2022/Vol.4-N°10 : VARIA

2 |FACTEURS SOCIOCULTURELS DE LA MORTALITE MATERNELLE CHEZ LES PARTURIENTES DU CHP DE KPALIME, TOGO

SOCIOCULTURAL FACTORS OF MATERNAL MORTALITY IN PARTURIENTS OF THE CHP OF KPALIMÉ, TOGO

Auteurs

  • BILABENA Salamatou Maître de Conférences salamatore@yahoo.fr, Université de Lomé

Mots-clés:

Femme| complications obstétricales| mortalité maternelle| santé de la reproduction| pratiques socioculturelles|

Résumé

La mortalité maternelle est un phénomène resté récurrent en Afrique malgré les différentes tentatives effectuées depuis les indépendances pour en réduire la significativité (A. Dotou 1987, A.S. Ahossu, 1991, OMS, FNUAP, UNICEF, BM, 1999, OMS, UNICEF/UNFPA, 2003). Toutes sortes de raisons ont pu être évoquées pour l’expliquer, depuis les insuffisances du plateau technique dans les centres de soins et les maternités, jusqu’aux facteurs socioéconomiques et politiques ainsi que les comportements et pratiques quotidiennes de vie. Mais elles ne suffisent apparemment pas pour expliquer sa persistance. Face à cette situation, une étude qualitative a été conduite au CHP de Kpalimé situé dans la région des Plateaux au Togo, et où on a constaté des décès inexplicables de femmes en couches au cours des années 90. L’objectif général de la recherche est d’identifier, en dehors des causes cliniques, les facteurs mis en cause dans l’appréhension locale de la mortalité maternelle. Les données ont été collectées à travers une démarche qualitative de type ethnographique utilisant une grille d’observation et un guide d’entretiens structurés autour d’items sélectionnés. Cette démarche s’est accompagnée d’une recherche documentaire destinée à explorer l’univers social et culturel en arrière-plan du phénomène et rendre intelligibles les explications que donnent les populations. Les résultats sont l’existence de représentations et pratiques socioculturelles qui interfèrent dans la compréhension des complications qui surviennent à la fin de la grossesse, et qui sont de nature éthique et comportementale.

Introduction

La problématique de la santé de la reproduction s’accompagne souvent en Afrique de celle de la santé maternelle et par extension de celle de la mortalité maternelle. Cette dernière survient généralement à la suite de complications obstétricales qui constituent le fléau le plus redouté des femmes car susceptibles d’emporter un nombre relativement important de parturientes qu’on peut sans doute sauver si des mesures idoines avaient été prises en amont. La prise en charge de la grossesse est une thématique fondamentale de la recherche en sciences sociales et médicales[1] puisque d’elle dépend le sort de la mère et de l’enfant en gestation. Et c’est justement là qu’intervient la question de la santé de la reproduction dont le but est de trouver des solutions adéquates pour résorber les insuffisances des mesures habituelles de sécurisation. La typologie des complications obstétricales est relativement large. Il en va de même pour les causes. La médecine moderne se charge d’identifier les causes cliniques et objectives (S. Ahossou 1991, M. Aboudou 2007, H. Badalo et al. 2015, A. Kiragu 2015). Ces diagnostics cliniques sont sans conteste convaincants, car fondés sur des bases objectives et empiriques. Mais les explications de type médical et statistique ne suffisent pas à elles seules pour appréhender l’ensemble des enjeux liés à la santé communautaire. Il y a aussi le vécu et le ressenti des acteurs qui sont préférentiellement la préoccupation des sciences sociales et humaines. C’est que les populations à la base ont leurs propres façons de considérer les problèmes de santé, dont les complications de l’accouchement dans le cas des femmes enceintes. A cet effet, elles font intervenir leurs propres critères d’appréciation, qui sont généralement fondés sur les représentations et les pratiques culturelles de leur milieu.
L’une des orientations essentielles de la présente recherche est de revisiter les perceptions et représentations culturelles portant sur les difficultés que rencontrent les femmes du district sanitaire de Kpalimé lors de l’accouchement au CHP de la ville. Autrement dit, nous nous sommes posée la question de savoir pourquoi une femme enceinte peut se trouver confrontée à des difficultés graves au moment de l’accouchement (comme des saignements ou une brusque poussée de la tension artérielle) alors que jusque-là sa grossesse se déroule assez normalement. Pour le comprendre, nous avons exploré la vie conjugale des couples dont les femmes fréquentent le CHP, et nous avons aussi observé les interactions qui se déroulent au sein de leur grande famille. Plus loin, nous avons suivi les comportements des femmes enceintes et les relations qu’elles entretiennent avec leurs belles-familles ainsi qu’avec leurs maris dans leur entourage immédiat. C’est donc pour apprécier l’ampleur de l’influence des traditions sur le bien-être des parturientes que la présente étude est effectuée. L’objectif est de documenter dans le district sanitaire du CHP de Kpalimé (au Togo) les perceptions et représentations socioculturelles qui sous-tendent les pratiques relatives à la vie de grossesse et à l’accouchement et qui peuvent être à l’origine des dérives que l’on constate souvent. Quelle incidence les croyances et certaines pratiques spécifiques liées à la morale ont-elles sur l’avènement des complications obstétricales et sur la mortalité maternelle voire néo-infantile ? Pour conduire une telle recherche, nous avons adopté une posture méthodologique de type ethnographique qui nous a permis de réunir les informations nécessaires pour l’atteinte de nos objectifs.
 
[1] Voir la pléthore de publications consacrées à cette préoccupation dans les revues et journaux spécialisés.

