2018/Vol.1-N°1 : Dynamiques, spatiales,territoriales et santé en milieu urbain

5 |Modélisation par régression géographiquement pondérée de l'accès aux soins des populations dans le district sanitaire de Soubré, sud-ouest de la Côte d'Ivoire)

Geographically-weighted regression modeling of access to healthcare in the health District of Soubr

Auteurs

  • DAGOU Hermann Wenceslas Dagou Assistant, Doctorant ddhgeek@gmail.com, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire

Mots-clés:

Accès aux soins| Régression pondérée géographique| modèle| Soubré| District sanitaire|

Résumé

Longtemps appréhendé sous le prisme de la distance géographique, cette orientation de l’accès a conduit à l’échec des politiques sanitaires favorisant la réduction des distances entre structures et population. Cette situation mettant en évidence la pluralité des causes d’une faible utilisation de l’offre, permet de revisiter le modèle d’accès aux soins de R. Andersen et J. Newman (1973, p. 98). Le postulat de cette recherche est que toutes les dimensions devraient être intégrées dans la définition de l’accès, c’est la méthode de traitement qui doit rendre l’accès géographique. Pour ce faire, le District sanitaire de Soubré sert d’écosystème pour collecter des données intégrant les dimensions spatiales et a-spatiales et, traitées par la régression géographiquement pondérée. L’étude montre une variabilité des facteurs d’accès de la régression classique à la régression géographique, permettant de retenir les facteurs de capacités des populations et la commodité des établissements sanitaires. Pour les quatre localités, iI semblerait qu’une concentration des établissements sanitaires dans une localité lui permette d’atteindre l’accès efficient contrairement à l’idée que la proximité serait le critère d’accès. A l’échelle des individus du District, l’étude permet d’observer un l’accès différencier afin mieux orienter la construction de futurs établissements sanitaires.

