2022/Vol.4-N°10 : VARIA

4 |LE RECUL DE L’AMÉNAGEMENT ET OCCUPATION DE L’ESPACE DANS LA VILLE DE SAVÈ (BÉNIN)

THE DECLINE OF THE DEVELOPMENT AND OCCUPATION OF SPACE IN THE CITY OF SAVÈ (BENIN)

Auteurs

  • CHABI Moïse Maître-Assistant moise.chabi@gmail.com, Université Nationale des Sciences Technologie, Ingénierie et Mathématiques (UNSTIM) d’Abomey (Bénin)

Mots-clés:

Bénin| Savè| recul d’aménagement| urbain| lotissement| tourisme|

Résumé

La ville de Savè qui a bénéficié des investissements coloniaux au début du siècle dernier fonctionne avec deux pôles conçus suivant deux approches d’aménagement : l’approche endogène dans le noyau ancien et celle introduite par la colonisation que les autorités et les techniciens mettent en œuvre à travers des opérations de lotissement. Le constat montre que le cadre de vie issu des aménagements actuels réduit l’habitat à la maison individuelle et la voirie. On est alors passé à un modèle hybride dans lequel les équipements de sociabilité et le couvert végétal sont rares. L’objectif est de relancer le débat sur la qualité des travaux d’aménagement et d’attirer l’attention des acteurs sur la qualité des opérations urbaines. La méthodologie utilisée se fonde sur la recherche documentaire, l’exploration et les enquêtes de terrain. Les résultats montrent que l’urbanisme n’est plus totalement participatif et l’objectif du lotissement est détourné. 7 des 17 projets lancés en une année, soit 59,42% de la superficie des espaces lotis et 93 réserves foncières sont  non-affectées.    

Introduction

L’histoire de la ville de Savè montre que les habitants avaient leur propre modèle d’aménagement. Ils avaient établi leur modèle d’occupation de l’espace qui leur permettait d’avoir un cadre de vie agréable et des liens de sociabilité très solides. Ils devaient de même se protéger contre les effets de l’érosion pluviale très dangereux avec les collines et contre les eaux d’une rivière qui par moment remontent brutalement. Mais depuis l’arrivée des colons et leur installation, une autre approche d’aménagement a été introduite dans l’occupation de l’espace de cette ville. Défendue par les autorités politico-administratives, cette approche s’est poursuivie et généralisée dans tout le pays avec ses forces et ses faiblesses (A. Tigbè-Azalou, 2015, p.139 ; A. Adégbinni et al., 2021, p.487). En observant le cadre de vie de cette population, leur approche endogène d’aménagement semble aller au-delà de l’habitation.  Elle fait le lien entre l’homme, la société et la nature (P. Akponna, 2022, p.7). Contrairement à cette perception, les travaux des techniciens commis pour appliquer la nouvelle approche, laissent penser que l’habiter est seulement limité à la maison familiale ou individuelle et les rues.
Or selon A. Balocco et al. (2014, p.13), « La question de l’habiter déborde largement le cadre de l’aménagement. Les sciences humaines, sociales et politiques ainsi que la philosophie ont montré depuis fort longtemps que l’expression d’« espace habitable » révèle bien plus de sens que le rapport de chacun à sa maison, son abri, son toit, son véhicule. La question de l’habiter renvoie au cœur d’une question sociétale ancienne, celle de la cohabitation territoriale.»
Si la question d’habiter se réduit de plus en plus à la maison et son confort, c’est probablement parce qu’elle est conduite aujourd’hui sous les angles de la technologie et de l’économie (G. Chaffa, 2004, p.2 ; ONU-Habitat, 2010, p.9). L’accent mis sur ces angles conduit au recul des exigences en matière d’habiter, de la qualité du cadre de vie et des rapports sociaux dans certaines villes comme Savè
Située au centre du Bénin à 255 km de Cotonou (carte n°1), Savè est une ville secondaire de première génération et une des sept têtes de pont de la civilisation Yoruba (J. O. Igué, 1979, p.46). Elle a accueilli les colons français vers la fin du 19e siècle. Peu de temps après leur arrivée, ils se sont retirés de la ville traditionnelle pour créer un second pôle sur le plateau qui reste jusqu’à ce jour la zone administrative et de commandement. Cette ville a émergé au pied d’une chaine de collines, appelée Les Mamelles de Savè.Du pied de cette chaine, la ville s’est étendue à l’Ouest sur un vallon dont le fond correspond à la rivière Anhin qui traverse la ville du nord au sud. Ce cours d’eau se présente aujourd’hui comme une limite naturelle entre le noyau ancien dans lequel siègent le roi et sa cour et le pôle administratif avec ses quartiers mis en place par les administrateurs coloniaux, situé sur le plateau ouest. Un second cours d’eau, Danguihin passe par le sud-est avant de se jeter sur le premier. Les deux prennent leurs sources au pied des grottes. Ce site qui apparaît pittoresque à l’approche de la ville est structuré à la fois par des éléments naturels et par diverses formes d’interventions humaines ; mais il présente des contraintes majeures à son aménagement. En effet, la moindre pluie se traduit par des ruissellements assez forts. De par sa position géographique, cette ville est très ouverte, accessible de tous les côtés : trois routes la traversent Cotonou-Parakou-Niger(RNIE2), Porto-Novo-Kétou-Parakou (RNIE26) et Nigeria-Savè-Cotonou/Parakou (RNIE5) et plusieurs pistes par lesquelles on peut rejoindre d’autres territoires proches.
La présence de deux pôles fonctionnels autour desquels les habitants se sont organisés permet d’observer dans cette ville deux approches d’aménagement urbain. Si l’un se meurt, celui qui est en vogue apparaît comme un recul. L’analyse de ce recul sera faite à travers la muraille, les places publiques et la foresterie de la ville. Ainsi, l’objectif de ce travail est double. Il vise d’une part à relancer le débat sur la qualité des travaux des opérations d’aménagement du cadre de vie en lien avec les héritages des civilisations locales et, d’autre part à attirer l’attention des acteurs de terrain à sur leurs choix qui peuvent devenir des sources de problèmes (cf. Carte n°1).
Carte n°1 : Situation Géographique de la ville de Savè

