9 |Baisse de la mortalité infanto-juvénile au Burkina Faso entre 1996 et 2006 : une analyse explicative par la méthode de décomposition à l’échelle des provinces
Decrease in infant and child mortality in Burkina Faso between 1996 and 2006: an explanatory analysis using the decomposition method at the provincial level
Mots-clés:
Mortalité infanto-juvénile| changements| effet de performance| effet de composition| province| Burkina Faso|Résumé
Au Burkina Faso, la mortalité des enfants de moins de cinq ans a baissé de 32 points entre le recensement de 1996 et celui de 2006. En se servant des deux derniers recensements du pays dont les données sont disponibles et accessibles (1996 et 2006) et d’autres sources nationales de données administratives et climatiques, cet article vise à identifier et comprendre les mécanismes de changements de la mortalité des enfants de moins de cinq ans et les facteurs sous-jacents à une échelle plus fine qu’est la province, deuxième entité administrative du pays. Pour des raisons méthodologiques telles que les biais (sous déclaration) inhérents aux décès des douze derniers mois couramment collectés dans les recensements, les quotients de mortalité (variable dépendante) sont estimés par une approche indirecte à partir des histoires génésiques des mères. L'analyse des mécanismes de changements de la mortalité entre ces deux périodes est faite à l’aide d’une décomposition multivariée et d’une décomposition simple. Il ressort après analyse, que la baisse de la mortalité des enfants au Burkina Faso entre les deux recensements a été possible essentiellement grâce au changement de comportements démographiques et de santé des populations et à la performance de la politique de santé. Au-delà de cette prédominance de l’effet de performance/comportement, les sources de changements de la mortalité des enfants analysées à l’intérieur de chaque province rassurent davantage sur le fait que des progrès engrangés dans l’éducation des mères et sur les conditions de vie des ménages contribuerait conséquemment à la réduction de la mortalité des enfants.
Introduction
La question de la mortalité des enfants de moins de cinq ans n’a cessé depuis longtemps de marquer les programmes et politiques nationaux, régionaux et internationaux et demeure jusqu’à nos jours une préoccupation majeure de santé publique. Cet intérêt des politiques et des acteurs de la science pour la lutte contre cette mortalité s’est matérialisé concrètement au fil du temps par des déclarations et l’adoption de programmes internationaux et nationaux qui visent à recentrer la question de la santé de l’enfant dans les politiques publiques de développement. Parmi les actions les plus décisives, l’on peut citer la restructuration des systèmes sanitaires des Etats africains au lendemain de la conférence d’Alma Ata en 1978 avec la mise en place des soins de santé primaires, l’adoption en 2000 des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), l’inscription des actions de développement sanitaire dans la Déclaration de l’Union Africaine sur la survie de l’enfant et dans le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) (Union Africaine, 2005, p.3 ; NEPAD, 2002, p.32-34) et l’adoption des Objectifs de Développement Durable (ODD) en 2015.
Une rétrospection à l’orée des OMD, mettra malheureusement à nu des insuffisances quant à la capacité des Etats à établir un rythme de baisse générale de la mortalité des moins de cinq ans à même de permettre l’atteinte des ODD en cours (H. Wang, Z. A. Bhutta, M. M. Coates et al., 2017, p.1129). Toutefois, une évaluation portant sur des échelles plus fines telle que la province/district s’avère plus probant en ce sens que dans certaines subdivisions administratives, la baisse de la mortalité a été supérieure au rythme annuel de baisse générale de 4,4% envisagé au départ pour l’atteinte de la cible OMD de réduction de deux tiers de la mortalité des enfants (H. Wang, Z. A. Bhutta, M. M. Coates et al., 2017, p.1129; P. M. Macharia, E. Giorgi, P. N. Thuranira et al., 2019, p.7).
