2022/Vol.4-N°10 : VARIA

6 |UNE VILLE A L’ASSAUT DE SON REMPART : LA DESTRUCTION DE LA BANDE DE FILAOS DU LITTORAL DE GUEDIAWAYE PAR L’AVANCEE DU FRONT URBAIN

A CITY ATTACKING ITS REMPART: THE DESTRUCTION OF THE BAND OF FILAOS ON THE COAST OF GUEDIAWAYE BY THE ADVANCE OF THE URBAN FRONT

Auteurs

  • DIA Souleymane maître de conférences souleymane2.dia@ucad.edu.sn, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
  • TIMERA Aly Sada maître de conférences alitimera@gmail.com, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
  • LY Abdoulaye étudiant en master layely212@gmail.com, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal

Mots-clés:

Urbanisation| Dunes littorales| Bande de filaos| Recul du trait de côte| Guédiawaye|

Résumé

Arrière-pays vide et sauvage de Pikine avant 1966, Guédiawaye est devenue en l’espace de quatre décennies un département urbain densément peuplé et à la croissance démographique élevée (2,5% par an). La ville abrite dans sa frange littorale une bande de filaos plantée pour fixer les dunes. Sous la pression de l’urbanisation, l’affectation du site à des équipements, infrastructures et habitations pose un enjeu environnemental majeur. L’objet de cette étude est d’explorer les effets de cette urbanisation sur la bande de filaos et les conséquences de sa destruction  sur la dynamique littorale.
La méthodologie a consisté à faire la cartographie diachronique de la bande de filaos et des modes d'occupation du sol,  à partir des archives d’images Landsat et celle de l'évolution du trait de côte, avec des images historiques de Google entre 2005 et 2021. Elle a permis de montrer que le bâti occupe aujourd’hui la presque totalité de la ville et 27 % de la superficie de la bande qui n’est plus végétalisé qu’à 9%.  Cette élimination de la bande par l’urbanisation impacte déjà significativement l’environnement littoral. Entre 2007 et 2021, la mer a avancé au rythme de 0,08 m par année. Une des originalités dans ce processus est le rôle atypique des politiques publiques. Si ailleurs, elles vont dans le sens de préserver des dunes comparables  contre l’urbanisation, à Guédiawaye, c’est l’État qui, à travers l’implantation de nouveaux programmes d’habitat et d’infrastructures,  encourage la vulnérabilisation du massif dunaire.

