2022/Vol.4-N°10 : VARIA

20 |ANALYSE COMPARÉE DES FORMES IDENTITAIRES SUBJECTIVES ANTICIPÉES DES ADOLESCENTS RÉFUGIÉS ET NATIONAUX BURKINABÉS

COMPARATIVE ANALYSIS OF ANTICIPATED SUBJECTIVE FORMS OF IDENTITY OF REFUGEE ADOLESCENTS AND BURKINABE NATIONALS

Auteurs

  • TRAORE Sory Aboubacar Doctorant Soryaboubacar7r@gmail.com, Université Norbert Zongo
  • BARRY Aboubacar Maitre de Conférences en Psychologie clinique et pathologie barryaboubacar7@gmail.com, Université Norbert Zongo

Mots-clés:

iIdentitaires| Adolescent| refugiée| Nationaux| Burkina Faso|

Résumé

Les difficultés consécutives à l’exil sont des facteurs indispensables dans la compréhension du développement des adolescents réfugiés. Pourtant, les modifications ou altérations psychologiques occasionnées par celles-ci semblent encore peu connues dans la clinique de l’exil. Ainsi, l’objet de cette étude est d’explorer, à travers des cas spécifiques, les formes identitaires subjectives anticipées (FISA) des adolescents réfugiés et de les comparer avec celles des adolescents burkinabé. Les données ont été collectées par la méthode de l’entretien, auprès de quatre adolescents, dont deux réfugiés et deux burkinabés. Les résultats issus de cette étude montrent que le besoin d’autonomie apparaît dans les FISA de tous les adolescents, indépendamment de leurs nationalités. Cependant, les adolescents réfugiés adoptent moins de conduites d’exploration et d’engagement face aux différents domaines de leurs anticipations, par rapport aux adolescents burkinabé qui explorent et s’engagent plus dans leurs domaines d’anticipation. En plus, les adolescents réfugiés ont plus tendance à faire des anticipations négatives de soi, tandis que les adolescents burkinabé ont plus tendance à une anticipation positive de soi. Aussi avons-nous constaté que le foyer et la vie en couple est une FISA centrale chez les filles quel que soit la nationalité.

