2021/Vol.4-N°7 : Mutations environnementales et risques sanitaires en Afrique

10 |ÉVALUATION DE LA POLLUTION DE L’EAU LIÉE AUX ACTIVITÉS INDUSTRIELLES ET IMPACT SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS À ABIDJAN SUD

EVALUATION OF WATER POLLUTION LINKED TO INDUSTRAL ACTIVITIES AND IMPACT ON THE HEALTH OF POPULATION IN SOUTHERN ABIDJAN

Auteurs

  • YAO-ASSAHI Akoissi Ida Natacha Doctorante yassahida@yahoo.fr, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire
  • GNAGNE Agness Essoh Jean Eudes Yves Assistant gaejey_2006@yahoo.fr, Université Nangui Abrogoua
  • ANOH Kouassi Paul Professeur Titulaire de Géographie anohpaul@yahoo.fr, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire)
  • YAPO Ossey Bernard Professeur Titulaire yapossey@yahoo.fr, Université Nangui Abrogoua, Laboratoire Central de l’Environnement du Centre Ivoirien Anti-pollution (LCE-CIAPOL),

Mots-clés:

Baies de la lagune Ébrié| pollution industrielle| zone industrielle| santé des populations|

Résumé

Abidjan Sud dispose d’une pléthore d’industries situées sur le pourtour de la lagune Ébrié. Face à la nécessité d’évacuation des eaux usées, cette lagune est devenue le réceptacle naturel de rejet de ces eaux usées. De ce fait, les baies de la lagune connaissent une dégradation de la qualité des eaux liées aux activités industrielles et ce, malgré les nombreuses conventions en matière environnementale. L’objectif de cette étude est de démontrer que les effluents liquides des industries continuent d’affecter la qualité des baies à Abidjan Sud ce qui a des impacts sur l’état de santé de la population. La méthodologie adoptée repose sur plusieurs démarches dont la recherche documentaire, l’analyse en composante principale des effluents industriels rejetés, la spatialisation des variations des polluants dans les baies lagunaires et l’enquête par échantillonnage auprès de 382 chefs de ménages vivant à l’intérieur et hors des zones industrielles. Ainsi, il ressort de notre étude que les effluents liquides des industries présentent certains paramètres physiques (pH, température, MES) et chimiques (nitrates, nitrites, azote et orthophosphates, DCO et DBO5 hydrocarbures totaux et aux huiles et graisses) avec souvent des valeurs plus élevées que les valeurs guides. Ces effluents sont déversés dans les eaux à travers les points de rejet sans traitement préalable pour la plupart. Par conséquent, ces rejets industriels altèrent la qualité des baies lagunaires à Abidjan et ont un impact sur la santé des populations riveraines.