Méthodologie

1.METHODOLOGIE

1.1. Présentation du site de la recherche

La présente recherche s’est déroulée dans le district sanitaire du Centre Hospitalier Préfectoral (CHP) de Kpalimé dans la Région des Plateaux au Togo, l’une des cinq régions économiques et administratives que compte le pays. Kpalimé est une ville historique, qui a joué un rôle déterminant au cours de la période coloniale allemande et française. Située à 120 kilomètres environ au nord-ouest de Lomé (la capitale du Togo), elle est le chef-lieu de la Préfecture de Kloto qui compte 14 cantons qui sont des regroupements de villages administrés par un chef de canton. Les 14 cantons se présentent comme suit : Agomé-Yoh, d’Agomé-Tomegbe, d’Agome-Kpalimé, Gbalavé, Hanyigba, Kpadape, Kpime, Kuma, Lavié-Apédomé, Lavié-Huimé, Tomé, Tové, Woame et Yokélé (M. Piraux et M. Devey 2010).
Carte n°1 : Présentation de la ville de KpaliméCarte 1
Source : IRFODEL, in Plan de Développement communal de 2ème génération de Kpalimé, p.16, Juillet 2018
La commune de Kpalimé s’étend sur une superficie de 35 km² dont 3 500 habitants lotis, est limitée à l’Est par le mont Agou qui offre une vue dégagée jusqu’au Ghana, au Nord et à l’ouest par les monts Kloto et le plateau de Kuma dont les pentes se dressent comme un mur derrière la ville et s’étirent du sud-ouest par les collines de Kpadape (M. Piraux & M. Devey 2010). La ville de Kpalimé est au carrefour des routes qui mènent vers les autres régions administratives du pays et vers le Ghana, pays limitrophe situé à 15 Km. C’est un centre de stockage du café et du cacao.
Outre la famille nucléaire composée de père, mère et enfants qui constituent la base de l’organisation sociale, on y trouve la famille élargie formée par des oncles, tantes, cousins, cousines, neveux, nièces, et les beaux-parents. Comme chez l’ensemble des populations de l’aire culturelle adja-éwé[1], le système de croyances est basé sur le culte des divinités dites vodu ou Yèvhé, et la vénération des ancêtres morts qui dominent les manifestations de la vie culturelle. Les services du centre sont d’ordre technique, administratif et général. Nous nous sommes intéressée principalement au service de la maternité qui s’occupe du bien-être de la femme enceinte. Il donne rendez-vous chaque jour ouvrable à vingt-cinq femmes pour les séances de consultations prénatales, sauf celles, bien qu’inscrites sur la liste, tombent malades avant le rendez-vous fixé et celles qui consultent pour la première fois.
Carte n°2 : Carte de localisation du Centre Hospitalier Préfectoral de KpaliméCarte 2
Source : Direction Nationale de la Cartographie, adaptée par S. Bilabéna, 2022

1.2. Démarche méthodologique

La nature exploratoire de la présente recherche requiert que l’on procède par la démarche qualitative pour recueillir les informations et pour les analyser convenablement. Elle a donc mobilisé des techniques de production de données alliant la recherche documentaire à l’observation directe et aux entretiens semi-directifs individuels. A cet effet, une grille d’observation l’environnement physique et les interactions au CHP et un guide d’entretiens organisé autour les thématiques des représentations de la mort de parturientes, les relations sociales en milieu éwé, les croyances et pratiques religieuses traditionnelles et les prestations de services au CHP, etc. ont été utilisés comme outils en s’accompagnant de supports comme des enregistreurs et un journal de terrain. Sélectionnées à partir d’un choix raisonné, les personnes-ressources de la présente recherche sont constituées des autorités administratives du centre hospitalier, les gynécologues, la surveillante générale de la maternité, les sages-femmes qui sont des accoucheuses, les femmes en gestation et les visiteurs qui sont des parents de ces femmes. Les données produites ont été soumises à une double analyse compréhensive et interactionniste afin de mieux appréhender les réalités du milieu. Pour compléter les entretiens effectués au centre de soins, nous avons suivi certaines femmes et couples à leur domicile pour poursuivre les échanges, mais cette fois-ci en contexte réel. Nous avons rencontré les structures administratives de l’hôpital, organisé des discussions entre les sages-femmes qui nous ont présenté les femmes venues en consultation prénatale pour les entretiens. Les entretiens individuels ont été organisés avec le médecin gynécologue, les médecins généralistes, les sages-femmes, les femmes enceintes, les accouchées au CHP. Les services de la maternité accueillent tous les jours ouvrables, de lundi à vendredi, environ cinq cents femmes par mois. Nous avons prélevé de façon aléatoire et sur recommandations des sages-femmes, une parturiente par jour de consultation au terme de sa visite médicale, soit cinq gestantes par semaine et un total de 30 femmes enceintes pour les six semaines qu’a duré la recherche de terrain au CHP de Kpalimé. Cette démarche nous a permis d’obtenir les résultats qui seront présentés ci-après.
 
[1] Il s’agit de la zone géographique couvrant la presque totalité de la partie méridionale du Togo, depuis le littoral côtier  jusqu’à 200 à 300 km à l’intérieur des terres. Voir R. Pazzi 1979 et N. Gayibor 1997.