Introduction

Cette étude est partie du constat que les adolescents réfugiés au Burkina Faso vivent une situation très précaire. De prime à bord, la vie de tous les réfugiés d’une manière générale est marquée par les traumatismes psychologiques liés à la terreur vécue en pays d’origine et sur le chemin de l’exil, la perte des acquis matériels et professionnels et les difficultés d’intégration en pays d’accueil. Pour preuve, lors des consultations mondiales pour les jeunes réfugiés en 2016, dix principales difficultés liées aux conditions de vie des réfugiés ont été soulevées. Ces difficultés sont les suivantes :
1) difficultés d'obtenir la reconnaissance légale et des pièces personnelles ; 2) difficultés d'accès à l'apprentissage, à l'éducation et à la formation professionnelle de qualité ; 3) discrimination, racisme, xénophobie et « choc de cultures » ; 4) peu de possibilité d'emploi et de moyens d'existence pour les jeunes ; 5) inégalité entre les sexes, discrimination, exploitation et violence, notamment contre les jeunes lesbiennes, gays, bisexuels intersexués (LGBTI) ; 6) difficultés d'accès aux soins de santé adaptés aux besoins des jeunes, y compris à la prise en charge psychosociale ; 7) absence de sûreté, de sécurité et de liberté de déplacement ; 8) difficultés rencontrées par les jeunes non accompagnés ; 9) absence de possibilité de participer aux décisions, de s'engager dans le processus décisionnel et d'avoir accès aux décideurs ; et 10) manque d'information sur l'asile, les droits des réfugiés et les services disponibles. (Comité exécutif du Programme du Haut-Commissaire, 2017, p. 5)
Le contexte burkinabé n’est pas en marge des difficultés citées. En effet, Nicodème Niyonkuru, président de l’association des réfugiés résidant au Burkina Faso (ARBF) affirme : « les réfugiés maliens vivant dans les camps souffrent des insuffisances et ruptures de vivres et d’autres moyens de survie, et les réfugiés urbains ont d’énormes difficultés à s’assurer les besoins fondamentaux de tout humain notamment le logement, nourriture, scolarisation et soin de santé adéquats »[1].
Particulièrement pour les adolescents, cette situation s’ajoute à la crise identitaire propre à leur stade de développement. L’adolescence est associée à une plus grande  sensibilité aux facteurs de stress ainsi qu'à l'incidence d'une variété de troubles psychologiques dont la dépression, l'anxiété sociale, les troubles alimentaires, l'abus et la dépendance à des substances illicites (S. Bava et S. Tapert, 2010, p 403). Les expériences liées à la situation de réfugié durant ce stade développemental peuvent donc accroitre la vulnérabilité. Vivre dans un nouvel environnement physique et socioculturel est une difficulté s'ajoutant à la complexité des changements physiques et psychologiques propres à l'adolescence. Les jeunes réfugiés doivent non seulement composer avec leurs expériences prémigratoires et postmigratoires, mais aussi, comme les autres adolescents, répondre aux questions fondamentales concernant leurs êtres en devenir et leurs identités. 
En se référant à B. Stanley (2021, p. 27) ; l’image de soi dans le futur reflète la construction de l’identité présente. Ainsi, pour aider les adolescents réfugiés, il est essentiel d’analyser leurs formes identitaires subjectives anticipées, autrement dit la façon dont ils se représentent eux-mêmes dans le futur. C’est à partir de cette anticipation de soi dans le futur, que les conseillers pourront aider les adolescents réfugiés à élaborer des projets de vie épanouissants pour eux-mêmes, et à définir les actions qu’il faut mettre en pratique « tout de suite et maintenant » pour la réalisation de ces projets.
À propos de la représentation de l’avenir, A. Ndengeyingoma (2013, p. 65) affirme :
Malgré l'omniprésence de la peur et de l'inquiétude, les adolescents expliquent qu'ils s'accrochaient à l'idée que leur avenir pourrait être meilleur. L'anticipation de l'avenir se caractérise par la sécurité, la vie normale et le confort matériel. La sécurité est associée à la possibilité de vivre dans un endroit pacifique. Quant à la vie normale, elle fait référence à un désir d'étudier, de travailler et d'avoir des ressources financières pour aider la famille et, ainsi, lui donner un confort matériel.
Cependant l’étude de A. Ndengeyingoma (2013) a été menée sur des adolescents africains refugiés au Québec. De toute évidence, le problème du contexte est d’autant plus fondé que les pays occidentaux sont plus en avance en matière de protection et de prise en charge des réfugiés que les pays en voie de développement comme le Burkina Faso. À cet effet, il apparait nécessaire d’analyser le problème dans le contexte burkinabè. Quelles sont ses formes identitaires subjectives anticipées ? Sont-elles différentes de celles des adolescents burkinabés qui ne connaissent pas les vicissitudes liées au statut de réfugié ? Ainsi, l’objectif de cette étude est d’analyser les formes identitaires subjectives anticipées d’adolescents réfugiés et de mettre en évidence leurs spécificités par rapport à celles d’adolescents nationaux burkinabés. 
 
[1] https://www.afrique-sur7.ci/396681-burkina-abrite-refugies-hcr consulté le 06/10/2022

