2022/Vol.4-N°10 : VARIA

14 |ANALYSE SOCIOLOGIQUE DES DETERMINANTS DE L’ABANDON ET DU RENONCEMENT A LA CONSULTATION PRENATALE (CPN) PAR LES FEMMES MULTIPARES EN MILIEU IFE AU CENTRE DU BENIN

SOCIOLOGICAL ANALYSIS OF THE DETERMINANTS OF ABANDONMENT AND RENUNCIATION OF PRENATAL CONSULTATION (PNC) BY MULTIPAROUS WOMEN IN IFE ENVIRONMENT IN THE CENTER OF BENIN

Auteurs

  • MELIHO Pierre Codjo Enseignant-Chercheur, Maître Assistant des universités pmeliho@gmail.com, Université Nationale d’Agriculture (UNA, Porto-Novo, Bénin)
  • Ottokou Adam Codjo Assistant adamottok@gmail.com, Université d’Abomey-Calavi (UAC-Bénin)

Mots-clés:

Renoncement| satisfaction| Ifè|

Résumé

Cette recherche analyse les facteurs explicatifs de la satisfaction des femmes multipares et leur influence sur la consultation prénatale dans l’aire culturelle Ifè à Doumè dans la Commune de Savalou au centre du Bénin. La démarche méthodologique utilisée au cours de cette recherche est fondamentalement qualitative, ce qui a permis d’utiliser les techniques d’observation directe et de l’entretien semi-directif. Au total 19 informateurs ont été approchés par l’échantillonnage à choix raisonné pour collecter des matériaux empiriques primaires triangulés dans la perspective de l’analyse de contenu appuyée par l’approche compréhensive et le modèle systémique de soins préventifs. Les résultats montrent que divers facteurs expliquent le renoncement et l’abandon des CPN par les femmes multipares. Ils sont classés par trois niveaux. Primo, il y a les facteurs individuels (illness) marqués par le faible niveau d'instruction, la perception de l’accueil et le profil socio-économique des femmes multipares. Secundo, la recherche met en exergue les facteurs collectifs représentatifs de l’environnement social des femmes sous la forme expressive du pouvoir de décision d’aller à la CPN détenu par l’époux, les ascendants et autre personne influente faisant partie du groupe organisateur de la thérapie, le genre et la perception sociale de la grossesse (sickness). Tertio, il est noté le rapport à la relation aux soins (disease) soutenu par la sous information des mères multipares sur la CPN. Ce dernier facteur est renforcé par la complicité, la construction des relations parallèles et l’accueil sur fond de relation patrimoniale, amicale et du clientélisme entre soignant et soigné.

Introduction

En Afrique, les mythes, valeurs et croyances autour de la grossesse influencent significativement le comportement de la femme dans le recours aux soins pré et post natals. Cette réalité enchâssée dans la culture, induit parfois les acteurs du monde social et ceux de l’arène médicale dans un conflit de relation au cours du suivi de la grossesse. Ainsi, l’écart qui résulte de ce conflit entre les deux arènes trouve son origine à partir de l’étape où les femmes s’inscrivent dans une logique d’interruption ou d’abandon du suivi médical (S. Carillon, 2010, p. 2) pendant la grossesse. En effet, questionnant les femmes sur la façon dont elles parviennent ou non à s’approprier la médicalisation de la vie (P. C. Mêliho, 2015, p. 132) en rapport avec la maternité, il s’est avéré que « la grossesse aujourd’hui si elle n’est pas pathologique, elle est médicalisée » (J. Béatrice, 2007, p. 2). Cette conception laisse croire que les prescriptions et recommandations de la santé publique s’imposent à la femme comme condition dont dépend le suivi de sa grossesse. Autrement, la médecine clinique considère la consultation pré natale comme un fait universel, qui doit se détacher de l’individualisme des femmes, voire des acteurs de l’environnement socio familial. Or, le rôle joué par les acteurs de l’environnement social de la femme dans le suivi de la grossesse est capital et non négligeable, reposant donc sur des connaissances, savoirs, expériences et croyances qui ont un fond patrimonial. C’est dire qu’on observe « une division sociale dans le suivi de la femme enceinte dans la communauté » (A. Laly, 2016, p. 84)
En réalité, cette divergence de regards autour de la CPN met en relief l’inobservance thérapeutique, qui anime le débat actuel en étique de santé publique. Pour A. M. Louchez (2017, p. 75) « la thématique de l’observance nous amène à nous questionner sur notre système de santé et son adaptation à ces nouveaux enjeux » sociaux et conjecturels. On comprend donc que cette problématique de l’inobservance rime avec la notion d’interruption, d’abandon et de renoncement à la consultation pré natale. Elle fait partie des objets de recherche en sciences sociales, notamment en sociologie et en anthropologie de la santé afin de permettre une mesure objective de ses causes, de ses conséquences et de ses solutions (A. M. Louchez, 2017, p. 74). Malgré l’engagement de la politique sanitaire globale et des efforts de tous les acteurs d’aider la femme à conduire sa grossesse à une issue heureuse, des irrégularités liées au suivi de la grossesse sont constatées. Celles-ci sont rassemblées dans le panier de l’inobservance des normes médicales relatives au suivi de la grossesse. Ce qui renforce les complications répétées, causes de la mortalité maternelle et infantile pendant que les sciences médicales mettent tout en œuvre pour les éviter. Il se dégage à cet effet que l’observance du suivi médical de la grossesse, ne dépend pas uniquement du fonctionnement de la structure sanitaire, mais aussi et surtout de l’individu (la femme enceinte) et de la relation de soins (S. Carillon, 2010, p. 2) sans ignorer l’influence du corps social d’appartenance. 
Au continuum de la réflexion de S. Carillon (2010), cet article restitue une contribution de la sociologie au débat actuel sur l’inobservance des normes relatives à l’étique de santé publique en matière du suivi de la grossesse en milieu ifè de Doumè dans la Commune de Savalou au centre du Bénin. Il s’agit bien d’un contexte où la réduction de la mortalité maternelle et infantile préoccupe tant les politiques nationales qu’internationales de santé publique ainsi que les acteurs de l’arène périphérique. Aussi, la réflexion sur l’inobservance des CPN est-elle appréciée du fait que les services de maternité démontrent comment le personnel soignant s'intéresse à l'évolution de la grossesse et en l’occurrence l'état de santé du couple mère-enfant. En fait, l’anthropologie médicale, après avoir démédicalisée la maladie en intégrant dans les objets de recherche les représentations sociales et les logiques thérapeutiques y afférentes en contexte large (P. C. Mêliho, T. T. Dikpo, 2019, p. 110), développe aujourd’hui ses outils pour questionner les systèmes et politiques de santé dont l’observance des CPN est un aspect fondamental abordé ici. Ainsi, partant de l’hypothèse que, « le recours au suivi médical de la grossesse est fonction de la satisfaction des femmes multipares des services à elles offerts », leurs perceptions sociales et celles de leur entourage sur la CPN sont interrogées pour expliquer les marges observées en milieu ifè à Doumè dans la Commune de Savalou. L’objectif général de cette recherche est d’analyser les déterminants liés à la satisfaction des femmes multipares et leur influence sur le suivi de la grossesse en contexte clinique. L’intérêt scientifique de la présente recherche repose sur le fait qu’avoir une bonne compréhension du sens de la grossesse en milieu ifè à Doumè va favoriser une meilleure acceptation des réponses apportées par les matériaux de terrain pour illustrer le drible de la consultation prénatale par renoncement et abandon des femmes expérimentées de l’environnement médical d’accouchement. En conséquence, la présente recherche apporte des informations à travers lesquelles les professionnels de la santé maternelle et reproductive sont invités à prendre en compte les comportements subjectifs des femmes multipares pour mieux s’occuper d’elles en cas de suivi pré et post natals. Pour y parvenir il a été proposé une méthodologie inspirée de l’approche sociologique.

