2022/Vol.4-N°10 : VARIA

16 |DIAGNOSTIC DES CONNAISSANCES TRADITIONNELLES ET PRATIQUES D’UTILISATION DES PLANTES PESTICIDES CHEZ LES PRODUCTEURS DU MARAÎCHER DE KORHOGO (COTE D’IVOIRE)

DIAGNOSIS OF USE PRACTICES AND TRADITIONAL KNOWLEDGE OF PESTICIDE PLANTS AMONG MARKET GARDENERS IN KORHOGO

Auteurs

  • SILUE Donakpo Département de Sociologie sdonakpo@yahoo.fr, Université Peleforo GON COULIBALY
  • ETTIEN Ablan Anne-Marie Département de Sociologie, amariettien@gmail.com, Université Peleforo GON COULIBALY
  • SORO Tchingbehele Naminata Département de Sociologie, ntsoro94@gmail.com, Université Peleforo GON COULIBALY

Mots-clés:

Diagnostic| pratiques d’utilisation| connaissance traditionnelle| plantes pesticides|

Résumé

L’objectif de cette étude est de faire le diagnostic des connaissances traditionnelles et pratiques d’utilisation des plantes pesticides chez les producteurs du maraîcher de Korhogo. Elle a permis de collecter et rendre disponibles des informations devant interpeller les acteurs du secteur agricole à promouvoir les plantes pesticides pour une agriculture durable et un environnement sain. Pour ce faire, une étude socio-anthropologique a été menée à l’aide de l’approche qualitative. Les entretiens individuels, les focus groups et l’observation directe ont permis de recueillir les données de terrain du 25 Janvier au 17 Mars 2022 dans le département de Korhogo précisément dans les quartiers Nathio, Petit-Paris, Torgokaha, Ponvogo et Nouveau quartier (DHI). La technique de choix raisonné a été retenue pour l’échantillonnage qui a mobilisé 98 personnes.
Les principaux résultats révèlent que la majorité des enquêtés ont connaissance de deux catégories de plantes servant de pesticides en langue locale. L’une porte sur des plantes qui sont en langue vernaculaire le ‘napansanni’, le ‘gnimitigue', le ‘coudjiégui’ (respectivement nommées scientifiquement le chromolaena odorata, le neem, l’ocimum gratissimum) et l’autre sur les résidus de certaines cultures. Les enquêtés les utilisent pour la fertilisation du sol, la protection des cultures potagères et la conservation des récoltes. Ceux qui les utilisent jugent leurs effets très faibles par rapport aux pesticides chimiques. Toutefois, ces enquêtés en majorité des femmes reconnaissent que leur usage ne cause pas de céphalées, d’irritations de peau et de pollution environnementale ; soit un effet favorable de ces plantes.