Méthodologie

1.  Méthodologie

Cette réflexion s’inscrit dans une démarche d’étude de cas. Nous avons travaillé avec deux adolescents réfugiés dont une fille et un garçon et deux adolescents burkinabés des deux sexes également. Le choix de ces adolescents a été fait de manière aléatoire. Ce qui a prévalu dans cette démarche n’est ni la quantité ni la représentativité, mais la spécificité des cas des adolescents refugiés. Cette spécificité émane des difficultés liées à la situation de réfugié. Pour le recueil des données, nous avons utilisé l’entretien constructiviste. Les données recueillies sont soumises à une analyse thématique de contenu selon une grille d’analyse. Ainsi, nous avons retenu les catégories d’analyse suivantes : l’exploration, l’engagement et le type d’anticipation de soi. Le matériel à analyser est codé selon trois types d’unités avant d’être analysé dans les catégories précédentes. Il s’agit de l’unité d’enregistrement, l’unité de contexte et l’unité de numération.  L’unité d’enregistrement est le segment de contenu minimal qui est pris en compte dans l’analyse. Dans cette étude, nous prenons en compte les unités sémantiques, reposant sur un choix issu d’opérations sur le sens. Il y a, en effet, une opération sur le sens puisqu’une analyse thématique est la reconnaissance de thème dans un discours. Chaque unité d’enregistrement (thème) n’a de sens que dans une unité de contexte.  L’unité de contexte est le plus étroit segment de contenu nécessaire pour comprendre l’unité d’enregistrement. Concernant l’étude, ce sont les Formes Identitaires Subjectives Anticipées (FISA) qui représentent les unités de contexte.  Quant à l’unité de numérisation, elle est arithmétique dans cette analyse. Elle sert à compter la fréquence d’apparition d’une catégorie contenue dans les thèmes. La grille d’analyse est présentée dans le tableau n°1.
Tableau n°1 : grille d’analyse de contenu de l’entretien constructivisteSource : Recension des écrits, janvier 2019
Cette démarche est inspirée de la théorie « se faire soi » et celle de l’exploration et de l’engagement. Selon Marcia (1993), deux comportements sous-tendent le développement identitaire : l’exploration encore appelée questionnement ou période de crise et l’engagement de soi. Elle définit l’engagement comme un « comportement de résolution de problème visant à mettre à jour l’information à propos de soi ou de son environnement de façon à prendre une décision concernant des choix de vie importants » (Cité par V. Cohen-Scali et J. Guichard, 2008, p.7). Le résultat du processus d’exploration consiste en une forme d’engagement. Pour Marcia (1993), l’engagement consiste à « l’adhésion à un ensemble spécifiques de buts, de valeurs, et de croyances » (Cité par V. Cohen-Scali et J. Guichard, 2008, p.7).   
Comme tout autre adolescent, les adolescents réfugiés s’inscrivent dans un processus d’exploration et d’engagement dans leur orientation. Leur degré d’exploration et d’engagement révèle l’état identitaire qui les caractérise. Ainsi, le modèle de Marcia nous permet de caractériser la construction identitaire des adolescents réfugiés. Toutefois, à travers ce modèle, nous percevons que pour comprendre l’identité d’un individu, il faut analyser ses engagements et ses explorations, et pour une intervention efficace il faut l’accompagner dans un processus dynamique d’exploration, sans pour autant disposer des cadres théoriques adaptés à ce double action d’analyse et d’accompagnement. À cet effet, le modèle « se faire soi » propose un large construit théorique adapté à l’analyse des cadres identitaires de l’individu et son accompagnement vers la construction de soi.
Quant à la théorie « se faire soi », selon elle, la construction identitaire est une œuvre de l’individu lui-même et est sous-tendue par des mécanismes internes ; notamment des systèmes cognitifs. Ces systèmes cognitifs formalisent les cadres et les formes identitaires de l’individu. Par leur biais, l’individu est sujet à deux formes de réflexivité : une réflexivité duelle et une réflexivité trine. Dans la tension entre ces deux formes de réflexivité, l’individu construit sa vie, selon les modes de subjectivation et de rapport à soi déterminés par son contexte composé de plusieurs éléments, par exemple l’école, le statut de réfugié, le cadre familial, etc.
À travers le modèle « se faire soi », nous comprenons que les adolescents réfugiés, comme tout individu, construisent leurs vies en fonction du contexte social, des caractéristiques que le tissu social leur donne à voir d’eux-mêmes et aux autres ainsi que les expériences qui leur sont données à vivre. Ce contexte social qui moule la construction identitaire de l’adolescent réfugié correspond à des structures cognitives. Ce sont ces structures cognitives qui permettent à l’adolescent réfugié de mener d’une part, une réflexion solitaire sur tout son passé (expérience scolaire et professionnelle en pays d’origine, les évènements traumatiques, la migration, etc.) que l’on nomme Formes Identitaires Subjective Passées (FISP), et d’autre part, sur ses positions et rôles imaginaires dans le futur (Formes Identitaires Subjectives Anticipées). Ainsi, la comparaison des expériences passées et des aspirations futures avec la réalité actuelle dans un pays d’accueil en tant que réfugiés permet à l’adolescent réfugié de découvrir « ce qui est toujours possible et ce qui ne l’est pas », ainsi que les nouvelles opportunités qui s’ouvrent à lui. En outre, l’entretien constructiviste fondé sur le modèle « se faire soi », constitue un outil d’analyse de construction identitaire de ces adolescents.
La synthèse de ces deux théories nous a permis de déterminer les catégories d’analyse qui sont notamment l’exploration, l’engagement et le type d’anticipation de soi. Par ailleurs, en se fondant sur la théorie « se faire soi », L’entretien constructiviste a été choisi en orientation comme méthode privilégiée de recueil de données. Cet entretien est une relation dialogique entre un conseiller d’orientation et un consultant, au cours de laquelle le conseiller d’orientation conduit le sujet à réfléchir sur ses expériences (passée et présent) et les représentations qu’il a de lui-même dans le futur (formes identitaires anticipées).  