Deux faits majeurs sous-tendent l’objectif du présent article. Premièrement, comme nous le verrons, des caractéristiques provinciales susceptibles de déterminer le niveau de la mortalité infanto-juvénile de la province ne sont pas distribuées de la même manière entre les recensements de 1996 et 2006. Deuxièmement, comme nous l’avons montré dans un travail antérieur (H. Bassinga, 2020, p.143), le lien entre ces caractéristiques et la mortalité n’est pas le même entre les deux recensements. Ces deux mécanismes peuvent introduire deux types d’effet sur l’écart de mortalité constaté entre les deux dates : 1) la part de l’écart de mortalité qu’on peut relier à une composition en termes de caractéristiques provinciales différentes entre les deux recensements, ce qu’on appelle effet de composition ; 2) la part résiduelle de l’écart de mortalité qui est non expliquée par le changement des caractéristiques provinciales, ce qu’on appelle effet de valorisation ou encore effet de performance. Cette différence non expliquée est due à la façon avec laquelle les différentes caractéristiques des provinces sont associées avec la mortalité aux deux recensements. C’est une différence qui persisterait même si on égalisait les caractéristiques des provinces entre les deux recensements. Elle renvoie donc en général à une amélioration des comportements démographiques et de santé ou à une efficacité du secteur sanitaire. L’effet de performance comprend ces trois composantes sans que l’on ne puisse en dissocier ici leurs importances relatives. Le comportement démographique se réfère aux pratiques de fécondité qui ont un lien avec la santé et la mortalité des enfants. C’est le cas par exemple du rallongement des intervalles inter-génésiques, de la pratique de l’allaitement maternel, du relèvement de l’âge à la maternité ou de la diminution de la fécondité.
En ce qui concerne l’efficacité du secteur sanitaire, il faut signaler que le système sanitaire national du Burkina Faso a connu au fil du temps plusieurs réformes dont l’objectif était de le rendre plus performant. Même si selon A. Meunier (2004, p.377), la politique sanitaire du pays sur la période 1980-1995 peut être jugée comme un échec, elle a été ajustée après la 11e conférence des acteurs et partenaires du développement sanitaire en 1997 puis remplacée par le premier plan national de développement sanitaire (PNDS) pour couvrir la période de 2001 à 2010. Il semble que ce PNDS dont l’objectif global était la réduction de la morbidité et de la mortalité a effectivement permis d’améliorer la couverture sanitaire, la qualité et l’utilisation des services de santé. L’augmentation de l’offre de soins combinée à l’éducation sanitaire à travers plusieurs canaux a pu entrainer une amélioration du comportement sanitaire des ménages. Par exemple, le pourcentage de naissances issues de femmes sans instruction et n’ayant eu aucune consultation prénatale au moment de la grossesse a connu une baisse au cours des dernières décennies. Il est passé de 43% en 1993 à 35% en 2010 (INSD et Macro International, 1994, p.120 ; INSD et ICF International, 2012, p.117). Quant à la proportion des dernières naissances protégées contre le tétanos néonatal, elle a considérablement évolué chez les femmes non instruites. De 52% en 1998 (INSD et Macro International, 2000, p.102), elle est passée à 61% en 2003 (INSD et ORC Macro 2004, p.122), puis à 85% en 2010 (INSD et ICF International, 2012, p.115). De même, parmi les enfants issus de mères sans instruction et qui ont présenté des symptômes d'infections respiratoires aiguës, seulement 19,2% avaient été emmenés en consultation en 1998. Cette proportion est passée à 23,5% en 2003 puis à 36% en 2010 (INSD et Macro Inc, 2000, p.112; INSD et ORC Macro, 2004, p.134 ; INSD et ICF International, 2012, p.134). Aussi, entre 2003 et 2010, la proportion de femmes sans instruction qui utilisaient une méthode moderne de contraception pour l’espacement des naissances est-elle passée de 6% à 11%[1]. L’espacement des naissances est connu comme étant un facteur déterminant de la mortalité des enfants. Par contre, chez les femmes de niveau secondaire ou plus, la prévalence n’a pratiquement pas changé (43 % en 2003 et 44 % en 2010) (INSD et ORC Macro, 2004, p.74 ; INSD et ICF International, 2012, p.71). A l’image des femmes non instruites, celles issues de ménages pauvres ont vu leurs comportements sanitaires s’améliorer. Par exemple, le taux d’accouchement dans un centre de santé avait été estimé à 28% dans le quintile le plus pauvre en 1993[2]. Cette proportion a augmenté à 46% en 2010 (INSD et ICF International, 2012, p.117). De même, seulement 17% des enfants de 12-23 mois issus du quintile le plus pauvre avaient une couverture vaccinale complète en 1993[3]. Ce taux est monté à 73% en 2010 (INSD et ICF International, 2012, p.131). En somme, il ressort une amélioration continuelle des comportements sanitaires chez les couches vulnérables même s’il reste des efforts à mobiliser. Cette amélioration porte à croire que, toutes choses étant égales par ailleurs, les actions de sensibilisation menées d’une part par les Agents de Santé à Base Communautaire (ASBC) au niveau local et d’autre part par des acteurs institutionnels ont eu un impact sur les modes de vie et les habitudes sanitaires des populations. De ce fait, dans le processus de baisse de la mortalité des enfants sur la période 1996-2006, l’on est tenté de postuler pour un effet de performance dominant du fait de l’amélioration du système de santé et des comportements sanitaires et démographiques des parents. Telle est l’hypothèse centrale testée dans cet article.