Introduction

La sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté sont de véritable préoccupation pour les pays en développement avec une population qui s’accroit très rapidement dans les zones urbaines. La nécessité d’avoir une production en quantité suffisante tout en s’assurant un revenu décent, a conduit la plupart des producteurs, souvent analphabètes, à utiliser abusivement des insecticides chimiques de synthèse (N.M. Koffi, 2016, p. 39). Cette utilisation incontrôlée des pesticides expose à des risques sanitaires et environnementaux (R. Bommarco et al., 2011, p.786 ; N.M. Koffi, 2016, p. 41). A cet effet, une revue documentaire et une analyse des contenues de ces documents sur les pesticides, permettent de constater que le monde entier s’interroge de plus en plus et s’inquiète de l’ampleur des problématiques sanitaires et environnementales actuelles. Au nombre de ces problèmes l’on note la pollution des ressources indispensables à la vie tel que l’air, la pollution de l’eau et la contamination des aliments dus aux pesticides synthétiques. Ces problématiques font la une et soulèvent de plus en plus des inquiétudes.
Les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) se chiffrent à 2 000 000 de personnes qui sont tuées chaque année dans le monde suite à des intoxication ou empoisonnements par les pesticides chimiques (S. Belmain et al., 2013, p.17 ; P. Anjarwalla et al., 2013, p.11). Les pesticides contrairement à d’autre polluants sont délibérément relâchés dans l’environnement avec comme premier objectif de tuer les agresseurs de cultures. Ces pesticides ne sont cependant pas sans effets pour les autres organismes non ciblés incluant les êtres humains (L. Marie-Claude, 2007, p.28). De ce fait, le relâchement de ces produits phytosanitaires contaminant l’eau, l’air, et aliments ont des conséquences sur l’environnement et la santé humaine. Bien qu’en Afrique l’utilisation de pesticides synthétiques ne compte que 2 à 4% du marché mondial, leurs coûts s’élèvent à 31 milliards dollars ($) US (P. Anjarwallala et al. 2015, p.10).
Pour faire face à cette situation, l’utilisation des plantes pesticides devient alors une des alternatives pour obtenir des produits agricoles bio et parvenir à une agriculture durable. L’usage de ces plantes pesticides permet d’avoir une agriculture pourvoyeuse de moyens de subsistances durables, ainsi qu’à réduire la pollution environnementale. Les extraits de plantes qui ont été abandonnés au profit des pesticides de synthèses, ont joué un rôle important très tôt dans les activités agricoles de l’humanité et sont à la base de plusieurs observations anciennes qui ont structuré les disciplines naissantes de la biologie au XVIIIe et le début du XIXe (R. Bernard, 2006, p.1). Ces plantes pesticides peuvent être normalement utilisées et manipulées en toutes sécurité, plus que les pesticides synthétiques (P. Adjawalla et al., 2016). D’une façon générale, les extraits des planes pesticides sont moins dangereux que les pesticides de synthèses.
En côte d’ivoire, en vue de promouvoir ces plantes pesticides pour une agriculture durable, une formation s’est tenue dans la zone de l’Agence d’Appui au Développement Rural (ANADER) de Katiola le 24 juillet 2021 avec pour participants un groupement féminin et les agents de l’ANADER sur la fabrication de biopesticides et insecticides répulsifs naturels. Cette formation a mis l’accent sur l’utilisation d’intrants naturels notamment les minéraux et les produits dérivés de plantes, par la renonciation aux engrais synthétiques (T. Yéo, 2021, p.1). Dans le nord de la Côte d’Ivoire précisément à Korhogo, les maraichères ne restent pas en marge de cette prise de décision et ses initiatives. Cependant, Beaucoup de plantes reconnues localement pour avoir une action pesticide sont rarement utilisées. Si certaines plantes pesticides sont abondantes, comprenant des exotiques indigènes et certaines mauvaises herbes, d’autres sont moins largement disponibles et leur utilisation peut mettre des espèces en danger de surexploitation et avoir un impact négatif sur la biodiversité de l’écosystème.  Il s’agit de se questionner sur la connaissance et les pratiques d’usage de ces plantes pesticides par les agriculteurs de maraîchers de Korhogo dont certains considèrent que leur utilisation est trop contraignante. C’est dans ce sens que cette étude se donne pour objet de faire l’état des connaissances et les pratiques d’usage des plantes pesticides chez les maraîchères de Korhogo. En d’autres termes, quelle est l’état de connaissances traditionnelles des maraichères de Korhogo des plantes pesticides et quelles en sont les pratiques d’utilisation et les différentes perceptions de ces productrices ?

Méthodologie

 

1. MATERIELS ET METHODES

1.1. Champ géographique

Cette étude s’est déroulée du 25 Janvier au 17 Mars 2022 dans la ville de Korhogo (Côte d’ivoire). Situé à 632 Km d’Abidjan au Nord de la Côte d’Ivoire, la ville de Korhogo est le chef-lieu de District des Savanes et de la Région du Poro (D. Konaté, 2021, p. 253).
Le choix de cette localité est la conséquence d’une combinaison de plusieurs variables et critères. Il s’agit notamment des variables démographiques, de la forte dominance de l’activité agricole, son attractivité économique et touristique avec sa dimension cosmopolite de la zone. Sa population majoritairement Sénoufo et cultivateur, est fortement attachée à sa culture et ces croyances. La ville de Korhogo regorge en son sein plusieurs sites pour la culture du maraîchage. La collecte des données s’est effectuée sur ses sites qui sont dans les quartiers de Sinistré, Nathio, Petit-Paris, Torgokaha, Ponvogo et Nouveau quartier (DHI) où les groupements des producteurs de maraîcher sont régulièrement constitués.

1.2. Champ sociologique

La population qui fait l’objet de cette étude est constituée des producteurs de maraîchers de la ville de Korhogo. En effet, ces populations sont composées d’une majorité de femmes et d’une minorité d’hommes. Selon l’ANADER, au 30 juillet 2021, l’on enregistrait dans la ville de Korhogo 412 femmes productrices de maraîchers sur un total de 426 producteurs. C’est à cause de cette forte dominance de productrices que cette étude ne prend en compte que les femmes et trois responsables de structures de l’ANADER, du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et une unité productrice de bio-pesticides et engrais bio, travaillant avec les productrices de maraîchers.