Méthodologie

1. Méthodologie : de la recherche de la modernité au recul

1.1. Approche méthodologique

La méthode a consisté à l’exploitation de la documentation disponible et à la collecte des informations spécifiques dans la commune, notamment les archives de la mairie de Savè. A cela se sont ajoutées les enquêtes qualitatives auprès des personnes ressources de la localité, notamment les membres de l’association des retraités. Ce travail a permis de s’entretenir avec dix  personnes ressources, les techniciens et les agents de la mairie. Une enquête exploratoire a été menée sur le site de l’ancien noyau et celui du premier lotissement. Le noyau ancien de cette ville apparaît comme un îlot des éléments qui témoignent de certaines formes d’aménagement. L’observation des références historiques témoins sur le terrain et auxquelles les enquêtés ont fait référence: les anciennes places, la muraille, etc.

1.2. Outils et matériels utilisés

Cette recherche a nécessité quelques outils et matériels parmi lesquels : les plans de lotissement dont celui de la voirie et des équipements comme le montre la figure n°1, les plans de situation, des cartes d’occupation du sol qui ont permis d’apprécier la couverture végétale, etc. A ces documents, s’ajoutent les logiciels AutoCad, Qgis pour la cartographie, le captage des images sur Google Earth. De même, nous avons exploité des photos d’archives privées, etc. L’exploitation et la mise en commun de ces différents éléments ont permis d’aboutir à des résultats concrets.

Résultats

2. Résultats : une ville et deux modèles d’organisation de l’espace

La ville de Savè fonctionne avec deux pôles urbains : le noyau ancien et la zone administrative. Le premier est fondé sur l’approche endogène alors que le second est fondé sur l’approche coloniale voire moderne.

