation de coopération n’a de chance d’aboutir à un succès sans un minimum de confiance entre les parties prenantes (Issa Sombié et al 2015, p.30). Ainsi, toutes les acteurs (Agent de santé, encadreurs et animateurs) doivent travailler en synergie. Toutefois, la littérature reste muette sur les contributions respectives des encadreurs, animateurs et agents de santé d’une part, et celles des volontaires communautaires dans les connaissances et pratiques nutritionnelles des mères d’enfants et des communautés. Par ailleurs, l’engagement bénévole a été analysé dans le contexte occidental comme nécessitant du temps libre que l’on serait prêt a? consacrer a? autrui, pour des motivations et selon des modalités dynamiques, parfois précaires (Castonguay, et al., 2014, p.15-16). Mais les fondements culturels et les motivations de tels engagements volontaires en Afrique restent peu explorés, en particulier dans le domaine de la nutrition communautaire.
La présente étude se focalise sur la matérialité et les motivations des volontaires de nutrition actifs dans des villages du Bénin, de même que sur leurs parts dans les connaissances et pratiques de nutrition des mères d’enfants.
[1] Au total, 7 Ministres sont représentés au CAN. Il s’agit de ceux en charge de la santé, de l’agriculture, des affaires sociales, du commerce, de l’économie, du développement et de la décentralisation. Sont aussi représentés, les Collectivités locales, les Chambres d’Agriculture, du Commerce et d’Industrie et l’Association des Producteurs agricoles. La mission du CAN est d’élaborer la politique et de coordonner toutes les interventions en matière d’alimentation et de nutrition au Bénin.
1. Materiels et méthodes
1.1. Cadre d’étude
La commune de Zè (Carte n°1) est située dans le département de l’Atlantique au Sud-Bénin, d’une superficie de 653km² couvrant 11 arrondissements et 101 villages, avec une population de 106913 habitants (RGPH 2013) à majorité rurale (84,92%) et une densité de 112 habitants/km². Les activités principales sont l’agriculture, le petit élevage et la pêche. La commune héberge deux zones agro-écologiques majeures, une zone de plateau sur terre de barre et une zone lacustre entourée de terres inondables.
Carte n°1 : La commune de Zè et ses zones agro-écologiques
Source : Fond topographique IGN 1992, Octobre 2020
Nous avons réparti les villages de la commune en trois catégories : les péri-urbains, les ruraux (sur plateau) puis les ruraux lacustres. D’après une récente enquête de nutrition à Zè, 47% des enfants de zéro à 59 mois souffrent de malnutrition chronique et 10,3% de malnutrition aigüe tandis que 64% des femmes en âge de procréer souffrent d’anémie (CAN, 2018, p.37.). Constitué depuis 2016 à la faveur du PMASN, les Groupes d’Assistance en Nutrition (GAN) sont composés de personnes choisies par la population et qui ont accepté d’exécuter à titre bénévole et sous la supervision de l’animateur et/ou du superviseur d’ONG, les activités de conseils et de suivi nutritionnels nécessaires à la bonne croissance et au bien-être des enfants de zéro à 24 mois. Chaque volontaire assiste huit à 12 ménages de son aire géographique immédiate d’habitation et chaque GAN compte dix à 15 membres au plus. Dans la commune de Zè il a été installé au total 208 GAN dans les 75 villages d’intervention du projet, avec un effectif total de 843 membres dont 627 Femmes et 216 Hommes. Les 12 villages de notre étude comptent 33 GAN avec 127 membres dont 93 Femmes et 33 Hommes. On rencontre en moyenne deux GAN par village compte tenu de l’étendue du village et de sa démographie.
Un Comité de Surveillance Alimentaire et Nutritionnel (CSAN) présidé par le Chef du Village supervise les actions des GAN en appui aux animateurs pour les séances de dépistage, les conseils aux ménages sur les bonnes pratiques nutritionnelles, les Visites à Domicile (VAD) pour le suivi de la mise en œuvre des conseils donnés, les séances de démonstration culinaire, et les séances de communication pour un changement social et de comportement.