Introduction

Guédiawaye, ville-Département, appartient aux marges sud de la Grande Côte qui va de Yoff à l’embouchure du fleuve Sénégal. Appelée zone des Niayes, elle s’étire de Dakar à l’embouchure du fleuve Sénégal. C’est un ensemble morphoclimatique composé de trois paysages qui se succèdent du continent vers la mer : l’erg ogolien, l’espace nouakchottien et le massif dunaire tafolien.
Au regard des enjeux multiples dont il fait l’objet, les travaux sur les Niayes sont assez nombreux mais déséquilibrés. En se limitant aux articles scientifiques et aux thèses de Doctorat, on observe que la plupart des travaux sur cet espace se sont focalisés sur les aspects physiques et environnementaux. J. Trochain (1940) a exploré la biogéographie des Niayes, tandis que M.M. Sall (1971) et A.T. Diaw (1997) ont abordé la géomorphologie. Les études récentes sont plus dispersés mais la plupart se focalisent sur la thématique environnementale : K. Sambou (2011), et M. NDao (2012). Les études économiques sont rares et parmi elles il est possible de citer les travaux de B. Llères (1986) sur la transformation des produits halieutiques. S. Dia (2000) a mené une étude qui a tenté d’embrasser à la fois, en montrant leur articulation, la question environnementale, l’activité économique et l’organisation de l’espace. Une seule étude systématique a été consacrée aux relations avec la métropole dakaroise (J-C. Arnaud 1972). Les études sur les Niayes de Guédiawaye sont encore plus rares. Récentes et réalisées essentiellement par le Département de géologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elles portent sur les interactions entre hydrodynamiques littorales et l’évolution des plages, sur les dynamiques morphosédimentaires (P. Sagne et al, 2021) et sur la dynamique du trait de côte (P. Sagne et al, 2021). Cette réflexion prolonge leurs travaux en tentant de montrer les interactions entre l’urbanisation et l’environnement littoral dans le Département de Guédiawaye.
Arrière-pays vide et sauvage de Pikine avant 1966, Guédiawaye est devenue en l’espace de quatre décennies un département urbain peuplé de 392 190 habitants en 2019 (ANSD, 2018). Alimentée essentiellement par le solde naturel, la croissance démographique reste élevée (2,5% par an).  Si aujourd’hui faute de réserves foncières, l’assaut de l’habitat a reflué sans disparaître, les principaux consommateurs d’espace sont désormais l’Etat et les collectivités territoriales. Dans le but de doter la Ville-Département d’attributs à la mesure de son double statut, beaucoup d’espaces publics et collectifs ont changé de vocation pour accueillir des équipements et des infrastructures comme la Voie de Dégagement Nord (VDN) et les ouvrages de drainage. C’est dans ce  contexte qu’allant contre le Plan Directeur d’Urbanisme de Dakar (PDU) "Horizon 2025", qui recommande fortement la préservation systématique des espaces boisés tels que l’emprise des filaos, l’Etat a signé le décret 2021-701du 4 juin 2021 déclassant la bande de filaos de  Guédiawaye. La seule mesure environnementale prévue en termes de compensation est un projet non encore effectif de reboisement de la haute plage par une nouvelle génération de filaos.
La bande avait commencé à être implantée pendant les années quarante pour fixer les dunes et préserver l’activité maraîchère le long du littoral Nord.  Elle s’étend ainsi sur 180 km de Cambérène dans la région de Dakar, à Darou Mboumbaye au sud de Saint-Louis. Dans sa traversée de Guédiawaye, la longueur de la bande est de 5,18 km, pour une superficie de 150,58 ha.
Photo n°1. Filaos fixant la dune vive

 

 

 

Source : A. Ly, 2021
Son déclassement et l’affectation du site à des équipements, infrastructures et habitations posent un enjeu environnemental majeur. En effet, le littoral de Guédiawaye s’est toujours caractérisé, et plus encore aujourd’hui, dans le contexte de réchauffement climatique, par des dynamiques fortes et agressives. L’objet de cette étude est d’explorer cet enjeu. Plus spécifiquement, il s’agira, d’une part, d’étudier les effets de l’urbanisation galopante sur l’occupation du sol, notamment sur la bande de filaos ; et d’autre part, d’évaluer les effets de la dégradation de la bande de filaos sur la dynamique littorale. L’étude est structurée en trois chapitres. Le premier, abordant la méthodologie, précise les modalités de la prise d’informations et  leur traitement par l’outil cartographique. Le second chapitre restitue les informations rapportées du terrain et les interprète à la lumière de l’analyse cartographique. Le dernier chapitre est l’occasion d’une discussion qui croise ces résultats avec ceux d’espaces comparables et avec des auteurs ayant étudié des thématiques analogues.

Méthodologie

1.  Méthodologie

La méthodologie est structurée autour de deux sections. La première qui présente le cadre de l’étude, souligne l’histoire démographique de Guédiawaye devenue en quelques décennies la ville la plus dense du pays. La seconde section présente l’outillage méthodologique qui a permis la collecte d’informations et leur traitement cartographique.