Introduction

Malgré un nombre croissant d’études (R. Andersen et P. Davidson, 2014, p. 3; L. Bissonnette et al., 2012, p. 851; M. Gulliford et al., 2002, p. 187; E. Parker et J. Campbell, 1998, p. 184; R. Penchansky et W. Thomas, 1981, p. 140; E. Saurman, 2016, p. 36), la nature de l’accès aux établissements de santé porte à débat. Anderson (1973) distinguait deux thèmes principaux concernant le traitement du concept d’accès aux soins. Il estime que certains tendent à assimiler l’accès aux caractéristiques de la population (revenu familial, couverture d’assurance, attitudes vis-à-vis des soins médicaux) ou du système de distribution (distribution et organisation de la main-d’œuvre et des installations, par exemple). D’autres soutiennent plutôt que l’accès peut être mieux évalué à l’aide d’indicateurs résultant du passage des populations dans le système de santé, tels que les taux d’utilisation ou les scores de satisfaction (R. Andersen et P. Davidson, 2014, p.10). Vu ainsi, l’accès aux soins relève de compétences diverses, parmi lesquelles on trouve la mobilité d’un individu, la disponibilité en temps pour effectuer le déplacement, la connaissance des services de déplacement offerts. Bien plus tard, L. Bissonnette et al. (2012, p. 851) montrent la nécessité d'effectuer des recherches pour examiner comment les caractéristiques individuelles influencent la prise de décision et ce qui empêcherait toute élaboration d’un cadre conceptuel unifié. Tout d’abord, différents termes, accessibilité et disponibilité, sont utilisés comme synonymes d’accès (M. Gulliford et al., 2002, p. 188). Ensuite, l’accès est tantôt considéré comme la propriété des ressources sanitaires, tantôt comme celle des utilisateurs potentiels (L. Mao et D. Nekorchuk, 2013, p. 121). Par ailleurs, H. Jordan et al. (2004, p. 1) estiment que le juste accès peut être simplement caractérisé comme la fourniture du bon service au bon moment et au bon endroit. C’est en quelque sorte un bon d’ajustement entre la fourniture du service issu des ressources sanitaires, les connaissances et les possibilités de les utiliser et la mesure des besoins de la population.
La plupart des notions évoquées font référence aux dimensions géographiques et économiques. La première dimension qui porte notre intérêt met en exergue le rôle de la distance dans les interactions spatiales.  E. Parker et J. Campbell (1998, p.192) développent leur définition en insistant sur la distance et la répartition spatiale. Selon eux, l’accès de tout attribut spatialement réparti, est l’évaluation de la plus ou moins grande facilité avec laquelle on peut l’atteindre. Même dans ce contexte, il est difficile, voire impensable, de considérer uniquement les aspects purement géographiques ou spatiaux.  F. Wang et W. Luo (2005, p. 131) soulignent à cet effet que les définitions partagent un concept commun d’accès multidimensionnel et soulignent l’interaction des facteurs géographiques, économiques, sociaux et culturels dans le processus d’accès aux services de santé. De plus, P. Gething et al. (2012, p. 2) dans leur étude sur l’accès aux maternités ghanéennes, souligne que ces facteurs interagissent de manière potentiellement complexe. Dans certains contextes tels, les zones urbaines bien dotées en établissements de santé, la distance géographique peut ne jouer qu’un rôle mineur dans la détermination des niveaux d’accès et des résultats des soins. Dès lors, les facteurs non spatiaux devraient aider à mieux comprendre les facteurs spatiaux de l’accès aux soins.
L’accès aux soins de santé varie dans l’espace en raison de la répartition inégale des prestataires de soins de santé et des consommateurs (facteurs spatiaux), et varie également selon les groupes de population en raison de leurs caractéristiques socioéconomiques et démographiques différentes (facteurs non spatiaux) (F. Wang et W. Luo, 2005, p.136). Ces voies obligent à considérer toutes les dimensions qu’elles soient spatiales ou non spatiales, mais ne devraient pas faire perdre du vue la dimension géographique. R. Andersen et J. Newman (1973, p.102) avaient, pour dépasser le cadre des définitions, proposés  un modèle d’accès aux soins intégrant les facteurs spatiaux et non spatiaux. En faisant de même, W. Thomas et R. Penchansky (1984, p. 556) prolongent leurs premières réflexions en modélisant l’accès comme un degré de concordance entre les patients potentiels et le système de santé, décomposant ce concept en cinq dimensions. La disponibilité et l’accessibilité physique de l’offre de soins constituent les dimensions spatiales de l’accès aux soins. Les dimensions 'a-spatiales' se réfèrent à la commodité, la capacité financière et l’acceptabilité. La nature hétérogène des facteurs et les inévitables inégalités d’accès dues à la configuration spatiale du système de santé, à la distribution de la population et aux caractéristiques des infrastructures amènent à recourir à un système d’information géographique pour la modélisation.
En géographie, F. Moriconi-Ébrard (2003, p. 627) donne deux définitions au modèle. Au sens mathématique, c’est une structure logique permettant de rendre compte d’un ensemble de processus ayant entre eux certaines relations et au sens social, c’est un schéma simplifié et symbolique permettant de rendre compte d’une réalité quelconque. Or comme le suggère R. Brunet (2000, p. 23), pour que la forme devienne modèle, elle doit entrer dans le champ du langage et pour entrer dans la science, elle doit pouvoir être représentée dans un langage scientifique. Ainsi, les premiers auteurs sur la modélisation, on eut très souvent recours aux régressions (W. Thomas et R. Penchansky, 1984, p. 560) pour mettre en relation les facteurs puisque celles-ci avaient un langage scientifique avéré. Cependant, puisque d’autres disciplines scientifiques partagent avec la géographie ces langages, le problème est de définir ce qui fait qu’un modèle devient géographique. C’est seulement lorsque l’interaction spatiale est en cours, à savoir l’autocorrélation, qu’il est possible de la modéliser sous forme d’équation (F. Moriconi-Ébrard, 2003, p. 627; S. Oliveau, 2010, p. 51). La conséquence est que le modèle géographique passe par la formalisation mathématique de ces interactions spatiales et puis à l’intégration systématique de l’autocorrélation spatiale dans le traitement des facteurs. En adoptant une optique comparative de formalisation et de traitement, cette recherche tente de répondre à la question comment modéliser l’accès aux soins en tenant compte de toutes ces dimensions, mais d’un point de vue géographique ? L’objectif est de montrer que la perception actuelle de l’accès aux soins doit être revisitée.
Le présent article veut contribuer aux modèles d’accès en géographie, particulièrement dans les travaux de R. Andersen (1995, p. 8), de B. Babitsch et al. (2012, p.14) et d’E. Saurman (2016, p. 37). Après la présentation du cadre conceptuel de la modélisation et du modèle d’accès aux soins, nous aborderons la méthodologie de collecte et le traitement des données intégrant l’autocorrélation spatiale. Les résultats seront présentés et discutés dans la dernière section.