1.3. Méthode et outils de collecte utilisés

La méthodologie s’est basée essentiellement sur une approche socio-anthropologique qualitative qui a mobilisé les trois principales techniques suivantes : les entretiens semi-directifs, les focus group et l’observation directe (non participante). Dans le premier cas, l’outil de collecte utilisé est le guide d’entretien. Ce même outil qui a été utilisé pour animer les focus groupes a été renforcé par des questions de relance à partir des réponses reçues. Ceci a permis d’approfondir les échanges et de clarifier certains aspects du sujet. Quant à la dernière technique, l’outil utilisé pour rendre compte de l’observation directe a été le Smartphone qui a servi d’appareil photo et de caméra. Dans nos investigations, la technique de choix raisonné a été retenu pour l’échantillonnage et l’étude a mobilisé à saturation des informations, (98) personnes dont (95) maraîchères, 1 agents du PAM, 1 responsable d’une unité de production de bio-pesticides et engrais à base des plantes locales et 1 responsables de l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) voir le tableau.
Tableau de la répartition des enquêtés par structure ou sites d’enquêtesTableau1
Source : Données de l’étude, 2022
Aussi, la différentiation du nombre de femmes enquêtées d’un groupement à un autre, s’explique par la disponibilité (présence) de celles-ci sur les sites pendant la période de l’enquête.

1.4. Méthodes d’analyse des données

Pour l’analyse des données, nous avons eu recours à l’analyse thématique. C’est ce type d’analyse qui convient quand la collecte des données a été faite à l’aide d’un guide d’entretien. Dans ce cas, les intitulés des guides deviennent en même temps les thèmes de l’analyse.
Cependant, en raison de la nature de l’étude, à savoir une recherche appliquée et au regard de l’importance de la thématique, l’analyse de contenu a été combiné à, l’analyse thématique. En d’autres mots, chaque thème de l’étude a fait l’objet d’une analyse de contenu dont la spécificité est de faire une analyse fouillée qui ne laisse aucune information de côté. C’est donc dans le but de combler les insuffisances de l’analyse thématique que nous avons associé l’analyse de contenu.

Résultats

2. RESULTATS

Les résultats de cette étude ayant pour objet de faire l’état des pratiques d’utilisation et connaissances traditionnelles des plantes pesticides par les maraîchères de Korhogo, se sont articulés autour de trois points. Il s’agit des connaissances traditionnelles des maraîchères en matière de plantes pesticides, puis les pratiques et la perception d’utilisation de ces plantes chez les femmes de la zone de Korhogo.