Méthodologie

1. Matériels et méthodes

L’armature méthodologique a porté sur deux aspects, notamment la présentation et la justification du cadre de la recherche et l’organisation de la collecte des matériaux.

1.1. Présentation et intérêt du choix de Doumè

L’exposé sur la présentation et les raisons justifiant le choix du milieu ifè à Doumè dans la Commune de Savalou a documenté trois points. D’abord, la situation géographique, population, l’histoire de Doumè et les données sociolinguistiques. Ensuite, les dynamiques socio-culturelles et leur influence sur le suivi de la grossesse dans ce contexte précis ont été abordées. Enfin, le regard a été porté sur la couverture sanitaire pour situer le système de santé périphérique dans l’offre des services de maternité au Bénin.
1.1.1. Situation géographique, population et socio-histoire de Doumè
Du point de vue géographique, Doumè est un arrondissement plus étendu en termes d’occupation de l’espace physique de la Commune de Savalou. Il est situé à l’Ouest, le long de la frontière Bénin-Togo. Doumè est limité au Nord par l’Arrondissement d’Ottola, au Sud par Tchetti, à l’Est par Aga et à l’ouest par la République du Togo.
L’Arrondissement de Doumè est compris entre 1°38 et 1°49 de latitude Nord d’une part et 7°51 et 7°59 de longitude Est d’autre part. Il partage ses frontières avec les arrondissements d’Ottola, de Tchetti, d’Aga puis les localités limitrophes de la République du Togo. Doumè présente beaucoup d’atouts défavorables à une meilleure accessibilité aux services publics, notamment ceux de santé maternelle. Certains villages de l’Arrondissement de Doumè tels que Iroukou, Bèbiani, Amou, Adanwé, Kpékpélou et Lekpa sont difficiles d’accès. Ce qui engendre une forte distanciation géographique lorsque les populations ont besoin des services du centre de santé de Doumè. Cette situation est tributaire de la distance qui sépare ces villages du chef-lieu d’Arrondissement et les pistes rurales dégradées, en l’occurrence pendant la saison pluvieuse. La carte ci-dessous montre la localisation géographique de Doumè.
Carte n°1 : Situation et localisation géographique de l’arrondissement de Doumè   
Source : documentation, Février 2018
En effet, avec un taux d’accroissement annuel de 3,7 l’Arrondissement de Doumè compte 11970 hommes contre 12591 femmes pour une population totale de 24561 habitants (INSAE, RGPH4, 2013). Cette population est repartie dans dix-huit villages et quartiers de villes que sont : Abbala, Abè-Okouta, Adjégoulè, Affé-Zongo, Agan, Aroudé, Amou, Bèbiani, Coffé-Agballa, Doumè-Lakoun, Ekpa, Felma, Iroukopu, Kannaoun, Kpékpélou, Lekpa, Mangowèssi, et Olouwakèmi.
Sur le plan historique, Doumè a été fondé à partir des migrations des populations Ifè parties de la localité d’Iléifè au Nigeria pour s’y installer après avoir pris par Grand-Popo, Tchetti, et Kannaoun. Il a donc connu à l’origine le phénomène de peuplement à la défaveur du dépeuplement de la localité d’Iléifè. Comme toute communauté endogène, la population Ifè du Nigéria s’est déplacée avec sa divinité Dahdoumè, d’où son toponyme Doumè par éludation du préfixe Dah. Cette divinité joue le rôle protecteur à tous les fils et filles de Doumè en cas d’une situation critique (malheur, mésaventure, événement tragique, infertilité, grossesse, …).
En ce qui concerne la sociolinguistique, actuellement Doumè est étendu vers l’actuel territoire de la République du Togo, ce qui justifie la présence massive des Ifè dans ce pays limitrophe à la République du Bénin. Ainsi, au-delà des populations autochtones, on rencontre à Doumè d’autres groupes sociolinguistiques qui ont contribué à son peuplement et à sa population. Les principaux groupes sociolinguistiques qui se partagent le territoire sont : Ife, Fon, Adja, Peulh, Mina, Cabillaire, Itcha, Idaacha, et Mahi. Les femmes issues de ces groupes sociolinguistiques installés à Doumè font recours à différentes pratiques culturelles, religieuses, sociales et sanitaires etc. qui enrichissent leur itinéraire du suivi de grossesse. Ces groupes sociolinguistiques participent ainsi à la dynamique socio-culturelle à Doumè.
1.1.2. Dynamiques socio-culturelles et leur influence sur le suivi de la grossesse
Décrire les dynamiques socio-culturelles en rapport avec le suivi de la grossesse revient à montrer ici les liens intrinsèques entre l’appartenance à une organisation sociale et le recours aux acteurs et divinités du milieu de vie considéré à l’échelle d’un espace thérapeutique. Pour le faire, il est abordé l’organisation socio-politique et l’univers religieux qui sont sollicités en cas de suivi de la grossesse.
En matière d'organisation socio-politique, la tradition existe encore à Doumè comme dans la plupart des localités du Bénin. Aujourd'hui, règne sa majesté Oyébalé, Roi de Doumè et garant de la tradition. Ce dernier est assisté d’autres rois dans plusieurs villages et quartiers de Doumè. Le Roi et sa suite, dans la mesure de leur possibilité, participent au règlement des différends, à la gestion des problèmes de santé dont le suivi de la grossesse est un aspect en observation ici ; ce qui contribue au développement harmonieux de l’arrondissement. Dans cette perspective, le Roi accompagne l’organisation socio-politico-administrative dont le chef d’Arrondissement est l’autorité politique et administrative travaillant sous la tutelle du Maire de la Commune de Savalou, lui-même sous la tutelle du Préfet du Département des Collines. Le Chef d’Arrondissement de Doumè est l’autorité hiérarchique compétente à la tutelle des Chefs de villages et quartiers de ville. C’est dire que le Conseil Communal et le Maire sont des acteurs du système décentralisé qui co-produisent le service public élémentaire de la santé dont faite partie la maternité et les soins infantiles avec le soutien des chefs de villages et de quartiers. Les activités phares dans lesquelles on retrouve ces acteurs concernent les campagnes de vaccination contre la poliomyélite par exemple. Toutefois, il n’est jamais organisé de campagne sur la Consultation pré natale, c’est une faiblesse du système de santé entre les échelles globales et locales.
