2021/Vol.4-N°8 : Mobilité, transport et santé en Afrique

7 |MOBILITE INTERURBAINE ET SECURITE ROUTIERE LE LONG DE LA ROUTE NATIONALE N° 5 BÉKOKO-BANDJOUN (CAMEROUN)

INTER-URBAN MOBILITY AND ROAD SAFETY ALONG THE NATIONAL ROAD N ° 5 BÉKOKO-BANDJOUN (CAMEROON)

Auteurs

  • NGANKEU Johannas Martial Docteur johannasmartial@yahoo.fr, Université de Dschang-Cameroun
  • DJIKENG TEUFACK Nicodème Doctorant djikengn@gmail.com, Université de Dschang-Cameroun
  • TCHENWOUO KWEKAP Dominique Raphael Doctorant kwekapdr@yahoo.fr, Université de Dschang-Cameroun

Mots-clés:

Cameroun| route nationale n° 5| Békoko-Bandjoun| mobilité interurbaine| sécurité routière|

Résumé

Le présent article étudie la sécurité routière découlant de la mobilité interurbaine le long de la route nationale n° 5 Békoko-Bandjoun (Cameroun). La survenue de nombreux accidents sur cette route est due aux problèmes de la chausséecouplée à une intensité du flux interurbain. L’étude s’appuie sur une approche combinant données secondaires (statistiques obtenues des services compétents) et primaires (collectes de données quantitatives par questionnaires (100) auprès des riverains de la route nationale N° 5, qualitatives par entretien (15) et par récepteur GPS (global positioning system)). L’analyse des documents et statistiques recensés associée aux traitements des données de première main ont permis d’obtenir d’importants résultats. Il en ressort que la tendance en termes de nombre de victimes le long de la route nationale N° 5 Békoko-Bandjoun est relativement en hausse pour le nombre de tués (34 morts en 2019 à 43 morts en 2020). La présence de nombreux nids-de-poule, l’intensification d’activités économiques générées par les mobilités interurbaines et le dynamisme des populations riveraines sont les principaux facteurs explicatifs. La récurrence de ces accidents de circulation représente un poids considérable en termes de coûts sociaux tant pour les familles impliquées que pour l’Etat du Cameroun.

Introduction

Les accidents de circulation routière représentent un problème de santé publique de premier ordre à l’échelle du monde, tant en termes de tués ou de blessés que les répercussions socio-économiques de ces accidents. A l’échelle mondiale, le nombre de décès dus aux accidents de la circulation ne cesse d’augmenter, atteignant 1,35 million en 2016 (OMS, 2018, p. 2). Les statistiques de l’OMS (2021) montrent que les accidents de la route entraînent environ 1,3 million de décès par an et plus de 20 à 50 millions de blessés dans le monde. La majorité de ces accidents de la circulation routière survient dans les pays du Sud. Quelque 93 % des décès sur les routes surviennent dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, alors qu’ils ne possèdent qu’environ 60 % du parc mondial de véhicules (OMS, 2021).
Le caractère sinueux de certaines routes à grande circulation, les comportements dangereux des usagers, l’augmentation du parc automobile et les diverses formes de pathologies de la chaussée sont les principaux déterminants d’accidents de la circulation routière de ces pays. Les pathologies de la chaussée renvoient à l’ensemble des problèmes qui se produisent sur la couche de roulement d’une route après une période d’utilisation (F. Sandrone, 2015). On distingue les fissures, les déformations et les dégradations de la couche de roulement (M. Aïssaoui, 2009, p. 19).
Au Cameroun, il est enregistré un total de 116 081 accidents sur la période 2008-2014, soient en moyenne 16 583 accidents par an (près de 46 accidents par jour). La grande majorité de ces accidents (81,25 %) sont survenus dans les milieux urbains, contre 18,75 % pour les zones interurbaines (ONU-CEA, 2018, p. 25). Les conséquences de ces accidents de la circulation routière sont lourdes. Sur le plan économique, ils représentent entre 1 % et 3 % du Produit National Brut (PNB) du Cameroun ; sur le plan social, ils continuent d’augmenter les souffrances physiques et psychologiques de nombreuses familles.
Le nombre important et la récurrence des accidents sur les routes nationales N° 5, N° 3 et N° 1 qui connectent les métropoles Douala, Yaoundé et Bafoussam, ont conduit à ce qu’il convient d’appeler le triangle de la mort. La route nationale N° 5 allant de Békoko (périphérie Nord-Ouest de la ville de Douala) à Bandjoun, occupe la deuxième position dans le Ranking en matière de fréquence d’accidents après la route nationale N° 3 reliant Douala à Yaoundé. Face à la recrudescence du nombre d’accidents de la circulation enregistrés le long des routes à grande circulation connectant les villes du pays, il est judicieux de s’y intéresser. La question fondamentale qui oriente la réflexion dans cet article est celle de savoir : en quoi les pratiques de mobilités interurbaines sur les routes nationales contribuent-elles à la survenue des accidents de circulation ? L’article identifie et analyse les formes de dégradation de la chaussée responsables des accidents de circulation le long de la route nationale N° 5 (Békoko-Bandjoun). L’hypothèse étant que les accidents le long des axes à grande circulation sont causés dans la majorité des cas par la présence de nombreuses formes de dégradations de la chausséecombinées à l’important flux de mobilité interurbaine. Pour y parvenir, l’étude se propose d’emblée de dresser un état des lieux des accidents survenus le long de la route nationale N° 5 Békoko-Bandjoun ; ensuite de questionner les véritables causes de ces accidents ; et enfin, d’analyser les répercussions de ces accidents de la circulation routière sur le plan social.