Résultats

2. Résultats

Les résultats présentent la description des FISA de chaque cas, leurs analyses en fonction des catégories décrites (l’exploration, l’engagement et le type d’anticipation de soi) et leur comparaison.

2.1. Description et analyse des formes identitaires subjectives anticipées

Dans la présentation des résultats, les différents sujets sont nommés par des lettres. Les filles sont nommées par la lettre F et les garçons par la lettre G.
2.1.1. Les formes identitaires subjectives anticipées de F1  
F1 est une fille âgée de 18 ans, de nationalité burkinabé. Elle fait la classe de terminale D au Lycée Nelson Mandela de Ouagadougou. Au cours de l’entretien constructiviste, elle a évoqué cinq FISA. Pour elle, la plus importante est le mariage et un foyer harmonieux. Elle généralise son anticipation sur le genre féminin en insistant que « la chose la plus importante pour toute femme, est l’obtention d’un bon foyer ». La qualité du foyer serait liée à la personnalité de son futur époux, qui devra faire preuve d’honnêteté, de fidélité, de compréhension et de solidarité. Cette FISA est d’autant plus importante pour F1 qu’elle est déjà engagée dans une relation amoureuse dans laquelle elle ne ménage aucun effort pour refléter une bonne image sociale et la femme idéale. À cette FISA, se superposent des FISA professionnelles.
Ainsi, la médecine est la principale aspiration professionnelle de F1. Cette aspiration est nourrie depuis l’enfance, dans l’anticipation du sentiment de fierté à soigner les personnes souffrant, surtout ses proches parents. En effet, F1 exprime à travers cette FISA la compensation d’un sentiment de culpabilité qui la suit depuis l’âge de 12 ans. Elle évoque le souvenir traumatisant du décès de sa mère, suite à une longue période de souffrance d’une maladie qu’elle ne saurait élucider même de nos jours. Elle se voyait impuissant devant sa mère gravement malade et les moyens limité de son père. Cette expérience a été culpabilisante pour F1, à l’idée de ne pas pouvoir soigner sa mère.  
Toutefois, après l’obtention du baccalauréat, l’orientation dans la filière médecine n’est pas donnée à tous. Elle est conditionnée par l’obtention d’une moyenne supérieure ou égale à 13 au baccalauréat et l’âge qui est limité à 22 ans. Ainsi, F1 exprime deux autres FISA professionnelles secondaires, en reconnaissant la possibilité de ne pas avoir une orientation en médecine. La plus importante de devenir ingénieur en génie civil. Sans en avoir suffisamment d’information, F1 est tout de même motivé à faire carrière en génie civil à défaut de devenir médecin. Elle définit les ingénieurs en génie civil comme des personnes qui construisent les routes et les ponts. La deuxième FISA professionnelle secondaire est le commerce. Elle compte faire du commerce comme activité secondaire. Même si elle devient médecin ou ingénieur en génie civil, elle fera tout de même le commerce. En parlant du commerce, elle fait référence aux activités d’achat, de transformation et de revente, à l’élevage et au restaurant. Cependant, les FISA de F1 ne sont pas faites que d’aspirations. Elles comprennent également des projections très redoutées.
La crainte majeure de F1 réside dans la collaboration difficile avec certains de ses futurs collègues en milieu professionnel. En effet, « il y a toujours des gens dans le service qui chercheront à te mettre les bâtons dans les roues », dit-elle. F1 pense que dans le milieu professionnel, la rivalité entre les collègues est telle qu’il ne faut pas faire confiance en qui que ce soit. En plus, malgré toute la confiance qu’elle a pour son « copain », elle exprime la craint d’être trahi par celui-ci. Selon elle, « il faut s’attendre à tout avec un garçon ». Elle pense qu’un garçon peut faire tout ce qu’il faut pour obtenir la confiance d’une fille et l’avoir comme partenaire sexuel pour un certain temps, sans pour autant avoir l’intention d’aller jusqu’au mariage avec elle. F1 a présentement un partenaire qui a les valeurs qui sont importantes pour elle, mais elle garde toujours des réserves quant à l’aboutissement de cette relation.
Les différentes FISA présentées ont été analysées selon les catégories exploration, engagement et type d’anticipation de soi dans la grille d’analyse (Graphique n°1).
Graphique n°1 : Fréquences des catégories d’analyse des FISA de F1Source : Enquête de terrain, avril 2019