1.2. Population d'étude et échantillonnage
Les mères d'enfants de zéro à deux et les membres GAN ont constitué les populations de la recherche. Les enquêtes ont été conduites dans 12 villages dont deux lacustres, deux péri-urbains, et huit ruraux non lacustres. Ils ont été sélectionnés de manière aléatoire en tenant compte des poids respectifs de chacune des trois catégories. Dans chacun de ces villages, nous avons sélectionné les mères enquêtées en faisant un saut de trois ménages avec comme repère le premier ménage identifié comprenant des mères d’enfants de zéro à 24 mois. Au total, 129 de ces mères d’enfants et 40 membres GAN (dont 12 hommes et 28 femmes) ont été enquêtés dans l’ensemble des 12 villages de la recherche.
1.3.Techniques et outils de collecte
Nous avons effectué des interviews individuelles à l’aide de guides d’entretien, l’observation de pratiques nutritionnelles à l’aide d’une grille d’observation et une revue documentaire. Un questionnaire a été adressé aux membres GAN afin de comprendre les fondements culturels de leur engagement et leurs motivations à intégrer le dispositif et s’investir dans cette activité. De même, à l’aide d’un questionnaire structuré, nous avons enquêté sur les connaissances et pratiques des mères en matière d'allaitement maternel exclusif et d'alimentation de complément. Les connaissances nutritionnelles des mères ont été appréciées sur la base de leurs déclarations sur l’importance de l’Allaitement Maternel Exclusif et sur les inconvénients au cas où l’on ne le pratique pas. La pratique des mères quant à elle a été jaugée sur leur connaissance de la couleur du premier lait maternel pris par les enfants et de la durée de l’Allaitement Maternel Exclusif et sur le rappel des rations de l’enfant sur les 24h précédant l’enquête. Les connaissances et pratiques des mères en alimentation de complément, ont été évaluées sur le rappel des rations de l’enfant au cours des 24h précédant l'enquête, le type de bouillies et le processus de sa préparation.
Afin de comprendre l’intérêt des membres GAN à s’engager bénévolement dans ce travail et les bases organisationnelles des activités des GAN, nous avons questionné leur appartenance à une Organisation Communautaire de Base et leur motivation à être membre GAN bénévole, leurs rôles et responsabilités, les difficultés rencontrées et les approches de solution. Aussi nous avons évalué leur niveau de connaissance sur l’allaitement maternel exclusif et sur l’alimentation de complément.
1.4. Traitement et analyse des données
Les données ont été numérisées à l’aide de l’application de collecte des données KoBoCollect et analysées avec les logiciels SPSS et Excel. En utilisant la méthode de Ruel and Arimond (2003) et Ruel et al. (2003), les niveaux de connaissance et de pratique des mères d’enfants de zéro à deux ans ont été mesurés sur les thématiques liées à l’Allaitement Maternel Exclusif et à l’Alimentation de Complément en attribuant des scores. La somme des scores des indicateurs de connaissance et ceux des pratiques ont permis de calculer les indices de connaissances et de pratiques correspondant à chaque mère. Ces indices ainsi calculés ont permis de catégoriser les mères en fonction de leurs niveaux de connaissances et de pratiques à savoir pour l’Allaitement Maternel Exclusif faible niveau de connaissance (un à 11) ; bonne connaissance (12 à 22) ; mauvaise pratique (un à neuf) bonne pratique (10 à 15) et pour l’Alimentation de Complément, (cinq (05) à 16) faible pratique et (17 à 26) pour bonne pratique. Quant à la fonctionnalité des GAN, elle a été mesurée à l’aide d’indicateurs utilisés sur le projet.
2. Résultats
2.1. Caractéristiques socio- démographiques des membres des Groupes d’Assistance en Nutrition (GAN)
Les membres GAN enquêtés sont pour la plupart des femmes (70%). Par ailleurs, 40% de membres se situent dans la tranche d’âge de 35 à 52 ans (Tableau n°1).