Introduction

La forte industrialisation de la ville d’Abidjan (586 établissements industriels à Abidjan Sud (K.P. Anoh et al 2019, p.24)), doublée de son urbanisation croissante et non maitrisée ont fortement influencé le milieu naturel tel que l’eau, l’air et le sol. En effet, l’industrie occupe une place prépondérante dans le développement économique de la Côte d’Ivoire qui dispose de l’un des tissus industriels parmi les pays les plus développés de la CEDEAO après le Nigéria. Elle a un taux de croissance de 7,2% en 2015 avec un PIB (Produit Intérieur Brut) de 25,5% (Côte d’Ivoire en chiffres 2016 p. 102).
De même, ces industries sont à majorité situées sur le pourtour de la lagune Ébrié qui constitue le plus grand système lagunaire d’Afrique de l’Ouest. Des milliers de produits chimiques différents sont utilisés dans la fabrication des biens de consommation courants. Or, les résidus de ces produits chimiques contenus dans les eaux usées traitées ou non se retrouvent dans la lagune. Bien souvent, les unités industrielles dans leur fonctionnement utilisent beaucoup d’eau dans le processus de transformation mais aussi pour le nettoyage des installations et des outils après la production. Ces eaux industrielles résiduaires sont rejetées dans le réceptacle naturel qui est la lagune Ébrié ou en haute mer à 120 m des rives, dans l’océan Atlantique sans traitement préalable (K. R. Dongo et al 2013, p.405).
Les industries rejettent leurs effluents liquides à partir de certains points de rejets autour des zones industrielles d’Abidjan Sud. Cela affecte la qualité des baies.
A présent, la détérioration de la qualité de ces eaux, constitue un problème complexe aussi bien dans le cas des conditions écologiques que dans le développement socio-économique de la ville (K. M. Yao 2009, p.2).
Les eaux des zones estuariennes de la lagune Ébrié sur toute l’étendue sont chaudes, pauvres en oxygène, en nitrites et nitrates mais riches en phosphores et en ammoniums. Elles sont sujettes à des états d’anoxies et d’asphyxies et à l’eutrophisation. Ces eaux sont de mauvaises qualité environnementale, car impropres pour l’usage domestique et la vie aquatique (A. M. Aka, 2017, p. XXIII). La quantification de la charge organique et de la contamination métallique des eaux des baies les plus sensibles de la lagune d’Abidjan est un problème qui demeure entier malgré les nombreuses initiatives entreprises jusqu’à ce jour (K. M. Yao, 2009, p.2). En fait, pour faire face aux problèmes environnementaux, la Côte d’Ivoire a ratifié plusieurs traités et conventions. Elle a de même adopté des lois relatives à la protection de l'environnement (eau, air, sols, etc.), auxquelles les activités industrielles sont soumises (K. R. Dongo et al, 2013, p.405).  Toutefois, les rejets liquides industriels influencent toujours la qualité des baies ce qui a un impact sur la santé des populations à Abidjan Sud. 
De manière générale, l’objectif de cette étude est de démontrer que les effluents liquides des industries affectent la qualité des baies à Abidjan Sud et la santé des populations riveraines. Il s’agit de manière spécifique d’évaluer les paramètres physico-chimiques et organiques des effluents industriels, de répertorier les points de rejets des effluents industriels et d’analyser la qualité physique et chimique des baies de la lagune Ébrié afin de ressortir leur impact sur la santé des populations riveraines.

Méthodologie

1. Méthode d'analyse et traitement de données 

1.1. Présentation et localisation de la zone d’étude

Le travail de recherche a porté sur les industries autour de la lagune Ébrié, les habitats aux alentours et en dehors des zones industrielles (Treichville, Marcory, Koumassi, Port- Bouet) à Abidjan Sud (Carte n°1).
Carte 1 : Localisation des zones industrielles et des zones témoins à Abidjan Sud
carte1

