2022/Vol.4-N°10 : VARIA

10 |SCOLARISATION DES FILLES ET MIGRATION : ENJEUX D’UNE ARTICULATION A DIOFIOR AU SENEGAL

EDUCATION OF GIRLS AND MIGRATION: CHALLENGES OF AN ARTICULATION AT DIOFIOR IN SENEGAL

Auteurs

  • GAYE Ibrahima Diop Enseignant-chercheur ibouga2@yahoo.fr, Université Cheikh-Anta-Diop (UCAD)
  • SARR Ndèye Ngof étudiante, Master 1 ndyengof91@gmail.com, Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Mots-clés:

Diofior| école| migration| scolarisation des filles| enjeu|

Résumé

La présente étude se déroule à Diofior, une commune au centre du Sénégal, dans un contexte marqué par les efforts de scolarisation des filles avec des résultats variés selon les régions, les communautés locales, les valeurs culturelles, l’attitude des parents et la perception de l’école. L’objectif consiste à analyser l’abandon précoce de l’école en confrontant les différents discours et pratiques sur l’école sous le prisme de la migration. La méthodologie a combiné une enquête quantitative au moyen d’un questionnaire administré à un échantillon de 150 chefs de ménage et des entretiens avec des personnes-ressource et des filles de Diofior établies à Dakar. Les résultats indiquent un profil atypique des migrants dont l’âge moyen est de 15 ans, avec une majorité de filles moins instruites que les garçons. La recherche d’un travail salarié, l’exécution d’un projet migratoire familial, le besoin de se prendre en charge et le tropisme expliquent l’abandon précoce des études chez les filles. Les enquêtes confirment aussi que le niveau d’instruction des parents influence la perception de l’école et que la volonté d’y inscrire les filles est fonction de l’activité du parent. L’abandon précoce de l’école est perçu comme avantageux pour la famille, la communauté et la commune.  L’étude révèle que ni la tradition ni la religion n’influence la décision des parents à s’aligner au choix des filles d’assurer elles-mêmes leur propre prise en charge. L’étude montre aussi que le nouvel ordre scolaire mondial ne prospère pas à Diofior où l’adhésion à l’école et son contournement constituent une attitude et des pratiques courantes pour s’adapter à la précarité économique.

