2018/Vol.1-N°1 : Dynamiques, spatiales,territoriales et santé en milieu urbain

17 |ET SI LE THEATRE-FORUM ETAIT UN MOYEN DE SENSIBILISATION DANS LA LUTTE CONTRE LA MORTALITÉ MATERNELLE

AND IF THE FORUM THEATER WAS A MEANS OF RAISING AWARENESS IN THE FIGHT AGAINST MATERNAL MORTALITY

Auteurs

  • SEKA KOKO MARIE-MADELEINE SPECIALISTE EN PHILOSOPHIE DE LA RELIGION ET EN HUMANISME mariemadeleineseka@gmail.com, Abidjan, Côte d'Ivoire
  • SEKA CHIAYE MARIE-PAULINE ASSISTANT, ANALYSTE LITTERAIRE ET CRITIQUE FEMINISTE sekachiaye@gmail.com, Abidjan, Côte d'Ivoire

Mots-clés:

Théâtre| moyen| sensibilisation| analphabétisme| mortalité maternelle|

Résumé

En Côte-d’Ivoire, malgré les moyens mis en place pour lutter contre les taux de mortalité maternelle, néonatale et infantile, le problème reste préoccupant selon des analystes et spécialistes. D’après nos méthodes d’analyse basées sur les méthodes analytiques et documentaires, le taux de mortalité maternelle reste élevé à cause du faible taux de scolarisation des jeunes filles. Ce qui influence leur capacité d’analyse et de compréhension sur les causes et les dangers réels liés à cette mortalité maternelle et les préjugés sur la médecine moderne. Le théâtre-forum, art de la représentation gestuelle des situations cruciales de la société ne serait-il pas un moyen de lutte et de sensibilisation à valoriser ? L’objectif de cette étude est de présenter les capacités d’action du théâtre-forum dans la lutte contre la mortalité maternelle. Spécifiquement, il s’agit d’identifier l’essence de celui-ci et de mettre en relief sa pratique pour la lutte contre la mortalité maternelle, puisque nos résultats montrent que le fort taux de mortalité maternelle s’explique par l’analphabétisme de la femme et des préjugés sur la médecine moderne.

