2020/Vol.3-N°6 : Santé maternelle, néonatale et infantile en Afrique: Analyse de la situation et perspectives

2 |Facteurs de recrudescence du paludisme chez les enfants de zéro à cinq ans : cas du district de santé de Kar-Hay (Extrême-nord, Cameroun)

Factors of resurgence of malaria on children aged zero to five: case of the health district of Kar-Hay, Far-north region

Auteurs

  • GONGA François Doctorant gongafrancois@yahoo.fr , Université de Maroua-Cameroun
  • BASKA TOUSSIA Daniel Valérie Enseignant-Chercheur baskatoussia@yahoo.fr, ENS-Université de Maroua-Cameroun

Mots-clés:

Recrudescence| Paludisme| enfants| district de santé| Kar-Hay|

Résumé

La présente contribution identifie les facteurs de recrudescence du paludisme chez les enfants de zéro à cinq ans dans le District de santé de Kar-Hay. Les données de laboratoire de 15 formations sanitaires et les enquêtes auprès de 206 ménages ont montré que les facteurs environnementaux et anthropiques concourent à la recrudescence du paludisme chez les enfants de zéro à cinq ans. Les résultats obtenus montrent que la présence des eaux stagnantes pendant la saison des pluies, le cadre de vie, la pauvreté, certaines habitudes socioculturelles contribuent à la récurrence du paludisme. À cela, il faut ajouter le niveau d’éducation des chefs de ménages, la mauvaise utilisation des moustiquaires et la non-application des décisions du gouvernement (gratuité de prise en charge des enfants de zéro à cinq ans). Au-delà du fait que les populations doivent être sensibilisées sur les bonnes pratiques (dormir sous la Moustiquaire Imprégnée à Longue Durée d’Action, assainissement du cadre de vie) de lutte contre le paludisme au sein de leurs ménages, le gouvernement doit s’assurer de l’effectivité des décisions prises (gratuité) pour réduire la prévalence chez les enfants. 