Au plan religieux, il existe des croyances endogènes et des divinités auxquelles font recours les hommes et les femmes à la recherche de remède à leurs multiples problèmes de santé, et en l’occurrence le suivi de la grossesse. Ils reposent sur l'adoration des dieux à travers plusieurs divinités. D’après les croyances populaires, le panthéon religieux à Doumè est composé de : Ayera (dieu du tonnerre ou de la foudre), Chankpannan (dieu de la terre ou de la variole), Ogou (dieu du fer ou de la guerre), et Dahdoumè (dieu de la protection). Dans ce panthéon, chaque divinité joue un rôle et ceci dans un domaine spécifique comme l’indique leur nom. Riche de diverses pratiques et de rituels, ce panthéon constitue un recours à la femme pour ses problèmes de grossesse et de fécondité / fertilité. Ainsi, en cas d’infertilité, les femmes vont implorer la grâce des divinités pour tomber enceinte. Lorsque leur demande est fructueuse, et dans ce cas précis, la confiance et la fidélité à la divinité qui a donné la grossesse oblige un suivi en contexte large au détriment du centre de santé. Le vodun, dans la religiosité patrimoniale des Ifè se pratique par les adeptes appelés Arouwin. De ce fait, on pourrait formuler l’hypothèse à vérifier d’un drible de la consultation pré natale par une femme adepte de divinité. Puisqu’étant en réclusion pour des rites et rituels elle ne peut aller suivre une grossesse au centre de santé. La justification, c’est qu’il y a une durée d’internement pendant laquelle l’adepte est préparé à changer de statut dans sa communauté d’appartenance. Pendant cette période, il / elle n’est pas autorisé(e) à rencontrer des acteurs du monde profane, et les agents de santé maternelle et infantile en constitue un groupe soutenu par le disease, mieux l’étique de la santé publique à l’opposé de l’émique Ifè. Ainsi, dans le clan Arouwin de Doumè, l’animal totem est le porc comme le python chez les Xwla de Grand-Popo (P. C. Mêliho, B. Sènouvo, C. A. Kpatchavi, 2019, p. 84). Les Arouwin ne doivent pas manger la viande du porc. Aussi, le porc est-il proscrit en élevage à Doumè, car il est considéré comme un animal capable de susciter ou de renforcer la vulnérabilité des communautés ; surtout à certaines maladies (rougeole, variole, etc.), notamment chez la femme enceinte et les enfants. A l’opposé des religions endogènes, certains acteurs pratiquent les religions exogènes dont le christianisme et l’islam. Les femmes enceintes font aussi recours aux acteurs de ces religions qu’elles soient pratiquantes ou non en cas du suivi de grossesse. C’est dire que ces religions et l’organisation sociale influencent l’accès au service public de santé maternelle et infantile dont dépend la couverture sanitaire à la périphérie.
1.1.3. Couverture sanitaire à Doumè
La couverture sanitaire est constituée de l’ensemble des documents de politiques d’orientation, des ressources matérielles, humaines, financières et technologiques réunies pour assurer une offre de service optimale aux populations dans le secteur de la santé. A ce titre, la politique sanitaire du Bénin définit un système de santé à base pyramidale à trois niveaux à savoir le niveau central ou national, le niveau intermédiaire ou départemental et le niveau périphérique (zone sanitaire). C’est à ce dernier niveau (zone sanitaire) qu’appartient le centre de santé d’Arrondissement de Doumè. Ce niveau apparait comme le niveau local, le plus décentralisé de l’organisation du système de santé.
En réalité, à l’échelle de zone sanitaire, la pyramide sanitaire, et ce, en ce qui concerne l’offre de soins est constituée des centres de santé de commune, d’arrondissement, et des unités villageoises de santé, l’ensemble étant rattaché à un hôpital de zone qui couvre une à trois communes actuellement. Ainsi, Doumè dispose d’un Centre de Santé d’Arrondissement (CSA) qui dépend du point de vue hiérarchique dans l’offre de soins de l’hôpital de zone de Savalou / Bantè, cette zone sanitaire couvre deux communes.
En effet, l’Arrondissement de Doumè qui a servi de cadre de référence empirique (P. C. Meliho, 2014, p. 69) à cette recherche, est le plus peuplé de la Commune de Savalou. Il compte 18 villages et ne dispose qu’un seul centre de santé du premier recours situé dans le quartier Affé-Zongo. Rappelons que l’Arrondissement de Doumè compte 24561 (INSAE, RGPH4, 2013). Le CSA de Doumè offre à cette population les services sanitaires à savoir : le dispensaire, les services de vaccination et la maternité. La présente recherche a été menée au service de maternité. La supervision des activités dans ce centre de santé est sous la responsabilité d’un infirmier diplômé d’Etat, reconnu sous le nom de Major. Hiérarchiquement, le service de la maternité est sous la responsabilité d’une sage-femme diplômé d’Etat. La couverture en personnel de santé au service de maternité au CSA de Doumè en 2018 montre : une Sage-femme ; une Matrone et trois Aides-soignantes / filles de salle. Au total, cinq agents de santé assurent les différents services offerts à la maternité, notamment : le suivi de grossesse, l’accouchement et le suivi post natal. Il en résulte que le nombre de personnel de santé disponible ne répond pas aux normes de l’OMS (25 pour 10.000 habitants), cité par le ministère de la santé au Bénin (MS, 2013, p. 251). Cet état de fait, est susceptible d’engendrer de disfonctionnement au service de maternité à Doumè, ce qui est un facteur favorable à l’inobservance des CPN par les femmes multipares dont a rendu compte les données primaires collectées.