2.1. Profil sociologique et connaissances traditionnelles des plantes pesticides

Dans cette partie, il a été question de décrire les caractéristiques sociologiques des enquêtées devant permettre de comprendre l’état des connaissances traditionnelles des plantes pesticides.
2 .1. 1. Profil sociologique des enquêtées
Au niveau du profil sociologique des enquêtés, il faut retenir que les ethnies dominantes sont le « Tiébara » et le « Nafanra » originaires de la localité d’étude. L’observation directe révèle que les femmes constituent la majorité des personnes rencontrées sur les sites de production dans les 5 localités d’enquête. Ce qui permet de dire que les femmes en zone urbaine s'intéressent beaucoup plus au maraîchage que les hommes. Dans l’exercice de cette activité, les jeunes femmes appartenant à la tranche d’âge de 20 à 34 ans rivalise avec les adulte dont l’âge varie entre 35 à 49 ans. Ces jeunes femmes maraîchères, avec une expérience de 2 à 5 ans, pratiquent généralement la culture du piment et des aubergines sur des surfaces relativement plus grandes. Quant aux femmes adultes qui ont au moins une expérience de 10 ans, elles pratiquent plusieurs cultures sur de petits espaces de moins de 150 m2. Ces dernières qui sont la plupart veuves et chefs de ménage, prennent en charge en moyenne 6 personnes. Les principales cultures pratiquées par ces maraîchères, sont composées des légumes feuilles tels que les laitues, les choux, l’épinard, le persil, le dâh, l’oignon et le « Tchonron » une spécialité du terroir sénoufo. On y rencontre aussi des légumes fruits tels que le gombo, les aubergines, le piment, la tomate et les cucurbitacées.
Pour ce qui est de l’acquisition des parcelles qu’elles occupent, plusieurs d’entre elles ont hérité des parcelles de leurs parent(e)s comme l’indiquent quelques-unes :
Moi j’ai eu cette parcelle parce qu’elle appartenait à ma grande mère maternelle et elle m’a dit c’est la propriété de la famille maternelle qu’elle avait obtenue de ses oncles (S. A.  33 ans niveau primaire des Sites de Natio) ;
… ici le champ et basfond étaient à mon défunt père et c’est lui qui me l’a donné quand j’ai perdu mon mari c’est l’héritage de leur famille (Y. K. 49 ans analphabète du site de Ponvogo)
Certaines ont acquis leurs parcelles par l’appui de l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) et du Programme Alimentaire Mondial (PAM). En effet, dans le cadre de la politique d’autonomisation de la femme rurale, l’ANADER et le PAM font des regroupements de 50 femmes à l’hectare. Chacune de ces productrices reçoit la responsabilité et l’usufruit d’une parcelle de 200 m2 de terre. Cela justifie le fait que certaines maraîchères se retrouvent sur des sites différents comme l’indique S.Z. J’ai la parcelle que mes parents m’ont donnée et celle du champ collectif que le projet nous a permis d’obtenir (S.Z 36 ans niveau primaire). Toutefois le mode d’acquisition des parcelles pour la majorité reste le système des squats sur la base d’une entente avec le propriétaire terrien comme le témoignent les propos suivants d’une maraîchère :
 « …ici l’acquisition des terres comme suit : si tu vois un basfond ou un coin d’eau où il n’y a pas quelqu’un tu t’installes mais dans le cas où il y a des productrices avant toi alors tu leur demandes de te céder une place dans le cas contraire, tu vois le propriétaire terrien ».
Sur l’ensemble des sites de productions visités, aucune exploitante du maraîchage ne loue sa parcelle, elles héritent des parents ou empruntent les terres. De même l’acquisition des connaissances des plantes pesticides reste tributaire de la famille et des structures d’encadrement.
2.1.2. Connaissances traditionnelles des plantes pesticides
Les enquêtées ont indiqué deux catégories de plantes servant de pesticides dans le cadre des connaissances traditionnelles de ces plantes. L’une porte sur des plantes qui sont le chromolaena odorata, le neem et l’ocimum gratissimum, appelés respectivement en langue locale ‘napansanni’, ‘gnimitigue', ‘coudjiégui’ et l’autre sur les résidus de certaines cultures. Toutefois, chez les maraîchères de Korhogo on note deux origines de la connaissance des plantes pesticides dont les usages dans la production agricole datent de plusieurs générations. S’agissant de la première origine, ces connaissances ont souvent été acquises par ces maraîchères dans l’exercice de cette activité auprès de leurs parents. C’est ce qu’indiquent les propos suivants lors d’un focus groups à Ponvogo : « C’est ma mère qui m’a montré ces plantes pesticides » S.D (34 ans, primaire) ; « Moi c’est ma belle-mère qui m’a appris cela » Y.K (26 ans, primaire) ; « Je voyais ma tante et ses camarades utiliser ces plantes et j’ai appris auprès d’eux » O.K (40 ans, primaire)
Quant à la seconde, les connaissances sont transmises lors des formations faites par des organismes Etatiques, humanitaires et ONG. C’est ce qu’expliquent deux responsables, l’un d’ANADER et l’autre du PAM qui prônent une agriculture durable en formant les femmes de ces 6 sites de production maraîchère. Ainsi, nous avons la description des plantes pesticides suivantes :
–  Le ‘napansanni’ soit le chromolaena odorata
Le chromolaena odorata qui est appelé en langue sénoufo « napansani » est une plante au vertu répulsive des ravageurs des cultures maraîchères. Elle se présente comme l’indique la photo n°1 :
Photo n°1 du chromolaena ordorata « napansanni »Photo 1
Source : D. Silué, 2022
Utilisée selon les répondants pour chasser les moustiques, cafards, salamandres et autres parasites de maison, le ‘napansanni’ est une plante à odeur répulsive.
Des enquêtées ayant un âge de 40 ans et plus, venant en majorité du groupement des maraîchères de Ponvogo, parlent de ‘napansanni’ une plante anciennement utilisée pour chasser insectes et chenilles. Plusieurs d’entre elles comme l’indique D.G. et SD ;
Dans mon ethnie on appelle ça ‘Napansanni’ c’est une plante médicament qu’on utilise contre les moustiques, les puces et les cafards dans nos maisons. L’odeur des feuilles et des tiges chasse les insectes. Surtout quand elles sont séchées et qu’on  les brûle,  l’odeur de leur fumée tue les insectes volants. (D.G. 42 ans niveau primaire à Ponvogo)
 Certaines comme S.G. (49 ans, primaire) et S.D. (47 ans, secondaire) indiquent que :
« Les agriculteurs utilisaient ces plantes par le passé surtout lors des invasions des criquets ou des chenilles, pour protéger leurs cultures ».
Cependant, elles notent presque toutes, que ces plantes sont en train de disparaitre du fait de certaines cultures comme le coton faisant usage d’herbicides.
–  Les grains de ‘gnimitigué’ connu sous le nom de neem
Le neem appelé en sénoufo ‘gnimitigué’ est une plante dont les feuilles et grains servent à la fabrication de pesticides traditionnels. Des grains récoltés sont présentés à la photo n°2.
Photo n°2 : Grains de neemPhoto 2
Source : D. Silué, 2022
Les grains et feuilles de neem ont été plus indiqués par les maraîchères appartenant aux groupements bénéficiant de l’appui de l’ANADER et du PAM qui, dans leur politique d’autonomisation de la femme rurale proposent l’usage des biopesticides.
– Le ‘Coudjiégui’ en sénoufo est l’ocimum gratissimum
Les enquêtés ont connaissance de l’ocimum gratissimum qu’ils appellent ‘coudjiégui’ présenté par la photo n°3. Les femmes pratiquant le maraîcher sur certains sites comme Ponvogo et Nathio, reconnaissent au-delà de l’aspect pesticide de cette plante, des qualités thérapeutiques.
Photo n°3 :  Ocimum gratissimumPhoto 3
Source : D. Silué, 2022
Le ‘coudjiégui’ dont parlent les maraîchères est une plante au vertu anti parasites et utilisée même pour la conservation des récoltes surtout les céréales. Elles insèrent des couches de feuilles sèches de ‘coudjiégui’ dans les dunes de conservation des patates et tubercules. Elles reconnaissent que son odeur repousse certains insectes.

