2020/Vol.3-N°5 : Système alimentaire urbain et santé en Afrique

0 |Système et sécurité alimentaire: défis et enjeux sanitaires

Food system and food safety: healthChallenges and stakes

Auteurs

  • MEVA’A ABOMO Dominique Maître de Conférences en Géographie mevaa_abomo@ss-cad.org, FLSH-Université de Douala-Cameroun
  • AKOUANGO Parisse Professeur Titulaire parakouango@yahoo.fr , Université Marien N’Gouabi (Congo-Brazzaville)
  • MATOUTY Parfait Ecole Nationale Supérieure parfait.matouty@gmail.com, Université Marien N’Gouabi

Mots-clés:

Résumé

Introduction

La population humaine qui a franchi le seuil de sept milliards de personnes au début de ce 21ème siècle, est confrontée à une crise de sécurité alimentaire en puissance. D’après FAO (2019, p. 14), plus de 2 milliards d’individus sont en situation d’insécurité alimentaire sur la planète. Cette crise résulte des dysfonctionnements du système alimentaire mondial. D’après, L. Malassis (1993, 1979), fondateur de l’économie agroalimentaire, cité par S. Fournier et J. M. Touzard (2014, p.1), un système alimentaire renvoie à la manière dont les hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture. Ces systèmes sont en crise perpétuelle en générant une situation d’insécurité alimentaire qui s’érige en une véritable pandémique en ce 21ème siècle. L’insécurité alimentaire tributaire de la crise des systèmes alimentaires urbains est le support d’un problème de santé publique de plus en plus inquiétant, mais, qui reste malheureusement peu étudié, et donc insuffisamment maîtrisé sur le plan scientifique. Cette insuffisance de connaissances scientifiques sur les interactions système alimentaire et santé dans la ville africaine limite substantiellement la contribution de la science à la régulation durable de la crise de sécurité alimentaire urbaine ambiante, ainsi que des répercussions sanitaires associées.
Le présent Dossier Thématique « Système alimentaire urbain et santé en Afrique » de la « Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé / RETSSA », a pour objectif de contribuer à cette double régulation à partir du questionnement et du décryptage de la relation de causalité construite autour des interactions Système alimentaire et Santé en milieu urbain africain. Ce Dossier Thématique participe de la volonté de la RETSSA à contribuer, à partir du levier scientifique, à l’amélioration des cadres programmatiques et au renforcement des capacités de gouvernance des systèmes alimentaires urbains en Afrique. L’enjeu ici est la promotion des systèmes alimentaires urbains durables pour un développement durable des villes africaines.
Les contributions à prédominance empiriques et pluridisciplinaires s’inscrivent globalement dans deux principaux champs thématiques d’analyse. Le premier s’articule sur les défis des systèmes alimentaires urbains en rapport avec les enjeux sécuritaires de santé publique. Le second se penche exclusivement sur les dynamiques de consommation alimentaire en rapport avec la vulnérabilité sanitaire. Chaque champ thématique a donné lieu à un Tome du Dossier Thématique compte tenu de la pluralité des contributions définitivement retenues au terme des processus de doubles expertises à l’aveuglette.  Ce Tome restitue les réflexions relatives au premier champ thématique d’analyse. Il a pour objectif de décrypter les systèmes alimentaires urbains afin de comprendre et d’expliquer leurs dysfonctionnements, l’insécurité alimentaire inhérente et les enjeux sanitaires associés. Les contributions de ce premier Tome ont enrichi quatre principaux domaines de connaissances et savoirs scientifiques en toute complémentarité. Trois sont spécifique au présent champ thématique et le dernier analyse quelques dynamiques sociétales en lien avec la vulnérabilité.