2.1. L’approche endogène d’aménagement et de gestion du cadre de vie

2.1.1. La muraille : une sorte de zone des 50 pas géométriques
Avant la colonisation, la ville de Savè évoluait au pied des monts avec un seul pôle constitué autour du palais royal. Ce pôle appelé ici noyau ancien était entouré d’une muraille qui servait à la fois de rempart de protection mais aussi, la limite à partir de laquelle les gens ne pouvaient plus construire leur habitation. A l’Ouest, cette muraille se trouvait entre 200 et 300 m de la rivière Anhi. Elle séparait l’espace occupé par les habitations de la berge. Selon les témoignages, même les personnes âgées se noient dans les eaux de cette rivière qui deviennent toujours dangereuses pendant la pluie du fait qu’elles descendent des pentes très fortes des collines. Sur cette berge, personne n’était autorisé à construire. Les seules activités acceptées dans cette bande étaient le maraîchage (par endroits) et des activités spirituelles : les chasseurs et les prêtes de fa (babalawo) y avaient chacun leurs autels. Probablement, ils contribuaient à protéger davantage la population, puisque ces deux autels étaient interdits aux femmes et jeunes enfants. C’était uniquement en saison sèche que ces deux groupes sociaux pouvaient descendre dans le lit pour y puiser de l’eau. Bien que l’objectif premier de cette muraille ne fût pas de créer une barrière de protection de la population contre la furie des eaux, elle avait été exploitée dans ce sens. Cette interdiction avait permis à la fois de protéger la population et la berge qui était devenue une forêt de gros arbres.   
La ville ayant perdu sa muraille, la barrière est devenue franchissable et la berge accessible à tout le monde. Désormais, beaucoup d’activités s’y organisent; les gens y ont érigé des maisons. Aujourd’hui, cette bande, considérée comme zone non-ædificandi, a été lotie dans sa partie nord et occupée par la population comme le montre la figure n°1. Il est vrai qu’avec l’évolution des techniques de construction et d’aménagement, on peut estimer qu’une bande de 300m est largement au-dessus des normes. Le constat montre que les normes ne sont pas respectées dans l’élaboration des plans de lotissement et qu’il n’existe aucune barrière proposée pour protéger les riverains bien que la partie lotie soit fréquemment inondées. En outre, ce lotissement est contraire à la politique actuelle de la mairie qui a initié deux projets d’aménagement de cette berge. Ce hiatus révèle les problèmes de gestion entre les acteurs locaux. Les pluies inondent souvent les maisons qui sont érigées autour de la berge. Certaines d’entre elles  se sont fissurées ou sont devenues inhabitables. C’est le cas des maisons de la rue Zongo-Djaloumon. Ce comportement met les riverains en danger, mais il convient de les amener à respecter les normes d’occupation de l’espace.
Figure 1 : Extrait du plan de lotissement                         Source : Rapport CEDED, 2013, p.64
 Planche photographique 1 : Étang de la rivière Anhi et des habitations
Source : Chabi, Juillet 2022
2.1.2. Les places publiques locales
Les places constituent un élément important du cadre de vie de la ville de Savè. On en distingue quatre catégories.
2.1.2.1. Les marchés comme place publique
Certains marchés jouaient à la fois le rôle de place et d’espace marchand. Ce sont les marchés Idi-Iroko et Obada. Idi-Iroko représente un modèle de place dans le monde yoruba, notamment dans les cités royales (J. O. Igué, 2008, p.72). Il jouxte le palais et permet au roi et à sa cour de s’adresser à leur peuple puis, il permet aux reines et princesses de s’approvisionner en produits de première nécessité. A Savè, cette place abrite un autel, matérialisé par l’arbre iroko sous lequel les gens restent pour faire des cérémonies et des offrandes. Elle s’étendait voire se confondait à la place Ojulè où aurait été offert en sacrifice un des princes. Cette dernière vient d’être aménagée par la mairie. Quant à Obada, cette place transformée en marché s’appellerait Obadarijin, « le roi a pardonné ». En effet, c’était là que le roi Mamadou de son retour d’exil avait reçu son peule et pardonné ses ennemis, alliés des colons. Ce fut après cette cérémonie qu’il aurait rejoint le palais. Quant au processus de sa transformation en marché, il reste peu clair. Ici aussi, cet équipement marchand a été victime du tracé de la rue Obada-Djangbé-Douane.