Selon le graphique n°1, les thèmes évoquent plus la présence d’exploration (16,66%) et d’engagement (22,22%) que leurs absences (5,55% chacun). Quant au type d’anticipation de soi, le diagramme montre que les thèmes expriment plus des anticipations positives de soi (33,33%) que des anticipations négatives de soi (16,66%). En plus, il apparaît que la fréquence des anticipations positives de soi est plus élevée que celle de la présence d’engagement, qui, à son tour, est plus élevée que celle de la présence d’exploration.
2.1.2.  Les formes identitaires subjectives anticipées de G1 
G1 est un garçon âgé de 18 ans, de nationalité burkinabé, en classe de Terminale D au Lycée Émergence C de Ouagadougou. Au cours de l’entretien constructiviste, G1 a évoqué cinq FISA. La plus importante renvoie au domaine libéral. Il dit ne pas compter totalement sur la fonction publique, car c’est un domaine qui n’est pas rentable et dont l’accès est très difficile. Il accorde plus d’importance au domaine privé, qui permet d’être plus autonome. Même s’il intègre la fonction publique, il développera toujours des initiatives privées. Cette FISA est renforcée par l’aspiration à faire l’élevage de la volaille.
En effet, l’élevage de la volaille est l’activité qui mobilise plus l’intérêt de G1 dans l’avenir et occupe une place centrale dans sa vie. Son père exerce déjà la même activité et il compte emboiter ses pas. En plus, il a fréquenté un grand entrepreneur du domaine de l’élevage qui lui a beaucoup inspiré.
Au-delà du domaine libéral, G1 s’identifie aux professeurs des mathématiques. Il affirme être passionné des mathématiques, grâce aux appréciations de ses enseignements et de ses camarades sur ses performances dans cette discipline. Au secondaire, ses camarades lui faisaient fréquemment recours pour qu’il leur explique des exercices de mathématiques ; ce qu’il faisait avec plaisir.
Par ailleurs, à défaut d’enseigner les mathématiques, G1 souhaiterait mettre à profit ses capacités en mathématique dans le domaine du génie civil. Chaque année pendant les vacances, G1 travail avec les maçons comme manœuvre afin d’épargner suffisamment d’argent pour faire face aux dépenses de la rentrée scolaire. Il a donc plusieurs compétences dans le métier de construction de bâtiment. Au cours de ces expériences, il a connu les ingénieurs qui élaborent les plans des bâtiments et qui font un travail de suivi au cours de la construction. Il a ainsi appris que ces personnes avaient fait des études universitaires en génie civil et que les matières liées à cette filière sont les mathématiques. Pourtant, les mathématiques constituent les matières de base de G1 en classe.
En fin, G1 a exprimé une identification plus ou moins vague au miter du transite. Il se projette souvent dans le transite, parce qu’elle semble être rentable financièrement selon lui. Cependant, il n’en a pas une connaissance assez claire. 
Tout comme celles de F1, les FISA de G1 ont été analysées selon les catégories d’analyse exploration, engagement et type d’analyse de soi (Graphique n°2).
Graphique n°2 : Fréquences des catégories d’analyse des FISA de G1Source : Enquête de terrain, avril 2019
Tout comme pour le sujet F1, le diagramme de G1 présente une fréquence plus élevée de la présence de l’exploration (31,25%) et de l’engagement (31,25%), que leurs absences (6,25% chacun). En plus, la fréquence des anticipations positives de soi (25%) est plus élevée que celle des anticipations négatives de soi (12,5%). Cependant, à la différence de F1, la fréquence des anticipations positives de soi est plus petite que celles de la présence de l’engagement et de l’exploration, qui sont tous deux égaux (31% chacun).
2.1.3.  Les formes identitaires subjectives anticipées de F2 
F2 est une fille âgée de 17 ans, qui fréquente la classe de 3ème au Lycée Wend-manegda de Ouagadougou. Elle est réfugiée au Burkina Faso et est de nationalité centrafricaine. Au cours de l’entretien constructiviste, elle a évoqué trois FISA. La principale FISA de F2 est l’autonomie. La première anticipation exprimée par F2 est d’être capable de se prendre en charge. À cet effet, F2 aimerait faire carrière dans l’hôtellerie. La raison de ce choix est que sa sœur ainée est hôtelière. Ainsi, disait-elle : « si ma sœur a pu le faire, c’est que moi aussi je peux ». Cependant, elle affirmait ne pas savoir quelles sont les disciplines qui sont étudiées en hôtellerie, ni les conditions d’exercice du métier. Toutefois, elle a exprimé une aspiration à faire carrière dans la médecine, en précisant avec conviction qu’elle est dans l’impossibilité de la réaliser. La médecine est un rêve abandonné de F2.