1. Contribution épistémologique et théorique sur les systèmes alimentaires urbains

Le premier domaine de connaissances et de savoirs scientifiques enrichi par ce Tome est d’ordre épistémologique et théorique sur les systèmes alimentaires urbains. Les travaux de ABOMO Meva’a Dominique et AMBATTA NYORO Hervé s’inscrivent dans cet ordre, et établissent une classification des systèmes alimentaires en fonction des variations géographiques des caractéristiques écologiques et sociétales. Il en résulte quatre systèmes géo-alimentaires atypiques. Le système alimentaire rural, le système alimentaire semi-urbain (petite ville), le système alimentaire urbain (mégapole) et le système alimentaire métropolitain (métropole) à envergure régionale. Les auteurs s’intéressent davantage au système alimentaire métropolitain qu’ils considèrent comme l’ensemble des interactions sur le fait alimentaire entre la ville-mère, les villes satellites et les campagnes de l’aire métropolitaine; et ce, sans toutefois le confondre avec le Système agroalimentaire métropolitain plus restrictif de S. Corsi et al. (2015, p. 28). Une profonde exploration heuristique conduit à la construction de nouveaux concepts tels que la métropolisation alimentaire, l’extropolisation alimentaire et l’intropolisation alimentaire… L’articulation de ces trois dynamiques produit ce que les auteurs qualifient de métropolité alimentaire. La concentration, le réseautage et les flux constituent les trois piliers de toutes ces dynamiques du fait alimentaire qui se construisent, se déconstruisent et se reconstruisent perpétuellement entre une ville-mère (lieu de concentration), les villes satellites et campagnes dans les cinq appareils fonctionnels du système alimentaire métropolitain : politique, économique, social, culturel et écologique. Ces dynamiques sont régies par des relations de cause à effet considérées comme des invariants cardinaux du fait alimentaire. La standardisation de ces relations de causalité (cause à effet) a conduit à la formulation de trois Lois scientifiques (F. Bouchard, 2015, p. 144 ; O. Aktouf, 1987, p. 24) : La Loi de la fluidité spatio-alimentaire, la Loi de l’osmose spatio-alimentaire et la Loi du dividende alimentaire. L’ensemble de ces Lois scientifiques constituent une Théorie scientifique au sens de T. Parsons (1964, p. 485) et O. Aktouf (1987, p. 24), que les auteurs appellent : la Théorie de la métropolité alimentaire reposant sur un principe directeur et un énoncé général. Cette Théorie explique la structuration et le fonctionnement de la métropolité alimentaire qui produit soit une raisonance spatio-alimentaire, soit une dissonance spatio-alimentaire, avec des impacts sur la santé, la production territoriale, le développement de l’aire métropolitaine, et au-delà.
Aux auteurs de conclure que la Théorie de la métropolité alimentaire est un pertinent outil d’observation, de décryptage et d’analyse des systèmes alimentaire métropolitain à expérimenter. L’application expérimentale de l’outil au contexte africain révèle que les métropoles, ou plus globalement les aires métropolitaines du continent noir, sont en situation de dissonance spatio-alimentaire préjudiciable sur le plan sanitaire. Les travaux de D. Meva’a Abomo et H. Ambatta Nyoro sont, en définitive, d’un apport heuristique non négligeable pour une meilleure connaissance des dynamiques du fait alimentaire en contexte de métropolité et la promotion des systèmes alimentaires métropolitains durables en Afrique et dans le monde.