1.2. Organisation de la collecte et du traitement des données

Cette recherche de nature qualitative a été menée à partir d’une immersion de deux mois en milieu ifè à Doumè dans la Commune de Savalou, Département des Collines au centre du Bénin. Ainsi, par l’échantillonnage à choix « raisonné », une vingtaine d’entretiens ont été réalisés avec les différents groupes cibles. Il s’agit de cinq agents de santé, neuf femmes multipares (car considérées comme gestionnaires discrètes de leur début de grossesse, expérimentées dans la garde et l’entretien de grossesse et attachées à certaines restrictions alimentaires) et cinq personnes de l’entourage. Dans l’ensemble, les guides d’entretien administrés respectivement à eux sont articulés autour de :
  • Perception de la grossesse ;
  • Suivi social de la grossesse ;
  • Suivi de la grossesse en contexte clinique ;
  • Perception autour de l’accueil à la CPN ;
  • Comportement des femmes vis-à-vis des CPN ;
  • Séance d’information pendant les CPN ;
  • Opinions autour du suivi social de la grossesse ;
  • Motifs de l’inobservance des CPN ;
  • Interdits alimentaires et comportementaux ;
  • Motif de ne pas fréquenter ou de ne pas être régulier à la CPN ;
  • Gestion des signes de complication de la grossesse ;
  • Préparation des femmes enceintes à l’accouchement ;
  • Analyse genre en ce qui concerne la prise de décision d’aller à la CPN.
En fait, l’option de l’échantillonnage à « choix raisonné » s’explique par l’avantage qu’il présente, en permettant de sélectionner les enquêtés, détenteurs d’informations utiles. Parallèlement, ces entretiens ont été complétés par une série d’observations directes réalisées chaque vendredi et échelonnées sur une période de deux mois à la maternité du centre de santé de Doumè. Le choix de la journée de vendredi est justifié par le fait que c’est ce jour qui accueille le plus grand nombre de femmes à la CPN. Ainsi, ces observations ont permis de noter le type d’accueil réservé aux femmes en lien avec le protocole optimal, leur temps d’attente, les discours des femmes et leur collaboration avec le personnel soignant.
Les données issues de l’enquête de terrain ont été analysées au regard du modèle systémique des soins préventifs (J. M. Walsh et S. J. Mcphee, 1992, p. 170). A travers ce modèle, le comportement préventif est présenté comme la résultante de l’action combinée de l’usager et du soignant. Puisque tous deux sont influencés par des facteurs prédisposant et facilitant Beker (1975) dont les facteurs organisationnels, les activités préventives et les facteurs situationnels. En conséquence, si les acteurs, mieux les femmes enceintes font recours à plusieurs registres de soins ou sont irréguliers à la CPN, il y a des intentionnalités qui les sous-tendent que la démarche compréhensive de M. Weber (1967, p. 293) a permis d’élucider. L’intérêt étant de comprendre les significations des acteurs sociaux sur leurs comportements. Car, toute action exercée par l’acteur social a un sens subjectif, mieux une signification (A. Ottokou, 2019, p. 26). A cela, nous avons associé l’analyse de contenu et la combinaison de ces approches a permis de présenter cinq résultats.