2.2. Pratiques d’utilisation et perception des maraîchères sur les plantes pesticides

2.2.1. Pratiques d’usage des plantes pesticides
A la question comment faites-vous pour protéger ces cultures, trois grandes tendances se dégagent des différentes réponses que donnent les enquêtées. Il s’agit de la sécurisation du site de culture, de la protection des semis ou pépinières et de l’entretien des plants des cultures et du sol.
– Lors de la sécurisation des sites de production
Pour maximiser leurs productions, les maraîchères sécurisent souvent leurs sites de production contre les animaux et le vent. Elles utilisent les résidus des cultures et certaines tiges d’herbes dont l’odeur repousserait les insectes ou animaux. Elles ont des clôtures de 1 à 2 m de haie comme le révèlent les verbatim et photos n°4 suivants :
« … ici dans cette zone de Natio les animaux surtout les porcs, font trop de dégâts dans les champs, pour cela si tu veux bien faire ton jardin en paix il faut le clôturer. Pour faire cette clôture, moi j’utilise en plus des tiges de coton ou de la paille, des plants épineux pour circonscrire mon champ »
« Pour bien réussir une bonne production, il faut entourer ton jardin ; d’autres utilisent les tiges de sorgho ou de coton. Moi j’utilise les tiges de mil ou des tiges des herbes ‟Napansanni‟ qui sentent mauvais ». 
            En effet, la majorité des productrices du maraîcher de ces sites utilisent les résidus des cultures comme barrières naturelles pour repousser certains ravageurs des cultures. Tel est le cas des tiges de mils pour leur démangeaison au contact et des herbes nommées en langue sénoufo ‟Napansanni‟ dont l’odeur repousse certains animaux et insectes.
Photos n°4 : Une clôture faite de résidus de cultures (mile, coton et d’herbes)  Photo 4
Source : D. Silué, 2022
– La protection des pépinières
Pour ce qui concerne la protection des pépinières et ou semis, les enquêtées utilisent les résidus de cultures et la paille comme moyen de protection. Comme le signifie cette pratiquante de plus de 35 ans
« Moi je protège souvent mes pépinières avec le ‟son‟ de riz ou avec la paille de riz ou de l’herbe sèche »
Certaines font recours aux produits chimiques pour empêcher les insectes et oiseaux de détruire les pépinières de leurs cultures. Selon S.K. moins de 35 ans :
« Pour ne pas que les insectes, les perdrix ou d’autres oiseaux ravagent les pépinières, je mélange le poison aux grains des cultures avant de les mettre en terre ou avant de les couvrir avec la paille de riz ou les herbes »
En somme, c’est pour conserver l’humidité et la fertilité du sol, que ces agricultrices des cultures maraîchères dans le département, utilisent les pailles des cultures ou de l’herbes et les résidus des récoltes comme le son ou les glumelles de riz.
– Pour l’entretien des plants des cultures et du sol
Elles ont beaucoup parlé du neem appelé ‘gnimitigué’ dont les grains et les feuilles sont utilisés pour faire les pesticides comme l’indique Y.P.
Pour fabriquer le produit pour traiter les plantes, les feuilles sont pilées puis mélangées à quelques litres d'eau auquel mélange ont ajoute du savon ensuite on laisse reposer le tout pendant 24h avant l'utilisation (Y.P. 38 ans, niveau secondaire de nouveau quartier).
Ces maraîchères savent aussi que les grains du neem sont utilisés pour la fabrication d'huile servant de pesticides.
Par ailleurs, plusieurs parmi elles, connaissent et ont même déjà utilisé l’ocimum gratissimum qu’elles ont dénommé en sénoufo ‘Coudjiégui’ ou fleure. Selon les propos suivants : « On utilise cette plante Coudjiégui’ qu’on nous a montré de la même manière que le neem. Elle a les mêmes vertus que le neem » (S.E. 47 ans de niveau secondaire).
Pour la protection des plants, certaines enquêtées ont estimé que l’association des cultures sur une même parcelle et la présence de certaines herbes dans le champ, protègent les cultures contre les insectes ravageurs tels que l’indiquent les propos de S.P et la photo n°5.
« Lors d’une formation j’ai appris que quand tu as plusieurs plantes de diverses espèces comme les épices ou piments, oignon, choux, certaines herbes et autres, on diminue les bio-ravageurs des cultures les unes sur les autres » (S.P.45 ans niveau secondaire Petit-Paris).
Photo n°5 : Quelques herbes et associations des cultures jouent le rôle de pesticidesPhoto 5
Source : D. Silué, 2022
Pour l’entretien des sols, presque la quasi-totalité des productrices du maraîcher dans le département utilise les engrais d’origine végétale et animale simplement comme l’indiquent T.N. et S.G. en ces propos :
« J'utilise les mélanges des déchets de bœuf, de porc et la fiente de poulet. Cela permet d’obtenir un bon engrais naturel pour le sol parfois plus riche que les engrais chimiques » (T.N. 43 ans niveau primaire de Nathio. Ou « Moi, pour ma part je complète tout cela par les résidus des récoltes et les produits phytosanitaires chimiques » (S.G. 46 ans analphabète à Nathio).
Certaines de ces enquêtées qui ont subi une formation, mélangent les deux types, origine animale et végétale comme le présente la Photo n°6 ci-dessous qui est un mélange de grains de neem écrasé dans du fumier. Cet engrais testé par certaines maraîchères, a été jugé efficace et au responsable de l’unité de production d’ajouter quand il est bien fait il a autant de qualité que le chimique.