2. Production agraire et sante dans les systèmes alimentaires urbains

La production agraire est l’un des secteurs du système alimentaire le mieux soutenu par les politiques en Afrique. Elle peine cependant à satisfaire la demande alimentaire urbaine, et ce, malgré les multiples potentialités et atouts que regorge le continent (P. Akouango, 2018; Jacquemot (2017) et Dounia Ben Mohamed, 2015). Ce contraste a favorablement retenu l’attention des chercheurs qui ont mis l’accent sur le décryptage des dysfonctionnements de ce secteur. L’étude De YOLOU Isidore sur la production maraîchère dans la commune d'Athiémé (Benin) confirme que ce secteur bénéficie particulièrement du soutien des pouvoirs publics, puis des faveurs biophysiques du milieu naturel et le dynamisme agraire des populations. Mais, les effets des changements et variabilités climatiques sur le secteur d’activités se font de plus en plus ressentir. Une importante évolution des indicateurs de production des cultures maraîchères est néanmoins observée avec une progression des superficies avoisinant 1000 ha. Les productions, quant-à-elles, ont dépassé 5000 tonnes entre 2008 et 2015. Cette rentabilité reste cependant faible au regard de la prédominance des techniques agricoles traditionnelles. Plus de 54 % des maraîchers utilise uniquement l’arrosoir pour irriguer les plantes. L’irrigation goutte à goutte est utilisée par 15 % des maraîchers. L’arrosage à partir des tuyaux flexibles et de pomme est utilisé par 2 % des exploitants seulement. Les engrais organiques sont utilisés spécifiquement par 76 % de maraîchers. L’auteur prescrit la réorientation des politiques maraîchères sur l’acteur principal à savoir l’exploitant en termes de capacitation et d’assistance technique, de soutien matériel et financier.
Cette contribution du maraîchage est également altérée dans la ville de Moundou au Tchad au regard des difficultés rencontrées par les producteurs. Tel est le principal résultat des travaux de DOUDOUA Yassine, YENGUE Jean Louis et DJONDANG Koye sur le maraîchage dans ladite agglomération. Cette étude dresse un profil de contraintes à l’essor de l’activité : manque de capitaux, techniques rudimentaires, matériels et équipements archaïques, insuffisance du soutien des pouvoirs publics, absence des intrants, la pauvreté… L’un des faits marquants ici est la constitution des chaînes de valeur qui renforce les dividendes des acteurs et réduit les risques. L’activité se veut particulièrement rentable. L’étude fait état d’un revenu mensuel des exploitations nettement supérieur au SMIG (60 000 F CFA). Seulement, l’activité ne garantit pas une régularité dudit revenus. La durabilité et l’efficacité du maraîchage urbain à Moundou sont menacées par l’insécurité foncière et le profil de contrainte ci-dessus évoqué ; et ce, en dépit des faveurs du milieu naturel également constatées par B.S. Olanrewaju, B. Smith et al. (2004, p. 31) comme dans la commune d’Athiémé au Benin.
Cette contribution du maraîchage à la sécurité alimentaire a également été observée à Ouagadougou au Burkina Faso par SOMA Assonsi dans son étude menée sur le site agricole de la zone industrielle de Kossodo. D’une manière générale, le maraîchage urbain assure, selon l’auteur, environ 80 % des besoins en légumes et fruits de la ville. Le secteur d’activité se veut très rentable et pourvoyeur de milliers d’emplois conformément aux observations de E. D. Nikiema, G. Compaoré (2015, p. 431). Le maraîchage est cependant pratiqué dans des conditions à haut risque sanitaire avec pour site emblématique la zone industrielle de Kossodo où des eaux usées industrielles sont utilisées ainsi que des pesticides dangereux. L’étude fait état d’importants impacts négatifs sur la santé autant des exploitants et des commerçants que des consommateurs des vivres issues de ce site. Il s’agit entre autres de la diarrhée (32%), de la dysenterie (22%), de la fièvre typhoïde (12%), de la bilharziose intestinale (10%), des parasites (8%). Une régulation systémique de la chaîne de sécurité sanitaire des produits maraîchers est prescrite au profit des consommateurs.
Une telle régulation s’avère également nécessaire au pôle de production halieutique de Kossou en Côte d’Ivoire, d’après les travaux de DIARRA Ali. L’étude établit un diagnostic des déterminants du déclin de l’activité de pêche dans la localité depuis 2012. Le diagnostic révèle que la diminution des eaux du lac Kossou due au changement climatique, la pollution de l’eau due à l’orpaillage, la présence de végétaux aquatiques envahissants, le non-respect de la réglementation en vigueur en matière de pêche, le recourt aux équipements inapproprié et  l’usage d’engins de pêche non règlementés, sont les principaux déterminants de cette décadence qui ont rendu la pêche difficile. Le déclin de la production amène ce lac à perdre sa valeur tout comme plusieurs autres régions productrices de ressources halieutiques de Côte d’Ivoire conformément aux observations déjà faites par S. K. Da Costa et Y. M. Diétoa, 2007, p. 14). Cette réalité a engendré un délaissement du secteur d’activité. La baisse de l’effectif des pêcheurs et la chute des investissements en sont des implications logiques et prévisibles, tout en s’érigeant aussi en déterminants majeurs. Il se dégage, sur le plan quantitatif, une permanence du risque de pénurie de produits de pêche. Sur le plan qualitatif, la localité est en proie à une endémicité du risque de sécurité sanitaire des produits halieutiques issus des activités de pêche dans le lac Kossou.
D’une manière générale, ces contributions révèlent un statut ambivalent de la production agraire par rapport à la sécurité alimentaire, et la santé qui en est l’enjeu principal. Autant, les productions agricoles et halieutiques participent à la consolidation de la sécurité alimentaire, autant elles contribuent à sa compromission en faveur de l’insécurité alimentaire aux impressionnantes répercussions sanitaires.