Avant l’idée de faire carrière dans l’hôtellerie, F2 nourrissait le rêve de devenir médecin comme son père. Cependant, elle a abandonné ce rêve à cause de la durée de la formation en médecine et du retard qu’elle a accusée dans son cursus scolaire. Dans les formes identitaires subjectives passées, F2 a souligné qu’elle était une élève difficile quand elle était en Centrafrique, car elle avait fréquemment des problèmes avec ses enseignants, et ne venait pas de fois à l’école à l’insu de ses parents. En plus, arrivée au Burkina Faso en 2015, F2 a fait remarquer qu’elle a eu beaucoup de difficultés au début pour s’adapter aux méthodes d’enseignements et pour s’intégrer socialement. Elle a donc redoublé la classe de quatrième trois fois avant de passer en troisième.
En plus des FISA professionnelles, F2 s’identifie à une mère donnant une bonne éducation à ses enfants. Elle fait référence à son enfance et ses difficultés de comportement. Elle n’aimerait pas en effet que ses enfants traversent les mêmes difficultés qu’elle. À son avis, l’éducation prend racine dès le bas âge, pour espérer que l’enfant adopte de bonne conduite. Elle souligne que ses difficultés de comportement n’étaient pas dues à un problème en lien avec les parents, mais c’est que ses parents lui donnaient beaucoup d’argent déjà au primaire. Cela lui a exposé à la fréquentation des maquis et les barres à l’enfance.
Les FISA de F2 ont également été analysées selon les catégories exploration, engagement et type d’anticipation de soi(Graphique n°3).
Graphique n°3 : Fréquences des catégories d’analyse des FISA de F2Source : Enquête de terrain, avril 2019
Le graphique fait apparaitre une fréquence élevée des thèmes exprimant l’absence d’exploration (22,22%) et d’engagement (33,33), que ceux exprimant la présence d’exploration (11,11%) et d’engagement (11,11%). Aussi, pour le type d’anticipation de soi, le graphique montre que la fréquence des anticipations négatives de soi (22,22%) est plus élevée que celles des anticipations positives de soi (11,11%).
2.1.4.   Les formes identitaires subjectives anticipées de G2
G2 est un réfugié au Burkina Faso, de nationalité centrafricaine. Il est âgé de 19 ans et fréquente la classe de terminale D au Lycée Privé Intelligencia à Ouagadougou. L’entretien constructiviste avec G2 a permis de repérer cinq FISA.
La première FISA exprimée par G2 est de « fonder une famille un jour ». Cependant, actuellement G2 garde toujours la distance avec les filles. Il affirme d’ailleurs ne pas aimer la compagnie des camarades à l’école, parce que « leur préoccupation c’est seulement draguer les filles ». Toutefois, il prend de temps en temps des conseils chez ses ainés concernant la relation en couple et le fonctionnement du foyer.
La projection de fonder une famille, s’accompagne de l’aspire à l’autonomie dans le futur chez G2. À cet effet, il voudrait faire carrière dans le domaine de l’agronomie. G2 aimerait suivre les pas son oncle, qui ne manque pas de lui donner des explications relatives aux études et aux métiers de l’agronomie. Ainsi, G2 affirme que le fait qu’il soit performant en sciences de la vie et de la terre est un atout pour lui de réussir en agronomie. Toutefois, c’est en Centrafrique qu’il se représente dans l’exercice de ce métier.
En effet, repartir en Centrafrique pour servir son pays est une FISA de G2. Après les études en agronomie, G2 aimerait rentrer dans son pays d’origine pour servir son pays. Selon lui, étant à l’étranger son insertion professionnelle sera plus difficile.
En outre, G2 est fortement versé dans la spiritualité. Toute sa famille est en effet témoin de Jehova. Ils sont tous engagés dans le service religieux. De ce fait, G2 fréquente présentement un groupe de jeunes qui passent dans les quartiers pour expliquer la bible. Il compte ainsi continuer toujours cette activité durant toute la vie.
L’analyse des FISA de G2 est fournie dans le graphique Nn°4 :
Graphique n°4 : Fréquences des catégories d’analyse des FISA de G2
Source : enquête de terrain, avril 2019
À travers ce diagramme, nous constatons une fréquence élevée de l’absence de l’exploration (25%) et de l’engagement (16,16%) que celle de la présence d’exploration (16,66%) et d’engagement (8,33%). De même, la fréquence des anticipations négatives de soi (16,16%) est plus élevée que celle des anticipations positives de soi (0%).