1.2. Collecte de données

La collecte de données s’est faite en deux phases : la recherche documentaire, l’observation et l’enquête de terrain.
La recherche documentaire a été faite à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), au CIAPOL (Centre Ivoirien Anti-pollution), à l’IGT (Institut de Géographie Tropicale), à l’INS (Institut National de la Statistique), au CRO (Centre de Recherche Océanologique) et au BNETD (Bureau National d'Etudes Techniques et de Développement).  Elle a permis d’obtenir les résultats des analyses des rejets liquides des industries effectuées au LCE-CIAPOL avant déversement dans le milieu récepteur de 2013 à 2019.
Pour établir le lien entre les eaux de rejets des industries et la qualité de l’eau de la lagune Ébrié, on a eu recours aux résultats du Réseau National d’Observation (RNO) de la qualité des milieux récepteurs (eau, sol et air) en Côte d’Ivoire jusqu’à présent utilisés pour assurer la surveillance continue de la zone estuarienne de la lagune Ébrié au CIAPOL. Vingt (20) stations d’échantillonnage d’eaux ont été prélevés dans les baies de la lagune Ébrié et du littoral dans la zone d’Abidjan de 2014 à 2016. Mais, nous nous sommes intéressées aux stations de Koumassi, de Biétry et du canal. Selon le décret 2001-1220 du 20 décembre 2001 relatif aux eaux destinées à la consommation humaine et eaux de surface, les valeurs limites des paramètres sont: pH (5,5-9), Ammonium (<2 mg/L), Nitrite et Nitrate (10mg/L). Les fonds de cartes proviennent du Comité National de Télédétection et d’Information Géographique (CNTIG).
Les documents statistiques issus des derniers recensements de 2014, par quartier n’étant pas encore disponibles au moment de la réalisation de nos données, nous avons utilisé le RGPH de 1998 de l’INS qui avec le taux d’accroissement naturel a donné des estimations de la population de 2008. L’objectif était de savoir si les populations vivant dans les zones industrielles sont plus exposées aux maladies liées à la pollution des baies lagunaires par rapport à celles vivant dans les zones témoins.
La méthode utilisée est celle à probabilité inégale. À l’aide de la formule statistique suivante: 
n: la taille de l’échantillon
p: le taux de pauvreté des ménages : 46,5% selon le recensement de l’INS 2014.   
Nous avons opté pour le taux de pauvreté des ménages car le niveau de risque à proximité des zones industrielles, le niveau de vie des populations et la proximité près de leurs lieux de travail pourraient justifier le choix de leur installation dans ces différents quartiers illicites. Au total, nous avons 382 chefs de ménages qui représentent la taille de l’échantillon.
Le choix des ménages : Le sondage à plusieurs degrés
Le sondage à plusieurs dégrés nous permettra d’avoir le nombre de chef de ménage par zone (zones industrielles et zone témoin), par commune et par quartier.
Le premier degré : choix des communes
Nous avons fait le choix d’enquêter une partie des chefs de ménages dans la zone industrielle (50%) et une autre hors de la zone industrielle qui est considérée comme la zone témoin (50%). Toutefois, ces zones présentent les caractéristiques sociodémographiques identiques afin d’établir la comparaison. Compte tenu de la représentativité de la population, nous avons effectué une règle de trois pour trouver la taille des populations enquêtées (Tableau n°1)
Tableau n°1 :Caractéristique sociodémographique des répondants

tableau1

Source : Enquête de terrain, 2020

Le Deuxième degré : choix des quartiers dans les zones industrielles
Le Troisième degré: choix des quartiers dans les zones témoins
Le Quatrième degré: choix des chefs de ménages dans les zones industrielles      
Le Cinquième degré choix des ménages dans les zones témoins
Ainsi grâce au sondage en degré, nous avons obtenu les tableaux 2 et 3.
Tableau n°2 : Chefs de ménages à enquêter par quartier dans les zones industrielles à Abidjan sud
tableau2
Source: INS 2008, estimation par calcul
Tableau n°3 : Chefs de ménages à enquêter par quartier dans les zones témoins à Abidjan sud
tableau3
Source: INS 2008, estimation par calcul
L’enquête a été réalisée en Juillet et Août 2016 dans les zones industrielles de Koumassi, Marcory, Treichville et Port-Bouët et dans les zones hors de la zone industrielle. Les jours d’enquête étaient les Samedis et les dimanches car ce sont les jours où on pouvait rencontrer généralement les chefs de ménages à la maison. Cette enquête a été conduite par un ensemble de géographe et de sociologue. Bien souvent, les enquêtés éprouvaient de la lassitude à remplir le questionnaire ou étaient réfractaires devant certaines questions qui touchaient à leur vie privée (sur le revenus, le loyer de leur maison). Il faut noter aussi la suffisance de certains chefs de ménage (« riches ») surtout en zone III et IV où les expatriés étaient fermés carrément sans la manière. Pour réaliser cette enquête, nous avons confectionné une fiche d’enquête. A partir de ces questionnaires, nous avons collecté les informations relatives aux caractéristiques sociodémographiques, aux informations sur différentes pathologies déclarées chez les populations et à l’accès aux soins.