2.1.2.2. Les places dédiées aux animations culturelles et cultuelles
Il y avait des places dédiées aux animations culturelles des groupes folkloriques ou aux offrandes aux orisa (dieux) qui se terminent également par des chants et des danses. Les plus connues sont les places de gèlèdè au quartier Oogbo (Boni) et Oké-Odo à Kingou (Adido). Elles ont été supprimées ou réduites par des aménagements ou des pressions foncières. Celle de Oogbo a été prise par la rue Akparè-Idi-Iroko alors que sur une partie de celle de Kingou ont été érigées des habitations. L’existence de ces places publiques dédiées au gèlèdè témoigne du dynamisme de ces activités culturelles dans le milieu sabè. De même, leur absence a contribué à leur affaiblissement; n’ayant pas de prise sur les autres places, les acteurs n’organisent plus cette activité pourtant les places gèlèdè avaient un impact économique et touristique important. En effet, les nuits de leur sortie, beaucoup de commerçants profitaient pour vendre leurs articles.
Outre les places de gèlèdè, il existait des places dédiées aux cultes. Au centre de ces places, on retrouvait un autel (orisa) auquel les gens faisaient des offrandes.  C’était le cas de Fiditi, site de premier palais royal, de Ojulè (encore appelé Kouè) à l’entrée du palais, etc. En dehors de celle de Ojulè qui a été restaurée en 2021, les autres places de cette catégorie se meurent.
2.1.2.3. Les places des quartiers
Dans la plupart des quartiers de Savè, il y avait des places qui jouaient le rôle des espaces de sociabilité. Les petits quartiers qui n’avaient pas cette place avaient une structure particulière, leur permettant d’avoir une grande cour. Au centre de cette place ou cour, il y avait souvent un arbre. C’étaient surtout le baobab (Adansonia digitata), l’akée/aki (Blighia sapida) et le ficus sp (agbèdè) qui jouaient ce rôle pour les places arborées. Au pied de ces arbres s’organisaient certains jeux comme le domino (ayo) et des causeries. Le cas du baobab était encore plus intéressant; il y en avait plus de vingt dans la ville. Les habitants du quartier se retrouvaient de temps en temps sur ses grosses racines aériennes transformées en banc public. C’était le cas de Djabata-Ogbo et de Gbodomi, deux quartiers bâtis sur le granit et où aucun autre arbre n’avait pu grandir. La population se retrouvait sous leur baobab. Les places arborées servaient de lieu de détente pour les habitants du fait de leur ombrage et permettaient aux membres d’organiser des réunions et des cérémonies. Elles jouaient aussi le rôle de point de vente du quartier notamment pour le petit déjeuner et le goûter, fournissant des mets comme la bouillie, le beignet, le haricot, etc.
2.1.2.4.  Les places réservées aux échanges
Il existait des places exploitées pour des activités économiques, notamment le transport. A côté de cette principale activité étaient installés des vendeuses. C’était le cas de la place de garage à Djangbé et de Ita-Djègèdè. Si la deuxième a été successivement affectée par l’aménagement des routes, la seconde a été victime de la crise. Ces deux places n’auraient jamais accueilli d’autres activités.   
Ces places avaient subi des pressions d’aménagement comme l’ouverture des rues de 1986 qui n’avait pas épargné beaucoup d’entre elles et l’extension des habitations du noyau ancien. Personne n’a su les préserver car soit on a sous-estimé leur importance, soit on les a mal identifiées. En effet, elles n’ont pas été délimitées et séparées de l’espace du cadre de vie habituel des quartiers. De plus, leur double statut semi-public et semi-privé (public en matière d’exploitation et privé quant à la propriété du sol) n’a pas permis de s’opposer à leur utilisation pour des habitations. Comme on l’a dit, ces places bénéficiaient d’une couverture végétale importante.