Méthodologie

1. Méthodologie

1.1. Présentation de la zone d’étude

Mise en circulation en 1957, la route nationale n° 5 (Békoko-Bandjoun), d’une distance de 219 km environ, épouse une direction SSO-NNE le long de son tracé. Majoritairement monomodale, elle connecte les localités de Békoko, Souza, Mbanga, Loum, Nkongsamba dans le département du Moungo et les localités de Bafang, Bandja et Bandjoun dans la région de l’Ouest (Carte n°1). C’est une infrastructure à deux voies de circulation qui a une emprise de 7 m de chaussée, de 2 m de trottoir et un revêtement bitumé de 5 cm. Elle dessert les agglomérations urbaines par lesquelles elle transite et stimule de fait les activités de commerce autour de l’infrastructure (tableau n° 1). Ainsi, chacune des sections de l’infrastructure est exploitée par les populations dynamiques pour écouler les produits issus de l’activité agricole (vente de fruits et de vivres) ou de produits d’industries de consommation alimentaires (jus, eau en bouteille).
Carte n° 1 : localisation de la route nationale n°5 Békoko-Bandjoun

carte1

Source : Ngankeu et Tchenwouo, septembre 2021
Tableau n°1 : répartition des sections de la route nationale Békoko-Bandjoun
tableau1
Source : Correspondance entre nouvelle et ancienne nomenclature : Route Nationale, MINTP (avril 2018)