Introduction

La côte d’ivoire à l’image des pays subsahariens s’est engagée à réduire de 3/4 la mortalité maternelle entre 1990 et 2015 à travers des programmes régionaux, notamment la CARMMA (Campagne pour l’Accélération de la Réduction de la Mortalité Maternelle). Mise en place par L’Union Africaine (UA) en partenariat avec le FNUAP (Fonds des Nations- Unis pour le Développement) en Mai 2009, elle a apporté un grand soutien aux stratégies déjà existantes. Ainsi, depuis cette initiative, les pays de l’Afrique de l’ouest ont pris des mesures pour améliorer les services de santé maternelle. En effet, au sommet de l’Union Africaine, les chefs d’Etat et de gouvernement ont confirmé les engagements pris d’accélérer les efforts qui visent à améliorer la santé féminine et infantile par la CARMMA, (25-27Juillet 2010) et ce, en : « Renforçant le système de santé afin de fournir des soins de santé maternelle, néonatale et infantile qui soient complets et intégrés, en particulier, à travers les soins de santé primaires, repositionner la planification familiale, notamment la sécurité d’approvisionnement des produits de santé procréative, le développement de l’infrastructure et des ressources humaines qualifiées au service de la santé. », (2010, p.5). 
Ainsi, dans la perspective et en vue de lutter contre la mortalité maternelle, la santé maternelle a fait l’objet du cinquième objectif du millénaire pour le développement (OMD) (ONU, 20-23 Septembre 2010). Cependant, celui-ci selon les dires de l’OMS n’a pas été totalement atteint (OMS, ‘’Mortalité maternelle’’, Aide-mémoire n° 348, Novembre 2015.) Autrement dit, même si des progrès ont été constatés, force est de remarquer que beaucoup reste à faire afin d’atteindre totalement le cinquième objectif millénaire du développement. Les défis à relever restent donc considérables. En effet, le pays affiche encore l’un des plus forts taux de la mortalité maternelle au monde. Le taux est passé de 543 à 720 décès pour 100000 naissances vivantes entre 2013-2015 selon l’Agence Française de développement, AFD). Emmanuel Lebrun-Damien, spécialiste des questions humanitaires et de santé du Ministère français des Affaires Etrangères le confirmera lors du sommet qui s’est tenu à Dakar : « malgré des progrès récents, les taux de mortalité maternelle, néonatale et infantile de l’Afrique de l’ouest et centrale reste préoccupants. » (UNFPA, 24-28 Mars 2014, Dakar).
De fait, s’il est vrai que le théâtre fait partie des activités culturelles d’un pays, mettre en place une politique de participation effective entre le ministère de la culture via les responsables ou chefs de la culture, permettrait de résoudre certains fléaux et pandémies de la société. Car de même que les sciences sociales s’interrogent sur des méthodes efficaces de lutte contre les problèmes sociaux, le champ artistique, plus précisément le théâtre-forum, une des formes de l’art dramatique, a depuis longtemps cherché à œuvrer pour le bien-être de l’individu en société. C’est justement ce que Docteur Ochan disait : « travailler en partenariat avec les chefs culturels influents pourrait permettre de résoudre certains de ces problèmes » (A. Amany, 1987, p.1). Cette technique d’Augusto Boal  est fondée sur la conviction que ce théâtre est un outil pouvant changer les mentalités et le monde.  « Il vise à mettre en scène, pour leur redonner leur dimension collective, des situations problématiques ou conflictuelles (...) », (2009, p.1). Par la pratique de cette technique, des spectateurs deviennent des acteurs, montent sur scène pour imaginer une solution, ou essayer de dénoncer, de remettre en cause le rapport de force qui leur est dévoilé.
De ce qui précède, il est évident qu’exploiter le théâtre-forum comme un énième moyen de lutte contre la mortalité maternelle. En Côte-d’Ivoire s’impose. Ainsi, en quoi le théâtre-forum pourrait-il être un moyen de lutte et de sensibilisation contre la mortalité maternelle ? Ce qui nous amène à nous demander : quels en sont les principes de base ? Et dans quelle condition cette pratique théâtrale peut-elle contribuer à la réduction du taux de la mortalité maternelle ?
L’objectif principal de cet article est de présenter les capacités d’action du théâtre-forum dans la lutte contre la mortalité maternelle. Spécifiquement, il s’agit d’identifier l’essence de celui-ci et de mettre en relief la pratique pour la lutte contre la mortalité maternelle.
Ce travail s’articulera autour de deux parties : dans une première partie, nous montrerons les raisons qui pourraient justifier encore le fort taux de la mortalité maternelle à travers le faible taux de scolarisation et la préférence de la médecine traditionnelle. Ce qui nous conduira dans une deuxième partie, à décrire le théâtre-forum comme un nouveau choix susceptible de changement et de comportement.

Méthodologie

1. Cadre méthodologique

Le recours à des approches d’investigations s’avère nécessaire. Les méthodes analytique et documentaire seront les plus appropriés. En effet, « la méthode analytique est la partie de la logique traitant de la démonstration », (Aristote, 1991, p.19). Ce recours se justifie car dans cette étude, il s’agit d’analyser la persistance du taux de la mortalité maternelle et d’en rechercher des solutions idoines. Dès lors, la recherche documentaire s’impose.  En effet, celle-ci a consisté à rechercher des documents susceptibles de nous fournir des informations, des données nécessaires à la compréhension des questions soulevées par notre sujet afin de mener à bien notre étude. Elle a donc porté non seulement sur les documents qui traitent de l’essence du théâtre-forum comme un moyen efficace contre les maux de la société mais ceux qui traitent des raisons du fort taux de la mortalité maternelle. Des écrits empiriques et théoriques ont été consultés au Centre de Documentation et d’Information de l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle. Les recherches documentaires ont été effectuées avec des moteurs de recherche tels que Google scholar.