1.1. Cadre de l’étude

Le territoire de Guédiawaye est devenu une commune de plein exercice en 1990 pour être ensuite érigée en Ville en 1996. Les limites de la Ville de Guédiawaye coïncident avec celles du Département du même nom créé par le décret n° 2002-167 du 21 février 2002. La Ville de Guédiawaye compte  cinq collectivités territoriales  (Carte n°1) et occupe actuellement tout son périmètre communal.
Carte n°1: Localisation de la ville de Guédiawaye à DakarCarte 1
Source : A. Ly, 2021
Ville-Département de faible superficie (12,7 km2), Guédiawaye, dès le départ s’est vue assigner par l’Etat la fonction de réceptacle des surplus démographiques de la capitale. Dans une première phase, la ville nouvelle a reçu deux vagues de déguerpis. En 1967, ont été installés dans la zone Nord de Pikine appelée Premier Guédiawaye, les déguerpis de certains bidonvilles de Dakar  comme le Champs de Courses, et Baye Gaïndé. En 1970 sont installés de nouveaux déguerpis en provenance d’autres bidonvilles comme Alminco et le Camp Abdou Diassé. La seconde phase se distingue par l’installation plus formelle d’un habitat planifié. C’est ainsi qu’au milieu des années 70 sont créées les Parcelles assainies, lotissements d’Etat cédés à des prix modiques aux couches les plus défavorisées de la population. A partir des années 80, la ville nouvelle va accueillir diverses cités construites par des promoteurs immobiliers tels que HAMO, et des coopératives d’habitat. Cette dynamique a rapidement abouti à la saturation des réserves foncières pour constituer une menace en direction de la bande de filaos. C’est pourquoi sa cartographie dynamique est au cœur de la méthodologie.

1.2. Démarche pour la prise d’information

L’objet de l’étude étant de mesurer des dynamiques spatiales, la méthodologie a consisté, pour l’essentiel à la cartographie, complétée par des entretiens avec des structures concernées par la bande de filaos.  S’agissant de la cartographie, elle est déclinée dans plusieurs approches, selon l’objet étudié. C’est ainsi que l’analyse diachronique de la bande de filaos et des modes d'occupation du sol  a été faite à partir des procédures de  Landsat. Les archives d’images Landsat ont été utilisées pour réaliser les cartes diachroniques globales du département de Guédiawaye afin de mesurer la dynamique du bâti, de la végétation, de l’hydrographie etc. Sur la base des images fournies par le Centre de Suivi Ecologique, les données rasters utilisées sont datées de 1966, 1978, 2005 et 2019. Le recours aux outils de la télédétection et  l’application ArcGis 10.6 ont permis de compléter le travail. Concernant l'étude de l'évolution du trait de côte, elle a été faite à partir des images historiques de Google Earth entre 2005 et 2021.
En ce qui concerne la collecte des données, essentiellement qualitative, elle a été réalisée avec des guides d’entretien élaborés pour des interviews auprès  des maires des trois communes de la ville ouvertes sur le littoral et concernées par la bande des filaos : Sam notaire, NDiarème Limamoulaye et Wakhinane Nimzatt. Des guides ont également été administrés à des structures impliquées dans la gestion de la bande ou impactées par le déclassement : l’UCG, l’ADM et le DEFCCS.

Résultats

2. Résultats

Espace de vérification des objectifs de recherche, les résultats sont structurés par ces derniers en deux sections. La première permet de montrer la destruction progressive de la bande de filaos par le front urbain. La seconde offre l’occasion de mesurer l’impact de cette destruction sur la dynamique du trait de côte.