1.2. Méthodes de collecte et d’analyses de données

L’étude adopte une approche combinant données secondaires (statistiques sur le nombre d’accidents ont été obtenues auprès des services de gendarmerie des localités de Nkongsamba, Eboné, Melong et Loum et du Groupement Régional de la Circulation et de la Voie Publique de l’Ouest à Bafoussam) et primaires (collectes de données quantitatives par questionnaires auprès des populations riveraines (100), qualitatives par entretien (15) et par récepteur GPS (global positionning system)). Les données de types secondaires renseignant sur les accidents de circulation routière sur les sections Békoko-Loum, Loum-Nkongsamba, Nkongsamba-Pont du Nkam ont été obtenues auprès des services de gendarmerie des localités de Nkongsamba, Eboné, Melong et Loum. Celles de la section Pont du Nkam-Bafang, Bafang-Bandja et Banja-Bandjoun ont été collectées auprès du Groupement Régional de la Circulation et de la Voie Publique de l’Ouest à Bafoussam. Le but visé étant de faire un état de la variation mensuelle des accidents sur une période d’un an et en fonction des données disponibles (mars 2020 à mars 2021). La base de données du réseau routier national réalisée par l’INC (Institut National de Cartographie) en 2015 a été utilisée. Cette base de données sert de référentiel et les mises à jour régulières justifient la fiabilité des données qui y sont extraites. Enfin, des documents, des articles et des ouvrages scientifiques portant sur les questions d’accidents ont été consultés.
Les données primaires ont été recueillies au moyen d’observations directes, la prise de vue, les formes de dégradations de la chausséeobservées le long de l’axe ont été répertoriées au moyen d’un GPS. L’objectif visé était de voir s’il existe une corrélation entre la présence des formes de dégradations de la chaussée et la survenue des accidents de la circulation. Des entretiens ont été réalisés auprès des autorités compétentes (commandant de compagnie de gendarmerie et commandant du Groupement Régional de la voie publique de l’Ouest). Suivant la technique d’échantillonnage boule de neige, des personnes riveraines à cet axe (100) et des victimes d’accidents (15) ont été sélectionnées pour des entretiens. Il s’est agi d’identifier trois individus et par l’entremise de ces derniers d’autres individus ont été enquêtés.
La technique d’analyse documentaire, précisément du registre des cas d’accidents de la circulation enregistrés dans les services de la gendarmerie nationale du Moungo à Nkongsamba et du Groupement Régional de la voie publique de l’Ouest à Bafoussam ont permis de rassembler l’ensemble des statistiques sur le nombre d’accidents, les dates et les profils des accidentés. Les données collectées ont été traitées à l’aide des logiciels Excel 2013. L’analyse des données d’enquêtes à l’aide de ce logiciel a permis d’en extraire les statistiques sur le profil des personnes impliquées dans les accidents de circulation routière, les causes de ces accidents. Les perceptions des acteurs sélectionnés et interviewés concernant les causes de ces accidents ont été extraites des données qualitatives. Des représentations cartographiques ont été réalisées à l’aide des logiciels Google Earth Pro, et QGIS 2.18.3. Cette méthodologie a permis d’obtenir des résultats portant sur l’état des lieux des accidents, les facteurs de risque et les implications sociales des accidents de la circulation routière le long de la route nationale n° 5 (Békoko-Bandjoun).

Résultats

2. Résultats

2.1 Route nationale N°5 Békoko-Bandjoun, état des lieux des accidents

Les données statistiques (collectées auprès des services de gendarmerie des localités de Nkongsamba, Eboné, Loum et Melong et du Groupement Régional de la circulation routière) montrent qu’au courant de l’année 2020, le nombre d’accidents répertoriés le long de la Route Nationale N° 5 est d’environ 634 cas d’accidents. Toutefois, la distribution mensuelle du nombre de cas d’accidents recensés permet de noter une évolution en dans de scie (Graphique n°1). En s’appesantissant sur les cas d’accidents survenus sur les sections Bekoko-Loum, Loum-Ebone, Ebone-Nkongsamba, Nkongsamba-pont du Nkam, il ressort que le nombre d’accidents enregistrés augmentent à partir du mois d’août et atteignent cinq accidents durant le mois de septembre (Graphique n°1). L’explication la plus plausible et mise en avant par les services de gendarmeries et le Groupement Régional de la Voie Publique de l’Ouest à Bafoussam se rapporte à l’intensité importante du trafic durant les mois d’août, septembre et octobre. En effet, le trafic en cette période est intense du fait de la rentrée scolaire (septembre), universitaire (octobre) et la tenue des réunions et congrès de famille dans la région de l’Ouest-Cameroun.
Graphique n°1 : Évolution mensuelle des accidents sur les sections Bekoko-Loum, Loum-Ebone, Ebone-Nkongsamba, Nkongsamba-pont du Nkamgraphique1
Source : Compagnies de gendarmerie de Nkongsamba, Eboné, Melong et Loum, 2021