Résultats

2. Résultats et discussion

2.1. Les pesanteurs culturelles

D’après nos recherches documentaires, malgré les tentatives de solution mises en place pour lutter contre la mortalité maternelle, le taux demeure alarmant. Plusieurs facteurs pourraient justifier cet état de fait, mais nous en relèverons deux dans ce présent travail.
2.1.1. Le faible taux de scolarisation
S’il existe des causes scientifiques qui expliquent la mortalité maternelle, la méconnaissance de ces causes et leur prévention dues à l’analphabétisme ou à un faible taux de scolarisation de la fille en est une autre. En effet, selon le rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous de l’Unesco (2013, p.2.) : « Si toutes les filles achevaient leurs études primaires, la mortalité infantile diminuerait de 15%. Si toutes les adolescentes suivaient des études secondaires, la mortalité infantile diminuerait de moitié. Ce qui permettrait de sauver 3 millions de vie ».
Pourtant selon les annuaires statistiques de l’Education nationale sur l’évolution et la composition des effectifs, l’on remarque des discriminations selon le sexe. L’histoire statistique de la composition des effectifs du primaire et du secondaire général depuis 1960 met en évidence la sous-scolarisation et la sursélection féminine. Ce qui signifie que le problème de la scolarisation de la fille a été et persiste encore en Afrique. La société africaine fortement patriarcale a érigé des lois et règles pour restreindre les droits de celle-ci. Dans la société africaine traditionnelle à quelques différences près, selon les régions et les pays, la femme « n’est pour l’homme africain autre chose que la mère de ses enfants. » (Abbé R. Sastre 1975, p.8).  C’est pourquoi, les règles d’accès à l’école, les programmes d’enseignement, la langue utilisée et, en somme, le taux de scolarisation, sont différentes. Le code de l’enseignement de 1929, le proclame si bien : « l’éducation domestique des femmes est un facteur important pour l’élévation d’une race et le développement de ses besoins. » (Coquery- Vidrovitch, 1994, p.10.)
Dès lors, le cadre fut fixé. Le niveau de scolarisation fut de plus en plus déséquilibré. On comptait moins de fille dans l’enseignement. Selon L. Proteau (1996, p.5) : « malgré la progression des effectifs scolaires féminins depuis l’indépendance, les inégalités entre les sexes restent fortes et en défaveur des filles ». Ainsi, l’ensemble de la scolarité touchait à peine le cinquième des filles. Le résultat fut qu’à peu d’exception près, les femmes ne parlaient pas le français, même dans les grandes villes. C’est pourquoi, peu de femmes pouvaient envisager une vie active intégrée.
Au XXe siècle, « la domesticité » a été proposée comme le seul débouché possible pour les femmes car les parents sont convaincus que les garçons sont intelligents et que l’éducation est plus importante pour eux, la place de la femme étant à la maison. Ce que confirme R. Goubo (2013, p.7) en disant que : « dans la plupart des pays africains, les préjugés à l’égard des filles ont été fortement établis. Leurs droits à l’éducation, à l’instruction, à la liberté sont bafoués dans nos pays et particulièrement en Côte-d’Ivoire ».  En effet, les lois patriarcales continuent d’obstruer son accès à l’instruction et à la scolarisation. Les obstacles faits à la femme sont multiples et disproportionnés selon les régions. De telle sorte que le mariage précoce par exemple prive des millions de filles d’éducation. Ces idées traditionnelles semblent traverser le temps et s’éterniser parce que comme le dit l’écrivaine A. Maïga Ka (1985, p.70) dans la pensée traditionnelle africaine : « le mariage est la seule gloire de la femme. ».  Ainsi, la scolarisation de la jeune fille est constamment mise en concurrence avec cette idée. Dans la société traditionnelle africaine, on perçoit mal que la jeune fille aille à l’école. Elle doit s’impliquer dans les tâches ménagères plus que d’autres choses. Par conséquent, c’est l’homme qui a un travail, une fonction lui permettant de s’occuper de sa famille.