Résultats

2. RESULTATS

2.1. Revue documentaire sur la place de la femme mariée dans son foyer et dans la belle-famille en Afrique

Dans les communautés africaines, le mariage est loin d’être un simple acte consommé entre deux individus qui se sont rencontrés et ont choisi le parti de vivre ensemble. Le mariage est une institution qui requiert l’assentiment de deux familles si ce n’est deux groupes claniques.  Ce faisant, un contrat d’alliance est établi entre les deux groupes familiaux qui deviennent ainsi des parties contractantes. Par le jeu de la patrilocalité de résidence, la femme accepte alors de quitter le foyer de ses parents pour rejoindre la maison de son mari dans le groupe familial de celui-ci selon des modalités d’appartenance et de participation spécifiques. En acceptant ce contrat, la femme se place dans une posture relativement délicate. Elle s’engage ainsi à se soumettre aux conditions de vie communautaire du groupe de son mari. Autrement dit, elle devient un appendice du groupe et elle est solidaire des décisions qui seront prises et des actions qui s’y seront menées. Une certaine harmonie doit régner entre elle et le reste de la famille d’accueil devenue famille de procréation (W.L. Warner in Encyclopaedia Universalis, C. Lévi-Strauss 1967, 1973). Cette harmonie, elle est tenue de la démontrer entre elle et son mari, mais aussi au sein de la belle-famille à qui elle doit se montrer particulièrement soumise. Elle doit s’en remettre au bon vouloir des membres de sa belle-famille et leur obéir à tout moment, ce qui a fait dire à C. Meillassoux (1964) que la femme africaine, en se mariant, quitte une servitude (celle des hommes de son lignage) pour se retrouver sous le joug d’une autre servitude (celle de sa belle-famille). Même pour aller rendre visite à ses parents, elle est obligée de demander la permission aux mâles de son groupe d’accueil, car à défaut du mari direct, le chef de famille est là qui fait office de fondé de pouvoir.
Qu’advient-il alors si, dans une telle situation, une dissension intervient ? Une mésentente peut arriver à tout moment. Quand des hommes partagent le même espace, les tensions sont inévitables. Dans le cas d’espèce, aucune tension ne doit toutefois pas provenir de la belle-fille, celle que l’on a accueillie dans le groupe. Parce qu’une telle forfaiture équivaudrait à un affront et un manque de délicatesse voire de respect à l’endroit de la belle-famille. La belle-fille a déjà un statut inférieur, elle est reléguée au rang de simple pourvoyeuse d’enfants. Si de surcroît, elle devrait se rendre coupable d’un manque d’égard à l’endroit de sa nouvelle famille, il faut reconnaître qu’une telle inconduite serait comprise comme un comportement inqualifiable. Cette femme mérite-t-elle de faire partie du groupe famille et de procréer pour ce groupe ? Enfreindre les règles de la cohésion sociale et du vivre-ensemble pacifique peut être considéré comme un casus belli que même les esprits du clan désapprouvent. Et cela appelle obligatoirement à des conséquences. Une de ces conséquences est que la femme, si elle est enceinte, aura intérêt à rétablir ou faire réinstaurer la paix et la concorde dans le groupe avant le terme de sa grossesse. Ceci constitue un impératif. Pour la plupart de nos enquêtées, l’une des causes des complications qu’une femme enceinte peut rencontrer lors de son accouchement, proviendrait de l’atmosphère délétère régnant dans son groupe familial que personne n’a eu le loisir ou le courage d’assainir avant le début du travail. Si on n’y prend garde, cela risque d’être fatal pour la mère et/ou l’enfant. Pour y remédier, il serait nécessaire de procéder à des cérémonies de réconciliation afin de ramener la paix.
Fort des acquis de cette revue littéraire qui a permis de présenter le contexte social et culturel dans lequel se déroulent les interactions en lien avec la grossesse et l’accouchement en pays éwé, nous sommes en mesure d’expliciter les logiques qui sous-tendent les enjeux majeurs de la problématique de la persistance des complications obstétricales au CHP de kpalimé malgré l’existence de mesures institutionnelles correctives. C’est à partir de cette base que les résultats de terrain prennent tout leur sens. 
Les informations recueillies font état de normes de comportements que tout citoyen éwé doit observer pour que l’ordre social soit assuré. Pour les enquêtés, les dérèglements proviennent essentiellement des manquements aux dispositions prévues et qui sont sanctionnés.