Introduction

La communauté internationale multiplie les efforts de promotion de l’éducation depuis la Conférence de Jomtien en 1990 sur l’Éducation pour tous, en passant par le Forum de Dakar, le Sommet sur les Objectifs du Millénaire pour le développement en 2000, jusqu’aux nouveaux Objectifs pour le Développement Durable à l’horizon 2030. Dans ce contexte, le développement de la scolarisation des filles, est sans doute considéré comme une priorité majeure de l’agenda international. L’intégration par le Sénégal de cette problématique dans les stratégies de réduction de la pauvreté ainsi que dans sa politique éducative, a donné l’espoir qu’avec la généralisation de l’enseignement élémentaire, le taux de scolarisation des filles serait nettement amélioré. Ainsi, avec la politique de la scolarisation des filles [SCOFI], l’écart entre les sexes a varié selon les zones et parfois en faveur des filles, surtout en milieu urbain. Plus récemment, sur la période 2016-2020, le taux d’achèvement global chez les filles a progressé au Sénégal de 65,0 % à 69,5 % contre 54,6 % à 55,0 %, chez les garçons. À l’examen du baccalauréat 2020, le taux d’admission chez les filles était de 52 % toutes séries confondues contre 37 % en 2019. Des chiffres qui témoignent des performances concernant la scolarisation des filles, leur maintien à l’école et leurs résultats scolaires (Ministère de l’Education Nationale, 2021). Ainsi, la sortie précoce des filles de l’école à Diofior est d’autant plus difficile à comprendre que la SCOFI s’est bien appuyée sur un plaidoyer porté par une diversité d’acteurs comme les organisations non gouvernementales, les leaders communautaires, les autorités religieuses et administratives ainsi que les parents d’élèves. A Diofior, malgré un taux d’inscription élevé, le taux d’abandon des filles est largement au-dessus de celui des garçons. Une déscolarisation qui interpelle, surtout quand elle est articulée à la migration qui est devenue une pratique familiale pour s’adapter à la crise agricole et économique. Malgré l’intériorisation de la division sexuelle du travail, les filles s’affranchissent de l’école, sans nécessairement rester au foyer. Diofior, comme la plupart des communes rurales, a très tôt été confrontée à la migration saisonnière de ses adolescents. Celle-ci se déroulait durant les vacances scolaires et offrait aux élèves l’occasion d’aller en ville satisfaire leur curiosité et surtout trouver un travail salarié. Un séjour qui leur permettait d’acheter quelques fournitures scolaires et satisfaire certains besoins vestimentaires. Ce type de migration est aujourd’hui devenu permanent au détriment de l’école et gagne de plus en plus de terrain malgré les initiatives du CEPSCOFI[1] local. Dans ce contexte, la sortie précoce des filles de l’école semble relever d’un système bien établi et rejoint ce que Fall [1987, p.9] a qualifié de « passage obligé de jeunes filles rurales en tant que phénomène culturel qui s’intègre désormais dans les mœurs et traditions des villages Séreer du Siin». Toutefois, sans chercher à établir une quelconque relation entre les systèmes idéologiques et la migration, la présente étude tente de comprendre pourquoi, malgré les progrès de l’alphabétisation et de la scolarisation des filles, les parents continuent d’admettre voire d’encourager les filles à abandonner l’école pour migrer ? En effet, si les antécédents historiques, les facteurs sociaux et psycho-sociaux ne sont pas négligés du fait de l’importance de leur rôle, les possibilités d’interrogation restent nombreuses. Sous cet angle, l’étude pose la question de savoir : qu’est-ce qui fait que les filles abandonnent prématurément l’école plus que les garçons pour migrer même placées dans des conditions économiques identiques ? En écartant toute insuffisance d’offre d’éducation, s’intéresser à la scolarisation des filles à Diofior permet aussi d’insister sur ladite offre. Rappelons que le premier établissement scolaire de Diofior a vu le jour avant l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. Les autorités coloniales, dans leur politique de disposer d’agents subalternes pouvant remplir certaines tâches administratives, avaient entrepris de créer des écoles dans les colonies. C’est ainsi que Diofior verra sa première école en 1948, même si son expansion n’a pas été aisée. En effet, implantée dans un milieu d’agriculteurs et d’éleveurs, l’école était perçue comme un élément destructeur selon B. Dim (ancien instituteur et membre de la première promotion de cette école, juin 2022, source : Gaye et Sarr). Au fil du temps, cette localité n’a cessé de bénéficier d’infrastructures scolaires selon la demande. Aujourd’hui, Diofior possède un système scolaire complet (préscolaire, primaire, et secondaire). La carte préscolaire est riche de quatre garderies accueillant plus de 300 enfants, huit écoles élémentaires, quatre collèges (dont deux privés) et d’un lycée créé en 1997.
Le cycle élémentaire a un effectif total estimé à 2470 élèves répartis en 1277 garçons contre 1193 filles, l’enseignement moyen compte 1998 élèves répartis en 965 garçons contre 1033 filles montrant indice de parité favorable aux filles avec 51,70 %. Quant au niveau secondaire le lycée totalise 1240 apprenants dont 336 filles et 604 garçons soit 51,29 % contre 48,71 %. Face à cette suffisante offre, la scolarisation universelle n’est plus un combat à Diofior ; le véritable défi à relever est celui du maintien des filles à l’école. La progression du taux de scolarisation de la commune comparée à la sortie prématurée des filles fait postuler l’hypothèse selon laquelle : le départ des filles de l’école s’explique moins par la réticence d’un système social et culturel que par un contexte économique qui leur attribue un rôle productif prématuré qui considère l’école comme un moyen de promotion sociale de second plan. Le présent article a pour objectif, dans un contexte d’accroissement de l’offre éducative et de présence de modèles locaux de réussite scolaire, de confronter les différents discours et pratiques autour de la scolarisation des filles à Diofior sous le prisme de la migration.
 
[1] Comité des Enseignants Pour la Scolarisation des Filles.