Résultats

2. Résultats

La restitution des résultats aborde l’intérêt de la consultation prénatale pour les femmes multipares, leurs perceptions et vécus de l’accueil à elles réservé, la construction du rapport genre autour de la prise de décision d’aller à la CPN, le statut de la femme et le niveau de vie du ménage sans occulter la préparation à l’accouchement médicalisé.

2.1. Connaissance de l’intérêt de la consultation prénatale (CPN) par les femmes multipares

En ce qui concerne la connaissance des femmes enceintes enquêtées lors de cette recherche, plus de la moitié ne maîtrise pas le calendrier de la consultation prénatale (CPN), le nombre exact de CPN à faire et les complications au premier trimestre devant leur permettre de recourir aux services de la maternité. Dans l’imaginaire populaire en milieu ifè à Doumè, la femme ne doit aller à la CPN que lorsqu’il y a un mal qui la dérange. Il n’est pas souvent rare d’entendre au cours du séjour d’immersion ethnographique, les expressions comme « elle ne sent rien, pourquoi va-t-elle aller à l’hôpital ! » ou « mon souhait, c’est de ne pas souffrir d’une maladie qui va m’amener à l’hôpital ! ». Ces propos laissent transparaître le souhait de pouvoir éviter tout contact avec les services de santé maternelle pendant la grossesse. Mais on peut venir y accoucher ou pas (les matrones sont là). Tout porte à croire que les acteurs de l’environnement social sont sous informés de l’importance de la CPN. Chez les ifè à Doumè, il y a un dispositif, lequel permet de suivre la femme enceinte en contexte global. Car la femme enceinte est vue comme un être sacré du fait de l’objet social qu’elle porte. Il en résulte que les gestantes et leur entourage socio familial, font toujours la confusion entre recevoir les soins et aller faire consulter la grossesse dont la nosographie en milieu Ifè, éfoun wiwo (regarder la grossesse) ou lamba bibou fou abéfoun (faire suivre la grossesse). Ce qui justifie que l’assertion selon laquelle « la grossesse n’est pas une maladie, pourquoi vais-je recourir à l’hôpital ?» reste une réalité dans l’imaginaire populaire, notamment l’émique ifè à Doumè.
Un agent de santé corrobore cette perception émique.  
« Faire les CPN n’est pas synonyme de recevoir les soins pour le suivi de la grossesse. Les sage-femmes leur expliquent qu’elles peuvent venir ici recevoir les soins à tout moment sans rendez-vous. Il y a beaucoup de nos femmes qui ne comprennent pas cela. Elles attendent une complication avant de se rendre au centre de santé (CS). D’où les évacuations répétées et les césariennes nombreuses » (Extrait de l’entretien en français réalisé le 13/04/2018 avec un responsable du CS de Doumè).
A travers ce verbatim, on retient que les facteurs explicatifs du renoncement à la CPN ont pour corollaire le retard du recours à la maternité en cas d’accouchement. Pour les femmes multipares fréquentant le CSA de Doumé, la prise en charge de la grossesse est influencée par trois problèmes. Premièrement, le manque d’argent est un facteur prépondérant. Dans un second temps, la prise en charge de la grossesse repose sur l’automédication. En troisième lieu, elle résulte de la mauvaise connaissance du dispositif médical par les femmes et au non maîtrise du discours délivré via les CPN. Ce qui montre qu’en cas de maladie au cours de la grossesse, la femme utilise d’abord les ressources disponibles dans son environnement familial. C’est lorsque le mal persiste qu’elle fait recours au CSA. Cette réalité est soutenue par le fait que « les soins domestiques constituent un volet essentiel des systèmes ethnomédicaux et les femmes sont, dans la plupart des sociétés, sinon dans toutes, celles qui développent, dispensent et transmettent les pratiques et les savoirs qui leurs sont reliés » (F. Saillant, 1999, p. 2). Aussi, l’inobservance des CPN, ne se limite-t-elle pas à la connaissance des femmes multipares des services de santé délivrés, l’accueil à elles réservé par le personnel soignant en dépend. 