Dans la suite de ce travail, nous présentons dans un premier temps la zone d’étude, les sources de données et les méthodes d’analyse. Dans un second temps, nous décrivons les résultats suivis d’une discussion dans une troisième partie. Nous terminons par une conclusion qui revient sur les principaux résultats et les limites de notre recherche.
[1] En 2010, 13% des enfants de mères sans instruction étaient nés moins de deux ans après la naissance précédente alors que cette proportion était de 17% en 1998 (INSD et Macro International, 2000 ; INSD et ICF International, 2012).
[2] Estimation issue de l’EDS de 1993, faite à l’aide de StatComplier, https://www.statcompiler.com/fr/
[3] Estimation issue de l’EDS de 1993, faite à l’aide de StatComplier (https://www.statcompiler.com/fr/).
Méthodologie
1. Matériels et méthodes
1.1. Présentation de la zone d’étude
Situé au centre de l’Afrique de l’ouest, le Burkina Faso est un pays enclavé qui s’étend sur une superficie de 272.967 km². Il partage ses frontières avec six pays que sont le Mali au nord et à l’ouest, le Niger à l’est, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Ghana et le Bénin au sud. Le pays hérite d’un climat tropical, sec et peu généreux de type soudano-sahélien, caractérisé par une pluviométrie considérablement variable allant d’une fourchette de 350 mm dans la zone nord du pays à plus de 1000 mm dans sa partie sud-ouest. Cette variabilité climatique, plus ou moins erratique d’une zone géographique à l’autre, a une incidence tant sur la disponibilité des ressources en eau pour la production agricole que sur la santé des enfants. Administrativement, il est divisé en 13 régions (premières entités administratives) et en 45 provinces (deuxième entités administratives). Sur le plan démographique, le Burkina Faso, pays à forte fécondité, a toujours été caractérisé par la jeunesse de sa population (Figure n°1). La tranche d’âges des moins de 15 ans a continuellement représenté plus de 45% de la population totale et ce, depuis le recensement de 1975 (45,5%, 48,3%, 47,9% et 46,6% respectivement en 1975, 1985, 1996 et 2006) (M. Ouedraogo et T. Ripama, 2009, p.73). Il subsiste par conséquent un fardeau pour la prise en charge et la satisfaction des besoins sociaux de base (éducation, santé, etc.).
Figure n° 1: Pyramides des âges du Burkina Faso en 1996 et 2006
Sources de données : INSD (2000) & Bureau Central du Recensement (2009)
Sur le plan socioéconomique, des défis énormes demeurent. La situation éducative n’est pas reluisante. En 1996, 92% des personnes âgées de 6 ans et plus, n’avaient jamais été à l’école. En 2006, ce taux était de 71% (J. F. Kobiané et Bougma 2009, p.40). En 2018, 59,6% de la population burkinabè n’avaient jamais fréquenté l’école (INSD et AFRISTAT, 2019, p.29). Quant à l’incidence de la pauvreté monétaire, elle n’a pas significativement baissé depuis 1994. Elle est passée de 44,5% en 1994 à 45,3% en 1998 et à 46,4% en 2003 (INSD, 2012, p.101). En 2009, environ 47% des burkinabè vivaient en dessous du seuil de pauvreté (INSD, 2015, p.28).L’accès à l’eau potable a toujours été un défi pour les populations Burkinabè. En 1998, pendant la saison pluvieuse, 34,2% des ménages s’approvisionnaient à travers des puits, 29% utilisaient l’eau des forages et 14% l’eau des cours d’eau (INSD et Macro International, 2000, p.18). En 2006, 26,5% et 5,4% des ménages utilisaient respectivement des puits ordinaires et des cours d’eau (L. C. Sagnon et S. P. Sawadogo, 2009, p.69).