1. Le cadre conceptuel de la modélisation des facteurs d’accès aux soins

Le premier facteur de l’accès, la disponibilité traduit le lien entre le type et le volume de services existants et besoins des patients (W. Thomas et R. Penchansky, 1984, p. 555). Par disponibilité, il ne faut pas seulement entendre la simple présence physique d’un établissement, mais sa capacité réelle à produire un service. Il convient de vérifier tout d’abord l’existence effective d’un établissement de santé puis d’un personnel adéquat la desservant avant même de considérer le volume et la qualité des prestations fournies, ou le niveau d’équipement (A. Ousseini et Y. Kafando, 2012, p. 70). La mention d’établissement sanitaire ne prouve pas qu’il soit desservi, ni même qu’il existe. De plus, l’absentéisme du personnel est parfois long et injustifié. Ces absences répétées nuisent évidemment à la continuité des soins et à leur crédibilité (P. Jacquemot, 2012, p. 96). Cette composante de l’accès est celle que les géographes ont la plus explorée. Renvoyant à l’accessibilité, elle a trait à la localisation de l’établissement et celle des patients, prenant en compte la mobilité des patients, la durée, la distance et le coût du trajet. En effet, les services de santé sont accessibles si leurs caractéristiques spécifiques permettent à un large éventail de personnes de les atteindre et de les utiliser (J. Haggerty et al., 2011, p. 97). L’accessibilité peut être considérée comme équitable lorsque des variables comme l’âge, le sexe, l’ethnie, la langue, la religion ou la nature de la maladie peuvent expliquer l’utilisation des services. Ces variables et les attitudes des patients ainsi que celles du personnel des établissements de santé permettent de juger de l’acceptabilité. En effet, il convient selon J. Haggerty et al. (2011, p. 97), que la mesure de l’accessibilité puisse faire l’objet d’une évaluation objective et subjective de la disponibilité géographique et temporelle des services, de leur disponibilité organisationnelle, de leurs coûts et de leur acceptabilité sociale et culturelle. D. Peters et al. (2008, p. 162) appréhendent l’évaluation subjective comme la concordance entre la capacité des fournisseurs de services de santé à répondre aux attentes sociales et culturelles des utilisateurs individuels et des communautés. Ainsi, des services de mauvaise qualité peuvent être associés à des niveaux élevés d’utilisation, lorsque des éléments comme la langue, la nosologie et l’étiologie des maladies sont partagés. L’acceptabilité se voit dans ce cas, reconnaître un rôle majeur, qui fait essentiellement référence à la capacité, à la fois du prestataire de services et du patient, de surmonter des barrières sociales et culturelles qui empêchent ou altèrent le contact entre eux.
L’optique de l’évaluation objective remmènerait aux quantitatifs, traduit par la relation entre le prix des prestations et la capacité du patient (ou de sa famille, ou de son assurance) à payer (ou à emprunter ou encore à recevoir une aide de son entourage). Les tentatives de gratuité des soins de santé, souvent synonyme de médiocrité et de médicaments rares, laissent de plus en plus souvent place à des établissements devant toujours s’autofinancer (L. Touré, 2012, p. 52). L’impossibilité de payer en nature les praticiens de la médecine moderne en limite fortement l’accès (P. Jacquemot, 2012, p. 97). Le patient privilégiera souvent l’option plus flexible du tradipraticien, de l’automédication, ou une absence totale de traitement. Cette option amène à arbitrer entre l’organisation des ressources sanitaires pour accueillir le patient et la capacité de celui-ci à s’adapter à cette offre. La notion de commodité renvoie à la possibilité d’un contact pratique et facile entre le patient et ces ressources. Les aspects temporels sont ici souvent prépondérants (jours et heures d’ouverture des services de santé, présence régulière d’un agent de santé, temps d’attente), mais pas exclusifs (système de paiement, prise en charge des urgences, …) (B. Babitsch et al., 2012, p. 3). Les heures d’ouverture des services de santé sont souvent peu adaptées au rythme de travail des paysans. Toutefois, l’acceptabilité confronte les attentes réciproques des uns et des autres et renvoie notamment aux notions de qualité de l’accueil et d’efficacité thérapeutique. L’évaluation de l’accès en fonction de l’acceptabilité des patients, donc de la qualité du traitement qui leurs octroyés, plutôt qu’en fonction de l’utilisation des services, peut modifier les conclusions. Les tradipraticiens comme le montre P. Gething et al. (2012, p. 10), sont plus souples que le système de santé publique quant aux horaires de travail. De plus, ceux-ci perçoivent encore pour certains d’entre eux, l’essentiel de leur rétribution, parfois symbolique, après la guérison.