Carte n°2 : Spatio-cartes des enjeux urbains de Savècarte2
2.1.3. La couverture végétale de la ville de Savè  
Elle est constituée de trois catégories : les arbres de la cour, les plantations et les forêts
2.1.3.1. Les arbres de la cour : lieu de renforcement des liens familiaux
Certaines cours avaient de gros arbres de plusieurs décennies d’âge qui servaient d’espace de sociabilité. Ces arbres se retrouvaient dans les grandes cours souvent partagées par plusieurs ménages. Ils y jouaient plusieurs rôles. Outre leur rôle d’ombrage pour entretenir la place familiale du quartier, ces arbres ont beaucoup d’autres vertus dans l’alimentation et la médecine. Rien ne prouve que les arbres des cours aient été plantés par les habitants ou les propriétaires de ces maisons. Il s’agirait plutôt, selon les témoignages, des arbres naturels que les occupants auraient laissé grandir. C’était surtout le cas des baobabs mais le ficus sp (agbèdè) était planté ou s’élevait d’une palissade à partir de ses tiges.
2.1.3.2. Les espaces boisés, la préférence aux tecks
A ces arbres des cours, s’ajoutaient des plantations privées, notamment les tecks. Il y avait trois plantations privées de tecks : celle de Kaboua-Ogbo, d’environ un hectare, était à la périphérie sud de la ville, celle de Kpabaï et la troisième appartenait à l’église catholique, dans le domaine des religieuses. L’érection des habitations a eu raison de ces trois teckeraies. Ainsi, comme le montre le tableau n°1, les plantations de la ville de Savè ont été toutes détruites. Malgré son utilité et sa présence dans la vie des ménages, le teck apparaît très peu dans les quartiers contrairement au manguier.
2.1.3.3. Les forêts urbaines et périphériques
Il y avait trois catégories de forêts urbaines.
- Les poches de forêts entretenues par des collectivités entre Tchougbé et Oogbo, dans le secteur Zongo-Kpabaï et celle de Anhensi. On y trouvait plusieurs espèces de végétaux.
- La bande de forêt qui longeait la berge de la rivière Anhi. Elle s’étendait sur environ 5 km et se terminait par une épaisse forêt dominée par des manguiers appelée Igbo-Balogoun. Cette forêt était exploitée par endroits pour le maraîchage et surtout voulue pour les vertus de ses arbres.
- Quant à la chaîne de collines, Les Mamelles, elle était aussi bien couverte de végétation. Au pied des collines, les arbres servaient aux riverains. L’observation montre qu’elles ont perdu une grande partie de leur couverture végétale par les feux et les prélèvements de bois.
Carte n°3 : Etapes de l’évolution de la ville de Savècarte 3
2.2. L’approche moderne d’aménagement du cadre de vie
2.2.1. L’expérience d’aménagement des colons
Le programme d’aménagement urbain initié en 1917 par l’administration coloniale à Savè était l’une des premières opérations en la matière au Bénin. Ce programme qui était une réponse à une préoccupation de cette administration, avait permis d’organiser l’occupation de l’espace pour accueillir à la fois les équipements et les travailleurs. Ainsi, la ville connut son premier lotissement (quartier Zongo et zone administrative). En dehors du terminus des chemins de fer, des sociétés de traite, du campement militaire, etc. dont on devrait organiser l’installation, un terrain de sport, une école, une place publique ont été également aménagés en faveur des habitants. A la suite de ce lotissement, toutes les rues projetées ont été plantées d’arbres, certaines de part et d’autre. De l’entrée de la mairie à l’ancienne gendarmerie (RNIE2), passant par l’école primaire Plateau, il y avait de part et d’autre de la rue des calcedras (iroko) dont la présence donnait un caractère imposant à ce lieu du pouvoir. Ces calcedras ont été coupés par un des sous-préfets et n’ont été remplacés que ces dernières années par des plants qui ne peuvent pas avoir les mêmes impacts. Les rues de la gare ferroviaire, du CARDER (Centre Action Régionale pour le Développement Rural) au marché de Zongo en passant par la CAITA (Compagnie agricole et industrielle des tabacs africains), du monument aux morts, etc. étaient jalonnées de manguiers ou de kapokiers.  