Le Burkina Faso est par ailleurs caractérisé par une forte diversité ethnolinguistique avec une soixantaine d’ethnies (M. Ouedraogo et T. Ripama, 2009, p.89). Selon le recensement de 2006, les principales langues parlées sont le mooré (52,2%), le fulfuldé (9,7%), le gulmacéma (5,7%), le bissa (3,6 %), le dagara (3,1 %) et le dioula (2,6%) ( M. Ouedraogo et T. Ripama, 2009, p.89). En outre, le Burkina Faso est l'un des pays les plus hétéroclites d'Afrique pour ses nombreuses croyances locales et importées. Au recensement de 2006, l’islam venait en tête avec 60,5% de la population, viennent respectivement le christianisme (23,2%) et la religion traditionnelle (15,3%) ( M. Ouedraogo et T. Ripama, 2009, p.93).
1.2. Données et variables d’analyses
Les sources principales de données utilisées dans ce papier sont les recensements généraux de la population et de l’habitation de 1996 et 2006. Il s’agit des deux derniers recensements réalisés par le pays en dehors de celui de 2019 dont les données ne sont pas encore disponibles. Le choix a été porté sur cette source de données en raison de son caractère exhaustif comparativement aux enquêtes démographiques et de santé dont la représentativité des échantillons se limite à l’échelle des régions et donc inadaptées pour une analyse à l’échelle des provinces. La variable dépendante mobilisée dans cette étude est le quotient de mortalité infanto-juvénile, c’est-à-dire le nombre de décès avant l’âge de cinq ans pour mille naissances vivantes. Ce quotient a été estimé pour chacune des 45 provinces du Burkina Faso à la fois au recensement de 1996 et à celui de 2006. Ces quotients ont été estimés par la technique démographique indirecte de Trussell qui utilise des données sur l’effectif des enfants nés vivants et des enfants décédés des femmes âgées de 15 à 49 ans (A. B. Soura, 2009, p.74; R. E. Arku, J. E. Bennett, M. Castro, K. Agyeman-Duah et al., 2016, p.4; A. Singh et B. Masquelier, 2018, p.3; P. M. Macharia, E. Giorgi, P. N. Thuranira et al., 2019, p.4). Pour plus de détail voir K. Hill (2017, p.156). En effet, le Bureau Central du Recensement de 2006 avait montré que la qualité des informations sur les décès des 12 derniers mois conduisait à une sous-estimation large de la mortalité des enfants, rendant ainsi douteuse une mesure directe des niveaux de cette mortalité (B. Baya, B H Zangré et Z. Bounkoungou, 2009, p.47). L’approche indirecte avait été alors privilégiée dans le rapport d’analyse officiel de ce recensement (B. Baya, B H Zangré et Z. Bounkoungou, 2009, p.47). En ignorant les dates de naissances des personnes décédées et en considérant comme dénominateur les résidents à la date de la collecte, le recensement de 1996 arrive lui aussi à une mesure approximative des taux de mortalité.
Pour ce qui est des variables explicatives, nous les avons classées en quatre groupes suivant les enseignements tirés de la littérature démographique sur la mortalité des enfants. Il s’agit des caractéristiques écologiques (la Densité de population en habitants au km2, la densité du réseau routier bitumé en km de route bitumée /100 km2, la pluviométrie annuelle moyenne en mm), de l’offre de santé (le rayon moyen d’action théorique en centré de santé (RMAT) en Km) et les caractéristiques de la population que nous avons scindées en deux sous-types à savoir les caractéristiques socio-culturelles (le pourcentage des femmes instruites, le pourcentage de chrétiens) et les caractéristiques socio-économiques (le score moyen de niveau de vie des ménages de la province, le taux d’urbanisation et le pourcentage des femmes employées ou employeuses). Ces variables explicatives proviennent de différentes sources. Il s’agit des données du ministère de la santé pour la mesure de l’offre de santé, des données du ministère des infrastructures routières pour la mesure de la densité routière et des données climatiques issues de la Direction Générale de la Météorologie (DGM). Les autres variables explicatives ont été construites à partir des données récoltées aux deux recensements.
Le tableau n°1 présente quelques statistiques sur ces variables explicatives en 1996 et en 2006. Ces statistiques révèlent que ces variables présentent de fortes inégalités entre provinces au regard des valeurs extrêmes et des écart-types relativement élevés.