Aujourd’hui, même si la situation a nettement évolué dans presque tous les pays africains, beaucoup reste encore à faire. La femme est toujours victime de son sexe et demeure la plus marginalisée. Pour la société africaine, une fille mariée vaut mieux qu’une fille instruite. Ce qu’affirme un personnage féminin dans l’œuvre de  F. Bebey (1973, p.23) : « lire et écrire, c’est l’affaire de ces femmes qui veulent travailler dans les bureaux, comme si elles étaient des hommes». De plus « malgré l’augmentation des écoles et des classes dans toutes les régions de la Côte-d’Ivoire, les inégalités subsistent toujours entre le taux de scolarisation des filles et celui des garçons qui reste toujours élevé. (…) car la petite fille africaine est destinée au mariage et à la procréation », R. Goubo (2013, p.9).
 Alors que selon A. Odhiambo (2018, p.1) : « quand des filles ont accès à une éducation de qualité, elles acquièrent les compétences et les connaissances dont elles ont besoin pour réaliser leur potentiel et transformer leur vie, leurs familles et leurs communautés. » Malheureusement, les gouvernements ne mettent aucun programme de lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes dans le domaine de l’éducation. Pire, certains dénient aux filles enceintes le droit de fréquenter l’école et ne font aucun effort pour s’assurer que les mères adolescentes reprennent le chemin de l’école après une grossesse.
En somme, hier comme aujourd’hui, l’éducation de la fille reste problématique pourtant toujours selon A. Odhiambo (2018, p.1) : « veiller à ce que toutes les filles bénéficient d’une éducation de qualité, sans discrimination, est essentiel pour qu’elles puissent rejoindre une main d’œuvre qualifiée contribuant au développement de toute l’Afrique ».
2.1.2.  L’influence de la médecine traditionnelle
Si le problème de la scolarisation de la fille est un facteur déterminant dans la mortalité maternelle, cela n’est pas sans de graves conséquences. En effet, la médecine traditionnelle a une place très importante dans le système de santé africain. Elle est beaucoup moins coûteuse que la médecine moderne et des tradi-praticiens se retrouvent jusque dans des zones reculées. C’est ce qui explique notamment le fait que la population continue d'y recourir régulièrement. Ainsi, sa place reste très importante dans le système en Côte-d’Ivoire. Du coup, elle cohabite aujourd’hui dans de nombreuses régions du monde avec la médecine moderne, qui s’appuie sur une recherche et une technicité très onéreuses.  Quelles sont les raisons qui pourraient expliquer cet attachement à la médecine traditionnelle ?
Selon B. Barry dans son mémoire (2008, p.45) : « Les facteurs socioculturels tels que l’ignorance, l’analphabétisme et le faible pouvoir décisionnel des femmes sont principalement responsable du premier retard à savoir : la prise de décision de recourir aux soins de santé. Selon nos résultats, ce retard est le premier impliqué dans près de 25% des cas de décès ».
