3 |PRODUCTION DES DÉCHETS MÉNAGERS SOLIDES ET RISQUES ENVIRONNEMENTAUX ET SANITAIRES DANS LA VILLE DE BAFANG AU CAMEROUN
PRODUCTION OF SOLID HOUSEHOLD WASTE AND ENVIRONMENTAL AND HEALTH RISKS IN THE CITY OF BAFANG IN CAMEROON
Mots-clés:
Résumé
La gestion des déchets solides ménagers reste un défi majeur pour les villes du monde, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes. Toutefois, le problème se pose avec beaucoup plus d’acuité dans les villes des pays en développement, qui connaissent une croissance démographique galopante avec comme corolaire une production accrue des déchets ménagers. Les municipalités y font généralement face à de nombreuses difficultés pour assurer une gestion durable des déchets ménagers. C’est la situation dans la ville de Bafang dans la Région de l’Ouest au Cameroun. En effet, les modes de gestion généralement précaires des ordures par les ménages ont un impact considérable sur l’environnement urbain et la santé des populations.
L’objectif de cette proposition est de montrer le lien qui existe entre les modes de gestion précaires des ordures ménagères et les problèmes environnementaux et sanitaires dans la ville de Bafang. Pour y parvenir, plusieurs techniques de recueil d’informations ont été combinées. Ce sont, entre autres, la recherche documentaire, l’observation, l’enquête par le questionnaire et des guides d’entretien auprès de 140 habitants de la ville de Bafang durant les mois d’octobre et novembre 2022. Du traitement des informations recueillies, il ressort que la prolifération des dépotoirs incontrôlés et anarchiques d’ordures ménagères, donnent à cette localité un aspect de ville-poubelle. Leur mauvaise gestion entraine des pollutions diverses qui ont finalement une empreinte environnementale considérable. Aussi, l’omniprésence des ordures ménagères et le cadre de vie malsain des populations accroissent leur vulnérabilité à de nombreuses maladies.
Introduction
Les pays en développement font généralement face au problème de la prolifération des déchets solides dans leurs villes. La croissance rapide des villes ne s’accompagne pas toujours des ressources nécessaires pour assurer un développement urbain durable. En effet, la croissance démographique galopante a comme corolaire une production accrue des déchets ménagers solides (DMS). L’augmentation du volume de déchets causée par des modes de production et de consommation peu soucieux de l’environnement, est devenue une source de risques pour la santé humaine et la biodiversité de façon générale. À première vue, la gestion des DMS apparaît assez simple, et beaucoup pensent donc avoir trouvé la solution. En réalité, la question des DMS est beaucoup plus complexe car les responsables politiques, les chercheurs et experts, les techniciens municipaux et opérateurs privés en charge de cette question, n’ont pas toujours trouvé une solution satisfaisante pour la majorité de la population. D’après ces différents acteurs, le manque de ressources financières est la raison principale de cet échec (E. Ngnikam et al., 2006, p. 11). Cette situation se vit dans pratiquement toutes les villes du Cameroun quelle que soit leur taille. En effet, dans la ville de Bafang dans la Région de l’Ouest au Cameroun, les modes de gestion généralement précaires des DMS ont un impact considérable sur l’environnement urbain et la santé des populations. En fait, quelle est l’incidence de la mauvaise gestion des DMS sur l’environnement urbain et la santé des populations ? À partir de la recherche documentaire, de l’observation, de l’enquête par le questionnaire et des guides d’entretien auprès de 140 habitants de la ville de Bafang durant les mois d’octobre et novembre 2022, nous montrerons que la mauvaise gestion des DMS a un impact considérable sur l’environnement urbain et la santé des populations.
Méthodologie
1. Matériels et méthode
1.1. Localisation de la zone d’étude
La ville de Bafang qui constitue le cadre de cette étude, est située dans le Département du Haut–Nkam dans la Région de l’Ouest du Cameroun. Elle s’étend entre 5°09 et 5°10’ de latitude Nord et entre 10°10 et 10°11’de longitude Est (figure n°1). Sa superficie actuelle est estimée à environ 1150 hectares.