2.2. Perception et vécu des femmes multipares autour de l’accueil à la CPN 

De l’ensemble des informations collectées, il ressort de cette recherche que l’accueil est un facteur de renoncement, d’abandon ou du non observance des CPN chez les femmes multipares en milieu Ifè à Doumè. En effet, à la maternité de Doumè où la présente recherche a été réalisée, on se rend compte que l’admission à la salle de CPN suit un protocole d’accès complexifié par l’ingérence des acteurs, qui le rend parfois assez long. D’abord, les femmes à leur arrivée, chacune dépose son carnet de suivi selon l’ordre chronologique. Cela permet à l’aide-soignante de les ranger suivant l’ordre d’arrivée. C’est cet ordre que la sage-femme suit pour inviter les femmes à la salle de consultation. Mais les séances d’observation ont permis de constater des contournements du protocole comme restitué en encadré 1.
De l’analyse de ces données d’observation, on en déduit que malgré l’existence du protocole d’accès à la CPN qui puisse limiter la construction des relations parallèles, certaines femmes arrivent à briser les contraintes et ceci avec la complicité des sage-femmes. Ainsi, la relation sociale de proximité est un facteur d’influence sur l’accueil à la CPN. Cet état de fait décourage les femmes puis les amène à prendre le dégoût de l’hôpital. C’est bien un déterminant de l’accouchement à domicile. On comprend donc que le mode de fonctionnement et l’organisation des activités dans les formations sanitaires aussi constituent des facteurs explicatifs du comportement des femmes enceintes à suivre ou non leur grossesse dans un dispositif médical. Ce sont des pratiques qui ne respectent pas la bonne gouvernance dans le secteur de la santé et qui induisent la faible fréquentation des formations sanitaires publiques. Au regard du Plan National de Développement Sanitaire (2018-2020) du Bénin, c’est une situation qui perturbe le bon fonctionnement des centres de santé et ne permet pas aux gestantes de se faire suivre réellement au centre de santé. L’accueil à la CPN, reste valablement un facteur explicatif de l’abandon et du renoncement des soins doublé du rapport au genre comme « rapport social de pouvoir » (E. Macé, 2017, p. 499).

2.3. Rapport genre dans la décision du recours à la CPN 

Au cours de cette recherche en milieu Ifè à Doumè, l’influence des époux dans la décision du recours à la CPN vient en première position dans les discours. En réalité, l’initiative de recourir à la CPN est très souvent prise par la femme enceinte elle-même, mais il demeure que son effectivité n’est possible, très souvent, qu’avec l’accord des proches qui sont le conjoint et quelques fois les beaux-parents ou les parents directs (ascendants). En milieu Ifè à Doumè, c’est le conjoint qui autorise, la plupart du temps, le recours au centre de santé, car c’est lui qui assure les dépenses de soins. Dans ces conditions, certaines femmes assistent à des CPN tardives ou n’y recourent pas du tout. Le cas échéant, elles ne perçoivent pas la nécessité d’y aller à temps comme l’explique une interlocutrice.
« Chez nous ici, c’est le mari qui te donne l’argent pour aller faire les consultations à l’hôpital. Même pour faire les dépenses d’autres soins, la tâche lui revient. Pour le suivi de ta grossesse, si le jour du rendez-vous d’une CPN est venu, s’il ne te donne pas l’argent, tu restes jalousement à la maison. Dans ce cas, lorsque tu souffres de quelque chose, si toi-même tu as d’argent tu l’utilises et le mari te le rembourse après, s’il veut être gentil » (extrait de l’entretien avec A. B., 35 ans, mère de cinq enfants, Lekpa, le 02/03/2018).
Une autre informatrice renchérit.
« C’est lui l’auteur de la grossesse et responsable du foyer. S’il n’autorise pas d’aller à la consultation, tu vas faire comment ? Même si toi-même tu as d’argent, il faut que tu prennes son avis. Sinon, tu seras auteur de tout ce qui peut survenir après, lorsque tu ne respectes pas ses consignes. Comme cela, tu es obligée de rester à la maison ; sinon il va te traiter autrement » (Extrait d’un entretien avec M. A., 32 ans, femme enceinte, Ekpa, le 09/03/2018).
Au regard de ces deux verbatims, on retient clairement qu’en milieu Ifè à Doumè, les rôles relatifs au genre autour du suivi de la grossesse au centre de santé prennent deux tournures. D’une part, la garde de la grossesse que l’homme a donné par la femme, c’est son rôle social. D’autre part, le mari tient la décision du recours à la CPN à travers son pouvoir d’argent. Dans ces conditions, sans l’avis motivé du mari il ne peut y avoir de CPN. Le système est autant enraciné qu’il est remplacé parfois par d’autres acteurs (parents proches, ascendants et autres) en cas d’absence ou d’indécis. Le mari est donc le dernier recours qui prend la décision d’aller aux soins même s’il ne donne pas d’argent. Au cas où l’idée d’aller à la CPN vient de la femme, il revient au mari de donner son avis favorable en tant que chef du ménage. Ce respect de l’autorité du mari occasionne parfois un retard ou un abandon de la CPN qui a pour conséquence la fréquence des complications de grossesse et la mortalité maternelle, infantile ou encore les deux, mieux la fistule obstétricale au cas où la femme survie. Il convient de retenir une domination masculine (P. Bourdieu, 1998) dans le recours à la CPN, telles que les inégalités entre hommes et femmes dans les instances décisionnelles. Ce résultat confirme celui de S. Agbo et al. (2018, p. 732) qui montre que « les rapports genre quelque peu spécifique dans les ménages apparaissent comme influençant l’adhésion aux soins de santé médicaux » et alternatifs. Ainsi, le rapport genre et les inégalités de sexe influencent le suivi médical de la grossesse par une domination masculine dans le recours à la CPN en milieu Ifè à Doumè. Mais cela n’occulte pas le statut de la femme et le niveau de vie du ménage comme des facteurs explicatifs prépondérants au recours à la CPN.