Tableau n°1 : Effectif et pourcentage des membres GAN enquêtés en fonction de l’âge et du sexe
Source : Enquête de terrain 2019
Dans leur majorité (54%) les membres GAN n’ont aucun niveau d’instruction et seuls 4% ont atteint le niveau supérieur. Le reste se retrouve entre le niveau primaire et le niveau secondaire (Tableau n°2)
Tableau n°2 : Effectif et pourcentage des membres GAN enquêtés en fonction de leur niveau d’instruction
Source : Enquêtes de terrain 2019
2.2. Fondements culturels et motivations des membres des Groupes d’Assistance en Nutrition (GAN)
Les personnes qui se portent volontaires pour intégrer une organisation du genre GAN devraient avoir une expérience préalable au sein d’organisations communautaires de base. L’enquête a donc consisté à interroger les cultures organisationnelles qui ont fondé leur adhésion au GAN de même que leurs motivations à s’engager bénévolement. Il ressort des résultats que la majorité soit 87% des membres GAN appartiennent à des Organisations Communautaires de Base ce qui est représenté à travers le graphique n°1.
Graphique n°1 : Pourcentage des membres GAN appartenant à des OCB ou non
Source : Enquêtes de terrain 2019
Il s’agit d’Associations Villageoises d’Epargne-Crédit, de mutuelles de nutrition, d’associations de producteurs d’ananas, de groupements de transformation du manioc (en gari) ou d’ananas, et de chorales de cultes chrétiens. Ces membres issus des différentes associations préalablement citées annoncent diverses motivations pour justifier leur engagement au sein du GAN. En effet, 62% de membres GAN enquêtés déclare que seule les motive l’envie de contribuer au bien-être des enfants de la communauté. D’autres par contre déclarent être dans le GAN pour acquérir de nouvelles connaissances en matière de nutrition. Ils constituent 38% de notre échantillon.
Afin de rendre ce dispositif pérenne et de permettre à ces membres GAN de contribuer efficacement à la connaissance et pratique des mères d’enfant en matière d’allaitement maternel et d’alimentation de complément, des séances de renforcement sont initiées à leurs endroit. Malgré le caractère bénévole, les membres GAN sont très assidus et se rendent en général toujours disponibles pour participer aux différentes activités de renforcement de capacité organisées, pour assurer le suivi de la croissance des enfants, participer aux séances de conseils donnés aux femmes allaitantes et aux femmes enceintes au sein de la cohorte de ménages dont elles ont la charge. Elles organisent des séances de sensibilisation sur les thématiques liées à la nutrition et appuient les animateurs d’ONG dans leurs diverses activités.
2.3. Caractéristiques socio- démographiques des mères/ gardiennes d’enfants de zéro à deux ans
A (85%) les mères enquêtées ont l’âgées se situant entre 18 et 34 ans. Par contre 15% sont entre 34 et 43 ans (Tableau n°3).
Tableau n°3 : Pourcentage des mères/ gardiennes d’enfants de zéro à deux ans en fonction de leur âge
Source : Enquêtes de terrain 2019
Pour ce qui est de leurs niveaux d’instruction, (Tableau n°4) près de la moitié des mères (49%) n’ont aucune instruction scolaire et plus d’un quart (26%) ont le niveau du cours primaire tandis que 22% ont le niveau du secondaire et 2% ont pu faire des études supérieures.
Tableau n°4 : Pourcentage des mères d’enfants en fonction de leur niveau d’instruction
Source : Enquêtes de terrain 2019
2.4. Niveau de connaissance et de pratiques des mères/ gardiennes d’enfants de zéro à deux ans
Plusieurs indicateurs ont été exploités afin d’évaluer les connaissances et pratiques des mères/ gardiennes d’enfants de zéro à deux ans. Il s’agit : de leur connaissance de la notion de l’Allaitement Maternel Exclusif, des avantages de l’Allaitement Maternel Exclusif pour l’enfant, le ménage et la communauté. S’agissant des pratiques les indicateurs sont relatifs, à la mise au sein précoce de l’enfant et la couleur du colostrum et aux habitudes alimentaires de l’enfant depuis sa naissance.