Méthodologie

1. Matériels et méthodes

1.1. Recherche des données et opérationnalisation des variables

La démarche de l’étude s’est construite autour de trois étapes, notamment une revue documentaire, une enquête quantitative et des entretiens. La revue documentaire a porté sur la scolarisation des filles au Sénégal et à l’académie de Fatick, région d’appartenance de Diofior. Elle a permis la construction des outils de recueil d’informations que sont le questionnaire et le guide d’entretien. L’enquête quantitative a été menée auprès de 150 ménages aléatoirement choisis et répartis de manière proportionnelle entre les 12 quartiers de Diofior. Les répondants sont les chefs de ménage. Cet échantillon a été complété par un second composé de 35 filles, anciennes élèves à Diofior actuellement installées à Dakar et qui exercent un travail salarié (essentiellement comme employée de maison). Quant aux entretiens, ils ont été effectués auprès de personnes-ressource composées de responsables d’établissements (directeurs d’école, principaux de collège et proviseur de lycée), des élus locaux (maire et conseillers municipaux] et d’autorités traditionnelles (autorités religieuses et chefs coutumiers). Les entretiens ont porté sur les motifs d’abandon de leurs études, leur départ de Diofior, le choix de la destination, leur situation actuelle ainsi que leur soutien à la famille restée sur place.

1.2. Traitement et analyse des données

Les données quantitatives ont été traitées avec le logiciel SPPS qui a permis de tester certaines hypothèses sur les relations entre la perception de l’école, l’attitude des parents, leur niveau d’instruction et l’adhésion à l’école. Quant aux données qualitatives, leur traitement s’est effectué avec l’utilisation du logiciel Atlas-ti qui a permis de les organiser, avant de les coder pour ensuite analyser les différents types de données qualitatives selon qu’il s’agit d’entretiens, de questions ouvertes, de documents d’archives, supports ethnographiques, d’enregistrements audio, entre autres. Cet outil permet de travailler sur des corpus volumineux en valorisant, notamment, des opérations de classification et de catégorisations des données. La méthode d'analyse des données mise en oeuve est celle de l’analyse qualitative de contenu du discours (Mucchielli, 2006). Cette méthode consiste à retenir le sens donné au contenu en distinguant les contenus manifestes et les contenus latents (Limikou Bikiela, 2015 : 31). Ainsi, deux types de contenus ont été définis notamment des contenus à caractère économique et des contenus à caractère social et culturel en vue de mieux expliciter les causes de déperdition scolaire chez les filles. Ce traitement a permis de confronter les différents discours et pratiques des parents autour de la scolarisation des filles à Diofior et de les situer par rapport à la pratique de la migration.
Tableau n°1. Répartition de l’échantillon selon les différents quartiers
Tableau 1
Source : Enquête de terrain, 2022

Résultats

2. Résultats

L’analyse des résultats a porté sur trois points. Il s’agit d’abord, de la présentation des caractéristiques sociodémographiques des répondants (chefs de famille et filles ayant abandonné les études), ensuite, de l’appréciation de l’école par les parents et leurs attitudes par rapport à la sortie des filles de l’école et enfin, des enjeux de la scolarisation des filles.

2.1. Caractéristiques sociodémographiques des répondants

Diofior est une commune rurale au centre du Sénégal avec une superficie de neuf kilomètres carrés, pour une population estimée à 13 782 habitants en 2019 (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie). Essentiellement dominée par l’ethnie Séreer. Cette population a une tradition agricole. Elle appartient à l’ancienne province du Siin, zone pourvoyeuse de main-d’œuvre aux autres régions du pays à cause du manque de terres agricoles. Les ménages auprès desquels les enquêtes se sont déroulées sont dirigés en majorité par des hommes (86 %) appartenant à l’ethnie Séreer pour 91 %. Le niveau d’instruction des chefs de ménage est relativement faible, 51 % ont un niveau d’étude élémentaire, tandis que 28 % sont alphabétisés en Arabe. Seule une proportion de 14 % a fait le cycle moyen (de la sixième à la troisième). Au niveau économique, les chefs de ménage sont cultivateurs (45 %), pêcheurs (19 %), commerçants (14 %), ou transporteurs (9 %). Rappelons que l’étude se déroule Séreer, où domine l’activité agricole et que la main-d’œuvre disponible est une donnée importante pour le ménage (Graphique 1). Les résultats montrent une distribution très inégale de la population avec 49 % des ménages qui ont plus de 20 membres, 14 % ont entre 15 à 20 membres, 31 % ont entre 10 à 15  membres et que 4 % présentent une population variant entre 1 à 5 membres. Au niveau matrimonial, les ménages sont en majorité monogamiques (70 %), et comptent plus de 3 filles (46 %) dont au moins deux (2) inscrites à l’école pour 67 % d’entre eux.
Graphique n°1 : Distribution de la population par ménageGraphique 1
Source : Enquête de terrain, 2022
Quant aux migrants, les résultats montrent une majorité de filles avec un taux 58 % essentiellement composée de célibataires. Les résultats renseignent aussi sur un profil atypique des migrants avec une proportion de (46 %) de filles dont l’âge est compris entre 11 et 20 ans. Une situation qui montre la rareté d’opportunités économiques pour les jeunes de Diofior et l’abandon prématuré de l’école par les élèves. En effet, la propension des adolescentes à migrer semble bien s’accommoder du recul de l’âge du mariage même dans une commune marquée par la ruralité. En ce qui concerne le niveau d’instruction des migrants, (Graphique n°2) malgré un bon maillage de la région en matière d’équipements et d’infrastructures scolaires, les enquêtes montrent une majorité de filles moins instruite que les garçons.
Graphique n°2 : Répartition du niveau d’instruction des migrants selon le sexeGraphique 2
Source : Enquête de terrain, 2022
Le graphique n°2 indique que les filles, en valeur relative, abandonnent l’école plus tôt que les garçons et s’adonnent à la migration plus tôt que ces derniers. Les filles qui quittent Diofior ont trois destinations principales, notamment Dakar qui en accueille 77 %, Mbour [13 %] et Fatick (9 %). L’attractivité de Dakar est confirmée par l’analyse des flux migratoires ruraux urbains entre les régions du pays (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, 2018).