En réalité, l’analphabétisme et l’ignorance constituent un véritable handicap pour les jeunes filles car les conséquences sont aussi présentes au niveau de la santé. Celles-ci sont souvent enclines à faire mauvais usage de médicament par méconnaissance des ressources du milieu de la santé et parce qu’elles ont de la difficulté à lire et à comprendre les informations pertinentes à ce sujet. Du coup, elles ignorent les dangers auxquels elles s’exposent en se tournant vers la médecine traditionnelle. Ces faits sont démontrés par Joseph Benié-Bi Vroh, dans son étude intitulée « Prévalence et déterminants des accouchements à domicile dans deux quartiers précaires de la commune de yopougon (Abidjan, Côte-d’Ivoire ». Selon cette étude, certaines femmes continuent d’accoucher sans assistance médicale. « 64, 93% des accouchements ont lieu à domicile. Dans la commune de yopougon, les chiffres rapportent 10,42% pour l’année 2004 », (Benié-Bi Vroh J. p.499-506).
L’auteur précise que le niveau d’instruction de ces femmes dans son étude est faible. En effet, il note que la moitié des femmes ayant accouché à domicile n’a aucun niveau d’instruction : « la prévalence des accouchements à domicile trouvée est en dessous de la moyenne en Côte-d’Ivoire : 44% ». D’autre part, cette ignorance et l’analphabétisme des femmes les empêche d’avoir un regard critique sur les coutumes et traditions. Bon nombre d’entre elles continuent de croire aux superstitions et aux mystères de l’Afrique profonde. Le Professeur Oumar Faye, Directeur de la santé ne dit pas le contraire quand il affirme que : « Les croyances aux maladies provoquées par des forces surnaturelles ou personnes maléfiques déterminent souvent les itinéraires thérapeutiques qui privilégient le traitement traditionnel. Ainsi les femmes dans leur majorité consultent des guérisseurs, des marabouts et autres tradi-praticiens », (2008, p.45).
Les familles de manière spontanée donc s'adressent d'abord à la médecine traditionnelle avant d'aller aux centres de santé modernes car elles croient que la maladie n'est pas naturelle mais surnaturelle. Cette maladie serait due à un génie, un sort jeté par une personne mal vaillante, ou un sorcier. Or, renchérit le Professeur : « C'est là que se joue le drame de la maladie. Ne pas connaître le comment de son affection alors que la femme est décédée par hémorragie utérine lors de l'accouchement. Mais le pourquoi de ce décès pensant que la victime est sujet d'un mauvais sort, de la transgression d'un tabou, ou du mécontentement des ancêtres », (2008, p.45).
Par ailleurs, la pauvreté liée à l’analphabétisme de la femme est une réalité en Côte-d’Ivoire. Celle-ci joue un rôle dans la non-fréquentation des centres de santé. Les femmes pauvres calculent les frais de transport, d'hospitalisation, de nourriture et elles renoncent à recourir aux services de santé. Par conséquent, la médecine traditionnelle apparaît aussi comme un recours face à la contradiction entre les besoins en matière de santé et l'importance de leur coût.  Les arguments économiques en sa faveur ne manquent pas de poids. Cela est d'autant plus vrai que la charge pharmaceutique dans les budgets porte souvent sur des médicaments inessentiels. A ce sujet, J. Benié montre que sur « 249 femmes qui ont donné leur opinion sur le coût de l’accouchement, 133 soit 54% trouvaient ce coût élevé 5000f à 25 000f contre 115 soit 46% qui le trouvaient abordable ». 
En clair, ces résultats démontrent l’urgence d’une nouvelle voie à explorer vu les dangers de l’analphabétisme et l’ignorance de la femme. Le théâtre-forum qui est l’art de la représentation d’un drame par les gestes, le lieu où se déroule une action importante, ne peut-il pas participer à la réduction de la mortalité maternelle surtout que la population qui est touchée est à majorité analphabète ?