Graphique n°2 : Répartition des mères d’enfants selon de leur niveau de connaissances et pratiques sur AME
Source : Enquêtes de terrain 2019
Les données de terrain montrent que près de trois quart (74%) des mères ont une bonne connaissance en Allaitement Maternel Exclusif. Quant à la pratique de l’Allaitement Maternel Exclusif, plus de la moitié des mères (53%) en ont une bonne pratique.
2.5. Niveau de pratiques des mères au cours de l’Alimentation de Complément
A partir des 6 mois de l’enfant et jusqu’à l’âge de deux ans, il faut introduire des aliments de complément en plus du lait maternel pour subvenir à ses besoins nutritionnels. Il s’agit entre autres de la bouillie enrichie. Les données de terrain montrent que la bouillie a été introduite dans l’alimentation des enfants à partir des six mois d’âge par 85% des mères enquêtées. Le graphique n°3 montre le niveau de pratique des mères au cours de cette période.
Graphique n°3 : Répartition des mères en fonction de leurs niveaux de pratique au cours de l’Alimentation de Complément
Source : Enquête de terrain 2019
Les indicateurs utilisés pour mesurer la connaissance et la pratique des mères concernant l’Alimentation de Complément sont entre autres : la description du contenu du plat de l’enfant, le moment d’introduction de la bouillie dans l’alimentation, le type de bouillie donné aux enfants et le mode de préparation de la bouillie enrichie.
Il ressort de l’analyse de nos données de terrain que près des trois quarts (72%) des mères ont une bonne connaissance de l’Alimentation de Complément. Par contre pour ce qui est de leurs pratiques au cours de cette période, 63% des mères n’arrivent pas à faire de la farine enrichie aux enfants.
2.6. Lescanaux d’information des mères sur les pratiques nutritionnelles
Les déclarations des enquêtés montrent que les mères d’enfants disposent de plusieurs sources d’information sur les bonnes pratiques nutritionnelles. Il s’agit entre autres des agents de santé, des membres GAN, de la radio, des agents de vaccination, etc. Plus de la moitié (53%) des mères ont déclaré avoir entendu parler de l’Allaitement Maternel Exclusif et de l’Alimentation de Complément auprès des membres GAN. Les autres sources d’information des mères sont les agents de santé, la radio, lors des campagnes de vaccination et les relais communautaires de santé.
3. Discussion
Cette étude vise à mettre en lumière les fondements culturels et les modalités opérationnelles des Groupes d’Assistance en Nutrition (GAN) et leurs contributions au changement de connaissances et de pratiques des mères d’enfants de zéro à deux ans en matière d’Allaitement Maternel Exclusif (AME) et sur l’Alimentation de Complément (AC) dans la commune de Zè au sud-Bénin. Les enquêtes ont été conduites auprès de 40 membres GAN et 129 mères bénéficiant du programme national de nutrition dans 12 villages répartis sur les trois principales zones agro-écologiques de la commune.
Les GAN sont constitués majoritairement de femmes d’un certain âge relativement aux mères qu’elles sont censées conseiller. En effet, 62% des membres GAN ont plus de 35 ans d’âge alors que 50% des mères ont moins de 35 ans. Les membres GAN ont pour la plupart une certaine expérience de vie de même que des organisations communautaires et ont de ce fait de l’influence sur leurs congénères, ce qui pourrait contribuer à créer un esprit de confiance entre les mères d’enfants et les membres GAN. Leur appartenance pour la plupart à des Organisations Communautaires de Base accroit leur dynamisme et leur sociabilité, habitués qu’ils sont à communiquer en groupe et à des assemblées. Etant des membres volontaires et bénévoles, ils ont des motivations d’ordre personnel (connaître les questions nutritionnelles pour son propre bien-être) et des motivations altruistes liées au bien-être des enfants de leurs communautés. Une enquêtée se prononce sur ce dernier aspect en ces termes.