2.2. Apprécier l’école sans lutter contre la sortie précoce des filles

Une diversité de facteurs est à l’origine de l’abandon précoce des études par les filles. D’abord, un environnement dégradé, incapable de supporter les activités traditionnelles [agriculture, élevage et pêche] explique pourquoi une majorité des enquêtés [58 %] estime que la migration des adolescents est causée par les mauvaises récoltes. Ainsi, la migration saisonnière qui se déroulait durant les vacances scolaires pour les élèves désireux de découvrir la ville ou durant la saison sèche après les travaux champêtres, est devenue permanente. Ensuite, un autre facteur explicatif des départs des jeunes réside dans le mimétisme ; comme le montrent les enquêtes, l’école est perçue à Diofior comme une voie de promotion économique et sociale (tableau 2). Sur ce plan, les enquêtes confirment que le niveau d’instruction des parents influence à la fois la perception de l’école (Khi2 = 49,3 supérieur à 16,92 de la table) et la migration des adolescents (Khi2 =28,5 supérieur à 7,81). Les enquêtes révèlent également que la volonté d’inscrire les filles à l’école est aussi fonction de l’activité du parent. Le nombre moyen de filles par ménage est de 2,73 et 62 % des chefs de ménage n’inscrivent pas la totalité de leurs filles à l’école. Une majorité de 91,3 % des répondants estime que le départ des adolescents n’est pas un problème ni pour la famille ni pour la communauté. A la question « quelles solutions proposez-vous pour réduire la propension des écolières à migrer ? », une majorité de 95,3 % déclare : « qu’il n’est ni possible ni envisageable, dans les conditions actuelles, d’empêcher le départ des adolescentes vers les centres urbains ». Une manière de reconnaître que le système scolaire n'est pas investi de manière identique par les différentes fractions sociales, même si, en Afrique, l'école a incarné le lieu privilégié des stratégies d'ascension socio-économique.
Tableau n°2 : Perception de l’école par les parentsTableau 2
Source : Enquête de terrain, 2022
Les enquêtes ont révélé des positions diverses voire contradictoires sur la scolarisation des filles chez les différents acteurs. A la question « estimez-vous que les filles quittent précocement l’école et leur famille pour migrer ?», 87 chefs de ménages (58 %) répondent par l’affirmative. Une position qui s’appuie sur des justifications comme « les filles quittent plus tôt que les garçons pour des raisons économiques [aller chercher du travail salarié] pour aider leur famille et pour des raisons sociales comme le mariage ». Cependant, une certaine ambivalence se lit dans la position des chefs de ménage ; la plupart d’entre eux développe une perception positive de l’école considérée comme un moyen de réussite sociale (30%). Cette perception favorable de l’école se retrouve plus chez les hommes (31,7 %) que chez les femmes chefs de ménage (19 %). L’étude montre aussi que la perception positive de l’école, bien que largement partagée, n’implique pas pour autant un maintien des filles à l’école. Un second point d’ambivalence dans les attitudes des parents réside dans la préférence de la candidature à la migration. Par exemple, par rapport à la question « qui des filles ou des