Photo n°6 : Mélange de grains de neem écrasés dans le fumier pour faire de l'engraisPhoto 6
Source : D. Silué, 2022
Parfois les maraichères mélangent les résidus des cultures et ou d’animaux avec les engrais chimiques. Aussi, la majorité des maraîchères enquêtées dispose d’un bassin pour produire l’engrais d’origine végétale ou animale qu’elles jugent très nécessaire et indispensable pour la restauration des terres. Elles alimentent ces bassins avec les résidus des cultures ou les déchets de volailles et ou d’animaux.
2.2.2. Perception des maraîchères sur l’usage des plantes pesticides
La perception des maraîchères sur l’usage des plantes pesticides est fondée sur le retour d’expérience des effets secondaires, l’accessibilité du coût d’obtention, la cherté de la vie, leur efficacité jugée lente et inférieure à celle des pesticides de synthèse.
– Le retour d’expérience des effets secondaires des pesticides chimiques induit l’usage des plantes pesticides
Il ressort des entretiens que des maraîchères sont victimes d’irritations de la peau (photo n°7), de toux et d’autres maux qui sont des effets secondaires de l’usage des pesticides chimiques. Certaines de ces femmes enquêtées dans les différents sites, estiment que l’usage de ces pesticides chimiques peut avoir des effets secondaires non seulement sur la nature mais, surtout sur leur état de santé. Tel est le cas de S.R. et Y.J qui témoignent :
« Sincèrement pour moi, je reconnais que les produits chimiques que nous utilisons ont des effets sur l’environnement et nous-même, mais on n’a pas le choix (Y.J. 38 ans, analphabète à Nahi). Moi aussi, avant le travail du maraîchage, la peau de ma main était lisse. Mais depuis que j’utilise les produits chimiques pour l’entretien des cultures, la peau de mes mains est devenue comme ça » (S.R. 40 ans de niveau primaire).
Photo n°7 : Effets secondaires de l’usage des pesticides chimiquesPhoto 7
Source : D. Silué, 2022
D’autres productrices du maraîcher sont conscientes des effets secondaires de l’utilisation des pesticides de synthèses sur leur état de santé et souhaitent utiliser des biopesticides qu’elles estiment moins dangereuses. A ce titre, plusieurs enquêtées recourent à des pesticides à faibles effets secondaires. Pour elles, utiliser les plantes ou l’engrais végétal et animal, conduit à éviter les effets néfastes des produits de synthèse sur la santé et l’environnement.
– L’accessibilité et cherté de la vie
Un autre élément qui fonde la perception des maraîchères sur l’usage des plantes pesticides et outils endogènes de préparation, reste leur disponibilité et coûts d’obtention. Les enquêtées ont diverses opinions. Pour certaines, l’utilisation des plantes pesticides locales constitue une alternative aux coûts élevés des engrais et pesticides chimiques. Selon elles, c’est le manque de moyens financiers qui sont à la base de l’utilisation des engrais et plantes pesticides locaux. Elles décrient la cherté des engrais et pesticides de synthèse.
Pour d’autres productrices du maraîcher, elles estiment que même si les plantes pesticides sont trouvées localement, le coût de production de la substance nécessaire à l’entretien des plants et sol reste élevé et sensiblement égal et parfois supérieur aux produits de synthèse. Elles parlent de la rareté des unités de production de bio-pesticides capables de satisfaire une demande locale. A ce sujet, S.M. (42 ans, secondaire) révèle « dans la ville de Korhogo, seule l’unité de production du docteur Fofanan nous fournit des bio- pesticides qui parfois sont plus cher et en quantité insuffisante » De plus elles évoquent le problème de la disparition des plantes pesticides limitant leur usage en tout temps et en quantité. L’une d’elles interviewé raconte « du fait des cultures extensives comme le coton, l’anacarde et l’usage des herbicides par les agriculteurs, les plantes pesticides disparaissent » T.N (32 ans, primaire)
– L’efficacité des plantes pesticides parfois sous-égalée à celle des pesticides chimiques
Le niveau observé dans la perception des maraîchères sur les plantes pesticides est la reconnaissance de leur efficacité relative à celle des pesticides chimiques. Certaines jugent leurs efficacités bonnes, cependant la mesure de la quantité soit le dosage nécessaire fait défaut. D’autres enquêtées estiment leurs effets lents et demandent assez de temps. Pendant que quelques-uns révèlent que ces plantes ne tuent pas tous les insectes. Elles ont des expériences différentes en fonction desquelles, elles ont les témoignages suivants :
« Tu sais chacun a son expérience. Pour moi, les plantes pesticides sont bonnes parce que j’ai une fois utilisé et ça très bien marché. Cependant le nombre de traitement requis est difficile » (C.M. 42 ans, niveau primaire). « Moi j’ai utilisé leur engrais c’est bon. Mais leurs effets pour l’entretien des plantes sont parfois lents et elles ne tuent pas tous les insectes ». « … les plantes pesticides n’éliminent pas la totalité des ravageurs » (G.M. 39 ans, niveau secondaire).
Elles vont même plus loin en stipulant que même si les engrais faits à base de plantes ou de résidus végétaux et animaux sont d’efficacité parfois égale aux engrais chimiques, dans le cas de l’entretien des cultures maraîchères, les plantes pesticides sont encore loin d’égaler les pesticides de synthèse dans le cadre de l’entretien des plants de cultures.