3. Sécurité alimentaire et santé dans les systèmes alimentaires urbains

L’enjeu de tout système alimentaire est la sécurité alimentaire des populations. L’absence de cette sécurité donne naturellement lieu à une situation d’insécurité alimentaire. L’Afrique est le continent où les pays en sont le plus victimes au regard de la forte prévalence de faim (20 % de la population) dans le continent (FAO, 2019, p. 14) et de la dépendance de 57,40 % de ces pays de l’aide alimentaire (FAO, SIMAR, 2019). Il existe donc des variations géographiques du phénomène d’insécurité alimentaire entre les continents, les pays, puis, entre les espaces urbains et ruraux qui sont nantis, chacun, d’un type de système alimentaire spécifique, dans un contexte où l’insécurité alimentaire-zéro reste une utopie, un leurre à l’échelle planétaire. 
La ville africaine est l’un de ses espaces à forte prévalence de cette insécurité promue dans divers secteurs du système alimentaire à l’exemple de la transformation des produits alimentaires. Cette situation est tributaire de plusieurs facteurs parmi lesquels la prédominance de la transformation artisanale telle que constaté par ADAYE Akoua Assunta dans son étude sur la production et la conservation de l’Attiéké, une semoule de manioc cuite à la vapeur qui est très consommée dans la ville de Bouaké en Côte d’Ivoire. L’étude empirique révèle que l’Attiéké est produite à 96 % par un processus artisanal de transformation. Les modes de conservation sont également à prédominance artisanal à des sacs en plastique ou en nylon non stérilisés, et donc, de qualité douteuse. Les analyses physico-chimiques et biochimiques dudit produit révèlent de plusieurs valeurs nutritionnelles. L’essentiel du pouvoir calorifique de l’Attiéké vient des glucides (93 % de matière sèche) et de la forte teneur en fibre alimentaire. Le pH est d’environ 4 et le potentiel de minéraux est inférieur à 1 % de cendres, avec de forte teneur en humidité dépassant parfois 50 %. Cet aliment est très énergétique et compte plus de 300 Kcal/100g. Il est assez pauvre en protéine (1,1 %) et en lipide (0,5 %). Ces résultats similaires à ceux de G. B. Gnagne et al. (2016, p. 810) sont contrastés par le contexte d’insalubrité alimentaire ambiant qui hypothèque malheureusement la sécurité sanitaire des consommateurs.
Ce contexte d’insalubrité alimentaire, et plus globalement, d’insécurité alimentaire est également en vigueur dans la ville de Ouagadougou au Burkina Faso conformément aux observations de MILLOGO Roch Modeste, SOURA Bassiahi Abdramane, COMPAORE Yacouba et MILLOGO Tieba. L’étude menée par ces auteurs a établi que 90 % de ménages urbains connaissent une forme d’insécurité alimentaire (sévère, modérée, faible). Cette très forte prévalence résulte de la combinaison de plusieurs aléas : la résidence en quartier spontané et insalubre, la grande taille des ménages à faible revenu, la pauvreté, le faible niveau d’instruction du chef du ménage et l’âge élevé de ce dernier. L’étude modélise le risque d’insécurité alimentaire en fonction des types de quartier, des catégories socioéconomiques des ménages et de l’étendue (nombre de membres) des ménages. Cette modélisation confirme qu’une augmentation d’une unité des membres du ménage fait diminuer sa chance d’être en sécurité alimentaire de 15 %; un ratio significatif établi lors d’une étude empirique similaire menée dans deux bidonvilles de Nairobi au Kenya par E. W. Kimani-Murage et al. (2014, p. 1103).
Cette variation de l’exposition et de la vulnérabilité ménagère à l’insécurité alimentaire n’est pas seulement liée au statut socioéconomique des ménages. Elle est aussi fonction des tranches d’âges. Certaines catégories de personnes en sont plus exposées et plus vulnérables. Les personnes âgées constituent l’une de ces catégories d’autant plus que ces sujets sont souvent victimes de la marginalité sociale. L’étude de POLA Gyscard Merlin et NJIEMESSA NKOUANDOU Marcel se penche exclusivement sur cette catégorie et explore l’incidence de l’insécurité alimentaire sur le bien-être des personnes âgées en contexte urbain camerounais. Il en ressort que, le lien social s’articulant autour d’une communauté de valeurs (esprit de groupe, esprit de famille voire spiritualisation de la personne âgée) ne constitue plus la quintessence de l’intégration de la personne âgée dans la ville de Douala conformément au constat général de S. Paugam, (2007, p. 170). Une dynamique de transformation des types de solidarité : redistribution économique, aides, mode d’organisation et de contrôle social, réorganisation des rapports sociaux, etc. a forgé au fil du temps, la marginalité des personnes âgées dans la ville. L’étude souligne que cette marginalité est une construction sociale basée sur des mécanismes