garçons souhaitez-vous voir migrer ? ». Une fraction de 51,3 % des chefs de ménage (dont la totalité des femmes), souhaite le départ des garçons. Les raisons avancées sont nombreuses ; ainsi selon B. Sène, cultivateur de 62 ans et père de 5 filles : « parce que les filles, en restant au foyer, aident leur maman dans l’entretien de la maison, elles s’occupent mieux des courses et des services que les garçons». Il est rejoint dans sa position par F. Diouf, une mère de famille de 55 ans, qui affirme : « les filles sont plus sensibles à notre situation, je préfère que les garçons partent parce que les filles s’occupent mieux de nous les parents ». Ceux qui préfèrent le départ des garçons le justifient aussi par des arguments comme : « parce qu’ils sont plus aptes à travailler ». Quant aux avantages associés au départ de l’école pour un travail salarié, les parents déclarent à 97,3 %, que la migration présente plus d’avantages que d’inconvénients et que ces avantages profitent à la famille, à la communauté et à la commune. Malgré le départ précoce des filles de l’école, les parents ont des attentes plus élevées de la migration des garçons que de celle des filles (88 chefs de ménage soit 58,7 % de l’échantillon). Les parents qui ont plus d’attente des filles le justifient avec pour arguments « les filles ne veulent pas qu’on rencontre des problèmes ; elles gagnent plus d’argent que les garçons et elles sont plus sensibles à notre situation. C’est pourquoi elles font tout leur possible pour nous aider dans les dépenses familiales ». M. Sarr, élu local de 49 ans, juin, 2022.  (Graphique 3). Quant aux filles rencontrées à Dakar, elles déclarent que la migration est un moyen d’améliorer leurs conditions de vie en permettant de trouver un travail. La quête d’autonomie financière (16 %) et un certain tropisme avec, notamment la volonté de rejoindre une sœur ou un membre de la famille sont aussi des raisons avancées. Le mimétisme social explique pour 18 %, la décision d’abandonner les études pour migrer : S. Thior, fille de 15 ans rencontrée au quartier Liberté 6 de Dakar, déclare : « j’ai très tôt nourri le désir de faire comme les enfants des autres qui sont venues travailler à Dakar. Leur situation et celle de leur famille laissée à Diofior s’est améliorée. Mes parents m’ont même encouragée dans mon choix de venir travailler ici. J’ai leur bénédiction ». Cette position remet en question une interprétation largement partagée de la sous-scolarisation des filles selon laquelle :
« …la sous-scolarisation des filles en Afrique Subsaharienne est le fruit de rapports de genre fortement inégalitaires : les garçons sont “naturellement” amenés à fréquenter l’école puisque leur rôle est, à terme, d’assurer la subsistance du ménage, c’est à dire celle de leurs femmes. Ces dernières doivent, pour leur part, être éduquées à ce rôle. Or l’instruction scolaire n’apparait pas comme le moyen le plus sûr d’acquérir les rudiments du “métier de femme”. Au contraire, l’indépendance économique et intellectuelle qui pourrait en découler va à l’encontre de ces apprentissages ». [L. Moguérou, 2009, p.205]
Graphique n°3 : Proportion des motifs d’abandon  de l’école par les fillesGraphique 3
Source : Enquête de terrain, 2022