1.3. Méthode de traitement des données

Pour l’évaluation de la pollution des effluents et des eaux de la lagune, on a utilisé les logiciels Statistica 7. 1 et Excel 2013. Quant au logiciel Excel 2013, il a permis de faire les analyses descriptives des différents paramètres physico-chimiques. Pour l’analyse de l’impact de la pollution sur les populations, nous avons effectué une enquête auprès des ménages vivant dans les zones industrielles et dans les zones témoins c'est-à-dire les zones éloignées des zones industrielles grâce à un questionnaire. Au terme de la collecte de données, Les résultats seront convertis en tableaux d’analyse puis en graphiques grâce au logiciel Excel et le logiciel ARC GIS a permis d’établir les représentations spatiales des risques de pollution des baies. Les questionnaires ont été transférés dans le logiciel Sphinx.

Résultats

2. Résultats

Il s’agit d’analyser les rejets liquides de certaines industries et des baies autour des zones industrielles d’Abidjan Sud et de montrer que ces effluents affectent la qualité des eaux.

2.1. Analyse des paramètres physiques, chimiques et bactériologiques des rejets des différentes zones industrielles   

Il est question d’analyser les paramètres physiques, chimiques et bactériologiques des zones industrielles de Port-Bouët, Treichville, Marcory et Koumassi
2.1.1. Paramètres physiques
Seule la concentration des concentrations de matières en suspension (MES) est supérieure à la valeur limite de rejet dans les zones industrielles de Vridi ensuite Koumassi (Tableau n°4). Cette forte concentration est liée à la forte présence des installations industrielles à Abidjan Sud avec la zone de Port-Bouët - Vridi premièrement (35,65%), et deuxièmement, Koumassi (29,65%). En effet, l’urbanisation et l’industrialisation contribuent à la pollution par les MES par apport de grandes quantités d’eaux usées domestiques et industrielles et de déchets solides (K. M. Yao 2009, p. 19).
Tableau n°4 : Paramètres physiques
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MES : Matières en suspension
Source : bulletin d’analyse d’effluents liquides, CIAPOL-LCE_ 2013-2019
 2.1.2. Paramètres chimiques
Il s’agit des quantités de nitrite, de phosphore, d’ammoniac (NH4+), d’azote total (NT), de DBO5, de DCO, de sulfure, d’Hydrocarbures totaux et d’huiles et de graisses qu’on retrouve dans les effluents liquides des industries.
Ces fortes concentrations DCO et DBO5 s’explique d’une part, par le taux élevé des activités industrielles clandestines présentes dans les différentes zones industrielles. C’est à Koumassi que l’on note le taux le plus élevé des industries non identifiées (46,81%), des industries chimiques (23,40 %) et d’une part faible des industries agroalimentaires (03,19 %). (K.P. Anoh et al 2019, p.25). En plus, la commune de Port-Bouët concentre une forte densité des installations industrielles et un taux élevé des industries minières (46,90 %). Il s’agit des industries de gaz, de pétrole, d’électricité. (K.P. Anoh et al 2019, p.26). Or, ces industries produisent des déchets tels que le mélange de gas-oil, huile, graisse et finasol, huiles usagées, huile usée de machine, déchets biomédicaux liquides (A. M. Aka 2017, p.65).
D’autre part, le fait que ces établissements ne disposent pas tous d’unités de traitement des eaux usées justifie la forte concentration en DCO et DBO5.