2.1. L’impact de l’urbanisation sur la bande de filaos

À travers le grignotage et l’occupation planifiée, puis l’irruption du béton parmi la verdure, l’urbanisation, en étapes bien distinctes, a détruit graduellement la bande de filaos.
2.1.1. Une  urbanisation à marche forcée
La ville de Guédiawaye concentre 10,5% de la population dakaroise (ANSD, 2018). Au rythme de 2,5% de croissance annuelle, la ville comptera 457 804 habitants en 2025 et connaîtra les densités les plus fortes du pays, soit 36 985 habitants au kilomètre carré (Carte n°2).
Carte n° 2. Densités de population dans les communes littorales de GuédiawayeCarte 2
Source: A. Ly, 2021
Cette urbanisation très rapide a dévoré en quelques décennies les immenses étendues dénudées. Ainsi que le montre la cartographie dynamique de l’occupation du sol entre 1966 et 2019 (Cartes n° 3 à 6), quasi inexistant au milieu des années 60, le bâti occupe aujourd’hui la presque totalité du territoire de la ville.
Carte n°3. Occupation du sol à Guédiawaye en 1966Carte 3
Source: A. Ly, 2021
Carte n° 4. Occupation du sol à Guédiawaye en 1978Carte 4
Source: A. Ly, 2021
Tout y est passé, réserves foncières, espaces maraîchers et même les étendues d’eau remblayées  et occupées au terme de périlleuses modifications de topographie. Le principal moteur de cette dynamique urbaine est l’habitat devenu très vite la principale menace pour la bande de filaos. L’observation d’archives d’images satellitaires, montre que dans sa progression fulgurante d’Est en Ouest, le bâti s’était arrêté, avant 1978, à 350 mètres de la bande (Carte n°4), de laquelle elle était séparée physiquement par une infrastructure routière et une fine lame de filaos. Les mêmes archives révèlent que c’est après cette date que l’habitat a progressé vers la bande verte avant d’atteindre sa limite.
 Carte n° 5. Occupation du sol à Guédiawaye en 2005Carte 5
Source : A. Ly, 2021
Carte n°6. Occupation du sol à Guédiawaye en 2019Carte 6
Source: A. Ly, 2021
Le responsable du franchissement de la zone tampon est L’État qui a autorisé l’implantation de nouveaux programmes d’habitat comme les Hamo et de nombreuses cités érigées par des coopératives : Urbanisme, Air Afrique, Biagui etc. La dernière en date est la cité Gadaye créée en 2008. Désormais le bâti, après avoir grignoté la bande, est désormais appuyé par L’État qui a organisé le déclassement de celle-ci. C’est la dynamique enclenchée par ce double processus que tente de restituer la section qui suit.
2.1.2. Du grignotage à la liquidation planifiée 
En 2005, année de référence de l’archivage Google Earth pour la zone, les plantations de filaos occupaient 96,7 ha, soit 56% de la superficie de la bande littorale (Carte n°7). En raison du vieillissement et du déficit d’entretien, la mortalité parmi les filaos explique l’importance des étendues dunaires ravivées qui occupent 42% de la bande littorale (Carte n°7). A l’époque, le maraîchage, peu implanté occupe à peine 1% de la superficie. Marginal, le bâti avec seulement 2% de la superficie, se limite alors à une petite tache  à l’ouest de la bande (Carte n°7).
Carte n°7. Occupation du sol dans la bande de filaos en 2005Carte 7
Source: A.  Ly, 2021
Les trois années qui suivent se caractérisent par une certaine stabilité dans l’occupation du sol. Les rares mutations observées sont les micros taches de bâti qui couvrent l’excroissance autrefois dénudée de Gadaye et qui expliquent la légère progression du bâti passé de 2, à 2,9% en trois ans (Carte n°8).
Carte n°8. Occupation du sol dans la bande de filaos en 2008Carte 8
Source: A. Ly, 2021
La même tendance est observée en 2012, avec toutefois un frémissement plus conséquent du bâti dont la superficie a presque doublé, passant de 2,8 à 6,3 ha en trois ans. Mais cette progression n’affecte pas la superficie occupée par les filaos restée stable à 57% dans la mesure où l’espace bâti en question correspond  à la nouvelle cité Gadaye construite sur une étendue ravivée (Carte n°9).
Carte n°9. Occupation du sol dans la bande de filaos en 2012Carte 9
Source: A. Ly, 2021
Au total, pendant cette phase 2005-2012, l’occupation du sol, marquée par la stabilité de la bande de filaos, traduit la résistance à la pression du bâti et au grignotage. Cependant l’érection de Gadaye sur une zone, même ravivée, préfigure la rupture dans la dynamique.
2.1.3. A partir de 2015, l’assaut du béton contre la verdure
Depuis 2015, une nouvelle dynamique urbaine a bouleversé l’occupation du sol dans la bande de filaos, avec deux étapes assez distinctes mais ayant convergé vers les mêmes conséquences, la destruction de l’écosystème des filaos.
En 2015, la superficie de la bande de filaos s’effondre à 28 %, soit un recul de 19 % en l’espace de trois ans (Carte n°10). Ce n’est pas la faible implantation périphérique dans le prolongement de Gadaye qui explique cette chute brutale. Deux facteurs de dégradation sont en cause. Le premier est le ravivement dunaire dont la superficie est passée de 39 à 51%, soit une progression de 20 %. Il est surtout important dans la partie Est de la bande, près de Gadaye, où les étendues dunaires ravivées occupent désormais la protubérance verte qui caractérisait cette zone (Carte n°10). Le second facteur de dégradation est l’emprise de la VDN. Entre la superficie occupée par l’infrastructure elle-même, les voies latéritiques utilisées par les engins de chantier et les espaces d’entreposage, c’est au total 10% de  la superficie de la bande qui a été soustraite par la VDN (Carte n°10).
 