2.3. Les enjeux de la scolarisation

Selon la déclaration d’Incheon et par rapport au cadre d’action pour la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable n°4, les États s’engagent à « Assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité ». L’étude révèle une attente démesurée vis-à-vis des filles. Sur les 150 chefs de ménage enquêtés, 139 (92,7 %) estiment que la migration des jeunes présente des avantages pour la famille, la communauté et la commune. Des avantages qui ont pour nom la contribution à l’entretien de la famille à travers les dépenses alimentaires, l’amélioration du confort domestique et les investissements productifs. Sur ce dernier plan, des migrants investissent dans l’acquisition de motocyclettes exploitées dans le transport des personnes. Cette activité est une alternative à l’agriculture en tant que source de revenus pour subvenir aux besoins de la famille y compris les dépenses scolaires à savoir les frais d’inscription, l’achat de fournitures, l’habillement des écoliers etc.. Les filles qui ont des besoins spécifiques comparés aux garçons sont plus affectées par la précarité des familles.  Dès lors, le besoin de se prendre en charge trouve solution dans l’abandon des études pour trouver une activité salariée. En revanche, les avantages immédiats de la migration des filles pour la famille en termes de contribution à la satisfaction des besoins des ménages, ne dissimulent pas un certain regret chez une bonne partie des parents. Plusieurs déclarations vont dans ce sens : « j’aurais bien voulu voir ma fille réussir à l’école surtout qu’elle travaillait bien, mais à défaut de lui assurer le nécessaire pour étudier, j’ai dû la laisser aller tenter sa chance ailleurs » selon N. Senghor, femme de 57 ans, mère de famille avec 2 filles à Dakar. Un autre père de famille d’insister sur l’importance des études : « nous savons tous que pour être ‘’patron’’, il faut passer par l‘école, mais les riches ont plus de choix que nous. Notre situation de cultivateur ne donne pas la chance à nos enfants d’aller loin dans les études. C’est la volonté de Dieu ; mais il faut dire aussi que le gouvernement ne nous aide pas pour laisser nos enfants à l’école. Si ton enfant a un oncle fonctionnaire, il peut l’aider à étudier », A. Ngom, pêcheur et père de famille de 65 ans. Ces discours laissent percevoir qu’« en s’imposant aux familles, qu’elles soient aisées ou défavorisées, qu’elles adhèrent ou non au projet sociétal et universaliste d’une mise à l’école de l’enfance et de l’adolescence, l’impératif scolaire fait de l’École l’enjeu éducatif central des familles ».(M-F. Lange et M. Pilon, 2009, p.9.). Un autre auteur, (L. Moguérou, 2009, p.205) va dans le même sens, en ajoutant que : « dans les classes sociales supérieures, l’acquisition de diplôme pour les garçons comme pour les filles est au cœur des stratégies de reproduction sociale ». Les enseignants déplorent et regrettent l’abandon précoce des filles dont une partie était prometteuse. Les propos d’un directeur d’école sont alarmants : « en tant que chef d’établissement, mes collègues et moi sommes souvent déçus, voire étonnés d’apprendre que telle fille, parmi nos meilleurs élèves, a quitté l’école, sacrifiant ainsi son avenir. Les parents sont suffisamment sensibilisés ici surtout avec le CEPSCOFI, mais ils préfèrent sacrifier l’avenir de leurs enfants pour avoir du soutien financier si maigre soit-il ». 

Conclusion

La présente recherche s’est intéressée à l’influence de la migration des filles sur leur sortie précoce de l’école à Diofior. Elle a permis de retenir que l’abandon précoce de l’école par les filles dans cette commune est fondé sur la recherche de travail salarié. Sur la base de ce faible maintien à l’école, deux principales conclusions ont été retenues. D’une part, la perception positive de l’école et des avantages qu’elle procure, n’est pas une condition suffisante pour y maintenir les filles, aussi longtemps que les parents céderont aux sirènes de la rentabilité financière immédiate. En effet, la précarité économique dans laquelle vivent la plupart des familles, les conduit à trouver des stratégies internes d’adaptation dans une société Séreer où la suffisance et la fierté sont des valeurs capitales. D’autre part, le nouvel ordre scolaire mondial qui structure la politique éducative des pays du Sud est loin de s’imposer aux familles qui pratiquent un contournement ciblé qui met les filles au cœur du projet migratoire. L’on retiendra dès lors qu’en tant qu’institution sociale avec son système de cohérence et son autonomie, l’école n’en demeure pas moins une institution très liée aux autres institutions de la société. La famille reste la première institution à laquelle elle est fortement incrustée au point que les mutations de celle-ci rejaillissent sur ses formes. Autrement dit, les attentes des familles s’imposent comme principe organisateur d’une scolarisation durable et profitable des filles. Ce qui conforte l’idée qu’être « hors-école » relève des alternatives promises à un bel avenir à Diofior.