2.2. Les actes et attitudes « répréhensibles » et leurs présumées conséquences sur l’état de gravidité

Le non-respect des dispositions sociales décrites dans la suite crée de l’instabilité dans le groupe familial et devient source de discorde, et par ricochet cause de complications obstétricales, selon la conviction des populations interrogées. Il constitue, entre autres, des atteintes aux règles de base du mariage et de la cohabitation maritale.
2.2.1. L’adultère
L’adultère est considéré comme une violation du devoir de fidélité proclamé lors du mariage. Le mariage est « une union conjugale contractuelle et/ou rituelle, à durée illimitée, déterminée ou indéterminée, reconnue et encadrée par une institution juridique ou religieuse qui en détermine les modalités » (A. Rey 1998). Autrement dit, c’est l’union de deux personnes pour ne pas dire de deux familles et pourquoi pas de deux communautés. L’adultère est considéré comme un acte « répréhensible » dans de nombreuses civilisations et une atteinte à la moralité dans presque toutes les sociétés du monde. C’est le fait d’accomplir l’acte sexuel en dehors du couple. Dans la majeure partie des populations du Togo, ce terme a plusieurs sens. Quel que soit le terme utilisé pour le désigner, son contenu demeure le même et n’est nullement accepté par les uns ni par les autres en raison de l’entorse qu’il fait à la moralité. Et en tant que faute, il est puni, surtout chez la femme enceinte. L’adultère se passe généralement en cachette. Malgré son caractère caché, il suscite une forte inquiétude chez la femme lorsqu’elle tombe enceinte. Elle est consciente de la « faute commise », étant informée depuis longtemps de sa prohibition, et sachant depuis toujours qu’il peut constituer un frein à un accouchement paisible. Si dans la terminologie légale, on distingue l’adultère de l’homme marié de celui de la femme mariée, en milieu traditionnel, seule la deuxième catégorie est pertinente. N’est censé commettre l’adultère aux yeux de la tradition, que la femme mariée. Aucun homme n’est censuré pour avoir entretenu des relations hors mariage. C’est parfois même un acte de bravoure et en milieu éwé, cette « prouesse » semble plutôt saluée. Réussir à détourner l’attention d’une femme mariée de son mari légitime et l’amener à accepter les avances qu’on lui fait, relève d’un acte de bravoure. C’est sans doute pour cela qu’on ne le blâme pas outre mesure. Par contre la femme mariée qui se compromet avec un homme autre que son mari, est coupable d’un délit grave.
En pays éwé, l’adultère des femmes se nomme « gbomedede[1] », « afo de gbe [2]», ou encore « matréwowo[3] » et ne concerne que les femmes mariées entretenant des rapports extraconjugaux. Chacune de ces expressions décrit une situation bien précise. Si un homme marié fait la cour à une femme célibataire, il n’a pas encore commis d’adultère. C’est quand il cible la femme d’autrui que cela pose problème. Comme il lui est permis d’épouser autant de femmes qu’il peut en entretenir, étant maître de sa libido, il gère ses relations comme bon lui semble. Tant qu’il ne s’aventure pas vers les femmes d’autrui, il n’a pas encore commis de faute grave. C’est le contraire qui n’est pas permis. Il existe dans le monde très peu de cas de polyandrie. Donc presque partout, la femme est astreinte à une vie de « monogame » tandis que s’offrent à l’homme plusieurs modalités de couplage. On parlerait bien volontiers d’inégalité de droit, et de discrimination sexuelle si des critères moraux ne viennent s’interposer dans le débat. Dans les traditions africaines d’une manière générale, étant donné les règles affirmées de la patrilinéarité de la filiation, la femme n’a droit qu’à un seul mari à la fois, chez qui elle habite. Elle peut, le cas échéant, divorcer de cet homme et se remarier avec un autre, mais en aucun cas elle n’a pas le droit d’entretenir dans la légalité deux ou trois relations concomitamment. Là, on parlerait d’adultère. Si le système de parenté chez les Ewé qui constituent l’essentiel de notre échantillon, est à la base un système patrilinéaire à résidence virilocale, en ville cependant la tendance est à la néolocalité. Toutefois, c’est toujours l’homme qui établit la résidence et héberge la femme. Du coup, elle devient comme une sorte de « propriété privée » du mari et prisonnière de l’ordre familial auquel obéît ce dernier. Cet embrigadement de la femme est scellé par l’acceptation et la réception du « prix de la fiancée » par les parents de la femme. C’est pour cela que lorsqu’on parle d’adultère, tous les regards se tournent instantanément vers la femme, car c’est elle qui « traverse la rue » pour aller s’égarer dans la chambre d’un autre homme.
Dans ce milieu, l’adultère est considéré comme une faute grave. Il rompt le lien symbolique établi entre les deux familles des conjoints. C’est pour cela qu’il est sévèrement condamné. La femme adultère est en rupture de ban et souillée. Elle ne saurait continuer à séjourner au domicile du mari sans conséquences. Une fois que l’information est connue, elle a le devoir de quitter le foyer, c’est la répudiation. Toutefois, il lui est offert une alternative de rachat : reconnaître sa faute, faire profil bas et accepter la réparation. S’enclenche alors une procédure longue et difficile de réinsertion de la fautive dans ses droits et prérogatives, et surtout dans son foyer. On organise alors une cérémonie de purification qu’il serait fastidieux de décrire ici, mais dont l’objectif est de rétablir la « pureté » de son corps qu’elle a souillé. Et toutes les dépenses afférentes seront à sa charge. Mais si elle n’accepte pas se plier aux exigences de la tradition, elle quitte sur le champ le foyer. On considère plusieurs nuances dans l’accomplissement de l’acte adultérin :
  • l’acte adultérin est commis sur le lit conjugal : la punition est particulièrement sévère ;
  • l’acte est commis par une femme enceinte de son mari ;
  • l’acte a occasionné une grossesse, sans doute non désiré.
Dans les deux derniers cas, la femme est tenue d’avouer. Si elle ne se résout à le faire, c’est au moment de l’accouchement que la vérité risque d’éclater. Sujette à des complications graves et interminables, elle ne saurait donner naissance à son bébé qu’une fois la faute avouée. Tant qu’elle ne l’aura pas fait, le processus d’accouchement tombe en panne, exposant et la mère et l’enfant au risque de décès. Les femmes qui ont la sagesse d’obtempérer, réussissent à achever le processus sans grand dommage. Par contre les entêtées, celles qui ne veulent pas subir la honte de déclarer publiquement leur infidélité, se voient condamnées inexorablement. Celles qui, au cours du travail rendu difficile et insupportable, finissent par avouer, s’en sortent tant bien que mal, mais après l’accouchement, tout ce qui a servi à l’accomplissement de l’acte adultérin (lit, matelas, draps et accessoires) est vendu sur la place du marché et les femmes sont renvoyées de la maison par la belle-famille. De l’hôpital, elles ne retournent pas dans leur foyer, elles prennent le chemin de la maison de leurs parents qu’elles rejoignent dans le déshonneur. Tant pour la femme, tant pour le mari et sa famille. L’adultère introduit le déshonneur dans la famille. Si jusqu’ici c’est la femme qui, seule, semble être prise sous les feux de la rampe, cela ne signifie pas que son conjoint est épargné dans la conjoncture. L’acte commis par la femme l’éclabousse également et avec lui, l’ensemble de sa famille, et ce dans la mesure où un homme venant du dehors, a réussi à détourner la femme qu’ils ont mis de l’ardeur et des moyens pour conquérir. La honte rejaillit également sur eux, car l’adultère de leur femme a mis à nu leurs insuffisances et incapacités. Voici à ce propos les déclarations d’une gestante originaire de Kpadapé, 28 ans, qui était à sa deuxième grossesse :