Introduction

Le paludisme constitue un problème majeur de santé publique. Il est endémique dans 106 pays et territoires dont 45 en Afrique. Quelques 2,4 milliards de personnes, soit 40% de la population mondiale sont exposés au paludisme (B. N. Coulibaly, 2010, p.18). Cette maladie potentiellement mortelle est due à des parasites transmis à l’homme par des piqûres de moustiques femelles infectées. En 2015, 90% des cas de paludisme et 92% des décès sont survenus dans 13 pays (P. Aubry, 2016, p.1) de l’Afrique au Sud du Sahara où 74 % de la population vit dans des zones de forte endémie. Environ 550 millions de personnes y sont exposées au risque de contracter cette maladie et cinq pour cent d’enfants sont susceptibles de mourir d’une affection en rapport avec le paludisme avant l’âge de cinq ans (T. D. Dimi et al. 2006, p.1).
Selon l’UNICEF, chaque année, le paludisme provoque entre 300 et 500 millions de cas de maladie et entraîne le décès de plus d’un million d’enfants. Les enfants de moins de cinq ans vivant en Afrique subsaharienne payent le plus lourd tribut à la maladie : près de 3 000 d’entre eux en meurent chaque jour. Le paludisme est à l’origine de 30 à 50 pour cent des visites de patients dans les cliniques et de plus de 50 pour cent des admissions à l’hôpital (UNICEF, 2004, p.1).
L’évolution de la prévalence parasitaire de 2009 à 2015, classe toujours le Cameroun parmi les pays de l’Afrique Subsaharienne où le paludisme est endémique et constitue un problème de santé publique. Selon la troisième Enquête Démographique et de Santé au Cameroun (EDS-C) réalisée en 2004, la distribution géographique de la transmission du paludisme montre que la maladie est endémique durant toute l'année dans presque toutes les régions du territoire (H. J. R. EDORH, 2013, p.12). Selon les responsables du secrétariat permanent du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP), les régions du Nord et l’Extrême-Nord restent les plus touchées avec 40% de décès par an. En 2013, les deux régions totalisaient 70% des décès par an. Le profil épidémiologique de l’Extrême-Nord montre par exemple qu’en 2013, sur 3 774 cas de décès recensés, 1 560 sont des cas suspects de mortalité palustre (J. Fosso, 2014, p.9). La Région présente un taux moyen de prévalence de 77,26% faisant du paludisme un problème majeur de santé publique dans les districts de santé de l’Extrême-Nord. En effet, en 2008, on dénombrait 112 731 paludéens sur 643 551 patients, 117 556 paludéens sur 1 175 756 patients en 2009, 192 546 paludéens sur 772 362 patients en 2010 et 166 895 paludéens sur 637 952 malades (T. D. V. Baska, 2014, p.279). La maladie sévit dans les 30 districts de santé de la région.
Dans le district de santé de Kar-Hay, le paludisme reste parmi les principales causes de mortalité. En 2014, sur 22 747 patients reçus dans les formations sanitaires, 12 311 cas d’infection palustre ont été déclarés. Donc 54,12% de patients consultés souffrent du paludisme. Parmi les couches vulnérables, les enfants sont les plus affectés. En 2009 par exemple, sur 8 331 enfants de moins de cinq ans reçus en consultation au moins 6 045 (72,56%) souffrent de paludisme (Rapport Service de Santé du District Santé de Kar-Hay, 2014).
En 2013 pendant la saison des pluies de juillet à septembre, 89 058 cas suspects de paludisme ont été notifiés soit 35 593 enfants de moins de cinq ans et 2 187 femmes enceintes. Pendant la même période, 599 décès attribués au paludisme ont été enregistrés parmi lesquels 434 enfants de moins de cinq ans (72%) et trois femmes enceintes (0,5%). Les 10 districts de santé les plus touchés sont Mada, Makary, Maroua Rural, Maroua Urbain, Moulvoudaye, Moutourwa, Vele, Bourha, Goulfey, Kousseri. Ceci prouve que la prévalence chez les enfants de zéro à cinq ans est très significative (OMS, 2013, p.1).
Malgré la sensibilisation, la distribution des Moustiquaire Imprégnée à Longue Durée d’Action aux ménages, le paludisme est endémique, les consultations pour cause de paludisme restent très élevées dans le district de santé de Kar-Hay (Enquête de terrain, 2017). Cette contribution vise à identifier les facteurs de recrudescence du paludisme chez les enfants de zéro à cinq ans dans le district de santé de Kar-Hay. Quel est l’état de lieux de la morbidité et de la mortalité chez les enfants de zéro à cinq ans ? Quels sont les facteurs de recrudescence de la maladie ?

Méthodologie

1. Matériels et méthodes

1.1. Présentation de la zone d’étude

Le district de santé de Kar-Hay est un territoire triangulaire situé à proximité du « Bec de Canard », dans le département du Mayo-Danay, région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Situé entre 10°6’N et 15°10’E, les Arrondissements de Tchatibali, Datchéka et Kar-Hay délimitent son territoire de compétence. Sa superficie est d’environ 540 km². Il est l’un des 30 districts de santé que compte la région de l’Extrême-Nord. Il est limité au Nord par le district de Velé, au Sud par la république du Tchad (une limite frontalière longue de 45 km), à l’Ouest par le district de Guidiguis et à l’Est par le district de Yagoua. Ce district de santé assure la couverture sanitaire de 134 431 âmes (2016) réparties dans 12 aires fonctionnelles de santé (Datcheka, Doukoula 1, Doukoula 2, Gane, Going-Tala, Guissia, Kada’a, Mogom, Oulargo, Tchatibali, Werféo, Zouaye) (Carte n°1). La densité globale est de 250 habitants par km².
Carte n°1. Situation géographique du district de santé de Kar-Hay