« C’est à cause de la bonne santé des enfants que je fais partie du GAN. C’est pourquoi si les animateurs viennent à n’importe quel moment, je laisse ce que je fais et je les accompagne pour le travail. Je me sens heureuse de voir les enfants en bonne santé chez mes voisins. Et je suis mal à l’aise lorsque les enfants sont malades. De plus, on dit que s’ils grandissent bien ils seront intelligents, ce qui profitera à notre communauté »
Selon les recommandations de l’OMS et de l’UNICEF, les enfants doivent être exclusivement nourris au sein jusqu’à l’âge de six mois et l’allaitement au sein doit être poursuivi jusqu’à l’âge de 2 ans. Le lait maternel demeure l’aliment naturel et idéal pour le nourrisson durant les six premiers mois de sa vie (UNICEF, 2012, p.38). Chaque enfant doit prendre exclusivement le lait maternel dès sa naissance et le plus longtemps possible pendant au moins les deux premières années de la vie. Les résultats de la présente enquête, ont montré que 74% des mères ont une bonne connaissance de l’Allaitement Maternel Exclusif. Ces connaissances ont influencé leurs pratiques puisse que 53% des mères ont une bonne pratique de l’Allaitement Maternel Exclusif. Comme le souligne la plupart des théories du changement de comportement comme celle de Prochaska and DiClemente (1983, p.23), la connaissance n'est que l'une des premières étapes du changement de comportement. Cette étude montre également que l’Allaitement Maternel Exclusif est bien perçu par les mères à cause de ses multiples avantages souvent cités. Les raisons évoquées par ces dernières sont entre autres : la bonne santé, l’économie dans le ménage, l’éducation et l’affection entre la mère et l’enfant. Ce résultat corrobore celui de Brou-Tanoh A.M. et al (2010, p.79) qui stipule que l’Allaitement Maternel Exclusif est bien perçu par les mères pour les mêmes raisons que celles citées ci-dessus.
Selon la littérature, au cours des six premiers mois de vie, le lait maternel couvre tous les besoins nutritionnels de l’enfant. Cependant à partir de l’âge de six mois, le lait maternel seul ne suffit plus pour satisfaire les besoins nutritionnels des enfants. Ainsi, il a été retenu que six mois est l’âge idéal pour introduire les aliments de complément (OMS, 2008, p.2). Notre étude a montré que 85% des mères ont introduit la bouillie dans l’alimentation du jeune enfant à partir des six mois d’âge, contrairement aux résultats de Brou-Tanoh A.M. (2010, p.80) d’une étude faite en Côte d’Ivoire signalant l’introduction d’aliments de complément par les mères avant l’âge de six mois de leurs enfants. La présente étude a également révélé que 63% des mères ont une pratique inadéquate au cours de la période de l’Alimentation de Complément. Elles n’arrivent pas à ajouter en complément au lait maternel, de la bouillie enrichie ou, donner à l’enfant des rations composées des trois groupes d’aliments (énergétiques, de croissance et de protection). En conséquence les membres GAN contribuent à une bonne connaissance nutritionnelle des mères d’enfants. Les raisons évoquées par les mères renvoient à l’absence des ressources nécessaires dans leur ménage et à leurs revenus qui ne suffisent pas pour qu’elles se procurent des ingrédients requis sur le marché. Certaines évoquent le manque de temps pour fabriquer la bonne bouillie, du fait de leurs activités quotidiennes. En définitive, les femmes connaissent les principes de l’alimentation de complément mais la mise en pratique de ces connaissances est conditionnée par leurs occupations quotidiennes et leurs moyens de subsistance. Par ailleurs, les directives de l’Organisation Mondiale de la Santé pour une alimentation optimale du jeune enfant comprennent non seulement l’introduction, à partir de l’âge de 6 mois, d’aliments complémentaires tout en maintenant l’allaitement mais aussi une alimentation complémentaire diversifiée c’est-à-dire apportant l’énergie, les protéines et les micronutriments en quantité suffisante pour satisfaire les besoins nutritionnels liés à la croissance de l’enfant). Ainsi, des fruits et légumes riches en vitamines et sels minéraux devraient être consommés quotidiennement Mavuta et al. (2018, p.114). De même, la consommation de protéines devrait aussi être quotidienne ou aussi fréquente que possible. Il ressort de ce travail que l’alimentation des enfants ne respectait pas ces mesures recommandées par l’Organisation Mondiale de la Santé et Fond des Nations Unies pour l’Enfance. Un rappel de 24h montre qu’hormis la bouillie enrichie, les mères enquêtées n’arrivent pas à réunir dans l’alimentation les trois groupes d’aliments. Les fruits et les aliments riches en protéines étaient absents ou en très petites quantités, essentiellement à cause de problèmes d’ordres socio-économiques. Ce résultat va dans le même sens que ceux de Mavuta et al. (2018, p.114) qui stipulent que l’alimentation des enfants était peu conforme aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et du Fond des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF).