« La sanction qui est morale et physique est laissée à l’appréciation du mari ou de la belle-famille. L’adultère d’une femme n’honore pas son mari car il est mal perçu par ses pairs. Par cet acte, le mari est soupçonné d’être incapable de satisfaire sa femme au lit ou matériellement. C’est pourquoi, si possible, on règle l’incident en famille pour sauver son honneur ». (Entretien)
Cette explication vaut une autre. Dans les traditions africaines toutefois, les causes des pathologies sont pratiquement aux antipodes des explicitations avancées par la science, mais si le processus de guérison doit être en phase avec le vécu et le ressenti des populations bénéficiaires des soins, il ne sera pas absurde de tenir compte de leurs systèmes de valeurs. Toute la problématique des soins et de la prise en charge des patients en Afrique ne peut faire l’économie de ces types d’explications endogènes.
2.2.2. « Alokpli »
Ce concept ne saurait, comme certains se complaisent à le faire, être confondu avec l’inceste. L’inceste est la prohibition de rapport sexuel entre des parents directs au sein de l’atome de la parenté (C. Lévi-Strauss 1949, 1973).  « Alokpli » qui signifie en éwé « la rencontre des mains » est également une interdiction de rapport sexuel, mais ici, les sujets ne sont pas les mêmes. L’interdiction concerne d’abord
  • deux germains avec une même femme,
  • deux germaines, deux cousines croisées ou parallèles, avec un même homme, sauf en cas de succession à la mort de l’aîné des deux frères ou de l’aînée des sœurs et cousines. Auquel cas, des cérémonies spécifiques sont nécessaires.
Elle concerne ensuite :
  • deux amis commensaux avec une même femme
  • deux amies commensales avec un même homme.
Nous insistons sur la commensalité dans les rapports entre les sujets évoqués ici car il s’agit du moment crucial pour la « contamination »[4] : c’est en mangeant dans la même assiette que les mains commencent par se rencontrer et se toucher. Si plus tard ces mêmes personnes vont se rencontrer chez les mêmes partenaires, c’est comme si leurs mains continuaient de s’y toucher, alors cela ne devrait pas être le cas dans un contexte autre que le partage de repas. Les actes que l’on accomplit dans l’intimité doivent rester exclusifs et personnels, on ne les partage pas, au risque de s’exposer à des conflits d’intérêt. Or l’alokpli est synonyme de conflit d’intérêts. Les règles sociales ne permettent pas que deux personnes proches partagent leur intimité avec des partenaires communs, c’est là toute la problématique de l’alokpli. Lorsqu’elle intervient, cette collision provoque une rupture d’alliance dont les conséquences ne peuvent qu’être désastreuses pour les acteurs impliqués :
  • D’abord pour les frères, les sœurs et les amis : lorsque l’un des frères tombe malade et garde le lit, il ne doit en aucun cas, recevoir la visite de l’autre. La tradition dit que le malade court le risque de succomber à son mal et ce, inexorablement.
  • Ensuite lorsque deux sœurs ont fréquenté le même homme (il arrive même que cela se passe dans la famille et que l’une des sœurs entretienne des relations avec le mari de l’autre sœur dans la clandestinité), la sanction en est que si l’une des femmes est enceinte et entre en travail, des complications graves interviendront, qui obligeront la fautive à avouer sa fréquentation indue sous peine de ne pouvoir accoucher facilement.
Plus que cela, les deux sœurs (ou cousines) sont automatiquement interdites de relations de soutien et d’entraide. Ainsi, la sœur enceinte ne devrait plus avoir le loisir de bénéficier de l’appui de l’autre sœur, par exemple lorsque le travail débute et que quelqu’un devrait accompagner la parturiente à l’hôpital. Cette aide apportée dans l’ignorance de l’acte commis, est la porte ouverte aux complications. La mort pourrait en résulter, sauf aveu.
L’instauration de l’alokpli est une disposition de prévention que la société a mise en place pour donner un sens plus marqué à l’éthique familiale. Lorsque des personnes appartiennent à une même famille et partagent le même sang, voire le même capital génétique, il est important de leur interdire des relations de trop grande proximité, de manière à promouvoir la diversité génétique à travers l’exogamie généralisée. Dans le cas où ces règles ne sont pas respectées, les personnes se montrant trop désinvoltes vis-à-vis de l’ordre familial, courent de grands risques, par exemple une menace de maladies pouvant conduire à la mort. Ainsi, entretenir des rapports sexuels clandestins avec le frère de son mari ou la sœur de sa femme, est un acte négativement symbolique et donc interdit. Cela vaut pour les hommes autant que pour les femmes. On peut en déduire que les cas de mortalité maternelle inexpliqués peuvent être mis au compte de ces genres de comportement qui sont des manquements graves à l’ordre établi. Par ailleurs, on prévient les femmes, (sœurs ou cousines) en situation délicate avec le conjoint de leurs sœurs, qu’elles sont interdites de visites les unes aux autres lorsque l’une d’entre elles tombe malade et se trouve alitée.
2.2.3. Mensonge et tromperie comme attitudes indignes d’une femme enceinte
Il ressort des propos des enquêtées de manière presque récurrente qu’une femme enceinte ne doit ni mentir ni tromper son mari. Ceci est une autre règle cardinale de la vie de couple en pays éwé. Mentir dans le compte d’autrui, tromper son mari pendant qu’elle est enceinte, peut provoquer des complications lors de l’accouchement. C’est ainsi que le mensonge et la tromperie ne font pas bon ménage avec la situation de grossesse. Trois expressions servent à désigner le mensonge : gbefofo, didri ou encore adjédada. Le substantif gbefofo vient du verbe fogbe composé de fo (frapper, heurter) et de gbe = « parole ». On peut le traduire par « parjurer » ou « faillir à sa parole ». Didri est une façon de tordre le cou à la vérité, ou de cacher sa pensée véritable aux autres (R. Pazzi 1976, p.242). Quant à adjedada, il est formé sur aje qui, d’après Pazzi (ibid.), signifie « palabre », et da qui est « le fait de cuisiner ». La tromperie de son côté, est dite amébéblé, et est synonyme de duperie ou d’adultère. C’est une belle façon d’induire quelqu’un en erreur et lui faire « prendre des vessies pour des lanternes ». Si une femme enceinte se trouve dans un tel cas de perfidie ou d’infidélité caractérisée, la sagesse recommande qu’elle en informe la belle-famille dare-dare et bien avant que ne se déclenche le travail. Sans cette précaution, la même menace de complications et d’atteinte à sa vie propre et à celle de l’enfant est toujours présente. Pour la tradition, une femme portant en elle une vie n’a pas le droit de porter de faux témoignages ou de fausses allégations. Il est de son devoir de les confesser lorsque les complications surviennent lors du travail pour être pardonnée afin d’accoucher dans la paix. Il faut que la vérité éclate, et c’est le lieu et le jour choisis par les ancêtres pour démasquer les intrigantes afin de rétablir l’ordre et faire régner l’entente et la paix dans le foyer et dans la famille.
2.2.4. Rupture de communication (kenlélé)