2.2. L’utilité du théâtre-forum

Nos recherches révèlent que la plupart des femmes en Côte-d’Ivoire ne sont pas instruites et sont par conséquent ignorantes. Cet état de fait crée par la même occasion une difficulté pour ces dernières de saisir, comprendre et percevoir réellement les contours de la mortalité maternelle. C’est pourquoi, une autre voie de communication s’impose. De fait, lors d’une interview accordée à la revue littéraire Recherche Pédagogique et Culture, (n°64 /11 / 1981) A. Césaire disait : « il me semble que c’est le meilleur moyen de faire prendre conscience aux gens, surtout à des peuples où on ne lit pas. Il y a un choc donné par le théâtre et c’est un éveilleur extraordinaire ». Le théâtre-forum qui en est une autre forme ne fait pas l’exception.
2.2.1. L’essence du théâtre-forum
Le théâtre-forum est une méthode de théâtre inter actif mise au point dans les années 1960 par l’homme de théâtre brésilien Augusto Boal. C’est un outil d’animation qui permet à l’aide de la participation de chaque acteur de parler et d’imaginer collectivement des solutions alternatives aux problèmes. Concrètement, il s’agit d’avoir recours au théâtre pour sensibiliser aux sujets d’actualité ou de société en faisant des participants des pro-actifs. Ainsi, les femmes, même illettrées, pourront être actrices et spectatrices. Le théâtre-forum développe donc la socialisation du public à l’aide d’une réflexion politique et citoyenne. Cette réforme intérieure que vit l’être humain après avoir été mis en contact avec un art est décrite par cet auteur : « C’est un plaisir pour l’homme de se transformer par l’art comme par la vie courante, et par l’art et l’usage de celle-ci. Il lui faut donc pouvoir se sentir et se voir comme transformable, et la société avec lui et il lui faut assimiler, de manière plaisante dans l’art, les lois aventureuses selon lesquelles s’effectuent les transformations » (B. Brecht, 2001, p.247).
Ainsi, à travers le théâtre-forum, les spectateurs deviennent des citoyens luttant pour la réduction de la mortalité et pour une conscience environnementale. L’on perçoit l’importance de ce théâtre dans la vie sociale comme l’affirme (A. Boal, 2009, p.1) : « il ne suffit pas de consommer de la culture : il est nécessaire de la produire. Il ne suffit pas de produire des idées : il est nécessaire de les transformer en actes sociaux, concrets et continus ».
Ce qui implique forcément dans ce cas, une politique éducative et sociale qui tient compte des connaissances et des pratiques à la fois scientifiques et artistiques. L’éducation au développement doit partir du quotidien de ces femmes et de leurs propres intérêts. Par ses représentations des problèmes de la société, le théâtre-forum montre sa capacité à relier la vie quotidienne aux grands mécanismes macro-économiques. De cette manière, il offre à celles-ci l’occasion de quitter les ténèbres de la méconnaissance des problèmes liés au refus des consultations prénatales et à la consommation abusive des médicaments et sortir de l’analphabétisme culturel.
2.2.2. Le théâtre-forum : moyen de sensibilisation
L’expérimentation de cette pratique n’est pas nouvelle. Plusieurs écrits ont traité de l’apport ou de l’utilisation du théâtre-forum dans la résolution des problèmes sociaux. Il est important de souligner que le théâtre ne se présente pas comme ‘un comprimé’ destiné à une maladie quelconque mais comme une représentation pour chaque et n’importe quelle situation cruciale pour la société. Ainsi, des études ont été menées dans ce sens.
  1. Dehayes (2018) dans son étude intitulée la socialisation des adolescents par l’improvisation théâtrale propose une panoplie d’exercices d’improvisation pour socialiser ces jeunes. W.J. Koné Wagninlba (2008) de son coté, a mené une réflexion dans son travail portant sur le : théâtre comme moyen d’enseignement des arts plastiques dans le secondaire à Abidjan pour montrer que le théâtre-forum est un moyen de sensibilisation qui a des capacités de transformer la situation d’une population donnée. Aussi, montre-t-elle comment celui-ci contribue à la conscientisation et à la formation des populations d’une façon ou d’une autre.