Figure n°1 : Localisation de ville de Bafang dans le Département du Haut-Nkam
Source : Atlas forestier (2011) et Feuille topographique au 1/50 000
1.2. Méthodologie
La présente contribution scientifique se fonde sur des recherches bibliographiques relatives aux thématiques liées à la gestion des DMS avec leurs conséquences environnementales et sanitaires dans les villes africaines en général, et camerounaises en particulier. Nous avons débuté ma recherche par une sélection des publications en ligne traitant de la question de la gestion des DSM. Nous y avons lancé une recherche par mots-clés afin d’avoir les publications les plus pertinentes sur ma thématique. Nous en avons présélectionné une trentaine au total. Après avoir évalué la pertinence de chacune d’entre elles, quinze (15) en ont finalement été sélectionnées pour être analysées. Pour cette analyse, nous nous sommes appuyés sur les recommandations de F. Conchon et J. C. Andreani (2005, p. 2) en matière d’analyse des résultats. Elles consistent à retranscrire les données qualitatives, à se donner une grille d’analyse, à coder les informations recueillies et à les traiter. L’analyse décrit le matériel d’enquête et en étudie la signification. Cette partie approfondit les principales étapes de l’analyse de contenu.
En plus de ces recherches bibliographiques, nous avons effectué une enquête par questionnaire auprès des ménages de la ville de Bafang. L’échantillon est calculé sur la base de la formule du Guide méthodologique de l’élaboration des documents de planification urbaine au Cameroun.
Tableau n°1 : Répartition des ménages enquêtés par quartier à Bafang
Source : Enquêtes de terrain, 2022
L’ambition de cette enquête est de cerner les stratégies de gestion des DMS par les ménages, et les problèmes environnementaux et sanitaires y afférents.
Par ailleurs, nous avons effectué des entretiens avec des personnes ressources, notamment les responsables de la Commune de Bafang, les Délégués départementaux des Ministères en charge de l’Urbanisme, de la Santé et de l’Environnement. Les responsables des formations sanitaires ont également été interrogés concernant la fréquence des cas de maladies liés à l’insalubrité de l’environnement des patients.
[1] D’après 1er RGPH de 2005, la population de la ville de Bafang était estimée à 21 915 habitants. En appliquant le taux d’accroissement moyen annuel dans la Région qui tourne autour de 2,3-2,5 %, sa population actuelle est estimée à 30 000 habitants.
[2] Considérant la taille moyenne des ménages dans cette même Région à 6 personnes selon le RGPH de 2005, nous avons déduit à 5 000 le nombre de ménages dans cette ville.
Résultats
2. Résultats et analyse
2.1. Les facteurs liés à la production accrue des DMS dans la ville de Bafang
2.1.1. L’accroissement de la population
L’évolution de la production des ordures ménagères dépend fortement du rythme de la croissance démographique enregistré au sein d’une population. Il est question pour nous de mettre en exergue la forte croissance démographique que connaît la ville de Bafang de manière à mieux appréhender la production actuelle des ordures ménagères.
À travers le tableau n°2, l’on peut constater que la population de la ville de Bafang connaît un accroissement fulgurant. En effet, estimée à environ 22 000 habitants en 2005, elle compterait aujourd’hui environ 30 000 habitants.
Tableau n°2 : Évolution de la population par quartier à Bafang
Sources : RGPH (2005), et estimations sur la base du taux d’accroissement
Cette évolution résulte de la combinaison de plusieurs facteurs notamment : l’accroissement naturel, l’exode rural, et le phénomène de migration de retour qui y prend de plus en plus de l’ampleur. Toutefois, la croissance démographique de la ville de Bafang n’est pas sans incidence sur la production des DMS. C’est ainsi que plus cette population augmente, plus la taille des ménages augmente, et plus la quantité des DMS produite s’accroit.