La rupture de communication est appelée ken, synonyme de rancune ou de discorde (R. Pazzi 1976, p.246). C’est le fait de cesser de communiquer avec une personne ou de lui adresser la parole. Selon les croyances répandues en pays éwé, il s’agit d’un acte grave, censé provoquer des complications à l’accouchement, voire la mort de la parturiente. Plusieurs cas de figure se présentent dont nous en mentionnerons deux ou trois essentiellement.
  • Le premier cas concerne la femme enceinte qui, pour un motif ou un autre, déciderait dans un élan d’humeur, de ne plus adresser la parole à un membre de son entourage. Le risque encouru est souvent latent, les effets ne se déclenchant que, lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies : la parturiente, à terme, entre en travail sans que l’on s’y attende. Parmi les femmes qui pourraient l’aider à se rendre au centre de soin, se trouvent une ou plusieurs personnes avec lesquelles elle est en rupture de parole, et qui, pour ne pas être suspectées de non-assistance à personne en détresse, décident de s’activer autour d’elle. Arrivées sur les lieux, elles continuent de s’occuper de leur voisine en difficulté, comme si de rien n’était. C’est alors que peuvent survenir les difficultés que l’on met habituellement au compte de ce manque d’harmonie entre les personnes présentes à cet événement social crucial.
  • Le deuxième cas est celui d’un couple de jeunes qui s’est formé sans avoir suivi la voie réglementaire du mariage et qui se retrouve devant le fait accompli quand la fille tombe enceinte. Les parents, mis au courant, sont mécontents. Dans cette dynamique, les parents profèrent des invectives, vouant les deux jeunes aux gémonies. Seulement il ne s’agit pas là de simples paroles en l’air, comme prononcées sous le coup de la colère. En Afrique, la parole prononcée est presque toujours suivie d’effets. Rejetant la grossesse comme fruit d’un acte délictueux et antisocial, les parents de la fille se sentent déshonorés et avilis. En réaction, ils cessent toute relation, même verbale, avec le couple. C’est la rupture de communication.
Quand vient le moment de l‘accouchement, tout le monde réalise que des complications surviennent qui empêchent une délivrance paisible. Et la cause est prétendument le litige qui a opposé les parties prenantes qui n’ont pas réussi à s’accorder. Pour que l’accouchement se solde par la naissance d’un enfant viable et une mère dont la vie sera préservée, il faut des mesures palliatives. Dans un cas comme dans l’autre, la solution réside dans la réparation. Et plus précisément, la réparation des torts.
Celle-ci s’obtient à travers l’organisation d’une cérémonie de réconciliation : le futsi-tutu[5]. Elle s’effectue entre la future mère et les personnes concernées, sous la supervision d’un ancien pendant que la parturiente est en travail, entre la vie et la mort. L’objectif en fait n’est pas directement la grossesse en soi, mais plutôt la restitution d’une situation d’harmonie et de cohésion sociale propice au vivre-ensemble et à l’échange communautaire. Ce que le système social recherche avant tout, c’est la préservation de la paix et l’ordre dans la communauté pour que chaque individu puisse occuper la place qui lui revient, de manière à œuvrer sereinement pour le bien-être général. La naissance d’un nouvel être qui vient compléter les rangs de la descendance familiale est considérée comme un événement particulier, qui est de nature à apaiser l’esprit des ancêtres et vivifier la communauté. L’ordre ainsi rétabli, on peut à nouveau proclamer le vœu que lorsqu’on entend le gémissement d’une femme en travail, il faut que ce bruit soit suivi du cri d’un nouveau-né : « Ne mi se no nkoa, miase vi ». Et au cours de ce rituel, on ne profère que « madimadi nedi fafaa de » qui se traduit par « que celle qui n’a jamais accouché, accouche dans la paix ». Cet enfant qui va naître, sera porteur de paix et scellera la réconciliation entre les deux familles. Le maître de cérémonies le proclame solennellement et demande dans sa prière, que le travail se déroule positivement, que la mère ne succombe pas et que le bébé arrive sans encombre.
Parfois, il arrive que la personne avec laquelle la communication est rompue, décède sans qu’une cérémonie de réconciliation ait pu avoir été organisée. Ceci peut avoir de graves conséquences si aucune mesure de réparation n’est prise pour apaiser la tension entre les protagonistes. Il est toujours possible d‘organiser un rituel de réconciliation, même si c’est à titre posthume. C’est ce qui ressort des explications d’un doyen d’âge d’environ 70 ans, recueillies lors des entretiens : « En général les Ewés ont une représentation particulière de la mort. (…) une femme enceinte qui a un problème avec un défunt ne peut pas facilement échapper à la mort. La mort peut la surprendre à n’importe quel moment de son existence ».
L’histoire suivante peut servir d’illustration pour soutenir ces propos. Un monsieur avait un litige foncier avec son grand frère consanguin avant que celui-ci ne décède brusquement. Aucun règlement n’avait été trouvé avant le décès. Comme l’exigent les traditions, tout différend avec le défunt doit être réglé avant son enterrement, sinon « eku la va foméa me », qui veut dire que « la mort va élire domicile dans la maison ». Si cela advient, ce sont les personnes les plus vulnérables qui en payeront le prix. Ces personnes sont les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Et c’est ce qui a fini par arriver à ce monsieur qui perd sa femme enceinte lors d’un accouchement parce qu’il ne s’est pas réconcilié avec son frère défunt. Il raconte :
« Un matin au réveil, ma femme me dit qu’elle a fait un rêve. Dans le rêve, elle a vu son beau-frère défunt dans la cour de la maison lorsqu’elle est sortie pour satisfaire un besoin pressant. Je l’ai traitée de menteuse. Le troisième jour, elle a commencé à souffrir des maux de tête. Elle fut conduite à l’hôpital où elle rendit l’âme. Après consultation des oracles, la cause d’une telle mort est liée à mon refus de me soumettre au rite de réconciliation entre mon défunt frère et moi. Par conséquent, mon frère a décidé de me punir doublement en s’en prenant à ma femme et mes enfants. Ce rite devrait conjurer le mal, selon les croyances de chez nous ». (Entretien)
Ce rite de conjuration communément appelé « aditsi-tutu[6] » est pris très au sérieux dans la communauté, et ce parce qu’il permet d’exorciser la mort. Ainsi, pour éviter que les membres vulnérables de la lignée ne succombent les uns après les autres, il est impératif de désamorcer le piège de la mort en procédant à cette cérémonie de purification. Tout ceci montre comment les représentations sociales et culturelles influent sur les perceptions des phénomènes de la vie quotidienne aux moments cruciaux de la vie. Même si l’instruction scolaire et la modernité ont introduit des modèles d’explication fondés sur la science et le pragmatisme, les formes anciennes de mise en relation des faits demeurent et incitent à des réactions parfois surprenantes. C’est ainsi que les rituels de type traditionnel sont toujours vivaces et des mises en accusation pour des faits relevant de contingences cliniques sont toujours préférées. La relation entre le monde des morts habité par les esprits et les ancêtres et celui des vivants, demeure tangible à travers les interférences mutuelles l’un sur l’autre pour la préservation du vivre-ensemble dans la paix et la concorde. L’objectif final de tout système social n’est-il pas justement la défense de cet ordre ? Mourir en couches pour des motifs de manquement à l’ordre social et d’inobservance des règles fondamentales qui orientent les rapports communautaires, devient alors une aberration et un acte de désobéissance.
 