de distanciation géographique, sociale, socioculturelle, socioéconomique, socioaffective et psychoaffective. Les personnes âgées vivant à Douala souffrent donc d’un déficit assistance sociale réelle. L’étude constate, sur le plan sanitaire, l’émergence d’une nouvelle catégorie nosologique directement liée à l’insécurité alimentaire et concurrençant de plus en plus les autres pathologies classiques liées au processus de vieillissement en matière de prise en charge. Les modes alimentaires des personnes âgées ne sont pas toujours appropriés à leur physiologie G.M. Pola (2015, p. 124), et encore moins, aux maladies chroniques dont ils souffrent généralement. La recherche a abouti au dressage d’un profil de trois catégories de personnes âgées en situation de bien-être altérée à cause de l’insécurité alimentaire : une première en situation alimentaire acceptable, une seconde en situation alimentaire précaire, une troisième en situation alimentaire d’alerte voire urgente. Aux auteurs de conclure qu’un impératif catégorique s’impose à Douala, à savoir repenser les solidarités sociales et alimentaire envers les personnes âgées afin de réguler l’insécurité alimentaire dont ils sont victimes.
Certains facteurs aggravants comme l’instabilité sociopolitique, le terroriste… renforcent ces effets de marginalisation, de stigmatisation et de discrimination alimentaire. Ce renforcement est lié à la déstabilisation et la déstructuration des systèmes alimentaires par lesdits facteurs, en renforçant la crise sécuritaire. Ce constat a été fait par KOLAOUNA LABARA Bruno et WOUDAMMIKE Joseph dans leurs travaux sur les impacts des conflits armés contre la secte terroriste Boko Haram à l’Extrême-Nord du Cameroun. L’étude signale que les multiples attaques asymétriques de la secte dans les zones frontalières avec le Nigéria dans les départements du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga ont contraint à l’arrêt total ou partiel des activités agricoles et pastorales dans les zones à risque de la région. Elles ont entrainé la destruction totale et/ou la fermeture de plus d’une trentaine de marchés en hypothéquant substantiellement la distribution des vivres et l’économie globale de la localité conformément au constat déjà fait par Ntouda Ebodé et al. (2017, p. 24). Les pénuries de denrées alimentaires dues à la baisse de la production agricole sont devenues endémiques dans lesdites zones. Elles sont marquées par une inflation des prix des produits alimentaires sur les quelques marchés fonctionnels et sécurisés. Une monté en puissance de la famine, la sous-alimentation, la malnutrition et des maladies d’origine alimentaire dans l’espace terrorisé est observée avec un pic en 2019 où environ 259 000 personnes souffrant de la malnutrition ont été recensées parmi lesquelles 122 000 enfants de moins de cinq ans; 60 000 desdits enfants étaient atteints d’une malnutrition aigüe ou sévère. Plus de 38 000 femmes enceintes et allaitantes en situation de malnutrition aigüe ont également été enregistrées dans la même période. À l’auteur de conclure que cette situation témoigne du lien intrinsèque entre la sécurité humaine et la sécurité alimentaire.
Ce lien intrinsèque intègre une autre catégorie d’acteur de l’univers des conflits armés à savoir les réfugiés. La situation alimentaire des personnes de cette catégorie est également préoccupante en Afrique en général et au Tchad en particulier. Ce constat de GUIRYAM Richard, LEMOUOGUE Joséphine, BOUYO KWIN Jim Narem et KAHOU NZOUYEM Jasmine Laurelle, a été fait lors d’une étude d’évaluation des répercussions de l’afflux des réfugiés centrafricains sur l’insécurité alimentaire dans la ville cosmopolite de Maro dans la province du Moyen Chari au Tchad. Dans l’ensemble, 98 % de ménages réfugiés enquêtés, 64 % de ménages tchadiens migrants de retour et 74 % de ménages d’autochtones, mangent une seule fois par jour; soit, une moyenne générale de 79 % de ménages toutes catégories confondues, bien que des variations soient observées en fonction des saisons. De fortes prévalences de la malnutrition sont enregistrées dans ce contexte de sous-alimentation avec des effets importants sur la santé. En mars 2018 par exemple, la ville comptait  38,1 % d’enfants âgés d’au plus 59 mois en situation de Malnutrition Aigüe Modérée (MAM) et 61,9 % étaient en situation de Malnutrition Aigüe Sévère (MAS). Au total, un accroissement substantiel de l’insécurité alimentaire lié à l’afflux des réfugiés centrafricains est observé dans la ville de Maro. Une situation similaire est observée dans la ville de Douala (Cameroun) considérée comme une destination privilégié pour les déplacés internes de la crise anglophone en vigueur dans deux régions de l’Ouest du pays depuis 2016 (N. Machikou, 2018, p. 120).