2.2. Facteurs de risque d’accidents sur l’axe routier Békoko-Bandjoun

La recrudescence d’accidents sur l’axe routier Békoko-Bandjoun est soutenue par plusieurs facteurs d’ordre naturel, technique et anthropique. Le climat, la topographie, l’état de la chaussée, mais surtout les attitudes des usagers sont parmi tant d’autres les facteurs d’accidents.
2.2.1. Topographie et sinuosité du tracé de l’axe Békoko-Bandjoun, facteurs déterminants de la survenue d’accidents.
La contrainte topographique de l’axe Békoko-Bandjoun constitue un élément important dans la survenue des accidents. En effet, partant de Békoko, le tracé de la route suit la direction SSO-NNE, épousant de fait la ligne du Cameroun constituée des monts. La route nationale N° 5 contourne mont Manengouba (2396 m). Avec un écart d’altitude d’environ 1600 m entre Békoko et Bandjoun, contourner la difficulté du relief a abouti à un tracé de route au caractère sinueux et tortueux (figure n °1).
Figure n°1 : Profil du tracé de l’axe Békoko-BandjounFIGURE1
Source: Google Earth, Djikeng, 2021
Le caractère sinueux et tortueux traduit de fait la présence de nombreux virages dangereux le long de son tracé. Ils constituent des facteurs de risque à la survenue d’accidents. A partir des balises d’annonces de virage levées au GPS le long du tracé, les résultats mettent en évidence l’existence de 202 virages et double virage dangereux le long du tracé (Tableau n°2). Dans nombre de cas d’accidents recensés, l’amorce du virage en vitesse, sur une chaussée défectueuse, par un conducteur fatigué ou du fait du brouillard conduit à des accidents mortels (photo n° 1).
Tableau n°2 : Virages accidentogènes le long de l’axe Békoko-Bandjoun
tableau2
Source : Ngankeu, Djikeng et Tchenwouo, septembre 2021
Photo n°1 : Virage accidentogène dans la ville de Melongphoto1Prise de vue : Ngankeu, septembre 2021
Il faut par ailleurs signaler qu’en cas de faible visibilité du fait du brouillard et de la présence de la végétation, ces virages sont une potentielle source de collision de véhicules venant dans le sens opposé. S’il est vrai que la sinuosité du tracé (du fait de la topographie) et le caractère technique de l’infrastructure influencent sur la survenue d’accidents, il convient tout de même d’interroger les facteurs humains.
2.2.2. Une diversité de pathologies de la chaussée témoignant de l’état dégradé de la chaussée
L’axe routier Békoko-Bandjoun présente un état dégradé de la chaussée, traduit par l’existence de diverses formes de pathologies de la chaussée. En effet, il s’agit d’une infrastructure à deux voies de circulation qui a une emprise de 7 m de chaussée, de 2 m de trottoir et un revêtement bitumé de 5 cm. La structure de la chaussée est composée de plusieurs couches à savoir : la couche de base en grave concassée 0/31,5 mm granulométrie, une couche de fondation constituée de graviers concassés 0/40 et une couche de roulement en béton bitumineux. Elle est faite pour une durée maximum de 15 ans, or les récents travaux de renouvellement du revêtement de cette route datent de l’année 2000 (soit 21 ans). Les différents tronçons présentent des niveaux de dégradations variées (Tableau n° 3).
Tableau n° 3 : répartition des niveaux de dégradation de l’axe Békoko-Bandjountableau3
Source: MINTP/DPPN, 2015
Le défaut d’entretien et de renouvellement du bitume de cette infrastructure conduisent à la prolifération de nombreuses formes de dégradation de la chaussée à l’origine des accidents de la circulation routière. Les formes identifiées et susceptibles d’être à l’origine d’accidents sont de trois types à savoir : les fissures, les déformations et les dégradations (Graphique n°2).
Graphique n°2 : Distribution des pathologies de la chaussée répertoriées sur l’axe Békoko-Bandjoun
graphique2
Source : Ngankeu, Djikeng et Tchenwouo, septembre 2021