[1] Etymologiquement : gbome = « en vadrouille » + de = aller. Gbomedede signifierait alors « aller se promener dehors » ou « aller en vadrouille ».
[2]Afo = pied, de= mettre, gbe = dans la brousse, dehors (contraire de maison d’habitation). L’expression signifie « mettre le pied dehors », c’est-à-dire s’extravertir, quitter le droit chemin.
[3]matré = prostitution ; wo = faire ; le tout donne  « se prostituer », sous-entendant ainsi qu’une femme qui commet l’adultère ne fait rien d’autre que de se prostituer.
[4] Il ne s’agit pas d’une véritable contamination, mais plutôt d’une compromission ou d’une souillure.
[5]Fu veut dire en éwé « grossesse » ; tsi est le terme pour désigner « l’eau » ; tu : correspond au verbe « cracher ». Le tout signifie « libation de grossesse ».
[6]Adi = poison, tsi = eau, tu= cracher. Il s’agit de la cérémonie destinée à « désamorcer le poison de la mort »

Conclusion

A la quête des causes de la persistance de la mortalité maternelle et néonatale au Togo, la présente recherche a focalisé son attention sur le CHP de Kpalimé qui est l’un des hôpitaux de district le plus important de la région des Plateaux au Togo. Plusieurs raisons expliquent ce choix, entre autres sa tradition historique au cœur de la zone de production du café et du cacao ainsi que des fruitiers depuis l’époque coloniale, et sa position à la croisée des chemins entre la capitale Lomé et la frontière du Ghana.
Alertée par la persistance des décès maternels malgré le déploiement de toutes ces mesures, la présente recherche s’est employée à interroger les populations, plus précisément les parturientes et des parents de femmes enceintes, sur les déterminants éventuels de cette situation. Le travail empirique a permis de proposer des explications que l’on relie aux représentations sociales et aux perceptions, plutôt qu’aux facteurs médicaux et pragmatiques. Les populations de la région de Kloto sont toujours convaincues que les pratiques sociales non conformes à la morale sociale, sont à l’origine des dysfonctionnements.
Pour cela, il faudrait mettre un accent particulier sur l’éducation familiale de la jeune fille en lui inculquant très tôt les valeurs de la coutume. Cette coutume recèle un grand nombre de dispositions comportementales prescrites, dont l’observance est cruciale pour l’intégrité de la personne. Ces dispositions peuvent être considérées comme des boucliers contre des attitudes déviantes et des leviers pour le maintien de l’ordre et la conformité aux valeurs. Elles ont une forte dimension morale, sans conteste, car ayant pour fonction primordiale de garantir l’intégrité de l’ordre parental dans les lignages. Un enfant doit pouvoir être inséré sans crainte dans une lignée parentale, et y intégrer la place qui lui revient, gage de son identité de groupe. Pour cela, les parents doivent avoir l’assurance que l’enfant qui va naître fait partie réellement de la lignée, car conçu par son père légitime. La recherche anthropologique a entre autres pour fonction d’expliquer les pratiques culturelles en vigueur dans les sociétés et de les insérer dans le contexte de sens qui légitime leur exécution à des fins de préservation de la société.