Carte n°10. Occupation du sol dans la bande de filaos en 2015Carte 10
Source: A.  Ly, 2021
En 2019, estimant qu’en raison du vieillissement des filaos la bande était de toute façon condamnée, L’État a pris la décision de la déclasser. Le cadre réglementaire qui jusque-là pouvait permettre de la protéger disparue, les opérations d’aménagement se sont multipliées. A l’initiative de L’État, l’aménagement de Gadaye-Extension et du projet de cimetière départemental ont fait faire au bâti un bond de 17%, passant de 8 à 30 ha entre 2015 et 2019 (Carte n°11). Parallèlement, l’élimination des vieux filaos a accéléré le ravivement, et les étendues dénudées ont vu leur superficie progresser de 7% (Carte n°11). Tirant profit de la situation, les installations sauvages de maraîchers jusque-là marginales se sont multipliées, portant la superficie de 2 à 6% (Carte n°11). Conséquences de toute cette dynamique, la superficie de la bande de filaos est à un niveau d’étiage jamais atteint, avec seulement 9% désormais.
Carte n°11. Occupation du sol dans la bande de filaos en 2019Carte 11
Source: A. Ly, 2021
Au total, l’observation dynamique de la bande sur  la période 2005-2019 a permis de visualiser sa disparition progressive avec deux phases bien distinctes. Une phase de résistance qui va de 2005 à 2015 pendant laquelle, adossée à un cadre réglementaire protecteur, elle a su contenir les assauts du bâti. Une phase d’accélération ouverte par le déclassement et qui a quasiment éliminé la bande verte en l’espace de quatre ans. Ensemble, la superficie autrefois verte (filaos disparus et espaces ravivés) et aujourd’hui menacé se chiffre à 89% de la bande (Carte n° 12). Les filaos résiduels (9%) et régénérés (2%) se partagent le reste de la superficie (Carte n°12). Plantée pour fixer la dune et protéger ainsi le continent contre son avancée, l’élimination de la bande par l’urbanisation, bien que récente, impacte déjà significativement l’environnement littoral. L’observation et un essai de mesure de ces impacts est l’objet du second chapitre.
Carte n°12. Synthèse de l’occupation du sol par les filaos en 2019Carte 12
Source : A. Ly, 2021