2.2. Comparaison des Formes Identitaires Subjectives Anticipées

En comparant les FISA des adolescents réfugiés à celles des adolescents burkinabé, nous constatons qu’il y a aussi bien des similarités que des différences. Concernant les points similaires, il apparaît dans les FISA des deux filles (réfugiées et burkinabé) une importante projection relative à la vie de couple. Ce FISA semble commune aux filles, indépendamment de leurs nationalités. En outre, le sujet de l’autonomie ressort dans les FISA de tous les sujets de notre étude. L’envie de devenir autonome semble ainsi être une FISA générale à tout adolescent, qu’il soit burkinabé ou réfugié.
Quant aux différences, nous constatons que les adolescents burkinabés ont un nombre plus élevé de FISA que les adolescents réfugiés. En plus nous remarquons que les adolescents réfugiés ont chacun une seule FISA professionnelle, tandis que les adolescents burkinabé en ont plusieurs. Il apparaît aussi, que chez les adolescents réfugiés, il y a une tendance plus forte vers une anticipation négative de soi, alors que chez les adolescents burkinabés il y a une tendance plus forte vers une anticipation positive de soi. Par ailleurs, on observe des fréquences plus élevées d’absence d’exploration et d’engagement chez les adolescents réfugiés, tandis qu’il y a une fréquence plus élevées de présence d’exploration et d’engagement chez les adolescents burkinabé.

Conclusion

La situation de réfugié à l’adolescence est une épreuve supplémentaire aux problèmes liés à la construction identitaire à l’âge adolescent. L’objectif de cette étude est de décrire, d’analyser et de comparer les formes identitaires subjectives anticipées des adolescents réfugiés et des adolescents burkinabés, en vue d’explorer les spécificités liées à la situation de réfugié.
Ainsi, nous avons trouvé dans la revue de la littérature plusieurs théories et résultats de recherche sur la construction de l’identité. Cependant, aucune d’entre elles n’abordait la question spécifique de l’identité subjective anticipée des adolescents réfugiés. Néanmoins, nous avons retenu le modèle « se faire soi » de Guichard et le modèle de l’exploration et de l’engagement de Marcia, car elles semblent les plus appropriées à l’analyse des formes identitaires subjectives anticipées. Nous avons donc adopté une démarche exploratoire, en utilisant l’entretien constructiviste comme outil de collecte de données.
Les résultats montrent que l’autonomie apparaît dans les FISA de tous les adolescents, indépendamment de leurs nationalités. Mais, les adolescents réfugiés expriment moins d’exploration et d’engagement par rapport aux adolescents burkinabé. En plus, les adolescents réfugiés ont plus tendance à faire une anticipation négative de soi, tandis que les adolescents burkinabé ont plus tendance à une anticipation positive se soi. Aussi avons-nous constaté que le foyer et la vie en couple est une forme identitaire subjective centrale chez les filles. À cet effet, les objectifs définis sont atteints, sans toutefois prétendre à une généralisation des résultats. En effet, la présente réflexion est une étude de cas spécifique et c’est en effet, la spécificité des différents cas étudiés qui étaient prioritaires. Il faudra donc une étude empirique plus large, si nous voulons généraliser ces résultats.

Références

Références bibliographiques

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Publié

31 Décembre 2022

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=277

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