Dans la zone industrielle de Treichville, les concentrations en DCO, DBO5 et en MEH sont supérieures aux valeurs limites de rejet (Tableau n°5). La commune de Treichville concentre un taux élevé des industries agroalimentaires (38,71%) et un faible taux d’industries textiles (06,45 %) (K.P. Anoh et al. 2019, p.25). Ces déchets sont constitués d’emballages, d’huiles usagées, de batteries usagées, de déchets de laboratoire, de déchets électroniques, etc. Ils sont soit solides, liquides ou gazeux et sont sources d’approvisionnement de polluants dans les baies de la lagune Ebrié (A. M. Aka 2017, p.59).
Les rejets liquides de la zone industrielle de Marcory contiennent des nutriments, des polluants et micropolluants organiques. Dans ces effluents, les concentrations de la DCO, la DBO5, l’hydrocarbure total et de Nitrite (NO3) sont au-delà des concentrations limites de rejet. En effet, La commune de Marcory détient la plus faible concentration industrielle avec une forte présence d’industries minières (41,67%) et se partage pratiquement les mêmes concentrations que les industries textiles, minières et agroalimentaires (18,75%) (K.P. Anoh et al. 2019, p.25). Dans la commune de Marcory, la baie de Marcory subit une bonne influence de l’industrie chimique (17 %) (A. M. Aka 2017, p.65). 
 Tableau n°5 : Paramètres chimiques
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DCO : Demande Chimique en Oxygène
DBO5   : Demande Biochimique en Oxygène en 5 jours
HT : Hydrocarbure total, HG : Huile et graisse
Source : bulletin d’analyse d’effluents liquides, CIAPOL-LCE_ 2013-2019
 2.1.3. Micropolluants organiques et les éléments traces métalliques (ETM)
Dans la zone industrielle de Port-Bouët, seules les concentrations du Chrome et de l’aluminium sont supérieures à la valeur limite de rejet (Tableau 3). Ainsi sur une période d’un mois, la quantité de Chrome rejetée est de 211 437 mg/L et celle d’Aluminium est 5 501,4 mg/L. Au cours d’une année, les quantités de Chrome et d’Aluminium sont respectivement de   2 537 244 mg/L et de 66 016,8 mg/L. ces concentrations élevées sont liées à la forte présence d’industries minières. Les déchets sont constitués de déchets industriels banals, d’huiles usagées, de chiffons souillés d’huiles ou d’hydrocarbures, de chiffons imbibés d’huile ou de solvants, de cannettes et de boites (A. M. Aka 2017, p.67).
A Treichville, Les ETM déterminés dans ces effluents sont le Fer et le chrome (tableau n°6). Les concentrations aussi faibles que ce soit s’expliquent par la forte présence des industries agro-alimentaires, minières et chimiques. Dans ces conditions, les déchets produits par cette panoplie d’industries sont capables de procurer d’importantes quantités de métaux dans les effluents industriels (A. M. Aka 2017, p.69).
Tableau n°6 : Micropolluants organiques et les éléments traces métalliques (ETM)
tableau6
HAP : hydrocarbures aromatiques polycycliques, MEH Matières Extractibles à l’Hexane
Source : bulletin d’analyse d’effluents liquides, CIAPOL-LCE_ 2013-2019
2.1.4. Biodégradabilité des effluents des zones industrielles
Les rejets des différentes zones industrielles de la ville d’Abidjan ont des coefficients de biodégradabilité variant de 1,51 à 5,12 (Tableau n°7). 
Les effluents des zones industrielles de Port-Bouët, Treichville et Marcory ont un rapport DCO/DBO5> 3, ils contiennent des substances non biodégradables ou plus ou moins difficilement biodégradables. Les effluents de la zone industrielle de Koumassi ont un ratio inférieur à 2 et contiennent des substances biodégradables. Ce qui implique que les eaux lagunaires contiennent essentiellement des matières biodégradables provenant principalement des activités agroindustrielles et domestiques (B.T. J-G Irié 2018, p.231).
Tableau n°7 : Des valeurs de biodégradabilité des rejets des différentes zones industrielles
tableau7

 