Méthodologie

2. La méthodologie de collecte et de traitement des données  

Située au Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, à 480 km d’Abidjan (Carte n°1), la région sanitaire de Soubré est le lieu de collecte des données. Elle couvre une superficie de 9193 km² pour une population de 314 192 habitants selon le recensement de 2014. Cette population est composée d’autochtones (Bété, Bakwé, Kouzié et Godié), d’allochtones (Baoulé et Malinké) et d’allogènes (Burkinabè, Maliens et libanais). Cette région sanitaire est choisie parce qu’en plus d’être l’une des plus importantes zones de production cacaoyère, la récente construction du plus grand barrage de Côte d’Ivoire amène à des aménagements urbains. On y compte la construction d’établissements sanitaires pour l’extension de l’existant mais surtout pour résorber ou atténuer les effets dus à l’étendu d’eau lacustre formée par le barrage. Pour ce faire, l’un des critères mis en avant est l’historique des informations sur les niveaux d’accessibilité des d’établissements sanitaires. Or, au vu des résultats de cette pratique, cette perception devrait être renouvelée par l’utilisation des systèmes d’information géographique pour déterminer les niveaux d’accès et non d’accessibilité.
Dans le cadre d’une enquête domiciliaire en Août 2016 sur le renouvellement de la carte sanitaire du District sanitaire de la Nawa, un questionnaire a administré conjointement avec l’agent enquêteur autorisé pour l’enquête officiel. Les items des cinq dimensions disponibilité, capacité financière, accessibilité, commodité, acceptabilité et des caractéristiques sociodémographiques, s’inspirent de W. Thomas et R. Penchansky (1984, p. 555). À la fin de l’enquête, 221 questionnaires récupérés dont Grand-Zattry (47), Liliyo (37), Okrouyo (54), Soubré (83) étaient exploitables. Le traitement des données du questionnaire a nécessité un système d’information géographique combinant des informations localisées, un logiciel de traitement et le moyen de sa représentation.
Carte n° 1 : Localisation de la zone d’étude
Les informations localisées associent, pour chaque chef de ménage, des informations de géo-référencement et des descriptions attributaires des cinq dimensions. Ces derniers ont été rendus unidimensionnels par des analyses factorielles et exportés sous un logiciel de traitement, ARCGIS. Sous celui-ci, la régression géographiquement pondérée est exécutée et permet d’obtenir la représentation du niveau d’accès aux soins du chef de ménage.
Sous le module analyse géostatistique d’ARCGIS, le traitement de l’accès aux soins à des fins de prédiction fait recourir à la régression linéaire multiple. Elle consiste à modéliser l’accès aux soins en définissant une équation de régression afin de prédire la probabilité d’accès ( sur la base des valeurs de k facteurs indépendants (x1, x2,... xp) où β0 représente l’intercepte, βj le coefficient de régression pour l’accès aux soins du ménage j et εi le terme d’erreur. La formalisation est la suivante :
Les premières tentatives de modélisation de l’accès aux soins avaient pour faiblesse de supposer que la relation modélisée est homogène partout dans la zone d’étude. Pourtant, ce n’est pas nécessairement le cas dans de nombreuses situations pour deux raisons. Elle ne tient pas compte de l’autocorrélation spatiale et ne peut pas saisir l’hétérogénéité spatiale entre l’accès aux soins et les facteurs (S. Oliveau, 2010, p. 58). L’hypothèse étant que les valeurs de β0 et βi sont constantes dans la zone d’étude.
Afin de tenir compte de l’autocorrélation et de l’hétérogénéité spatiale, plusieurs méthodes d’économétrie spatiale ont été développées et représente un champ de recherche très fécond tel qu’en témoigne D. Wheeler (2014, p.1444). Parmi ces méthodes, une voie utilisée par les géographes est d’analyser localement la relation entre l’accès aux soins et les facteurs, pour remédier au problème de l’instabilité spatiale du modèle de régression. La régression géographiquement pondérée (S. Fotheringham et al., 2003, p. 24), extension de la régression linéaire multiple classique, intègre les coordonnées géographiques , du point i et où les paramètres β0 et βk peuvent varier dans l’espace. Sa formalisation se présente comme suit :