2.4. Statut de la femme et niveau de vie du ménage comme facteurs d’influence à la CPN

Le statut de la femme et le niveau de vie du ménage sont primordiaux dans le recours à la consultation prénatale. En effet, il est noté que les femmes enceintes, en fonction de leurs expériences de maternité (primipares ou multipares) n’ont pas toujours les mêmes raisons de l’inobservance des CPN. Les femmes multipares, en ce qui les concerne, se voient dotées d’une certaine expérience à propos du suivi et de la garde de la grossesse. Elles ont une tendance à croire que les anciennes expériences et les leçons des précédentes vécues de la gestion de la grossesse sont utiles pour conduire le nouveau projet de donner vie à un nouveau-né à nouveau. De ce point de vue, l’expérience de la maternité fait que les femmes n’ont pas les mêmes raisons de non observance des CPN, puisque, chaque maternité, a ses risques et ses réalités. Pour un personnel de santé « les multipares se comportent comme des anciennes, c’est-à-dire des femmes expérimentées. Ce qui fait qu’elles négligent les CPN. Les primipares, au contraire, ont peur des complications ; ce qui fait qu’elles sont plus attachées à la CPN » (extrait de l’entretien avec un personnel du CS de Doumè, le 13/04/2018). C’est un comportement idéal qu’on retrouve également chez certains écoliers, élèves et étudiants, qui, reprenant une classe se considèrent comme " anciens, connaisseurs, sachants ou savants et expérimentées dans la classe où ils redoublent ". Ce qui les rattrape parfois dans un double redoublement subit. Ils sont donc étonnés de leur rejet par leurs établissements, source de décrochage parfois.
Revenons aux opinions restituées ci-dessus pour dire qu’il est perceptible que la notion d’expérience s’observe dans les comportements reliés à la santé chez les femmes multipares. Dans ces conditions, plus le nombre de grossesse que porte la femme augmente, plus elle est dotée de certaines attitudes et connaissances dans l’entretien, la gestion et la garde de la grossesse (efoun bibanin en ifè signifie qu’elle tient la grossesse). Ayant donc une bonne expérience pacifique du suivi de grossesse antérieure, les femmes multipares ne trouvent pas la raison de faire suivre leur grossesse à la maternité une nouvelle fois et à la bonne date.
Aussi, l’absence des problèmes de santé revient-elle dans les causes de non observance des CPN chez ces femmes multipares. « Je n’ai même pas fait beaucoup de dépenses cette fois-ci, comme tout va bien à mon niveau. A moins qu’un malaise m’arrive, sinon, je souhaite ne plus repartir là-bas encore avant mon accouchement » (entretien 5 avec M. A., 48 ans, Lekpa le 06/04/2018). De l’analyse de l’opinion de cette femme multipare, on comprend que le recours à la CPN se fait lorsque la femme se trouve confrontée à une maladie ou un problème de santé particulier. Ce qui occasionne parfois des irrégularités à la CPN chez les femmes surtout les multipares. Même si elles connaissent le calendrier des CPN, elles ne s’inscrivent pas dans une même logique de prévention des complications de grossesse comme l’envisage les professionnels de santé. Ce qui peut d’ailleurs amener les personnes de l’espace social et celles de l’arène médical à vivre une dissonance dans la relation aux soins.
En fait, les femmes multipares rencontrées au cours de cette recherche en milieu ifè à Doumè ont évoqué des facteurs explicatifs assez récurrents. Elles évoquent, entre autres, le problème d’argent. Elles sont nombreuses (soit la majorité) à évoquer le problème financier lié au coût indirect (frais de transport, de repas, etc.) et direct (payement des médicaments, analyses, écographie, frais de consultation, carnets et autres) liés à la CPN. On peut formuler l’hypothèse que les femmes adoptent des comportements de rationalité économique. Ce facteur rime bien avec la réflexion de l'OMS selon laquelle, le non accès à des services de santé de base est essentiellement lié à la pauvreté qui est la pire des malédictions dont souffre l'humanité (OMS, 2000, p. 54). S’il est vrai que les femmes driblent la CPN pour diverses raisons, comment gèrent-elle le plan d’accouchement en fin de grossesse ?