Le district de santé de Kar-Hay est constitué de 12 Centres de Santé Intégré (CSI), 02 Centres Médicaux d’Arrondissement (CMA) et 01 Hôpital de District.
Sur le plan du climat, le district de santé de Kar-Hay est le domaine du climat soudano sahélien avec une saison sèche longue, d’octobre à juin (09 mois), et une saison des pluies courte de juillet à septembre (03 mois). La température moyenne de la région oscille entre 28 et 30°C. Les températures mensuelles les plus basses sont relevées au mois de Décembre (entre 18 et 20°C) et les plus élevées au mois de Mars (45°C). Le principal obstacle géographique du district est son relief plat sur un sol argileux ou argilo sablonneux qui fait de l’inondation une évidence dès les premières pluies. La saison des pluies allant de juillet à septembre est une période d’enclavement dans le district de Kar-Hay. Cet enclavement s’explique soit par l’inondation totale, soit par le sol glissant et meuble qui favorise l’embourbement, la voie terrestre étant l’unique voie d’accès.

1.2. Données mobilisées

La collecte de données s’est construite autour de la recherche documentaire et des enquêtes de terrain. La première phase de l’étude s’est focalisée sur la collecte des données au centre de documentation de l’École Normale Supérieure de l’Université de Maroua et sur certains sites spécialisés sur internet tel que l’Organisation Mondiale de la Santé, le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance Les documents consultés (mémoires, articles, ouvrages généraux et rapports) ont permis d’avoir une idée globale des infections paludéennes et leurs impacts sur la santé de l’homme.
La deuxième phase s’articule autour des observations directes de terrain, de la collecte des données sociosanitaires durant trois mois (Juin, Juillet et Août 2017) auprès de 206 ménages des différentes aires de santé du district. En effet, un échantillon de 206 ménages a été préalablement défini. Ensuite, le pourcentage des ménages (Pm) à interroger par aire de santé a été calculé en utilisant la formule suivante :
Pm = (Nombre de ménages par aire x100)/Nombre de ménages du district.
Pour déduire le nombre de ménages à enquêter par aire de santé, la formule suivante a été utilisée : Nombre de ménages enquêtés = (Pmx206)/100.
Le nombre de ménages choisis dans chaque aire de santé est donc fonction du nombre global des ménages de cette aire de santé (Tableau n°1).
Tableau n°1 : Proportion des ménages enquêtés par aire de santé
Source : Enquête de terrain, 2017
Pour la collecte des données auprès des chefs de ménages (homme/femme) la technique d’échantillonnage par réseau ou effet boule de neige a été privilégiée. Cette technique consiste à choisir quelques personnes correspondant au profil recherché et leur demander de nous donner des noms de personnes similaires. Ainsi, le parent d’enfant de zéro à cinq ans enquêté proposait un autre parent répondant aux mêmes critères pour l’enquête. Les informations recherchées ont concerné l’enquêté (statut, profession, âge, taille du ménage) et son environnement, ses connaissances sur le paludisme, les facteurs de diffusion et les stratégies de lutte.
À côté de cela, une observation directe a été aussi utilisée pour enregistrer des informations concernant les réalités d’ordre physique (relief, climat, végétation) de la zone d’étude, les  comportements des ménages et le dispositif de prise en charge des patients au sein des formations sanitaires. Des photos ont été prises avec un appareil photographique numérique.
Par ailleurs un GPS (Global Positionning System) a été utilisé pour enregistrer les positions (latitudes et longitudes) à partir des bâtiments des centres de santé.