Tableau n°1: Quelques statistiques descriptives sur les variables explicatives
Source de données : RGPH 1996, 2006 ; DGM ; Ministère de la santé ; Ministère des infrastructures routières
1.3. Méthodes d’analyses
L’une des techniques utilisées dans l’analyse des changements d’un phénomène démographique au cours du temps, est la technique statistique de décomposition. Dans cette étude, nous avons recouru dans un premier temps à la décomposition multivariée de Oaxaca Blinder afin d’identifier les sources de changements ainsi que les variables ayant le plus contribué à ces changements de la mortalité à l’échelle des provinces dans une approche globale. A la suite de la décomposition multivariée, nous avons effectué une décomposition simple à titre illustratif à partir de deux variables notamment le niveau d’instruction des mères et niveau de vie des ménages. Ces deux variables considérées comme des déterminants quasi-universels de la mortalité des enfants (J. Caldwell, 1979, p.395).
1.3.1. La méthode de décomposition multivariée d’Oaxaca Blinder
Soient Y le vecteur N x 1 de la variable dépendante, X la matrice N x K de variables indépendantes et β un vecteur K x 1 de coefficients de régression. La différence des moyennes de Y entre les groupes A et B (avec A et B qui représentent dans notre cas, respectivement les années 1996 et 2006) peut s’écrire comme une fonction des variables indépendantes et des coefficients de régression obtenus séparément dans les groupes A et B (équation 1).
Un arrangement de l’équation 1 permet de décomposer la différence de la manière suivante :
Cet arrangement est appelé double-décomposition (twofold decomposition) en ce sens qu’il permet de scinder la différence moyenne en deux composantes E et C (B. Jann, 2008, p.454 ; D. A. Powers, H. Yoshioka et M. Yun, 2011, p.572). La composante E fait référence à la partie du différentiel liée aux disparités dans les caractéristiques, généralement appelée effet expliqué ou effet des caractéristiques. La composante C quant à elle, fait référence à la partie du différentiel attribuable aux différences dans les coefficients, habituellement appelée composante inexpliquée ou effet des coefficients. Dans cette équation, le groupe A est considéré comme groupe témoin. E reflète une comparaison contrefactuelle de la différence de résultats du point de vue du groupe A, c’est-à-dire la différence prévue si l'on donnait au groupe B les coefficients du groupe A. Ainsi, les coefficients restent identiques pour les deux groupes ; seules varient les caractéristiques. La composante C reflète une comparaison contrefactuelle des résultats du point de vue du groupe B, c’est-à-dire la différence prévue si les caractéristiques du groupe B sont appliquées au groupe A. Dans ce dernier cas de figure, les deux groupes ont les mêmes caractéristiques et des coefficients différents. En fixant les coefficients de la composante de composition (E) aux niveaux du groupe A, nous évaluons la contribution au différentiel qui se serait produite si les effets associés aux caractéristiques avaient été fixées aux valeurs du groupe A. En fixant les caractéristiques au niveau du groupe B dans la composante performance (C), nous évaluons la contribution au différentiel qui est due à la différence des effets.
De façon pratique, le logiciel fournit la différence moyenne de la variable dépendante entre 1996 et 2006 ( ) ainsi que les composantes E et C, et les contributions individuelles des variables. Afin de disposer de coefficients dont l’interprétation serait plus aisée, nous utiliserons le logarithme de la variable dépendante. YA et YB représentent donc le logarithme du quotient de mortalité respectivement en 1996 et 2006.
1.3.2.1 Méthode de décomposition simple du changement de mortalité dans chaque province
Pour comprendre spécifiquement le changement de mortalité à l’intérieur de chaque province, nous recourons à une méthode de décomposition univariée en prenant deux variables à titre illustratif que sont l’éducation des femmes et le niveau de vie des ménages. Cette méthode se fonde sur une approche développée par P. E. Eloundou et S. Girou (2010, p.8) qui établit les deux composantes du changement à savoir la composante composition de la population et la composante performance ou comportementale tributaire des effets des politiques sanitaires et de sensibilisation des populations locales.
Dans cette équation, est la moyenne simple du phénomène étudié dans la sous-population j entre les temps 1 et 2. C’est donc la demi-somme des valeurs des Yj aux deux temps. De même, est la moyenne simple de la proportion d’individus exposés au phénomène dans la sous-population j. C’est donc la demi-somme des valeurs des wj aux deux temps. Dans l’équation n °3, le signe D représente la différence entre les temps 1 et 2.