Par ailleurs, un enseignement de la relation médecine-patient en pédiatrie à des étudiants de médecine inspiré du théâtre-forum d’Augusto Boal a été proposé aux étudiants de 4ème et 5ème année de médecine en France dans le service de neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescent en 2009. Cet enseignement révèle que la question de communication et de relation peut être enseignée en faculté de médecine à partir de méthodes pédagogiques interactives intitulée : « théâtre et médecine pour former les étudiants en médecine ». Enfin, une expérience a été menée par le Professeur Marc Ychou, oncologue médical, en collaboration avec le réalisateur Serge Ouakmine, metteur en scène à l’école nationale supérieure d’art dramatique (ENSAD) de Montpellier, en 2013 pour mettre en place des exercices de contact, d’écoute, de sensibilisation et de travail sur la voie de mise en situation, l’objectif étant de mieux s’adresser aux patients.
Comme, on le perçoit, par cette pratique théâtrale, les femmes pourront improviser puis fixer une scène quelques minutes sur les thèmes de la mortalité maternelle, le refus des consultations médicales. Elles la joueront ensuite face à la communauté rurale, villageoise et urbaine à qui est destiné le message. Dans ce théâtre, un élément important est à relever : le rôle du « joker » qui peut être un animateur culturel. C’est lui qui, à la fin de la scène, dont la conclusion est en général catastrophique, assiste le public dans un échange. Ce procédé n’a d’autre but que de construire collectivement sa représentation de ce qu’il a vu. De cette manière, ce dernier incite à envisager des alternatives à la scène et invite le public à remplacer un acteur afin d’expérimenter une autre voie qui pourrait changer le cours des évènements. Il est clair que le théâtre est cette méthode d’éducation populaire qui remplit les fonctions suivantes : développement communautaire, prise de conscience, éducation corrective, conscientisation et organisation communautaire.
Ce théâtre questionne, fait prendre conscience, explore plusieurs solutions à un problème et les conforte. Cependant, il n’impose en aucun cas, une vérité ou une solution. Ce qui signifie que le thème abordé doit être soigneusement défini au préalable. Dans notre cas, il s’agira du problème de la mortalité maternelle. Ainsi, comme l’affirme le réseau des associations des étudiantes (Animafac, 2020, p.2) : « plus le cadre est restreint, mieux les improvisations et la spontanéité peuvent se déployer ».
Il est évident qu’il s’agit d’une technique de théâtre participative qui a pour but de conscientiser et d’informer la population cible. Le théâtre-forum peut dès lors aider à sortir de la machine de l’actualité suffocante de la mortalité maternelle. De fait, face au problème de la mortalité maternelle en l’Afrique et en Côte-d’Ivoire en particulier, la solution pourrait être en a point douter la mise en scène de cette pandémie qui gangrène la société. L’avantage de ce théâtre est qu’il peut être pratiqué dans des espaces publics en plein air, sur la place du marché, la place du village… En mettant ainsi en scène le problème de la mortalité maternelle, le théâtre-forum propose au public de faire part de ses analyses et de suggérer leurs propres solutions. Les spectateurs sont invités à rejouer eux-mêmes les scènes et deviennent ainsi acteurs à part entière. Les problèmes évoqués donnent lieu à un débat public. Cette véritable ‘’carthasis’’, ou ‘’purgation des passions’’, et l’effet dramatique, facilitent la prise de conscience et le sens des responsabilités en stimulant l’engagement personnel et collectif. Le théâtre-forum crée ainsi un miroir social, un reflet plus ou moins caricatural de la société qui permet de mieux la comprendre, et de mieux dénoncer ses failles. Il est alors un miroir rendu à la nature car le spectateur comme l’acteur vient chercher une réponse, reconstruire une identité.  Et c’est ce que soutiennent V. Bordet et A. Euzen dans leur publication (2008, p. 3): « Tel qu’il est conçu, le théâtre-forum peut alors être utilisé de multiples façons comme pour amener à réfléchir à des situations quotidiennes pour sensibiliser et informer des populations sur des questions d’éducation, de santé ou encore d’organisation sociale. Il s’agit de faire appel au théâtre-forum à des fins scientifiques pour faire émerger des perceptions à travers les pratiques des populations face à la poussière ».