1.3. Méthodes

Les données secondaires issues de la revue de la littérature ont fait l’objet d’analyse de contenus afin de rendre compte de travaux antérieurs sur le paludisme chez les enfants de zéro à cinq ans. Les données collectées par questionnaire ont été dépouillées manuellement, saisies et traitées à l’aide des logiciels Excel 9.0 et SPSS 2.7. Ainsi, des statistiques descriptives (fréquence, moyenne) ont été réalisées. Des graphiques et des tableaux statistiques à partir des données issues du service de santé du district (SDS) de Kar-Hay ont été produits. L’analyse cartographique a permis de représenter la distribution des formations sanitaires sous le logiciel Quantum Gis 2.18.0.

Résultats

2. Résultats

2.1. Paludisme : première cause de morbidité dans le district de santé de Kar-Hay

Les populations de l’arrondissement de Kar-Hay sont victime de plusieurs maladies à l’instar des dermatoses, de la malnutrition, de l’otite, de la bilharziose, du trachome, du rhume, du paludisme, de la diarrhée, de la bronchopneumonie. Ces maladies font parties de 10 principales causes de consultations au sein des formations sanitaires. Parmi ces maladies figure le paludisme. Le graphique n°1 permet d’apprécier l’écart entre le paludisme et les autres maladies.
Graphique n°1 : Maladies récurrentes dans le district de santé de Kar-Hay

Source : SSD-Kar-Hay et enquête de terrain, 2017
Le graphique n°1 met en exergue les différentes maladies qui sévissent au sein de ménages du district de santé de Kar-Hay. En 2015, le district de santé de Kar-Hay a enregistré  17 238 patients dont 403 souffrent de diabète, 440 de dermatoses, 178 de complication de grossesses, 90 victimes d’avortements, 2 412 de malnutrition, 153 de bilharzioses, 1 587 de broncho-pneumonie, 622 de rhume, 9 886 de paludisme et 722 de diarrhée. Le paludisme demeure à la première place des infections avec 57,35 %. Les enfants de zéro à cinq ans sont la catégorie sociale la plus affectée.

2.2. Les enfants, catégorie sociale la plus vulnérable

Avec les femmes enceintes, les enfants représentent la tranche de la population la plus fragile faces à la transmission palustre. Dans le district de santé de Kar-Hay de 2010 à 2016, sur 79 613 personnes atteintes du paludisme, 31 609 (39,70%) sont des enfants de zéro à cinq ans. Le graphique n°2 ci-dessous permet d’établir un rapport entre le nombre de personnes infectées et la tranche d’âge de zéro à cinq ans.
Graphique n°2 : Proportion des enfants de zéro à cinq ans atteints du paludisme entre 2010 et 2016

Source : Rapport SSD-Kar-Hay et enquête de terrain, 2017
L’analyse du graphique n°2 révèle que chaque année la proportion des enfants atteints par le paludisme dans le district de santé de Kar-Hay est signification. Ici, sur les cas enregistrés, les enfants de zéro à cinq représentent 33,33% en 2010, 44,92% en 2011, 43% en 2012, 43,97% en 2013, 50% en 2014, 41,69% en 2015 et 17,66% en 2016. En somme, les enfants sont plus vulnérables à la transmission palustre. Par ailleurs, plusieurs enfants perdent la vie du fait de complications liées au paludisme. Le graphique n°3 permet d’observer la mortalité palustre chez les enfants de zéro à cinq ans dans le district de santé de Kar-Hay.
Graphique n°3 : Décès liés au paludisme d’enfants de zéro à cinq ans

Source : Rapport SSD-Kar-Hay et enquête de terrain, 2017
L’analyse de ce graphique n°3 permet de comprendre qu’en seulement sept ans, les formations sanitaires du district de Kar-Hay ont enregistré au moins 220 cas de décès des enfants de zéro à cinq ans. 
Les études de terrain ont permis d’identifier les facteurs explicatifs de l’endémicité et de la recrudescence du paludisme au sein des ménages du district de santé de Kar-Hay. Ces facteurs sont environnementaux et anthropiques.