Conclusion

Cette étude s’était donnée pour objet de faire le diagnostic de connaissance traditionnelles et des pratiques d’utilisation des plantes pesticides chez les producteurs du maraîcher de Korhogo. Au terme de notre analyse, il ressort que les maraîchères de Korhogo ont une connaissance des plantes pesticides, dont les usages dans la production agricole datent de plusieurs générations. Des femmes en majorité, utilisent plus ces plantes et résidus de cultures pour la fertilisation du sol que pour la protection des cultures potagères. Celles qui les utilisent pour les entretiens des cultures, jugent leurs effets très faibles par rapport aux pesticides chimiques. Toutefois, ces enquêtées reconnaissent que l’usage de ces plantes ne causait pas de maladies respiratoires, n’irritait pas leur peau et polluait moins la nature. Soit un effet favorable de ces plantes sur la santé et l’environnement, quand bien même que la réduction des activités agricoles du fait de la rareté des terres cultivables au profit de l’urbanisation galopante, réduit la disponibilité de ces plantes et donc leur utilisation. Aussi, les modes d’utilisation jugés trop complexes et les effets lents malgré leur efficacité limite leur utilisation au profit des pesticides chimiques. 
Pour encourager et promouvoir des plantes pesticides, il faut un renforcement des capacités des productrices basées sur un changement de comportement, l’information et la formation sur la fabrication de biopesticides et insecticides répulsifs naturels dans la perspective de promouvoir une culture de qualité au secours d’une agriculture durable.