Source : bulletin d’analyse d’effluents liquides, CIAPOL-LCE_ 2013-2019

2.2. Points de rejet des industries à Abidjan Sud

Le décret N° 91-662 du 9 octobre 1991 a entrainé la création du CIAPOL (Centre Ivoirien Anti-Pollution) pour assurer la veille environnementale. Il dispose de plusieurs services dont le LCE (Laboratoire Central de l’Environnement). Il a pour mission, notamment de diligenter et de procéder si nécessaire aux analyses des échantillons d’huiles ou de produits chimiques impliqués dans des pollutions. Aussi, des analyses doivent être effectuées par le LCE avant rejet des déchets industriels. Toutefois, la demande des industries pour l’analyse des déchets au LCE est faible. 117 industries ont effectué l’analyse de leurs rejets avant déversement (CIAPOL-LCE, 2013-2019).  Du coup, les rejets liquides des industries se font bien souvent de façon abusive sans traitement préalable dans les différents points de rejets urbains qui sont raccordés à la lagune Ébrié. Les déchets produits par les industries sont rejetés dans la baie sans traitement préalable (A. M. Aka 2017, p.69). En effet, le grand nombre d’habitats précaires ou bidonvilles et l’insuffisance des efforts pour accompagner les processus d’urbanisation et d’industrialisation explosive ont engendré une multiplicité de rejets urbains difficile à identifier dans la lagune Ébrié. Cependant, les principaux points de rejet sont connus à travers la carte n°2.
Carte n°2: Les principaux points de rejet dans la lagune à Abidjan Sud

carte2

E.J.E.Y. Gnagne 2017, p.52 explique que :« La partie Ouest de la commune de Port- Bouët, constituée de la zone industrielle ne dispose pas de réseau d’assainissement. Les effluents de cette zone sont rejetés en lagune. Une bonne partie des unités industrielles de la zone de Koumassi, située sur le pourtour de la lagune Ébrié rejette directement leurs effluents dans cette lagune. Le Nord-Est et le Sud de la commune de Marcory (Anoumabo, Sans-fil, Zone 3, Zone 4 et Biétry), ne disposent pas de réseau d’assainissement. A cet effet, l’évacuation des eaux usées se fait soit par les fosses septiques, soit par les latrines, ou encore par les rejets directs dans la lagune. La partie Est de la zone industrielle de Treichville est équipée de réseaux secondaires raccordés au collecteur de base. La partie Sud ne dispose d’aucun réseau d’assainissement, les industries de cette zone déversent directement leurs effluents dans la lagune ».
Ce canal est situé à Vridi après le pont de tri postal. Il correspond au point de rejet 9 de la carte n°2. Il reçoit les rejets industriels chimiques.  C’est une eau de couleur bleu qui coule et qui est rejetée dans la lagune Ébrié (Photo n°1).
Photo n°1 : Rejets industriels à Vridiphoto1
Source : Vue Yao Natacha, 2016
Autour des principaux points de rejets sont situées les industries souvent non identifiées. C’est le cas dans la baie de Koumassi où ces industries ne sont pas identifiées mais rejettent leurs eaux usées dans la lagune Ébrié. Il s’agit des industries que nous n’avons pas pu identifier dans les zones industrielles illustrées à travers la carte n°3. Au cours de l’enquête de terrain, nous avons constaté qu’il y avait des activités industrielles mais nous n’avons pu obtenir des informations sur ces dernières et aucun élément n’affichait le nom de l’industrie. Cependant, c’est à Koumassi que l’on note le taux le plus élevé des industries non identifiées (46,81%).
A cause du faible effectif des inspecteurs, certaines industries n’ont jamais été inspectées tandis que d’autres, le sont régulièrement.  De même, plusieurs entreprises ne déclarent pas leurs activités afin de se faire suivre et réduire les risques afférants à leurs activités. Aussi ne perçoivent-elles pas toujours l’intérêt de se faire accompagner dans leurs activités par des structures ressources, elles ne pensent qu’au gain et non à la gestion du risque. Elles préfèrent cette clandestinité pour éviter de verser les taxes aux structures de gestion. Cette forte concentration dans la partie EST (Koumassi) s’explique par le fait que la zone industrielle de Koumassi n’appartient pas au domaine portuaire d’Abidjan.  En effet, le Port Autonome d’Abidjan exerce sur les lots industriels situés dans son domaine, les prérogatives d’attribution et de gestion qui lui sont reconnues par la loi. Le port Autonome d’Abidjan reçoit les demandes de lots industriels qui lui sont adressées par les investisseurs, les instruit en interne par ses services et procède aux attributions ou aux refus motivés.
Carte n°3 : Industries non identifiées à Abidjan Sud