4. Dynamiques sociétales et vulnérabilité

Les contributions de la rubrique « Varia » ont traité un ensemble d’objets d’étude sur les dynamiques sociétales ayant une incidence directe ou indirecte sur la santé. Les travaux de  MIHINDOU-BOUSSOUGOU Parfait, par exemple, décryptent les conditions de travail des sages-femmes infirmiers et médecins urgentistes du CHU de Libreville-Gabon en mettant en évidence leur exposition et leur vulnérabilité aux contaminations nosocomiales, suite à des accidents d’exposition au sang humain. Il en ressort globalement que le risque de piqure diffère en fonction du temps de travail (Chi² = 3,26 ; ddl = 3 ; p ?.05) ; le risque de coupure varie en fonction de la charge de travail (Chi² = 0,89 ; ddl = 2 ; p ?.05) et le non-respect des pratiques de prévention diffère en fonction de la charge de travail (Chi² = 1,19 ; ddl = 3 ; p ?.05). L’insuffisance des équipements, matériels et intrants de travail et de protection, la surcharge de travail… sont autant de déterminants de l’exposition et de la vulnérabilité des sages-femmes et médecins urgentistes. La relative motivation liée à la faible satisfaction de ces dernières en matière de prise en charge salariale, l’insuffisance des autres mesures d’accompagnement… créent également un conditionnement psycho-mentale accidentogène. Au total, les conditions de travail constituent globalement le principal facteur de risque d’accident d’exposition au sang chez les sages-femmes et médecins urgentistes du CHU de Libreville-Gabon. Elles participent donc au renforcement de la vulnérabilité des travailleurs en milieu professionnel.
Une vulnérabilité pareillement dommageable a été enregistrée chez les femmes ex-associétées et ex-otages de Boko-Haram dans les zones de conflits de l’extrême-nord du Cameroun par KOLAOUNA LABARA Bruno, Faustin MUKENDI LUFULUABO et Joseph WOUDAMMIKE. Les auteurs signalent que la crise sécuritaire a profondément bouleversé les dynamiques socioéconomiques dans les zones affectées en augmentant le taux de pauvreté et la dégradation des conditions de vies des populations. Cette situation a substantiellement impacté le niveau d’employabilité des femmes considérées par OCDE (2011, p. 7) comme étant l’une des catégories les plus vulnérables en situation de crise sécuritaire. Les femmes occupent environ 24,55 % des 1474 emplois recensés dans 126 micro-entreprises investiguées lors de la zone investiguée à savoir les départements du Logone et Chari, du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga. Les hommes ravissent donc les ¾ des offres d’emplois. Les femmes ex-associétées et ex-otages sont victimes de stigmatisation, de discrimination et de marginalisation contraignant leur insertion socioprofessionnelle. Elles ont généralement tout perdu dans le conflit, après avoir été enrôlées ou prises en otage. Le rejet communautaire et la pauvreté monétaire qu’elles endurent limitent leurs capacités d’investissement dans les activités génératrices de revenus. Les emplois des femmes ex-combattantes et ex-otages dans ce contexte conjoncturel et de manque d’opportunités sont, pour la plupart, dans le secteur informel. L’étude établit, en définitive, un lien étroit entre la difficile intégration sociale des femmes ex-associétées et ex-otages de Boko-Haram, et leur faible participation économique dans les ménages ainsi qu’au développement local de l’extrême-nord du Cameroun. Un appui des pouvoirs publics est nécessaire en termes de formation professionnelle et de financement de leurs projets économiques.