2.2. Des facteurs naturels propices à la diffusion du paludisme

Les géographes de la santé établissent un lien entre les maladies et l’environnement dans lequel les hommes vivent. Dans les districts de santé de la région de l’Extrême-Nord en général et le district de Kar-Hay en particulier, l’environnement est propice à la transmission du paludisme. En effet, les éléments naturels comme le relief, le climat, la végétation peuvent jouer un rôle majeur dans la prolifération des anophèles femelles.
Le district de santé de Kar-Hay se situe sur le prolongement de la plaine allant du Diamaré jusqu’aux abords du fleuve Logone. C’est une plaine inondable et relativement homogène avec un sol sableux et argileux. La texture argileuse du sol ne permet qu’une infiltration partielle des eaux. De plus, la platitude du terrain ne favorise pas le ruissèlement rapide des eaux pendant la saison des pluies. Du fait de la pluviométrie (juin à septembre), des températures élevées et des eaux de surfaces stagnantes, cette zone offre des conditions d’habitat idéales pour la prolifération des larves de moustiques à l’image de l’ensemble de la zone intertropicale dans laquelle elle se trouve.  Les eaux forment à la surface du sol des lieux de repos des œufs des moustiques et de leurs développements. La planche n°1 ci-dessous illustre les éléments de transmission palustre dans le district de santé de Kar-Hay.
Planche n°1 : Eaux stagnantes responsables des gîtes larvaires

Cliché : Gonga François, 2017
La planche n°1 montre les eaux de pluies qui stagnent en surface lors des précipitations. C’est dans ces conditions que vivent les populations du district de Kar-Hay pendant les trois (03) et quatre (04) mois de pluies. Ces eaux qui ont du mal à s’infiltrer rapidement dans le sol sont de véritables lieux de prolifération des moustiques anophèles responsables du paludisme.
Les résultats de cette étude montrent d’ailleurs que sur les 206 ménages enquêtés, plus de 20% vivent à moins de cinq mètres des mares d’eau, 18% vivent à cinq voire dix mètres des eaux stagnantes. Cette proximité avec les eaux favorise la transmission de la maladie.
La transmission du paludisme et sa saisonnalité dans le district de santé de Kar-Hay est établi. L’analyse des données durant une année permet d’apprécier la corrélation entre la quantité de pluie et le nombre de cas. Le graphique n°4 ci-dessous montre une répartition saisonnière du nombre de cas en 2014.
Graphique n°4 : Répartition saisonnière de cas de paludisme en 2014
Source : Rapport semestrielle de la DAADR et SSD de Kar-Hay, 2014
Les enquêtes ont révélé que les mois de juillet, août, septembre, octobre apparaissent comme la période où la transmission palustre est très significative. Plus de 26% des enquêtés ont déclaré que le moment où les moustiques sont plus présent est la période allant du mois d’Août au mois d’Octobre et plus de 11% le situent aux mois de juillet, août, et septembre. En 2014, aux mois d’août, septembre et octobre, le district de santé de Kar-Hay a enregistré respectivement 2 595, 2 621 et 2 831 cas de paludisme alors que la même année, aux mois de janvier, février et mars, ils sont respectivement de 327, 359 et 300 cas déclarés de paludisme. Ce qui prouve réellement que la saison pluvieuse est propice aux infections palustres.

2.3. Le cadre de vie précaire au sein des ménages

Le cadre de vie d’une collectivité renvoie à l’habitat et à ses alentours immédiats. C’est le lieu de rencontre privilégié entre le vecteur (anophèle femelle) et son hôte (l’homme). La planche n°2 ci-dessous permet de montrer que le cadre de vie est souvent source de diffusion du paludisme.
Planche n°2 : Cadre de vie propice à la transmission du paludisme    