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2.3. Qualité physico-chimique des baies

Chaque paramètre a été représenté sur une carte, les différentes couleurs montrent comment les différents paramètres se comportent dans les eaux des baies lagunaires.
2.3.1. Un pH relativement basique
La carte n°4 présente une variation de la valeur du pH d’une baie à une autre. L’on constate un gradient croissant de la valeur du pH de la baie de Koumassi à la baie d’Abidjan. La valeur de pH la plus faible est enregistrée dans la baie de Koumassi (6,63) et la plus élevée dans les baies d’Abidjan de Biétry et de Vridi canal (7,45).  En effet, les valeurs de pH varient en fonction de l’importance des eaux marines et continentales. Les secteurs sous influence marine ont des pH supérieurs à 7 particulièrement dans la zone lagunaire d’Abidjan. Par contre, les secteurs très éloignés du canal de Vridi et donc sous influence continentale ont des valeurs de pH inférieures à 7 (G. SORO et al 2009, p.1413). Cela est dû à un renouvellement constant des eaux dans cette partie par le canal de Vridi.
Carte n°4 : Variation du pH dans l’espace lagunaire

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2.3.2. Une forte concentration de l’Ammonium dans la baie de Koumassi
La carte n°5 présente une variation de la concentration en ammonium d’une baie à une autre. L’on observe un gradient décroissant de la concentration en ammonium de la baie de Koumassi à la baie d’Abidjan. La forte concentration de l’ammonium (5,09 mg/L d’O2) dans la baie de Koumassi est due à l’industrie chimique. En effet, la zone industrielle de Koumassi dispose d’une part importante des industries chimiques (23,40%) (K. P. Anoh et al., 2019, p. 25).  L’ammonium est utilisé comme engrais minéral ou organique dans l’agriculture, comme agent oxydant dans l’industrie chimique (K.M.Yao  2009, p.16).
Carte n°5 : Variation de l’ammonium dans l’espace lagunairecarte5
2.3.3. Une faible teneur en Nitrate
La carte n°6 présente une variation de la concentration en nitrate d’une baie à une autre. L’on constate un gradient décroissant de la concentration de nitrate du canal de Vridi à la baie de Koumassi. En fait, La commune de Treichville concentre un taux élevé des industries agroalimentaires (38,71%) (K. P. Anoh et al, 2019, p. 25).  Les nitrates sont utilisés comme agents oxydants dans l’industrie chimique et comme agents de conservation. Ils sont également utilisés dans les explosifs (K.M.Yao  2009, p.16). Cela justifie la forte concentration du nitrite dans les baies d’Abidjan, de Biétry et au canal de Vridi.
Carte n°6 : Variation du nitrate dans l’espace lagunairecarte6
2.3.4. De faibles teneurs en Nitrites
La carte n°7 présente une variation de la concentration en nitrite d’une baie à une autre. Les baies de Koumassi, de Biétry et d’Abidjan enregistrent les concentrations en nitrite les plus élevées.  En fait, les baies d’Abidjan et de Biétry sont voisines de la commune de Treichville. De même, la commune de Treichville concentre un taux élevé des industries agroalimentaires. Or, Les nitrites sont surtout utilisés comme agents de conservation, notamment dans les additifs alimentaires (K.M.Yao 2009, p.16). Cette raison justifie les fortes concentrations de ces baies en nitrite.
Carte n°7 : variation du nitrite dans l’espace lagunairecarte7