Les fissures représentent 29 % des pathologies répertoriées sur la route nationale N° 5 Bekoko-Bandjoun. Ce sont les fissures longitudinales de niveau moyen (20 %), de niveau majeur (34 %) et en carrelage (46 %) (Photo n°2). La prolifération de ces fissures accroit le risque d’accidents. En effet, à la moindre inattention, l’effet tremblant produit par ces fissures conduit généralement à une direction non désirée par le conducteur.
Photo n° 2 : fissures en carrelage au niveau de la localité d’Ebonéphoto2
Prise de vue : Ngankeu, septembre 2021
Les déformations de surface représentent 23 % des formes de dégradation de la chaussée enregistrées le long de la section Békoko-Bandjoun. Elles se manifestent sur le terrain par la présence de nombreux affaissements, généralement de niveau moyen, caractérisés par des dénivellations dont la profondeur se situe entre 20 et 40 mm sous la règle de 3 m. On les identifie sur le tronçon Loum-Mbanga dont l’une des illustrations marquantes se trouve au lieudit péage.
La troisième forme de dégradation de la chaussée observée est le défaut de l’enrobé et la perte du revêtement. Cette forme de dégradation qui s’identifie par les nids-de-poule est la plus représentée (48 %). Les nids-de-poule se caractérisent par des dégradations localisées du revêtement sur toute son épaisseur formant des trous de la forme généralement arrondie, au contour bien défini, de taille (20 à 80 cm de rayon) et de profondeur (10 à 15 cm) variables. En pratique de conduite, il est dangereux pour les conducteurs d’esquiver les nids-de-poule lorsque le véhicule circule à une vitesse élevée (50 km/h). Les manœuvres effectuées pour franchir un nid-de-poule conduisent généralement à une sortie de piste ou à un frottement voire une collision avec un autre usager (Figure n° 2). C’est la principale forme de dégradation de la chaussée incriminée lors de la survenue des accidents de la circulation le long de la section Békoko-Bandjoun.
Figure n°2 : illustration de la trajectoire d’un véhicule franchissant un nid-de-pouleFIGURE2
Source : Réalisation Djikeng, 2021
L’illustration de la trajectoire des véhicules esquivant un nid-de-poule majeur l’expose à deux situations. La première est une sortie de piste de la chaussée pouvant occasionner la bousculade d’un riverain ou un dérapage. La seconde est un contournement du nid-de-poule en circulant sur la voie de sens opposé d’où le risque de collision dû au non-respect du couloir de circulation comme l’atteste cet usager :
« Si tu n’es pas vigilant sur cette route, tu vas finir par faire un accident. Je quitte quelquefois mon côté pour éviter certains trous et c’est un risque, parce que si un véhicule vient dans le sens contraire et en vitesse, on peut envisager le pire », s’indigne Joseph, conducteur dans une agence de voyages. 
Ce dernier à bord de son bus doit éviter au maximum les obstacles en violant quelques fois les règles de conduite.  Au niveau de la bananeraie de Penja, le constat est le même, la route est jonchée de nids-de-poule et même les passagers ne restent pas insensibles face à cette situation (Cameroun Web, 2016). Les gigantesques nids-de-poule et crevasses qui jonchent cette route à grande circulation sont à l’origine de la plupart des accidents meurtriers de la route qui y surviennent (Photo n°3).
Photo n°3 : situation de collision du fait de l’existence de nids-de-poule sur la routephoto3Prise de vue: Njiele (2014)
2.2.3. Facteurs de risque liés aux comportements et pratiques humaines
Outre les facteurs liés au relief, aux pathologies de la chaussée d’autres facteurs au rang desquels les comportements dangereux des usagers, l’intensité du trafic et les pratiques de sorcelleries sont évoqués.