Le niveau d’instruction des femmes et le niveau de vie des ménages ont été scindés chacun en deux catégories pour éviter des problèmes de petits effectifs. Ce risque de faibles effectifs pourrait être d’autant plus grand que l’analyse est menée au sein de chaque province et qu’en plus, nous utilisons une méthode d’estimation indirecte de la mortalité basée sur les nombres d’enfants nés vivants et d’enfants décédés classés par groupe d’âges des mères. Ainsi, les femmes instruites ont été distinguées des femmes sans instruction, et les ménages à niveau de vie bas ont été distingués de ceux de niveau de vie élevé en référence au score médian. Les quotients de mortalité ayant été obtenus à partir d’une moyenne des quotients de mortalité des enfants de femmes appartenant à trois groupes d’âges : 20-24 ans, 25-29 ans et 30-34 ans, les poids des groupes ont donc logiquement été estimés en considérant comme base l’effectif total des enfants nés de ces femmes.
Résultats
2. Résultats
2.1. Résultat de la décomposition multivariée
De fortes corrélations dépistées entre cinq variables (pourcentage des femmes instruites, taux d'urbanisation, pourcentage des femmes employées ou employeuses, niveau de vie et densité de la population) explicatives ont conduit à des problèmes de multicolinéarité qui ont été évalués au moyen de facteurs d’inflation de la variance dont les résultats ne sont pas présentés ici. Afin de contourner les biais liés à la multicolinéarité, notre analyse multivariée est basée sur cinq modèles. Le pourcentage de chrétiens, le rayon moyen d’action théorique des centres de santé, la pluviométrie et la densité du réseau routier bitumé figurent dans tous les cinq modèles. Quant aux cinq autres variables, notamment le pourcentage des femmes instruites, le taux d'urbanisation, le pourcentage des femmes employées ou employeuses, le niveau de vie et la densité de la population, elles ont été testées séparément dans les modèles, ce qui fixe le nombre total de modèles à cinq.
Le tableau n° 2 présente pour chaque modèle, l’effet expliqué par les différences entre provinces du point de vue des caractéristiques retenues (composante E) et l’effet inexpliqué attribuable aux caractéristiques non mesurées que sont la performance et le changement de comportements démographiques et de santé (composante C). Les composantes E et C ont une contribution nette en pourcentage toujours égale à 100%. Une contribution peut être négative (<0 %) ou positive (>0%). Elle peut aussi dépasser 100%. Lorsque la contribution est positive, cela signifie que la composante correspondante contribue à une plus grande mortalité en 1996 par rapport à 2006, alors qu'une contribution négative indique le contraire.
2.2. Les effets globaux
La baisse de la mortalité des enfants observée entre les deux recensements est attribuable à une part prépondérante à la différence des coefficients dans la plupart des modèles (M1, M2, M3, M4). Cette différence des coefficients reflète les effets liés aux facteurs non observés parmi lesquels il faut compter la performance du système de santé et l’amélioration des comportements démographiques et de santé des populations entre les deux recensements. Ainsi, ces changements inobservés ont contribué positivement à la baisse de la mortalité (contribution comprise entre 42,45% et 76,5%). Quant aux changements liés à la structure de la population (composition), ils contribuent également de façon positive à la baisse de la mortalité d’une valeur minimale de 23,5% à une valeur maximale de 57,55% selon le modèle. C’est dans le modèle qui inclut la densité de la population (M2) que l’effet de composition est le plus faible. En d’autres termes, les changements observés à l’échelle des provinces dans la proportion de chrétiens, la densité de la population, le rayon moyen d'action théorique des centres de santé, la densité du réseau routier bitumé et la pluviométrie arrivent collectivement à expliquer environ 23,5% de la baisse de la mortalité entre les deux recensements dans ce modèle.
La prédominance des effets de performance et de comportement nous amène à penser que les innovations introduites dans le système d’offre de soins dans les provinces et l’éducation sanitaire ont entrainé un changement réel des comportements démographiques et sanitaires des ménages et une relative amélioration de la performance des centres de santé. En effet, depuis la création des districts sanitaires en 1993, le système de santé burkinabè a progressivement fait une place privilégiée à la participation communautaire, une approche locale et participative jugée efficace (A. Seck et D. Valéa, 2011, p.20). Ces réformes ont eu, nous semble-t-il, quelques succès sur la santé des populations démunies puisque l’analyse tendancielle de beaucoup d’indicateurs de comportements de santé (complétude vaccinale, suivis prénatal et postnatal, recours au service de santé) révèle des améliorations chez les populations non instruites et dans les ménages pauvres au cours de ces dernières décennies (cf. introduction).