Faisant suite à ce programme, l’administration coloniale avait aménagé et planté des arbres sur chacun des deux grands axes de circulation qui reliaient ce pôle au noyau ancien, notamment : la portion de la ville allant du service des TP à Ita-Djègèdè sur la route Cotonou-Niamey et la portion allant de la Mairie au marché Obada/Palais royal sur la route Savè-Nigeria (Cf. carte n°1). Sur le premier, étaient alignés des manguiers et sur le second des kapokiers. De même, les clôtures des trois écoles qui existaient à cette époque (école régionale, école catholique et école protestante) étaient faites des plantes ornementales, des fleurs de couleurs variées.
Au vu des éléments de ce programme, l’administration coloniale était allée jusqu’au bout de son processus d’aménagement. En effet, ce programme comportait non seulement différentes catégories d’équipements : administratif, militaire, transport, formation, loisir, etc., mais aussi, la voirie projetée et réalisée était plantée d’arbres pour compenser une partie des pertes en ressources forestières.
Mais les arbres de ces rues ont été coupés ou sont morts sans jamais être remplacés. Certains d’entre eux ont été adoptés et intégrés au cadre de vie local. Ainsi, par exemple le manguier et le neem (margousier) sont de plus en plus présents aujourd’hui dans les cours que beaucoup d’anciennes espèces du milieu. Mais le neem n’est plus aussi très prisé. S’il n’a pas perdu sa valeur, sa place dans la cour et dans l’espace urbanisé diminue au fil des années du fait de ses puissantes racines qui renversent les murs. Ainsi, lorsque le neem atteint un certain âge, ceux qui l’ont à proximité de leur maison n’hésitent pas à s’en débarrasser.
2.2.2. Les nouvelles extensions : les opérations de lotissement
L’expérience coloniale d’aménagement a été adoptée, notamment par les administrations qui l’ont poursuivie sous la forme de lotissement. En effet, depuis toujours ce sont les autorités qui organisent et mettent en œuvre la politique locale d’urbanisme (Loi n°97-029 du 15 janvier 1999, article 84). Et bien qu’il y ait des comités de lotissement pour suivre les travaux en faveur des bénéficiaires, cette approche émane du haut ; elle est donc imposée à la population. « Ce qui suscite des inquiétudes » (A. Adégbinni et al, 2022, p.15). La preuve est donnée par le nombre total des opérations qui a atteint 17 dont 7 ont été lancées en 2002, soit 41,18% du nombre des opérations et 59,42% de la superficie totale évaluée à plus de 2504 ha (cf. figure n°1, tableau n°1). Ces opérations sont de plus en plus rapprochées ces dernières années. Bien que ces lotissements aient permis d’organiser l’installation de la population et d’y mettre quelques équipements, leurs caractéristiques ne permettent pas d’affirmer qu’ils offrent un cadre de vie agréable à ses occupants. Selon les données de la Mairie, des 93 réserves administratives, soit plus de 100 ha, il n’y a aucune place publique, pas d’espace boisé, pas de terrain de sport en dehors du complexe sportif de la commune. Un seul espace vert est envisagé, mais il reste à le confirmer et un seul marché. Par contre, un nombre très élevé (70) de réserves qui ne sont pas affectées, soit 75,27% des réserves administratives. Or le constat montre que la plupart des réserves foncières de cette catégorie sont vendues pour faire face aux problèmes budgétaires (A. Tingbé-Azalou, 2015, p.139; M. Chabi, 2016, p. 140). Elles font poser la question de qui réalise effectivement l’aménagement dont on dit participatif (M. Chabi, 2016, p.140) puisqu’il revient au maire de décider de leur affectation. Le contenu de ces aménagements laisse alors penser qu’on a probablement affaire à un lotissement constitué presqu’entièrement des habitations et de la voirie. Les espaces de sociabilité y étant absents, les rapports sociaux entre habitants pourraient donc être affectés négativement.
Tableau n°1 : Opérations de lotissement dans la ville de SavèTableau 1
Source : Enquête de terrain, Mairie de Savè, Èlègbè J, 2008