2.5. Nécessité d’une préparation des femmes multipares à l’accouchement médicalisé

Les informations nécessaires à la préparation à l’accouchement médicalisé concernent, entre autres, la date probable, le massage pour préparer le corps, la gestion de l’accouchement assisté, le choix du lieu, la sage-femme compétente identifiée et l’accompagnant retenu dans l’environnement familial. L’objectif de ce protocole à la préparation de l’accouchement est d’informer, de rassurer et d’expliquer aux femmes comment l’accouchement va se dérouler. De façon pratique, la préparation consiste pour la future maman d’apprendre à respirer, à relaxer et à pousser pour être enfin près pour le moment venu (Document de travail exploité à la maternité du centre de santé de Doumè, avril 2018). Certaines réflexions précédentes confirment ces informations.
« L’instauration de cours de préparation à la naissance est un moyen de donner un lien de libre parole aux femmes enceintes, leur permettant d’aborder des sujets autres que les questions strictement médicales. C’est également un lieu de diffusion des modèles dominants et de normalisation des pratiques » (J. Menuel, 2012, p. 8).
Au-delà du protocole de préparation de l’accouchement médicalisé ci-dessus évoqué, il existe encore différentes alternatives relatives à la préparation de l’accouchement, mais les techniques courantes sont celles énumérées plus haut. Bien qu’elles relèvent des normes médicales, comment le plan d’accouchement (PPA) est géré à la maternité par les intervenants en santé ?
Les agents de santé, après avoir reçu une femme enceinte pour la consultation, commencent à partager des informations utiles à elle, à ce sujet. Ces informations portent sur le bilan des diagnostics, ce qui est très nécessaire, les instructions sur l’utilisation des médicaments, les conduites à adopter et les aliments prescrits versus ceux proscrits (P. C. Mêliho, B. Sènouvo et A. C. Kpatchavi, 2019), c’est-à-dire à éviter ou à manger. Les agents de santé enquêtés à la maternité avouent qu’elles transmettent ces informations aux femmes à chaque séance de CPN. Également, elles déclarent avoir expliqué aux femmes enceintes que l’accouchement à domicile (AAD) n’est pas une bonne pratique tout en leur énumérant ses risques et conséquences. Les femmes multipares, pour leur part, estiment n’avoir pas eu ces informations sur le plan d’accouchement. Il adviendrait que les gestantes n’ont pas une connaissance de la préparation à l’accouchement même si celle-ci est mise en œuvre directement ou indirectement. Comme le disait une enquêtée, « Ahooooo ! On ne nous dit rien sur les choses comme cela » (entretien avec une femme enceinte, 30 ans, Iroukou, le neuf avril 2018). Il s’instaure par conséquent une mauvaise gestion de l’information qui n’est pas sans effet sur le déroulement de la grossesse (entre le début et la fin) discutée ci-dessous.

Conclusion

Cette recherche à portée qualitative est une contribution de la sociologie au débat actuel sur l’inobservance des CPN. Dans un contexte socioculturel spécifique à la femme Ifè, les préoccupations relatives à l’abandon et au renoncement, voire au drible des CPN, sont mises en débat pour explorer les facteurs explicatifs de cet enjeu à la fois local et global. Ainsi, grâce à l’échantillonnage à choix raisonné, la présente recherche a mobilisé le personnel soignant, les femmes multipares et les personnes de leur entourage qui ont pris part, chacun à un entretien semi-directif au moyen d’un guide. Ces entretiens sont complétés par des séries d’observations directes à base d’une grille. Les données issues de la phase empirique sont tri-thématisées et analysées au regard de l’approche compréhensive et du modèle systémique des soins préventifs.
Les résultats issus des matériaux de terrain, montrent qu’il y a une convergence de facteurs explicatifs de l’inobservance des CPN par les femmes multipares en milieu Ifè à Doumè. De façon générale, il s’agit des facteurs individuels, collectifs et reliés à l’environnement de soins. En termes de facteurs individuels on retient les opinions/vécus des femmes de l’accueil à la CPN, leur statut et le niveau de revenu du ménage. A propos des facteurs collectifs, il y a le pouvoir de décision sous influence du rapport au genre et du pouvoir de l’argent. Dans le contexte socioculturel Ifè, la recherche a permis de retenir que le parcours du suivi de la grossesse est influencé par les acteurs de l’arène social et ceux de l’espace médical. Ceci à travers les croyances, pratiques, comportements, perceptions d’une part et organisations des soins et capacité d’achat des médicaments d’autre part. En conséquence, et ce, pour aborder le dernier facteur, la consultation prénatale comme étant un des moyens les plus sûrs et efficaces pour contribuer à la réduction de la mortalité maternelle et infantile au regard des normes de santé publique est marginalisée et négligée sous influence des logiques individuelles, collectives et la relation aux soins. Ainsi, l’étude des facteurs liés à la satisfaction des femmes au cours des services de CPN constitue une source de connaissance nécessaire à l’élaboration des futures programmes/stratégies de lutte contre la mortalité maternelle et infantile. Prenant en compte ces considérations, il paraît nécessaire que les différents acteurs en interaction pour le suivi de la grossesse doivent rester dans une relation de complémentarité en vue de la prévention des complications liées à la grossesse pour un accouchement sans risque, respectant les normes de l’étique médicale (disease) en interaction avec celles de l’émique Ifè (sickness) et l’éthique sociale (illness). Enfin, la consultation prénatale, est un long processus dont dépend l’effectivité du recours à une relation d’alliance gestante - entourage - socio famille - prestataires de soins au regard des enjeux locaux et des défis globaux de santé maternelle et infantile. Il est donc important, de prendre en compte le contexte social et l’arène médicale pour mieux assurer le mécanisme du suivi de grossesse en vue d’un accouchement médicalisé réalisé avec succès pour l’atteinte des ODD relatifs à l’effectivité / efficience et la jouissance d’une bonne santé à la femme et à l’enfant dans leur relation grossesse-accouchement-survie. Ceci a un intérêt pour la marche vers le développement durable qui a commencé depuis la Conférence de Bucarest en 1992.

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31 Décembre 2022

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Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=267

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