Tableau n°2: Résultats de la décomposition de l’écart de mortalité entre 1996 et 2006 : parts dues à la différence des caractéristiques et à la différence des coefficients
Par ailleurs, le modèle qui inclut le niveau de vie (M5) est celui dans lequel l’effet de composition est le plus élevé. Les changements observés au niveau des provinces dans la proportion de chrétiens, le niveau de vie, le rayon moyen d'action théorique des centres de santé, la densité du réseau routier bitumé et la pluviométrie arrivent collectivement à expliquer plus de 57% de la baisse de la mortalité. C’est le seul modèle où la différence expliquée par les caractéristiques prises en compte dépasse la part due à la différence des coefficients. Aussi, lorsque le modèle inclut le pourcentage de femmes instruites (M1), la part due à la différence des caractéristiques provinciales est-elle presqu’égale à celle due à la différence des coefficients (49,4% contre 50,6%). Ces deux modèles (M1 et M5) suggèrent que les modifications de la structure de la population par le truchement de l’investissement sur l’éducation et la réduction de la pauvreté des ménages seraient des sources indéniables de réduction de la mortalité dans l’enfance au Burkina Faso.
2.2.1. Les contributions individuelles des caractéristiques
L’examen des effets individuels révèle quant à lui, quel que soit le modèle considéré, qu’aucune caractéristique parmi celles retenues ne contribue de façon significative à la baisse de la mortalité au niveau national par le biais de la composante C (changements comportementaux des populations, performance du système de santé, changements liés à d’autres facteurs inobservés). Ceci sous-entend que l’effet de performance est principalement entrainé par d’autres facteurs. Les contributions individuelles des caractéristiques retenues sont toutefois perceptibles sur l’effet de composition (composante E) et sont présentées dans le tableau n° 3. Ce tableau contient, pour chaque modèle et chaque variable, le coefficient et sa contribution en pourcentage. La somme des contributions individuelles à l’effet de composition donne la part totale de l’effet de composition pour chaque modèle. De même, la part des contributions individuelles pour l’effet de performance donne la part totale de l’effet de performance pour chaque modèle.
Tableau n°3 : Résultats de la décomposition multivariée
NB : p<0,001 ; p<0,05 ; p<0,10
Considérant les facteurs socioculturels, les résultats montrent que seule l’augmentation de la proportion de femmes instruites contribue significativement à la baisse de la mortalité par le biais de l’effet de composition. Sa contribution est de l’ordre de 35% sur les 49% que compte l’effet de composition selon le modèle M1. L’instruction de la population, plus particulièrement celle des femmes, est connue comme l’un des meilleurs moteurs de la réduction de la mortalité des enfants. Quant à la proportion de chrétiens dans la population adulte, sa contribution varie de 8,31% à 12,69% selon le modèle mais elle reste non significative au risque d’erreur de 10% sauf dans le modèle M5 (Tableau n°3).
Pour ce qui est des variables socioéconomiques, leurs améliorations sont associées à une baisse de la mortalité. Leurs contributions (toutes significatives) sont estimées à 17%, 40% et 9%, respectivement pour la proportion des femmes employées ou employeuses, le niveau de vie et le taux d’urbanisation. Ainsi, l’action du développement local à travers l’augmentation de l’emploi des femmes, l’amélioration du niveau de vie des populations et les efforts d’urbanisation est une source de réduction de la mortalité des enfants.
Dans aucun des cinq modèles, le changement de l’offre de santé dans les provinces, exprimée ici par le rayon moyen d’action théorique des centres de santé, n’a eu de contribution significative sur la baisse de la mortalité infanto-juvénile entre 1996 et 2006. Cela peut paraitre incongru au vu de l’intérêt accordé à l’investissement en santé par le biais même de la création des centres de santé. Ce résultat est cependant démonstratif en ce sens qu’il met à nu l’intérêt qu’il y a à associer à l’accessibilité physique de l’offre de santé un ensemble d’actions politiques visant à améliorer les dispositions des populations à l’utilisation de ces centres de santé. Il faut par exemple y associer l’éducation pour le changement de comportements ainsi que des actions visant à améliorer l’accessibilité financière aux centres de santé.
Quant aux facteurs écologiques, il est à noter que seule la densité de la population a contribué, par son effet sur la composition de la population, à la réduction de la mortalité infanto-juvénile à hauteur de 13,79% (modèle M2). Les autres variables écologiques telles que la densité du réseau routier bitumé et la pluviométrie moyenne n’ont eu aucune contribution significative dans la réduction de cette mortalité quel que soit le modèle considéré. Pour ce qui est de l’action de la densité, nous pensons qu’elle serait liée à son association avec le développement, plus particulièrement l’urbanisation que nous considérons comme un moteur de réduction de la mortalité des enfants.