Contrairement à la régression linéaire multiple classique qui produit une équation pour l’ensemble du tableau de données, elle produit une équation pour chaque entité spatiale i (S. Fotheringham, 2009, p. 400). Le modèle d’accès intégrant la dimension géographique les facteurs de capacité, de besoin et prédisposant puis la commodité et l’acceptabilité, se formalise alors de la sorte :

Cette formalisation tient compte ainsi de tous les facteurs, de l’autocorrélation spatiale et est orientée par la localisation des individus. En somme les paramètres des facteurs candidats à la régression sont :

Fotheringham (2009, p. 401) propose deux fonctions de densité pour définir la pondération W(i) dans le modèle GWR : une fonction gaussienne et une fonction bicarrée. La fonction gaussienne accorde un poids non nul à tous les points de l’espace d’étude aussi loin soient-ils, tandis que la fonction bicarrée ne tient pas compte des points distants à plus de θ mètres de i. Le présent modèle sera donc de type Gaussien avec une fonction bi carrée adaptative estimée par une approche de validation croisée. Il s’agit alors de minimiser la valeur du coefficient de variation par la méthode « golden section search » ou recherche du meilleur segment.

Résultats

3. Résultats et discussion

3.1. L’arbitrage entre régression statistique et régression géographique

Le premier résultat montre ce que l’estimation de la modélisation de R. Andersen et J. Newman (1973, p. 103) ou de R. Penchansky et W. Thomas (1981, p. 555) aurait donné sur le District sanitaire de Soubré. De manière générale, les résultats de l’estimation de la régression linéaire multiple se présentent ainsi : 
Résultat global de l'estimation par régression linéaire
L’estimation statistique indique que les variables de l’accès aux soins candidates au modèle expliquent 94,69 % de sa variation. Pour les individus de l’échantillon, la commodité (+0,723 8) des établissements viendrait en première position suivie des facteurs de capacité (+0,594 4) et des facteurs de besoins (+0,286 777). Toutes ces trois variables ont une tendance qui contribuera à renforcer l’accès aux soins même à des intensités différentes. Cela n’est pas le cas de l’acceptabilité des patients (-0,085 454). Devant être incluse dans le modèle, puisque statistiquement significatif, plus on tient compte des critères d’acceptabilité des populations moins l’accès s’améliore ou plus l’accès se dégrade. 
Après ces résultats de régression linéaire, il faut intégrer la dimension spatiale tenant compte de l’autocorrélation et de l’hétérogénéité spatiale. Les résultats sont les suivants :
Résultat de la régression géographique pondérée
Les valeurs de R² passent de 0,948 4 pour le modèle global à 0,955 1 pour le modèle estimé. De plus, l’un des objectifs principaux de l’utilisation des modèles de régression géographique est de diminuer l’autocorrélation spatiale des résidus du modèle global qui traduisent l’instabilité spatiale de la relation entre la variable dépendante et les variables indépendantes. La différence de l’AICc de la régression statistique (-272,79) et de régression géographique (-268,64) est supérieure à 4 selon le critère de D. Wheeler (2014, p. 1446), ce qui permet de supposer que le modèle géographique est bien représentatif de l’accès des populations. Les coefficients des variables significatives de départ ont diminué d’intensité montrant la prise en compte de l’autocorrélation spatiale. Cependant, l’accès des populations dépendrait toujours par ordre d’importance des dispositions prises par l’établissement pour que les patients s’ajustent correctement à l’offre de soins, puis la capacité financière qui permet à ce dernier d’avoir l’usage du service et les facteurs de besoins et l’acceptabilité.   
Pour avoir un avis définitif, la différence entre le modèle original et le modèle estimé est recherchée. La figure 4 avec une colonne « Diff of Criterion », montre la différence d’indicateur de comparaison de modèle de régression géographique. Si la valeur de « Diff de Criterion “est comprise entre -2 et +2, le résultat doit être considéré comme faiblement en adéquation de la comparaison du modèle.