Ce tableau montre que tous les secteurs périphériques de la ville sont lotis ou sont dans un processus de lotissement. On peut également remarquer qu’un temps relativement long s’est écoulé entre les 4 premières opérations (1917, 1960, 1970 et 2001) : de la première à la deuxième 43 ans, de la 2e à la 3e, 10 ans puis 31 ans entre la 3e et la 4e. En 80 ans d’opération, moins de 500 ha ont été lotis alors qu’en l’année 2002 seulement plus de 1488 ha ont été lancés.
La superficie d’une parcelle étant 500 m2 à Savè avec un prélèvement de 33%, théoriquement, ces opérations aboutiraient à 21 350 parcelles. Cela paraît énorme pour une ville soumise à une forte émigration (INSAE, 2013). A supposer que 1000 ménages s’y installent par an, on ferait plus de 21 ans avant de consommer les parcelles produites en 2002. Or après cette année, d’autres projets ont été lancés comme ceux de 2006. En outre, certaines parcelles des anciens lotissements demeurent non encore bâties jusqu’à ce jour. C’est dire que le nombre de parcelles produites dépasse toujours et largement la demande. Les trois projets ouverts la même année et les nombreuses parcelles non-bâties traduisent que l’ouverture de nouveaux secteurs au lotissement ne suit pas la demande en parcelles de la population. Or selon la loi citée plus haut, c’est le pouvoir local qui autorise et détermine les objectifs d’une opération de lotissement conformément à sa politique. Les auteurs du schéma directeur d’aménagement de la commune ont souligné les faiblesses des opérations qui s’y déroulent. Pour eux, les lotissements réalisés sont « sauvages » et mal gérés (C. Gilsene, 2006, p.2 et 37).Toute la politique d’aménagement semble donc se concentrer sur les opérations de lotissement.
De plus, en supprimant les arbres, les autorités actuelles ne proposent pas de les remplacer comme l’administration coloniale l’a fait en bordant les rues des arbres. Il n’y a que quelques portions de rues pavées qui sont plantées d’arbres. C’est le cas de la rue en face de la Mairie et celle allant de la RNIE2 au centre universitaire. La taille des parcelles est telle que certains arbres ne peuvent pas y rester comme dans les grandes cours du noyau ancien. Lorsque certains arbres comme le neem (margousier) atteignent un niveau donné les propriétaires les coupent pour éviter qu’ils ne démolissent pas leurs habitations. L’écosystème urbain local risque d’être affecté avec des conséquences sur la santé de la population. 
En se fondant sur la forme d’occupation de l’espace et l’habitat du noyau ancien, les pratiques d’aménagement actuelles font abstraction de cet acquis et constituent une rupture pour cette société. Le pouvoir local a un rôle important dans la forme actuelle et surtout l’extension trop rapide de la ville. En concentrant les efforts sur les opérations de lotissement, le pouvoir local limite ou rend difficile la possibilité de diversifier et d’enrichir le mode d’organisation et d’occupation de l’espace.
2.2.3. La foresterie urbaine en diminution
L’habitat local du noyau ancien était riche en couverture végétale. Le modèle urbain développé actuellement ne favorise pas la conservation de cette foresterie ; les nouveaux lotissements, sinon la politique urbaine locale, ne mettent pas en relief la nécessité de planter des arbres (Tableau n°2). On peut aujourd’hui affirmer qu’il y a un net recul dans la foresterie et l’aménagement dans la ville de Savè et ce au fur et à mesure que les habitations se multiplient.
Tableau n°2 : Évolution du couvert végétal et de l’occupation du sol à Savètableau
Source : Conçu à partir des travaux de Saliou, 2015
* Cette rubrique prend en compte les villages périphériques