Références

Références bibliographiques

AGENCE NATIONALE DE LA STATISTIQUE ET DE LA DEMOGRAPHIE [ANSD], 2021, Situation économique et sociale régionale de Fatick.  
ASSANE-IGODOE Aïssata, 2018, Scolarisation des filles et genre : influence des rapports sociaux de sexe sur la scolarisation des filles au Niger, thèse de doctorat, Université Paris-Descartes.).
BONINI Nathalie, 2018, « L’enjeu sociétal de la scolarisation des filles de pasteurs Est-africains : confrontation des discours et des pratiques en présence ». Presses de Sciences Po | « Autrepart ». 2018/3 N° 87 | pages 143 à 160.
DAVERNE Carole et DUTERCQ Yves, 2013, Les bons élèves. Expériences et cadres de formation. Paris : PUF, 212 p. https://doi.org/10.4000/rfp.4193
FALL Abdou Salam, 1987, La migration rurale-urbaine des Séreer du Sine vers Dakar et sa banlieue. Le cas des ressortissants de Niakhar, Ngayokhem et Sob. Mémoire de maîtrise de Sociologie. Faculté des Lettres et Sciences humaines, département de Philosophie. Université cheikh Anta Diop de Dakar.
GAYE Ibrahima Diop, 2021, « Habiter Touba et payer l’école : l’éloge de la scolarisation ». Revue Liens nouvelle série, N° 31, vol 1- Juillet 2021.pp. 263 à 281.
GERARD Étienne, 1999, « Logiques sociales et enjeux de scolarisation en Afrique. Réflexions sur des cas d'écoles maliens et burkinabè ». Politique africaine Karthala | 1999/4 N° 76 | pages 153 à 163. DOI 10.3917/polaf.076.0153.
HENAFF Nolwen et LANGE Marie-France, 2011, Inégalités scolaires au Sud : transformation et reproduction. 2011, (59), p. 3-18 ISBN 978-2-7246-3218-7 ISSN 1278-3986.
HENAFF Nolwen, LANGE Marie.-Françoise et Martin Jean-Yves, 2009, « Revisiter les relations entre pauvreté et éducation », Revue française de socio-économie, 2009/1, n° 3, pp. 187-194.
LANGE Marie-France et PILON Marc, 2009, « Famille et impératif scolaire ». Cahier de la recherche sur l'éducation et les savoirs. Revue internationale de sciences sociales. N° 8 I Z009.
LANGE Marie-France Lange, 2003, « École et mondialisation Vers un nouvel ordre scolaire ? » Cahiers d'Études Africaines. Vol. 43, Cahier 169/170, Enseignements (2003), pp. 143-166 (24 pages). Published By : EHESS.
LIMIKOU BIKIELA Alpin Dieu-Donné, (2014), Philosophie de la psychologie et psychanalyse chez Freud : enjeux épistémologiques contemporains. Thèse de Doctorat en philosophie, Université Charles de Gaulle - Lille 3.
MOGUEROU Laure, 2009, « La scolarisation des filles à Dakar au cours de la décennie 1990-2000 », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 8 | 2009, pp. 191-209.
MUCCHIELLI Alex, 2006, Etude des communications : nouvelles approches. Paris : Armand Colin.
PARIJS Philippe Van, 1991, « La double originalité de Rawls : qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie politique », Revue Interdisciplinaire d'Etudes Juridiques (Bruxelles) 1982, pp. 69–94. http://www.ucl.be/cps/ucl/doc/etes/documents/QSJ.chapitre_3.pdf
PROTEAU Laurence,1996, Ecole et société en Côte d’Ivoire : les enjeux des luttes scolaires (1960-1994). Thèse présentée en vue de l'obtention du Doctorat de Sociologie de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales sous la direction de Claudine Vidal, Directeur de recherche au CNRS.
SALL Stéphanie Angers, 2009, La scolarisation à l’échelle du Sénégal : vers une marginalisation des filles des zones rurales. Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2009. http://www.openedition.org/6540.
THIOYE Ndeye Titine, 2015, La scolarisation des filles à l'ère des reformes éducatives au Sénégal. Mémoire de master 2 recherche EA. Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne UFR 11 - Science Politique. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01294503
UNESCO, 2019, Education des filles et formation des femmes dans l’espace francophone. Défis, bonnes pratiques et pistes d’action. Conférence internationale N’Djamena, Tchad 18-19 Juin 2019.
http://apf.francophonie.org/IMG/pdf/12.1_programme_long_-

Downloads

Publié

31 Décembre 2022

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=275

Numéro

Rubrique

Qui sommes-nous ?