L’un des principaux facteurs de risque d’accidents de la circulation routière le long de l’axe Békoko-Bandjoun est lié à l’activité humaine. Deux approches de lectures sont identifiées. D’une part on relève des accidents du fait de l’excès de vitesse, l’état d’ébriété, le dépassement dangereux et l’inattention des conducteurs. Ces comportements à risque font que l’être humain constitue une cause majeure d’accidents de circulation routière sur cet axe à grande circulation. « L’excès de vitesse constitue la principale cause d’accidents de la circulation routière sur cet axe. Le pire survient généralement lorsqu’un conducteur engage un dépassement parfois même en troisième position et se retrouve en face d’un autre véhicule» selon le récit d’un riverain de la route.
D’autre part, les populations riveraines de cet axe sont à l’origine de cas d’accidents. En effet, le développement d’activités économiques non loin de l’axe routier est facteur de risque élevé d’accidents à cause de l’incivisme de certains usagers. Les commerçants installés le long de la route sont parfois victimes d’accidents sur cet axe notamment dans le cadre de leurs activités. Le drame survient souvent lorsqu’un commerçant, faute d’inattention, voulant traverser la route pour aller proposer sa marchandise à un véhicule ayant fait escale, se fait percuter par un autre véhicule. En outre, on observe la prolifération des points de vente de boisson alcoolisée le long de la route à grande circulation surtout au niveau des grands carrefours, des points de chargement des passagers et d’aires de repos. Des personnes en état d’ébriété sont parfois victimes d’accidents lorsqu’elles veulent traverser l’axe routier.
L’intensité du trafic sur l’axe Békoko-Bandjoun constitue également un potentiel facteur de risque d’accident. En effet, cette infrastructure qui sert de support de connexion entre la région du Littoral, et celles de l’Ouest et du Nord-ouest est fortement sollicitée. Dès le vendredi, le flux de véhicules qui vont dans les régions de l’Ouest et du Nord-ouest est très important (tableau n° 4). Le samedi et le dimanche, on enregistre un grand nombre d’accidents. En effet, la fatigue des conducteurs due au weekend mouvementé aboutit souvent à des accidents.
Tableau n°4 : trafic journalier moyen hebdomadaire sur certains tronçons de la nationale N° 5tableau4Source: MINTP/DPPN, (2015)
En dernier ressort de l’analyse des facteurs de risques d’accidents, il s’est dégagé des entretiens l’existence des facteurs relevant de pratiques de sorcellerie fortement ancrées dans les coutumes des populations des localités traversées par la route nationale N° 5. Trois principales observations sont faites. La première incrimine les propriétaires de véhicules et d’agences de voyage. Les populations croient au fait que disposer d’une certaine richesse passe par des sacrifices humains. La deuxième tendance observée fait remarquer que les pratiques de sorcellerie des populations riveraines sont à l’origine de la dégradation de route et d’accidents. A titre d’exemple le cas du dérapage d’un camion chargé de planche au lieudit carrefour patchi à Bafang qui a occasionné au passage 10 morts et 18 blessés en 2006. La troisième et dernière tendance observée est celle du sorcier du village qui habiterait dans la route (planche n° 1). Le cas le plus récent sur cet axe remonte à 2019. En effet, suite à une dégradation au lieudit lycée technique de Batcho (entre Bafang et Bandja), la route a fini par céder et le bitume a été coupé en deux.
Planche n°1 : Serpent à l’origine de la coupure de la route à Batchoplanche1
Prise de vue : Cliché Cameroun Web (2016)
Les populations des deux villages sinistrés se sont lancées dans des pratiques occultes afin d’identifier la cause réelle du phénomène. Elles accusent le lieu d’abriter un python (Planche n°1), communément appelé « serpent boa ». C’est donc lui qui est à l’origine de ce désagrément. Elles engagent alors des incantations et purifications. Au final, elles sortent du sol le fameux serpent. Les accidents causés par ces différents facteurs engendrent par la suite des implications de divers ordres.  