Cliché : Gonga François, 2017
La planche n°2 montre les conditions de vie au sein des ménages. L’image (a) illustre une case sans porte visiblement au milieu des champs et l’image (b) illustre des ustensiles disposés derrière un habitat. Le cadre de vie peut parfois se révéler un réservoir d’agents vecteurs de transmission des maladies à l’instar du paludisme. Les cases sans portes, les plantes aux alentours des cases, les récipients ouverts sont des abris pour les anophèles et leurs œufs. On comprend que ceux qui vivent dans ce cadre puissent être infectés.
D’ailleurs les enquêtes au sein des ménages ont permis de caractériser les habitats dans lesquels vivent les populations. Le tableau n°2 ci-dessous fait un récapitulatif des types d’habitats dans lesquels vit cette population. 
Tableau n°2 : Types d’habitat dans le district de santé de Kar-Hay
Source : Enquête de terrain, juillet, août 2017
Le tableau n°2 décrit les types d’habitats avec près de 30% d’habitats qui sont sans portes et fenêtres et parfois ceux qui disposent portes et fenêtres ne le sont que de nom. Ceci facilite, le contact de l’homme avec l’anophèle.

2.4. Pauvreté, habitude socioculturelle et niveau d’éducation, facteurs aggravant de diffusion du paludisme

En 2001, une étude réalisée par la Direction de la Statistique et de la Comptabilité Nationale (DSCN) sur les conditions de vie des ménages et le profil de pauvreté montre que 56% de la population de l’Extrême-Nord Cameroun vit dans le seuil de pauvreté. Les personnes vivant dans ces conditions sont dans l’incapacité d’avoir chaque jour la somme de 637 FCFA pour se nourrir et subvenir aux besoins essentiels non alimentaires. Les enfants issus de familles extrêmement pauvres risquent deux fois plus de contracter le paludisme.
Dans le district de santé de Kar-Hay, les populations ont coutume de veiller autour du feu après les occupations quotidiennes, lors des funérailles, des mariages ou tout autre évènement heureux ou malheureux. Les veilleurs ne se rendent souvent pas compte des risques d’infection par l’agent vecteur du paludisme. Par ailleurs certaines personnes continuent d’attribuer aux maladies des causes mystiques et surnaturelles. Ce qui fait qu’au lieu de prendre la route de l’hôpital, elles préfèrent des prières dans les églises ou des consultations chez les marabouts ou autres charlatans.
L’éducation en général et l'éducation formelle en particulier est un facteur important de développement du capital humain. Elle permet d'éclairer rationnellement l'homme dans ses décisions et comportements et constitue généralement un élément discriminant (l'insertion sur le marché du travail). Dans le cadre de cette étude, le niveau d'instruction correspond à la plus grande classe suivie par l'enquêté avec succès. Le tableau n°3 ci-dessous donne le profil éducatif des chefs de ménages enquêtés.
Tableau n°3 : Niveau d’étude des chefs de ménage à Kar-Hay
Source : Enquête de terrain, 2017
L’enquête sur le niveau d’étude, révèle que sur l’ensemble de chefs de ménages interrogés, 37% ont cessé leur étude au primaire, 41% au secondaire, 7% au supérieur et 15% n’ont jamais été à l’école. Le niveau d’étude le plus bas se trouve chez les femmes. Les personnes généralement peu instruites n’ont pas assez de connaissances en matière d’hygiène et des risques sanitaires. Le manque de moyens et surtout la pauvreté touchent beaucoup plus les ménages au niveau d’étude bas.