2.2. Impacts de la destruction de la bande de filaos sur le recul du trait de côte

La cinétique dunaire concerne le système tafolien constitué par deux générations de dunes qui se distinguent par une dynamique spatiale comparable (Figure n°1). La partie la plus continentale des dunes jaunes, première génération, se trouve être les dunes ravivées. Sous l’effet conjugué de la sahélisation et de l’action anthropique, ces massifs, repris en dunes vives, migrent vers le continent où ils chevauchent l’erg ogolien, et ensevelissent, au passage, les dépressions maraîchères dans  leur trajectoire. Quant à la deuxième génération, celle des dunes blanches,  elle est bordée et alimentée à partir de la plage aérienne, réservoir agité que prolonge une plage sous-marine. P. Sagne et al. (2021) soulignent que l’absence d’édifices immergés dans la plage sous-marine est un des facteurs importants de la dynamique du trait de côte. En effet,  par leur capacité à amortir l’énergie des houles du nord-ouest avant qu’elles n’atteignent le rivage, ils auraient empêché le déferlement direct sur la plage. Or, c’est ce dernier qui entraîne des variations importantes de la morphologie dunaire et conditionne  la dynamique du trait de côte. Celui-ci, appelé aussi ligne de rivage dans les zones littorales de types micro-tidales, peut être défini à la suite de P. Sagne et al. (2021), comme  la limite supérieure d’humectation de l’estran visible, continue et facilement reconnaissable.
Figure  n°1. Profil spatiotemporel de la Grande Côte

Figure 1

Source : Pezeril et al., 1986, modifié par l’auteur
Avec les archives des images satellitaires de Google, nous avons observé la dynamique de l’évolution du trait de côte entre 2007 et 2021. Il apparaît  que pendant cette période, la mer a avancé au rythme de 0,08 m par année. Le recul du trait de côte est plus fort à hauteur de la cité Biagui dans la commune de Wakhinane Nimzatt (Carte n°13).
Carte n°13. Evolution du trait de côte le long du littoral de GuédiawayeCarte 13
Source: A. Ly, 2021
Cela va dans le même sens que les résultats de P. Sagne et al. (2021). En effet recourant à la méthode de la régression linéaire, ils ont étudié les dynamiques littorales sur une longue période qui va de 1942 à 2011. Ils ont abouti à des conclusions sur un bilan globalement négatif, avec  des taux d’érosion variant entre -0,04 m/an et -0,22 m/an. Apportant des nuances territoriales à cette dynamique érosive, les auteurs soulignent que le phénomène érosif est plus important à Gadaye comparé à Malika. Ils avancent un argument topographique et hydrodynamique pour expliquer ce différentiel dans la dynamique érosive, en précisant qu’à Malika, c’est la largeur plus importante de la plage qui est en cause. Ils soutiennent que les plages plus larges possèdent une meilleure capacité à amortir les effets de la houle que les plages étroites. Plus globalement à l’échelle de Guédiawaye-Malika qui est leur zone d’étude, P. Sagne et al. (2021, p. 235) incriminent la houle et la topographie de la plage et font de l’urbanisation un simple facteur potentiel d’accélération de l’érosion :
L’impact de cette urbanisation sur les fluctuations de la ligne de rivage n’est pas encore véritablement établi, ce qui confirme bien que les facteurs qui déterminent le plus l’évolution de ce segment littoral sont les houles du Nord-ouest auxquelles s’ajoutent les extractions de sables. Toutefois, […] avec les coupes de filaos au profit des constructions humaines, il pourrait se produire une certaine influence des activités humaines dans le fonctionnement de ces plages en favorisant la rupture des échanges sédimentaires entre les dunes et la plage par immobilisation des sédiments dunaires sur lesquelles s’effectuent les constructions.
Cette éventualité vers laquelle ils se projettent dans leur conclusion est déjà une réalité. La destruction des filaos contre laquelle ils mettaient en garde est effective. Sans minorer l’action des facteurs physiques, nous estimons qu’à leur côté, c’est la destruction des filaos et la réduction du stock sédimentaire dunaire qui expliquent les variations territoriales de l’érosion. En effet, une observation plus rapprochée à grande échelle montre des nuances locales liées à la présence du bâti et à la végétalisation de la dune. L’instrument de cette observation est la réalisation de transects le long du littoral de Guédiawaye, traversant ainsi des étendues bâties et les espaces encore fixés par la végétation.
Carte n°14. Transect  couvrant la partie Ouest urbanisée du littoral de GuédiawayeCarte 14
Source: A. Ly, 2021
Ainsi que le montre  le  transect 8 (Carte n°14) couvrant la partie Ouest du littoral plus  urbanisée, le bâti est à seulement 140 m de la mer. En plus de ses dynamiques propres en contexte de réchauffement climatique, le recul du trait de côte est de toute évidence accéléré par l’immobilisation de la dune par le bâti. A l’échelle de l’année, les dunes proches de l’espace bâti connaissent de faibles variations de leur profil. (Carte n°14).
Carte n°15. Transect  couvrant la partie Est moins urbanisée du littoral de Guédiawaye