La vulnérabilité des femmes en Afrique est aussi entretenue par certains dispositifs culturels et traditionnels à l’exemple de l’excision et le mariage précoce des jeunes filles. Ce constat a été fait par ESSO Lasme Jean-Charles Emmanuel, ADO Adjoua Flore Viviane, EZOUATCHI Rebecca et GUEU Flore lors de leurs investigations dans huit districts de santé de Côte d’Ivoire à savoir Bouaké, Bondoukou, Bouna, Gagnoa, Korhogo, San Pedro, Séguéla. Ces investigations révèlent que la pratique de l’excision est reconnue par environ 80 % des enquêtés tout sexe confondu, soit 82,4 % des hommes et 77,7 % des femmes. Plus du tiers des femmes sondées (39,6 %) ont été excisées autour de 8,5 ans et environ 15 % des répondants approuvent cette pratique en violation des droits de l’homme. Des issues fatales lors de cette pratique dans des conditions insalubres ont été attestées par 28 % d’individus sondés; un risque sanitaire aigu déjà dénoncé par J. Valma, (2008, p. 14). La connaissance de l’existence de la loi réprimandant l’excision s’est révélée globalement satisfaisante auprès de 68,2 % de femmes et 78,5% d’homme. Le mariage forcé des jeunes filles (avant 18 ans) est une pratique approuvée par 26,2 % des hommes et 18,2 % des femmes. Le phénomène de grossesse précoce (avant 18 ans) est également approuvé par 33,4 % des hommes et 22,7 % des femmes. Les auteurs signalent que toutes ces pratiques sont perçues et considérées comme des moyens d’éradication de la pauvreté familiale. Sous cet angle, les parents restent persuadés qu'ils agissent dans le meilleur intérêt de leurs filles, en dépit des risques sanitaires et psycho-traumatiques encourus.
Cette éradication de la pauvreté est également promue par d’autres mécanismes non déshumanisant à l’exemple de l’exploitation des Produits Forestiers Non-Ligneux (PFNL) conformément aux observations de G. Lescuyer (2010, p. 4). Ce mécanisme a également été confirmée par TEWECHE Abel, ELOUNDOU MESSI Paul Basile, MBANMEYH Marie Madeleine lors d’une évaluation de la contribution socioéconomique et thérapeutique desdits produits dans la ville de Maroua au Cameroun. L’étude établit un profil d’espèces les plus utilisées et des lieux de provenance. La commercialisation des PFNL est plus assurée par les hommes (75 %), et surtout, les personnes âgées majoritairement entre 46 et 60 ans. En s’intéressant au plan sanitaire, plusieurs maladies sont traitées à base des racines, écorces, feuilles et fruits des espèces des PFNL dans la ville de Maroua. Ils font dès lors, l’objet d’une forte sollicitation qui conduit malheureusement à la dégradation, puis à la raréfaction des espèces les plus utilisées. Il est donc nécessaire qu’une géopolitique de reboisement des PFNL soit élaborée et mise en œuvre dans chaque zone écologique à l’exemple de la zone sahélienne où se trouve la ville de Maroua.
En somme, ce premier Tome du Dossier Thématique « Système alimentaire urbain et santé en Afrique » contribue de manière significative à l’amélioration des connaissances scientifiques sur le fait alimentaire en contexte urbain et métropolitain du continent noir. En plus des apports épistémologique et théorique à l’exemple de la Théorie de la métropolité alimentaire, les études de terrains s’inscrivent toutes dans un double paradigme d’analyse empirique. Le premier est relatif au diagnostic systèmes alimentaires et des dynamiques sociétales en rapport avec la sécurité alimentaire, la vulnérabilité et la santé. Le second est relatif à la régulation des situations diagnostiquées. Ces prescriptions de régulation sont justiciables de la contribution du Dossier Thématique, à l’amélioration des cadres programmatiques et de planification de la promotion de la sécurité alimentaire et la santé. Elles contribuent, entre autre, au renforcement des capacités de gouvernance des systèmes alimentaires urbains en vue de leur transition progressive vers des systèmes alimentaires urbains durables en faveur d’un développement durable des villes africaines.

Méthodologie

Résultats

Conclusion

Références

Références bibliographiques

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Publié

30 Juin 2020

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2020,, mis en ligne le 30 Juin 2020. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=113

Numéro

Rubrique

Editorial