Ce tableau montre que l’étendue des formations végétales de la ville de Savè a été sensiblement réduite contrairement à l’occupation du sol par les habitations. Il confirme que toutes les plantations ont non seulement disparu, mais aussi il n’y a plus de nouveaux arbres plantés. Cela paraît grave pour maintenir la qualité du cadre de vie. Mais, il ne s’agit ici que des années ‘’récentes’’. Les pertes ont été énormes et très rapides au cours des décennies 1970 à 1990. Au cours de ces décennies, la ville a connu une forte sécheresse qui a affecté le couvert végétal puis un essor économique et démographique fulgurant (S. Adam, 2017, p.41). Cet essor s’est traduit par des opérations d’aménagement foncier et une forte occupation du sol qui n’a pas été favorable à la végétation. A cette époque, plusieurs superficies de végétation des rues, des cours et celles des plantations ont été perdues.
Dans la même période, on a perçu en certains arbres des activités de sorcellerie. Pour ce faire, on les a coupés. De même, pour éviter que le vent fasse tomber des arbres sur le toit et occasionner des dégâts, les ménages proches de certains arbres les coupent sans même chercher à savoir si cela est légal ou non.
Si certains arbres de la zone administrative résistent encore, la plupart d’entre eux ont été détruits. Force est de constater que certaines autorités politico-administratives ont participé à cette destruction. Et malgré les journées de l’arbre et la politique actuelle de développement durable, la foresterie urbaine de la ville de Savè va en s’appauvrissant. Si les habitations justifient qu’on ne puisse pas remplacer ceux des secteurs occupés, il reste difficile à comprendre les raisons pour lesquelles les rues ne soient pas plantées. Les deux grands axes plantés par l’administration coloniale sont aujourd’hui sans aucun pied d’arbre  Et ce n’est pas la possibilité de les remplacer qui n’existe pas. Maintenant que le bitumage des deux axes est réalisé, il serait intéressant d’y remettre les arbres. Avec l’effectif de la population, le besoin en arbres aujourd’hui est plus important qu’hier.  
Mais lorsqu’une ville est dépourvue de sa flore, les conséquences sont nombreuses et parfois désastreuses (J. Éwédjè, 2020, p.9). Selon S. ADAM (2017, p.59), « La végétation a un rôle de purification de l'air et de l'eau… » Ainsi, quand une ville perd sa flore, l’air et l’eau sont négativement affectés, de nombreuses particules restent suspendues dans l’atmosphère de la ville. Cela débouche sur certaines affections maladives, l’augmentation de la chaleur et la baisse de la qualité de vie. Selon R. Heliot et al (2010, p 75), la végétation urbaine joue le rôle de « climatisation naturelle » pour atténuer l’intensité de cette chaleur et incite la population à la circulation douche et la promenade. La perte du couvert végétal facilite également l'érosion pluviale (F. Rey et al, 2004, p.993); elle augmente la vitesse du ruissellement et du vent. Ces deux phénomènes portent atteinte aux aménagements réalisés. Par exemple, plusieurs ponts de la ville ont été rendus impraticables par la force du ruissellement. Ainsi, ces pertes ont des conséquences sur le cadre de vie de la population. En outre, la perte de la flore urbaine se traduit par la perte de la beauté du paysage urbain. Ainsi, quand on est au sommet ou sur une partie des collines, on ne perçoit pratiquement que des tôles aux couleurs du bois, atteintes de rouille. Contrairement à ce qui a été décrit par certaines personnes, le paysage urbain a aujourd’hui perdu sa beauté des temps passés.

Conclusion

Le recul en matière d’aménagement urbain se fait remarquer presque partout aujourd’hui et de plus en plus. Sous la pression à la fois économique, technique et démographique, l’habitation se résume à la maison individuelle alors que les liens sociaux sont fragilisés, la qualité du cadre de vie est réduite parfois inconsciemment. On tente de la remplacer par le confort personnel. Dans les petites villes comme Savè, la question du recul ne se pose pas de la même manière du fait de la disponibilité de vastes superficies de terres couvertes de végétation. Mais le défi reste le même : maintenir ou améliorer la qualité du cadre de vie et les liens de sociabilité.

Références

Références bibliographiques

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Publié

31 Décembre 2022

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=264

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