Conclusion

Conclusion

Au terme de la réflexion « Et si le théâtre-forum était un moyen de sensibilisation dans la lutte contre la mortalité maternelle ? », l’on peut répondre sans trop hésiter par l’affirmative. Le théâtre-forum par sa capacité à se produire dans tout espace, abordant tout sujet sociétal et offrant à l’acteur-spectateur une prise de conscience certaine, peut jouer un grand rôle dans la réduction du taux de mortalité maternelle.
La première partie de ce travail a mis en exergue les pesanteurs culturelles auxquelles fait face la femme et qui jouent un rôle déterminant dans le maintien du fort taux de la mortalité maternelle malgré les tentatives de solution mises en place afin d’enrayer celle-ci en Côte-d’Ivoire. Cet état de fait provoque le faible taux de scolarisation et du coup son incapacité à apprécier de manière saine et critique cette pandémie.
C’est pourquoi, la deuxième partie a porté sur l’utilité du théâtre-forum comme solution appropriée à ce cas d’analphabétisme. Il ne serait donc pas sans intérêt d’expérimenter cette pratique théâtrale qui depuis quelques années prend du terrain. Cette méthode innovante est certainement la mieux indiquée pour ce cas de figure vu les personnes concernées. Cependant, elle pourrait contenir des insuffisances dues aux nouvelles formes de communication. Serait-il alors judicieux que les autorités n’accordent aucune crédibilité à cette expérience ?

Références

Références bibliographiques

ANIMAFAC, le réseau des associations étudiantes, 19 Mai, 2020, ‘’sensibiliser par le théâtre-forum ‘’, fiche pratique.
ARAO Ameny, la santé maternelle s’améliore en Afrique, https://www.un.org
BARRY Boubacar, 2008, Mortalité maternelle : cause et facteurs favorisants déterminés par l’autopsie verbale dans le département de Bakel, Université Cheick Anta Diop de Dakar, Master de recherche.
BEBEY Francis, 1973, La poupée ashanti, Yaoundé, Clé.
BENIE-BI Vroh Joseph, ‘’Prévalence et déterminants des accouchements à domicile dans deux quartiers précaires de yopougon, Abidjan, Côte-d’Ivoire’’, santé publique, 2009/5/vol 21, p.499-506.
BOAL Augusto, 2009, Théâtre de l’opprimé, Paris, La découverte.
BORDET Valérie et EUZEN Agathe, Octobre 2008, ‘’Méthode antropo-sociologique introduisant le théâtre-forum comme outil d’analyse d’une recherche scientifique pluridisciplinaire’’, vertigo, vol 8, n°2, URL : https:/journals-openedition.org/vertigo/5065 ; DOI : https://doi.org/104000/vertigo.5065
BRECHT Bertolt, 2001 (1967), Brecht, écrits sur le théâtre, Paris, Gallimard.
COQUERY-Vidrovitch, 1994, Les Africaines, histoire des femmes d’Afrique noire du XIX au XXe siècle, Desjonqueres. 
GOUBO René, 2013, Education et jeune fille en Côte-d’Ivoire, édition Bookelis, Paris.
L’ABBE SASTRE Robert, 1975, La mission de la femme africaine, Centurion, Paris.
MAIGA KA Aminata, 1985, La voie du salut suivi de Le miroir de la vie, Paris/ Dakar, Présence africaine.
ODHIAMBO Agnès, Afrique : l’éducation des filles est cruciale pour former une main d’œuvre qualifiée, www.hrw, org, 10 Octobre 2018 11 :00 PMEDT.
PROTEAU Laurence, Avril 1996, ‘’les grandes tendances de la scolarisation féminine en Côte-d’Ivoire : quelques repères statistiques’’, la collection note et travaux, n°9.
SAKHO Kadiatou, 11 Octobre 2018, ‘’Afrique : accès des filles à l’éducation’’, www.jeuneafrique.com.
L’Afrique en tête des décès maternels dans le monde, 17 Octobre 2019, www. Scidev.net.
OFFICE CENTRAL DE LA COOPERATION A L’ECOLE (OCCE), 2009, Autonomes et Solidaires, AD 57 ‘’le théâtre-forum’’ 2009.
ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE (OMS), Résumé d’orientation, « tendances de la mortalité maternelle : 1990-2015 », 2015, http//apps.who.int/iris/bitstream/106/65/204113/1/WHO-RHR-15.23-fre.pdf.

Downloads

Publié

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2021,, mis en ligne le . Consulté le . URL: https://retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=186

Numéro

Rubrique

Qui sommes-nous ?