Résultat du test des variations locales dans le modèle

On constate au final que l’arbitrage donne les facteurs de capacité et de commodité comme expliquant l’accès des populations aux soins de santé dans les établissements sanitaires. Quand on intègre les aspects géographiques dans le calcul de l’accès, les résultats de R. Penchansky et W. Thomas (1981, p. 137) et R. Andersen et P. Davidson, (2014, p. 5) confirme la commodité. Cela suggère que la commodité est une dimension qui transcende dans les recherches mais que les politiques sanitaires minorent. C’est aussi un appel à la prise en compte des biais des premières régressions, et à opérationnaliser d’avantage les aspects géographiques (E. Saurman, 2016, p. 38).

3.2. Le passage de la répartition des probabilités à la cartographie

Grâce à la régression, la probabilité d’accès pour chaque individu i est estimée et permettant ainsi de construire une carte d’accès probable. Le critère de classification en cinq types d’accès provient des travaux de R. Andersen et P. Davidson (2014, p.10). A ce critère, est associée la classification de l’individu en fonction de sa probabilité. On distingue l’accès potentiel (Prob ≤ {0,00-0,20}) mesuré par les aptitudes qui modèrent l’habilitation à utiliser le service de soins. Puis, l’accès réalisable (Prob ≤ {0,20-0,40}) compris comme l’usage qui peut être fait du service. Ensuite, l’accès équitable (Prob ≤ {0,40-0,60}) traduit par une meilleure égalité des déterminants qui dominent dans l’usage. Quant à l’accès efficace (Prob ≤ {0,60-0,80}), il examine le résultat relatif de l’utilisation des services de santé. Enfin, l’accès efficient (Prob ≤ {0,80-1,00}) porté sur une meilleure santé utilisant un minima de ressources. Les classifications sont résumées dans le tableau n°1.
Au nord de la région sanitaire, Grand-Zattry présente un accès plus équitable (43,48 %) et secondairement des accès réaliste et potentiel. L’accès est concentré à moins que la moyenne. À l’Est, Liliyo s’inscrit plutôt dans un accès réaliste en majorité et équitablement dans un accès effectif et potentiel. Au Sud de la région, Okrouyo présente une dissémination des niveaux d’accès avec pour mode l’accès équitable. À l’ouest, Soubré présente une répartition semblable avec un pic pour l’accès réalisable. Dans le district sanitaire, on peut observer deux tendances. La première est celle d’Okrouyo et Soubré où on retrouve la proportion des habitants ayant une probabilité d’accès supérieur à 60 % (accès effectif et efficient) et qui ne présente pas de clivage net dans la répartition des probabilités d’accès. La seconde est celle de Grand-Zattry et Liliyo où on relève des pics des proportions les plus importantes respectivement pour l’accès équitable et réalisable. La perception courante est de dire que, Liliyo est d’un accès plus convenable que Soubré par exemple, à cette insuffisance d’utiliser l’interpolation pour homogénéiser l’accès. Ce biais conduit à la représentation cartographique par surface, lissant alors les zones d’accès et les considérant comme homogènes. Or l’accès, en intégrant les cinq dimensions, devient hétérogène. La cartographie de cette optique est alors une représentation par points permettant d’associer à chaque individu sa probabilité d’accès.
Carte n°2: Répartition des probabilités d’accès des individus par localités
En observant par ailleurs la répartition géographique, la première zone Okrouyo-Soubré à un hôpital général et trois centres de santé ruraux (maternité et dispensaire) et trois centres de santé ruraux (dispensaire). Elle semble donc converger vers l’hôpital général pour atteindre l’accès efficient ou l’accès effectif. On observe aussi un plus grand regroupement des centres de santé au nord et au sud. Quant à la seconde zone Grand-Zattry-Liliyo, elle regroupe la plus grande portion de population ayant les probabilités d’accès les plus faibles. On y trouve un centre de santé urbain et cinq centres de santé ruraux (maternité et dispensaire). Le centre de santé urbain semble permettre d’atteindre un accès efficient mais, il est à remarquer qu’une concentration des centres de santé dans cette localité ainsi qu’à Soubré. Il semblerait qu’un regroupement des centres dans une localité lui permettrait d’atteindre l’accès efficient. L. Bissonnette et al. (2012, p. 848) arrivaient au même résultat sur la contribution du voisinage à l’accès. P. Gething et al. (2012, p. 10) trouvaient quant à eux, des concentrations adéquations pour le partage des ressources sanitaires. A contrario, on observe à Liliyo, une dissémination des trois centres de santé ruraux avec pour conséquence une prédominance de l’accès réalisable. On comprend que, si les centres sont plus dispersés, les facteurs de capacité comme la famille et la communauté n’arrivent plus à jouer convenablement leurs rôles. Ce que confirme L. Mao et D. Nekorchuk (2013, p. 121), montrant une hiérarchie dans le choix des modes de transport pendant la quête de soins. De même, l’éloignement affecte la commodité en termes de comparaisons entre les centres de santé. La pénurie de professionnels de la santé, pour F. Wang et W. Luo (2005, p. 131), confortait ceux-ci dans des pratiques pas commodes. Cette étude est l’occasion de montrer que la proximité d’un établissement sanitaire public n’explique pas le recours plus ou moins fréquent à celui-ci. En effet sur la carte n°2, des individus sont proches de centres de santé ruraux ou urbains mais ont un accès potentiel ou réalisable. Pour la région de Soubré, les nouveaux établissements sanitaires à construire devraient bénéficier de ce renouvellement de perception de l’accès pour leurs implantations. En effet, le rapport annuel de la situation sanitaire de 2015 montrait que 62 % de la population avait une accessibilité géographique aux établissements sanitaires. Et c’est sur cette base proche de la moyenne nationale de 67 % que l’aménagement ou la construction d’établissements va se faire, reproduisant ainsi les mêmes disparités. Les apports de la régression géographiquement pondérée apparaissent clairement, dans leurs intégrations des aspects sensibles aux variations spatiales (revenu du cacao, proximité du lac, réseaux familiales…), permettant de mieux identifier et qualifier les localités pour différencier les niveaux d’accès.