Références

Références bibliographiques

ANJARWALLA Parveen, BELMAIN Steven, SOLA Phosiso, JAMNADASS Ramni, STEVENSON Philip, 2016, Guide des plantes pesticides, World Agroforestry Centre (ICRAF), Nairobi, Kenya.                                               
ANJARWALLA Parveen, OFORI Daniel, JAMNADASS Ramni, MOWO Jeremias & STEVENSON Philip, 2013, Proceedings of the taining workshop on sustainable production of, harvesting & conservation of botanical pesticides, World Agroforestry centre (ICRAF), Nairobi Kenya.
ANJARWALLA Parveen, BELMAIN S, SOLA Phosiso, JAMNADASS Ramni, & STEVENSON Philip, 2015, Proceedings of the training workshop on optimisation of pesticidal plants: Technology, innovation, outreach &Networks(OPTIONS), Wold Agroforesty Centre (ICRAF),Nairobi Kenya.
BELMAIN Steven, HAGGAR Jeremy Philip & STEVENSON Philip, 2013, Managing legume pests insubSaharan Africa: Challenges and prospects for improving food security and nutrition through agro-ecological intensification. Chatham Maritime (United Kingdom): Natual Resources institude, University of Greenwich. P11-34.
BERNARD Russell, 2006, « Research Methods in anthropology. Qualitative and quantitative approches » Altamira press, lanham, Vol 5n°11, p. 2-20.
BOMMARCO Riccardo, MIRANDA Freddy, BYLUND Helena, and BJÖRKMAN Christer, 2011, « Insecticides suppress natural enemies and increase pest damage in cabbage », Journal of Entomology, 104(3), p.  782-791.
BONI Barthélémy Yarou, PIERRE Silvie, FRANÇOISE Assogba Komlan,
ARMEL Mensah, TAOFIC Alabi, FRANÇOIS Verheggen, FREDERIC Francis, 2017, « Plantes pesticides et protection des cultures maraîchères en Afrique de l’ouest (synthese bibliographique) », Biotechnology, Agronomy, society and environment 21(4), p. 288-304.
JUC Liliana, 2007, Etude des risques lies à l’utilisation des pesticides organochlorés et impact sur l’environnement et la santé humaine. Thèse. L’université Claude Bernard - LYON 1N° d’ordre 226-2007.
KOFFI N’Guessan Martín, 2016, Maraichage urbain à Korhogo (Nord de la Côte d’Ivoire) : utilisation des intrants agricoles chimiques et risques sanitaires associés. Mémoire de Master, UFR des Sciences de la Terre et des Ressources Minières, Université Felix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire. 45 p.
KONATE Djibril, 2021, « Les nouveaux quartiers de Korhogo : des quartiers issus des lotissements villageois », DaloGéo, revue scientifique spécialisée en Géographie, Université Jean Lorougnon Guédé, numéro 005, décembre 2021, p. 251-266.
Laurin Marie-Claude, 2007, « Études biologiques et toxicologiques de pesticides utilisés en pomiculture québécoise sur le prédateur acarien anystis baccarum(L.) et analyse critique des dispositifs d'évaluation canadien et américain de la toxicité des pesticides » Mémoire. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en sciences de l'environnement
PIERRE Silvie & PIERRE Martin, 2017, « Les plantes pesticides au secours des cultures », récupéré sur ( http//agritop.cirad.fr ), P. 1-5
SILUE Donakpo, SORO Nahoua Adaman, KONE Siata, 2020, « Risques sanitaire et nécessité de formation chez les marachères de Ferké en Côte d’Ivoire », Revue Africaine des sciences sociales et de la santé publique p. 59-71.
SOURABIE Soumaïla, ZERBO Patrice, YONLI Djibril et BOUSSIM Joseph, 2020, « Connaissances traditionnelles des plantes locales utilisées contre les bio-agresseurs des cultures et produits agricoles chez le peuple Turka au Burkina Faso », Int. J. Biol. Chem. Sci. 14(4) p. 130-140.
TRAORE Aurokiatou, 2010, « Les savoirs paysans : nature et fonctionnalité. Contribution au débat sur l’utilité des savoirs locaux » "ISDA 2010, Montpellier : France", www.isda2010.net
YEO Tcheregnimin, 2021, « Agriculture bio : la zone ANADER de Katiola forme un groupement féminin sur la fabrication de bio-pesticides et insecticides répulsifs naturels », ANADER -Actualités A la Une Direction Régionale Nord, www.anader.ci/actu_drnord_agriculture_biola_zone_anader_katiola_forme_un_groupement_feminin_sur_la_fabrication_de_bio_pesticides_et_in

Downloads

Publié

31 Décembre 2022

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2022,, mis en ligne le 31 Décembre 2022. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=283

Numéro

Rubrique

Qui sommes-nous ?