Ces résultats montrent donc qu’en plus des connaissances nutritionnelles, il faudra appuyer les mères à disposer des aliments nécessaires à la composition des repas conseillés, et les inciter à prioriser les soins aux enfants dans leurs occupations quotidiennes et dans le partage de certaines catégories d’aliments de par leurs bienfaits pour la bonne croissance des enfants. Certains de ces aliments (en l’occurrence les légumes, les fruits, les œufs, viandes et poissons) pourraient être produits par les membres du ménage dans des jardins, vergers et élevages domestiques. Pour d’autres, les femmes devront disposer des moyens financiers pour s’en procurer.
L’information des mères concernant les bonnes pratiques nutritionnelles de leurs enfants provenait de plusieurs sources. La source d’information principale des mères sur l’alimentation de leurs enfants est celle des membres GAN (53%). Les autres canaux d’information sont les agents de santé, la radio, les relais communautaires et lors des campagnes de vaccination. Les membres GAN sont donc les acteurs majeurs de l’apprentissage des mères dans la communauté. Du fait de leur proximité avec ces dernières, ils agissent sur le changement de comportement à travers la conduite des activités de dépistage au périmètre brachial, des démonstrations culinaires, des visites à domicile. Ces visites ont pour but de conseil, d’orienter et même d’accompagner les mères d’enfants dans la prise en charge nutritionnelle de leurs enfants.
Conclusion
L’étude menée nous a permis de faire une comparaison entre les connaissances et les pratiques des mères en matière d’alimentation des enfants de zéro à 24 mois à travers les groupes d’assistance en nutrition installés au niveau des villages. Il ressort, de façon générale, que le travail bénévole et volontaire des membres GAN améliore les connaissances et pratiques des mères en nutrition. Soulignons aussi que malgré le faible niveau d'éducation des mères d’enfants, les messages de sensibilisation adressés à leur égard sont souvent bien assimilés car elles perçoivent pour la plupart les avantages des pratiques nutritionnelles tant sur leurs enfants que sur elles-mêmes.
Toutefois, les moyens d’existence des ménages limitent la capacité des mères et gardiennes d’enfants à s’adonner à des pratiques alimentaires et nutritionnelles nécessitant des stocks vivriers domestiques ou des débours monétaires. Les politiques nationales de nutrition devraient introduire cette dimension dans leurs stratégies opérationnelles.
Références bibliographiques
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MONGBO Roch Lambert, HOUNKANLIN Minakpon Stanislas and HEMONIN Ophélie, 2020. « Putting communities at the heart of improving nutrition »: Experiences from Bénin. Pp 13-15 Nutrition Exchange num 13, March 2020 p13
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Pour citer cet article
Référence électronique
ASSOGBA Hermine Nad��ge, OLANIGNAN Mondoukp�� Reine et MONGBO Roch Lambert,Connaissances et pratiques des m��res en mati��re d���alimentation des enfants et r��les des groupes b��n��voles d���assistance en nutrition au B��nin , Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ," [En ligne] 2020, mis en ligne le 31 Decembre 2020,
consulté le 2023-09-23 21:09:51, URL: https://retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=135