2.5. La non-application des directives du gouvernement sur la gratuité de la prise en charge des enfants de zéro à cinq ans

Au Cameroun, le ministère de la santé publique par décision N°0031/MINSANTE/CAB du 21 janvier 2011et décision N°0399/D/MINSANTE/CAD du 18 juin 2014, porte respectivement gratuité du traitement du paludisme simple et du paludisme grave chez les enfants de moins de cinq ans. Cependant, depuis ces dates, les formations sanitaires du district de santé de Kar-Hay n’ont jamais mise en application ces directives. Les enquêtes ont permis de faire ce constat comme l’illustre le graphique n°5.
Graphique n°5 : Gratuité de la prise en charge du paludisme chez les enfants de zéro à cinq ans
Source : enquête de terrain, 2017
Le graphique n°5 montre que la quasi-totalité (96%) des ménages enquêtés n’ont jamais bénéficié de la gratuité du traitement du paludisme lors de l’hospitalisation de leurs enfants de zéro à cinq ans. Lors des entretiens avec les personnels de santé, ceux-ci qui affirment que les directives de la gratuité n’ont pas été suivi d’un accompagnement de la part du gouvernement. Cette non-application de ces décisions est un frein à la prise en charge des enfants de zéro à cinq ans issus des familles défavorisées.
Les enquêtes ont révélé que les ménages dépensent des sommes importantes lors de la survenue du paludisme chez leurs enfants. Le tableau n°4 ci-dessous fait un état des dépenses liées au paludisme simple dans les ménages.
Tableau n°4 : Dépenses pour le traitement du paludisme simple
Source : enquête de terrain, 2017
Pour le paludisme simple, plus de 63% de ménages déboursent plus de 2000 FCFA, 18,4% dépensent entre 1100 FCFA à 2000 FCFA, 14,6% entre 500 FCFA à 1000 FCFA et seulement 3,9% dépenses moins de 500 FCFA. Ce qui semble être largement au-delà des coûts fixés dans les différentes circulaires du ministère de la santé publique qui sont de l’ordre de 200 à 250 FCFA pour le traitement du paludisme simple.
Le traitement de cas de paludisme grave reste un problème majeur pour les ménages car les dépenses s’étendent souvent en fonction du degré de complication de la maladie. Le tableau n°5 ci-dessous illustre les coûts du traitement supporté par les ménages dans le cas du paludisme grave de l’un des membres.
Tableau n°5 : Dépenses pour le traitement du paludisme grave
Source : Enquête de terrain, 2017
Dans le cas du paludisme grave, les dépenses des ménages sont reparties comme suit : 14 % dépensent plus de 15000 FCFA, 23,8 % entre 11000 FCFA et 15 000 FCFA, 38,3 % entre 6000 et 10000 FCFA et 23,8 % entre 2000 FCFA et 5000 FCFA. 
Pour les populations au revenu modeste, ces dépenses affectent leurs portefeuilles. Pourtant les différentes décisions du ministère de la santé publique rendent gratuites la prise en charge des enfants (zéro à cinq ans) et réduisent considérablement les coûts.
En tant que première cause de morbidité et de mortalité au Cameroun, une gratuité généralisée permettrait un accès significatif des populations aux soins, car par manque de moyens certains font recours aux médicaments de la rue et aux charlatans.
Malgré le fait que ces directives restent non-appliquées, les ménages ont leur part de responsabilité dans la lutte contre le paludisme.