2.3. Implications sociales des accidents de la circulation

Les accidents de la circulation routière le long de l’axe Békoko-Bandjoun entraînent des dégâts corporels sur les victimes (Graphique n°3), car plusieurs d’entre elles y laissent leur vie et ce sont des familles qui en souffrent. Par contre, celles ayant échappé à la mort gardent des séquelles handicapantes. Ces séquelles peuvent induire la perte de la capacité de production des victimes, les victimes se retrouvent plongées dans une douleur profonde. De fait, tout n’est plus comme avant l’accident, les victimes sont modifiées physiquement et abandonnées à leur sort, car marginalisé par leurs familles et même par la société.
 Graphique n°3 : Variations mensuelles des victimes d’accidentgraphique3Source : Ngankeu, Djikeng et Tchenwouo, septembre 2021
Les accidents constituent de véritables charges pour de nombreuses familles impliquées. Ces charges concernent les coûts de soins médicaux immédiats ou à long terme que les ménages doivent supporter pour sauver leurs malades. Malheureusement il arrive souvent que ces charges contribuent à appauvrir les familles défavorisées dans la mesure où ces dernières ne disposent pas de ressources financières nécessaires pour prendre en charge leurs patients blessés ou handicapés. Elles doivent donc s’endetter pour venir en aide à leurs victimes, ce qui influence négativement les moyens d’existence du ménage au quotidien.
« Depuis que notre papa a été victime d’un accident de la circulation routière non loin de la ville de Mbanga, il ne marche plus, il est sur fauteuil roulant désormais. On doit tout faire pour lui, il représente un fardeau pour nous, car non seulement on doit s’occuper de lui, mais également c’était la principale source de revenus de la famille », nous a révélé une proche d’une victime.
Les accidents de la route ont de lourdes conséquences sur l’économie des pays du Sud, notamment ceux à revenus faibles comme le Cameroun. En analysant le profil du nombre de tués et d’invalides permanents enregistrés le long de l’axe Békoko-Bandjoun, il en ressort que ce sont majoritairement les personnes actives qui sont les plus concernées par les accidents de la circulation routière. Un tel constat constitue un manque à gagner non seulement pour de nombreuses familles qui ne bénéficieront plus de la plus-value des victimes tuées ou invalides, mais également pour l’Etat du Cameroun en termes de PIB, car ce sont les personnes actives qui sont à la base de la production économique.

Conclusion

L’objectif de cet article était d’étudier la sécurité routière découlant de la mobilité inter urbaine le long de la route nationale n°5 Békoko-Bandjoun (Cameroun). Il ressort que les accidents répertoriés le long de la route nationale n°5 assurant la continuité territoriale entre les régions de l’Ouest et du Littoral du Cameroun connaissent des variations en fonction de la période de l’année en termes de victimes tuées ou blessées. La topographie, l’état de la chaussée, mais surtout les attitudes des usagers sont parmi tant d’autres les facteurs de risque d’accidents. Le caractère sinueux et tortueux traduit de fait la présence de nombreux virages dangereux le long de son tracé (202 virages). Ils sont incriminés dans la survenue de cas d’accidents. En outre, le défaut d’entretien et de renouvellement du bitume de cette infrastructure conduit à la prolifération de nombreuses formes de dégradations de la chaussée à l’origine des accidents de la circulation routière. Les formes de dégradations identifiées et susceptibles d’être à l’origine d’accidents sont de trois types à savoir : les fissures (29 %), les déformations (23 %) et les dégradations (48 %). Les comportements dangereux et les pratiques humaines sont également des facteurs à risque. On relève la survenue d’accidents du fait de l’excès de vitesse, l’état d’ébriété, le dépassement dangereux et l’inattention des conducteurs et des populations riveraines. Les pratiques de sorcelleries ne sont pas en reste. Il s’est dégagé des entretiens l’existence des facteurs relevant de pratiques de sorcellerie fortement ancrées dans les coutumes des populations des localités traversées par la route nationale N° 5. La survenue d’accidents de la circulation routière le long de l’axe Békoko-Bandjoun entraîne des dégâts corporels sur les victimes, car plusieurs d’entre elles y laissent leur vie et ce sont des familles qui en souffrent.

Références

Références bibliographiques

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Publié

30/12/2021

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2021,, mis en ligne le 30/12/2021. Consulté le . URL: https://retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=225

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