Conclusion

Conclusion

L’étude de l’accès dans la région sanitaire de Soubré est un prétexte pour revisiter la modélisation de ce concept. Depuis R. Andersen et J. Newman (1973, p. 98), les travaux ont montré l’intérêt d’intégrer plusieurs dimensions pour cerner l’accès. Cette étude emprunte cette voie en mettant l’accent sur le traitement géographique des données. L’étude montre une réduction des facteurs d’accès, en passant de la régression classique (Commodité, Capacité, Besoin, Acceptabilité) à la régression géographique (Commodité, Capacité). Lorsqu’un établissement de santé offre des avantages et est appropriée à un usage effectif, encore faut-il qu’elle délivre des services correspondants aux besoins du moment du patient potentiel. Plus que la disponibilité en bâtiments, matériel, médicaments et personnel, c’est la disponibilité des soins qui importe. Si les soins curatifs de base ainsi que les soins maternels et infantiles sont de plus en plus généralisés, d’autres besoins, plus spécialisés, mais assez courants, ne le sont pas. Ce qui rend à priori ces établissements moins commodes. Les distances deviennent alors si importantes, dégradant la capacité du patient à atteindre ces services spécialisés. Alors, ils ne peuvent plus être considérés comme d’accès. Pour les quatre localités, iI semblerait qu’une concentration des établissements sanitaires dans une localité lui permettrait d’atteindre l’accès efficient contrairement à l’idée que la proximité serait un critère d’accès. De plus à l’échelle des individus, l’étude permet d’observer que l’accès est à différencier dans le district sanitaire. Cette étude pourrait être étendue pour établir un modèle d’accès régional différencié dans lequel on pourrait comprendre comment les facteurs qui facilitent un accès peuvent regrouper les populations. Mais aussi, comment certains facteurs modèrent-ils l’accès aux établissements sanitaires.    

Références

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Publié

08 Juillet 2018

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2018,, mis en ligne le 08 Juillet 2018. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=16

Numéro

Rubrique

Systèmes, Modélisations, Géostatistiques et Santé