2.6. L’inutilisation de la moustiquaire imprégnée à longue durée d’action (MILDA) au sein de certains ménages

Le gouvernement camerounais s’est engagé à atteindre la couverture universelle des populations en Moustiquaires Imprégnées d’Insecticide à Longue Durée d’Action (MILDA). L’objectif est de diminuer d’une manière significative la morbidité et la mortalité dues au paludisme. C’est dans ce cadre plus de huit millions de MILDA ont été distribuées sur l’ensemble du territoire national pendant la Campagne de distribution gratuite menée en 2011 (MINSANTE, INS, 2013).  En 2015, le Programme National de Lutte contre le Paludisme a demandé à l’Alliance pour la Prévention du Paludisme un appui technique afin d'élaborer un plan d’action pour la campagne de distribution en masse de 12 322 059 MILDA au Cameroun (APP, 2014). L’objectif est de maintenir et consolider la couverture et l’utilisation des MILDA selon le cycle de 3 ans recommandé par l’OMS.
Les campagnes de distribution de masse de 2011 et 2015 se sont affectivement déroulées dans le district de santé de Kar-Hay avec respectivement 53 880 et 71 294 moustiquaires Imprégnées d’Insecticides à Longue Durée d’Action. Des sites de distribution ont été créés dans les aires de santé pour la circonstance. Des personnels de santé, assistés des relais communautaires et des chefs traditionnels ont favorisé l’atteinte de la cible qu’est la population locale. Cependant, l’usage n’est pas systématique au sein des ménages. Le graphique n°6 ci-dessous permet d’apprécier l’utilisation des MILDA au sein des ménages.
Graphique n°6 : Taux d’utilisation des MILDA au sein des ménages
Source : enquête de terrain, 2017
Plus de 83,7% des ménages enquêtés ont déclaré dormir sous la moustiquaire toutes les nuits pour éviter les piqûres de moustiques qui transmettent le paludisme. Cependant, il reste qu’un nombre important de ménages (11,3%) déclare y dormir souvent et 4,9% n’y dorment pas du tout. Les raisons font état de ce qu’elles grattent le corps (5,2%), procurent de la chaleur (42,1%), les chambres sont inadaptées (10,5%). Ce qui expose davantage les couches les plus vulnérables à savoir les femmes enceintes et les enfants aux piqures de moustiques responsable du paludisme. 

2.7. Le recours à l’automédication au sein des ménages

Certains ménages utilisent les médicaments de la rue, vont chez des tradipraticiens ou achètent tout simplement des médicaments dans les officines sans aucune consultation au sein d’une formation sanitaire. Le tableau n°6 ci-dessous montre les préférences des populations lors des recours à l’automédication.
Tableau n°6 : L’automédication au sein des ménages à Kar-Hay
Source : Enquête de terrain, août 2017
En dehors de la médecine moderne, on note la médecine traditionnelle et la vente illicite des médicaments par les personnes étrangères aux métiers. 53,4% utilisent à la fois médicaments de la rue et médicaments à base des plantes, 20,4% recourent uniquement aux médicaments à base des plantes, 21,9% choisissent les médicaments de la rue, 3,5% vont chez les tradipraticiens, 1% achètent des produits en pharmacie et 0,5% achètent des produits au quartier chez des personnels soignants. Les probabilités de rechute sont importantes en raison de la qualité et du dosage de ces produits.

Conclusion

Conclusion

Les enfants zéro à cinq ans font partie des couches les plus vulnérables au paludisme dans le district de santé de Kar-Hay. Au terme de cette étude, les éléments naturels (relief, climat, végétation) jouent un rôle majeur dans la prolifération des anophèles femelles. À cela, il faut ajouter le cadre de vie des ménages, la pauvreté, le niveau d’étude, les habitudes socioculturelles et l’inapplication de certaines directives du ministère de la santé publique.  Cependant, ces directives ne sont pas toujours efficacement mises en œuvre. Ces résultats interpellent la communauté sur la nécessité de se protéger à travers l’assainissement du cadre de vie, l’usage du MILDA. L’État doit s’assurer de l’effectivité des décisions de la gratuité de prise en charge en faveur des enfants de zéro à cinq ans. Ceci permettra d’inverser la courbe de la prévalence du paludisme au sein de la population. Chaque stratégie du gouvernement doit bénéficier d’un suivi et d’une évaluation permanente pour plus d’efficacité.

Références

Références bibliographiques

AUBRY Pierre et GAÜZÈRE Bernard-Alex, 2016, « Paludisme » : Actualités 2016.
Mise à jour le 04/02/2017, 26 pages.
BASKA TOUSSIA Daniel Valérie, 2014, Analyse géographique des « infections
paludéennes » dans les districts de santé de la Région de l’Extrême-Nord
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31 Decembre 2020

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2020,, mis en ligne le 31 Decembre 2020. Consulté le . URL: https://retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=134

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