2.4. Impact de la pollution sur la santé des populations

2.4.1. Enquête santé auprès des ménages dans les zones industrielles
Au cours de l’enquête, il a été constaté que les maladies les plus récurrentes sont le paludisme (57%) et la fièvre typhoïde (11%). Cependant la diarrhée est très élevée à Koumassi dans les quartiers environnants la zone industrielle (71,42%) (Graphique n°1). Dans les quartiers Sogefiha de la zone industrielle de Koumassi et à Port-Bouët Wharf, les populations sont beaucoup exposées au paludisme. 31,3% des populations enquêtées affirment que ces maladies sont rares tandis que 24% affirment que ces maladies sont très fréquentes. Cette situation de prévalence du paludisme et de la fièvre typhoïde à Koumassi est liée à la forte concentration de l’ammonium (5,09 mg/L d’O2) dans la baie de Koumassi.  Pourtant les zones eutrophisées peuvent constituer des réservoirs de bactéries pathogènes, ce qui peut entraîner des épidémies de choléra, fièvre typhoïde ainsi que d’autres maladies comme le paludisme et les infections respiratoires (K. M. Yao 2009, p.15).
Graphique n°1 : Maladies contractées par zone industrielle et par quartiergraphique1
Source : YAO Natacha, enquête de terrain 2016
2.4.2. Enquête santé dans la zone témoin
On retrouve plus de paludisme (30,55%) et de fièvre typhoïde (6,02%) à Koumassi (Divo) et Port-Bouët (43e Birma) ensuite la diarrhée (7,40%). La diarrhée est très élevée à Koumassi Divo (75%) par rapport aux autres communes et 14,35% des autres maladies (Graphique n°2). Cette maladie intestinale pourrait être causée par l’utilisation de l’eau de puits comme eau de boisson. Aussi, à cela s’ajoute la mauvaise hygiène, l’approvisionnement en eau aux puisards (réceptacles du ruissellement), le manque de protection des repas. Selon les enquêtés, 41,1% affirme que la fréquence des maladies est très faible par contre, la fréquence des maladies est très élevée selon 4,7%.
Graphique n°2 : Maladies contractées dans les différents quartiers témoins
graphique2
Source: YAO Natacha, enquête de terrain 2016
Au total, les populations vivant à l’intérieur et aux alentours des zones industrielles sont plus exposées au paludisme et à la fièvre typhoïde que les populations des zones témoins un peu plus éloignés des zones industrielles. Les zones les plus vulnérables au paludisme, à la fièvre typhoïde et à la diarrhée sont les zones de Koumassi et Port-Bouët à cause de la pollution des baies par les effluents liquides industriels.

Conclusion

Conclusion

Les effluents liquides industriels contiennent toutes sortes de polluants chimiques. Cependant, ces rejets industriels de Koumassi sont très chargés en polluants organiques biodégradables. Les effluents des zones industrielles de Port-Bouët, Treichville et Marcory contiennent des substances non biodégradables ou plus ou moins difficilement biodégradables. Ces rejets sont acheminés dans le milieu récepteur représenté par la lagune Ébrié. Or certains paramètres chimiques présents dans les baies à partir des résultats du RNO ont été identifiés dans les rejets industriels. Les concentrations de ces paramètres même diluées dans les eaux lagunaires sont susceptibles à l’image de l’azote et du phosphore de participer à l’avancement de l’eutrophisation. Ces baies eutrophisées ont une incidence sur la santé des populations. D’où le nécessité du traitement préalable des rejets industriels avant leur déversement dans les baies. Des sanctions doivent être prises et appliquées en cas de non-respect de la réglementation afin de parvenir à une gestion efficace et efficiente des effluents industriels.

Références

Références bibliographiques

AKA Ané Maurice, 2017, qualité environnementale d’un estuaire à pressions anthropiques et à forçages naturels saisonniers en lagune Ebrié (Sud - Est de la Côte d’ivoire), thèse unique, Université Félix Houphouët Boigny.
GNAGNE Agness Essoh Jean Eudes Yves, 2017, Caractérisation des effluents drainés par le réseau d’eaux usées de la ville d’Abidjan et Prédiction des MES et de la DCO à partir de la mesure de la turbidité, thèse unique, Université Nangui Abrogoua, option : Chimie, Santé et Environnement.
MINISTÈRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES, 2017, La Côte d’Ivoire en chiffre, Abidjan, Dialogue Production, édition 2016. 
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Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2021,, mis en ligne le . Consulté le . URL: https://retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=181

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