 

Carte 15

Source: Ly, 2021
A l’opposée, dans  la zone Est où subsiste une fixation par les filaos résiduels, le transect 3 montre que la mer est à  604 m (Carte n°15). Du fait de la végétalisation de la dune fixée à laquelle elle est adossée, la dune vive connaît des variations significatives au niveau de son altitude et  de sa pente (Carte n°15). Elle dispose d’un stock sédimentaire important grâce auquel elle alimente les plages en sédiments et permet de renouveler leur stock sédimentaire pendant les périodes de fortes houles érosives. C’est un des éléments explicatifs de la moindre sensibilité de cette portion de littoral à l’érosion côtière.

Conclusion

La cartographie diachronique de l'occupation du sol,  à partir des archives d’images Landsat et celle de l'évolution du trait de côte, en recourant aux images historiques de Google Earth entre 2005 et 2021 ont permis d’explorer  deux impacts en interaction : d’une part, les effets de l’urbanisation rapide de Guédiawaye sur la bande de filaos ; d’autre part, les effets de la destruction de celle-ci sur  la dynamique littorale. Cette urbanisation explosive a dévoré en quelques décennies toutes les réserves foncières. Ainsi que le montre la cartographie dynamique de l’occupation du sol entre 1966 et 2019, le bâti occupe aujourd’hui la presque totalité de la ville. En 2005, les plantations de filaos occupaient 56% de la superficie de la bande littorale. Le bâti, alors marginal, ne dépassait pas 2% de la superficie. Quinze ans plus tard, en 2019, le bâti s’étend sur 27 % de la superficie de la bande qui n’est plus végétalisé qu’à 9%.
Plantée pour fixer la dune et protéger le continent, l’élimination de la bande par l’urbanisation, bien que récente, impacte déjà significativement l’environnement littoral. Entre 2007 et 2021, la mer a avancé au rythme de 0,08 m par année avec des nuances territoriales pouvant s’expliquer en partie par la disparition ou la présence résiduelle de filaos. Une des regrettables originalités dans ce processus est le rôle atypique des politiques publiques. Ailleurs, elles vont dans le sens de préserver les dunes et la végétation fixatrice  contre la pression urbaine. A Guédiawaye, c’est l’Etat qui planifie la vulnérabilisation du massif dunaire.
Une double mise en perspective par rapport aux origines et à l’avenir de la Grande Côte montre le caractère quasi suicidaire de cette option. En effet, telle qu’elle est aujourd’hui configurée, la Grande Côte sénégalaise est le produit de mouvements eustatiques parmi lesquels la transgression nouakchottienne a joué un rôle de premier plan. Or, ainsi que le souligne I. Niang et al. (2004),  l’élévation du niveau marin attendue à la suite du réchauffement climatique pourrait atteindre, sur la Grande Côte, les niveaux enregistrés lors du Nouakchottien. La grande différence est que cette zone à l’époque totalement inhabitée, est aujourd’hui une fourmilière humaine, notamment dans la partie dakaroise urbanisée de la Grande Côte.

Références

Références bibliographiques

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Publié

31 Décembre 2022

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=272

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