2.2.2. Résultats de la décomposition univariée du changement de mortalité au niveau national et à l’intérieur de chaque province
L’analyse de décomposition univariée illustrée ici dans le tableau n°4 pour le niveau national montre que l’effet non expliqué par le changement de caractéristiques de la population est estimé à environ 92%, que la décomposition soit faite avec le niveau d’instruction ou avec le niveau de vie contextuel.
Tableau n°4: Résultats de la décomposition simple au niveau national
Considérant l’instruction des mères, la baisse de la mortalité est principalement impulsée par les changements intervenus dans le groupe des enfants de mères sans instruction (Tableau n°4). Ce groupe a contribué presque à lui seul à la totalité de la réduction de la mortalité alors que le groupe des enfants de mères instruites n’a eu aucune contribution globale positive (soit 113,71% contre -13,71%). Un constat analogue émerge lorsque la décomposition est faite avec le niveau de vie des ménages : les changements (changement de proportion et baisse de la mortalité) opérés dans le groupe des enfants issus des ménages pauvres ont fortement contribué à la baisse de la mortalité (Tableau n°4) par rapport au groupe des enfants issus des ménages "riches" (soit 97,6% contre 2,4%). Ces deux résultats, c’est-à-dire la baisse de la mortalité impulsée par la dynamique dans les catégories les plus démunies (sans instruction et pauvre) crédibilisent davantage l’importance des facteurs de performance.
A l’image du niveau national, la décomposition univariée à l’intérieur de chaque province donne à quelques exceptions près, les mêmes conclusions. Les catégories socioéconomiques les plus basses (enfants de mères non instruites et enfants issus de ménages pauvres) ont majoritairement contribué à la baisse de la mortalité pour les provinces qui l’ont été au cours de notre période d’analyse (Graphiques n°1 et n°2). Aussi, cette baisse est-elle principalement impulsée par les changements dans les comportements démographiques et de santé des populations (effet de performance).
Graphique n°1 : Contributions relatives des groupes aux effets de performance et de composition (variable instruction des mères)
Graphique n°2 : Contributions relatives des groupes aux effets de performance et de composition (selon le niveau de vie des ménages)
Conclusion
Conclusion
L’analyse de décomposition multivariée de la baisse de la mortalité entre 1996 et 2006 a fait ressortir que la part contributive des facteurs non observés[5] est dominante. Par ailleurs, la décomposition univariée, effectuée dans chaque province à partir de deux facteurs, à savoir le niveau d’instruction des femmes et le niveau de vie des ménages, atteste les résultats obtenus dans l’approche multivariée à savoir la prédominance de l’effet de performance/comportement. Quant à l’effet de composition qui n’est pas non plus négligeable dans le processus de baisse observée, il est principalement impulsé par le Niveau d’instruction contextuel des femmes, la densité de population, le taux d’urbanisation, l’autonomisation économique des femmes et le niveau de vie contextuel des ménages.
Cette recherche tout en mettant en évidence les sources de changements de la mortalité des enfants entre les deux périodes, rappelle les inégalités entre provinces, ces dernières ayant diversement ressentis les effets des politiques de santé. Au-delà de cette prédominance de l’effet de performance/comportement, les sources de changements de la mortalité des enfants analysées à l’intérieur de chaque province rassurent davantage sur le fait qu’une amélioration de l’éducation des mères et des conditions de vie des ménages contribuerait conséquemment à la réduction de la mortalité des enfants. En marge des efforts d’amélioration des conditions de vie des classes sociales basses, la communication pour le changement de comportements demeure un levier essentiel dans la lutte contre la mortalité des enfants.
Il convient toutefois, de relever l’importance d'une approche multisectorielle pour améliorer la santé des enfants car même si l’analyse de décomposition fait croire à une domination des facteurs comportementaux et de performance du système de santé, les effets de composition présents viennent rappeler que les facteurs provenant de divers secteurs comme l'éducation, la lutte contre la pauvreté, l'autonomisation des femmes, le développement local sont tous en corrélation avec la réduction de la mortalité des enfants.
[5] Entendu au sens des caractéristiques provinciales ne figurant pas parmi celles prises en compte dans cette analyse.
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