Références

Références bibliographiques

ABOUDOU Mohamed, 2007, Evaluation du niveau de connaissance en consultation prénatale des gestantes, étude du cas des gestantes du CHU-Tokoin de Lomé, Mémoire de Maîtrise de sociologie, Université de Lomé, Lomé.
AHOSSU Sénam, 1991, Contribution à l’étude de la mortalité maternelle dans deux maternités du Togo (au CHU de Lomé et au CHR de Sokodé), Mémoire de Maîtrise de sociologie, Université de Lomé, Lomé.
AZAMEDE Kokou, 2014, « L’hôpital de Kpalimé », https://www.goethe.de/ins/tg/fr/kul/sup/dsi/ pla/20809017.html
BÂ Idrissa, 2018, « Les rituels de la naissance au Sénégal » in Rosella SANDRI (sous la Direction de), Le bébé et son berceau culturel. L’observation du bébé selon Esther Bick dans ses différents contextes culturels, Coll. La vie de l’enfant, Paris, Erès, p. 31-43.
BABADJIDE Charles Lambert, 2020, « Rites de réintégration « Afolile » des femmes adultères chez les « Fon » d’Abomey : Eléments pour une Socio-Anthropologie de la purification », European Scientific Journal, ESJ 17 (7), 170, p.170-188, https://doi.org/10.19044/esj.2021
BADOLO Hermann, TESTA Jean et BAHAN Dalomi, 2015, Mortalité maternelle en Afrique : Contribution pour une construction conceptuelle et méthodologique d’un indicateur de risques contextuels de morbidité et de mortalité maternelle, Cas du Burkina Faso, Communication présentée à la VIIème Conférence africaine sur la population, Johannesburg – Afrique du Sud.
BARRY Boubacar, 2008, Mortalité maternelle: cause et facteurs favorisants déterminés par l'autopsie verbale dans le département de Bakel. Memoireonline.com
BIAKOUYE Awusu Kodjo, 1998, Etude de l’évolution socioéconomique d’une ville secondaire en zone de plantation au Togo : Kpalimé, de l’essor à la décadence relative, Mémoire de Géographie urbaine, Université du Bénin, Lomé.
BILABENA Salamatou, SAMA Nankpakou, KOSSI-TITRIKOU Komi, 2022, « Femme et santé de la reproduction : maternité et consultations prénatales (CPN) au Togo », in : Les sciences sociales et les humanités africaines : introspections, Coord. par Clément Akassi, ss la direction de Koffi Ganyo Agbefle & Christian Tramblay, L’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP) et les Editions Francophones Universitaires d’Afrique (EFUA) N° 7, Avril 2022, p. 341-362.
BOLAKONGA Bobwo, 1989, « Les tabous de la grossesse chez les femmes Sakata (Zaire) », Annales Aequatoria 10(1989), 42-54.
BUZINGO Deogratias, 2014, « Analyse des facteurs/Déterminants socioculturels et contextuels des risques de morbidité et mortalité maternelles au Burundi : Essai de cartographie régionale », https://www.academia .edu/26017692
FAURE Pierre, “Warner William Lloyd, (1898-1970)” in Encyclopaedia Universalis [en ligne] consulté le 31 août 2022, https://wwwuniversalis.fr/encyclopedie/ethnologie-ethnologie-generale.
FONDS DES NATIONS UNIES POUR L’ENFANCE (UNICEF), 1994, Egalité des sexes et démarginalisation des femmes et des filles, New York.
FONDS DES NATIONS UNIES POUR L’ENFANCE (UNICEF), 1999, Reducing maternal mortality and morbidity, Lusaka, Zambie.
IDBOUDJA Soraya, 2019, « Rites et traditions du monde : ces étranges croyances autour de la naissance », https://www.journaldesfemmes.fr/société.insolite
KIRAGU Ann, 2015, La mortalité maternelle au Kenya : mesures et déterminants, Thèse de Doctorat en Démographie [en ligne], Paris, Institut de Démographie.www.thèses.fr.
KOSSI-TITRIKOU Komi, NYASSOGBO Kwami Gabriel, ANIKA Edem Komitsè & EKOUE Akouété Galé, 2021, « Les Ewé aujourd’hui » in : Nicoué Gayibor (ss la Dir), Les Ewé (Togo, Ghana, Bénin). Histoire et Civilisation, Coll. Patrimoines N° 26, Tome 2, Paris, L’Harmattan, Lomé, Presses de l’Université de Lomé, p. 219-248.
LEVI-STRAUSS Claude, 11949, 1967, Les Structures élémentaires de la parenté, Paris, PUF La Haye, Mouton.
LEVI-STRAUSS CLAUDE, 1973, « Réflexions sur l'atome de parenté ». In : L'Homme, tome 13, n°3. p. 5-30, [en ligne] doi : https://doi.org/10.3406/hom.1973.367355 https://www.persee.fr/doc/hom0439-4216_1973_ num_13_ 3_367355
MAIRIE DE KPALIME, 2018, Plan de Développement communal de 2eme génération 2019-2023, Kpalime.
MASIRIKA IRENGE Blaise, KAJIBWAMI BIRINDWA tienne, MPARANYI, Gérard,  BARHAMBULIRA NKUSI Pascal, « Analyse des facteurs explicatifs des décès maternels intra hospitaliers dans la zone de Santé Rurale de Miti-Murhesa, RDC », https://hal/archives-ouvertes.fr
MEILLASSOUX Claude, 1964, Anthropologie économique des Gouro de la Côte d'Ivoire, Paris-La Haye, 2012. Facteurs à risque de mortalité maternelle au Congo, Institut National de la Statistique (INS), Brazzaville.
NZAOU Stone Chancel, 2019, « Facteurs à risque de mortalité maternelle au Congo », http//uaps2019.popconf.org 
ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE (OMS), 2008, Rapport sur la santé dans le monde 2008 : les soins de santé primaires, [en ligne] Genève (https://www.apps.who.int) consulté le 21 avril 2022.
ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE (OMS), BANQUE MONDIALE (BM), FONDS DES NATIONS UNIES POUR LA POPULATION (UNFPA), FONDS DES NATIONS UNIES POUR L’ENFANCE (UNICEF), 2012, « Trends in Maternal Mortality: 1990-2010, estimations OMS » [en ligne] "(https://apps.who.int;iris>handle, consulté le 28 Avril 2022.
ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE (OMS), FONDS DES NATIONS UNIES POUR L’ENFANCE (UNICEF), FONDS DES NATIONS UNIES POUR LA POPULATION (UNFPA), BANQUE MONDIALE (BM), NATIONS UNIES, 2019, Evolution de la mortalité maternelle 2000-2017. Estimations de l’OMS, de l’UNICEF, de l’UNFPA, du Groupe de la Banque Mondiale et de la Division de la Population des Nations-Unies, Genève, Suisse.
PAZZI, Roberto, 1976, L’homme, eve, aja, gen, fon et son univers; Lomé ; ronéotype.
PIRAUX Maurice et DEVEY Muriel, 2010,  Le Togo aujourd’hui, Paris, coll. « Aujourd’hui », Ed. du Jaguar.
REY Alain, 1998, Dictionnaire historique de la langue française, Paris Robert.
REY Sevin, 2017, « Tour du monde des traditions autour de la grossesse et de l’accouchement », www.madame.lefigaro.fr 
SISSOKO Adama (2020). Etude de la mortalité maternelle dans le district de Bamako/Mali, Thèse de Doctorat, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Bamako.
SOMBIE Issiakia, MEDA Ziemle Clément, SAVADOGO Geswende Léon Blaise, SOME Donmozoun Télesphore, DAMOUNI Sophie Fatoumata, DADJOARI Moussa, SAWADOGO Ramata Windsouri, SANO-OUEDRAOGO Djénaba (2018). « La lutte contre la mortalité maternelle au Burkina-Faso est-elle adaptée pour réduire les trois retards ? », Santé Publique 2018/2 (Vol.30), p.273-282, Ouagadougou.
VIEIRA MARTINS Maria de Fatima, ALMEIDA REMOALDA Paula Cristina, 2007, « Mythes et croyances pendant la grossesse dans la région nord-ouest du Portugal et ses implications dans la santé des femmes », Recherches en soins infirmiers, n°90, sept.2007, p.75-85
YAOGO Maurice, SOME Théophore, OUEDRAOGO Moctar et MEDA Nocolas, 2012, Cultures locales et mortalité maternelle : contribution d’une approche qualitative à l’identification des causes de décès maternels par autopsie verbale » Recherches qualitatives, 31 (1), 89-113, https://doi.org/10.7202/1085024ar
ZIPARO Roberta, LAPIQUE Claire, 2019, « En Zambie, les croyances traditionnelles accentuent les risques liés à la grossesse », Dialogues économiques, Aix-Marseille School of Economics, https://lejournal.cnrs.fr

Downloads

Publié

31 Décembre 2022

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=278

Numéro

Rubrique

Qui sommes-nous ?