2.1.2. Les facteurs liés aux modes de vie des populations de la ville de Bafang
Les aspects les plus significatifs de ce mode de vie sont les habitudes alimentaires qui ont une répercussion sur la quantité des DMS produits. Même si l’alimentation de base des populations repose toujours sur les tubercules et autres produits locaux (le manioc, le macabo, l’igname, la banane plantain, etc.), on note de plus en plus la consommation accrue des produits manufacturés et l’occidentalisation progressive des modes de vie qui contribuent véritablement à l’accroissement de la production des déchets (G. Namekong, 2014).
Cette situation est à l’origine de l’utilisation abusive des matières en plastique par exemple. En effet, les méthodes de conditionnement des marchandises avec la tendance à la pratique des emballages justifient l’abondance des papiers plastiques dans les poubelles domestiques des ménages. Lors de nos enquêtes, nous avons pu constater qu’à Bafang comme dans la plupart des villes Camerounaises, on note une utilisation massive des emballages plastiques.
2.2. La production des DMS dans la ville de Bafang
Le développement accéléré et incontrôlé des villes africaines a entraîné une prolifération des systèmes autonomes de gestion des DMS dans les différents quartiers. En effet, l’accumulation d’immondices dans les villes d’Afrique se justifie selon A. Onibokun (2002, p. 10) par les changements sociaux et économiques qu’ont subis la plupart des villes africaines depuis les années 1960. En effet, le bouleversement des modes de vie et le développement d’activités consommatrices liées à l’économie urbaine informelle ont engendré une hausse considérable de la production de déchets qui a eu des répercussions inquiétantes sur la salubrité publique (F. Tonon, 1987, p. 182). Tout comme l’assainissement, l’évacuation des ordures ménagères constitue une question épineuse pour les ménages de la ville de Bafang, surtout en termes d’accès à des services de collecte de qualité. Ainsi, l’évacuation des DMS dans cette ville est une question à géométrie variable. À côté du circuit officiel, les ménages développent une multitude de recours pour pallier les insuffisances du dispositif organisationnel. Dans le cadre de cette étude, les ordures ménagères sont des « déchets collectés qui résultent de l’activité domestique des ménages » (E. Dorier-Apprill, 2006, p. 389). Ainsi, par le balayage à l’intérieur comme à l’extérieur des concessions, et l’accumulation des déchets dans des récipients (corbeille, demi fût, bassine, seau, sac, caisse, etc.) placés généralement près de la porte, les ménages se situent à la base du processus d’évacuation. Les caractéristiques des DMS, largement dépendantes du niveau socio-économique, peuvent cependant subir à certaines occasions des transformations liées à l’exercice d’activités spécifiques dans le cadre domestique.
La production des déchets ménagers dans la ville de Yaoundé varie entre 0,5 et 0,8 kg/ habitant/jour selon le standing de l’habitat, avec une moyenne de 0,62 kg/habitant/jour, ce qui correspond à une production totale de 1920 tonnes par jour en 2016 (E. Ngnikam et Al., 2017, p. 1). D’après nos enquêtes réalisées dans la ville de Bafang, la production moyenne des ordures ménagères par ménages est estimée à environ 0,5kg /habitant/jour. La production totale est donc estimée à 15 tonnes par jour. Toutefois, cette production reste instable car liée à l’évolution des saisons. En effet, la saison de pluies correspond à la période durant laquelle la production des ordures par les ménages est maximale. Cette période correspond à celle de la récolte des vivres notamment le maïs et les tubercules diverses, qui se retrouvent en grandes quantités dans les marchés et abondement consommés par les populations. Cette situation entraine ainsi l’accroissement des déchets résultant de leur consommation.
2.3. La pré-collecte et le stockage des ordures ménagères
La pré-collecte est l’ensemble des opérations par lesquelles les habitants d’une maison, d’un immeuble, ou d’une cité d’habitat collectif recueillent, rassemblent et stockent leurs déchets, puis les transportent à l’extérieur aux fins d’évacuation. Ce sont donc des opérations qui précèdent le transport et l’évacuation des ordures ménagères. Cette opération fait appel à un certain nombre d’outils, de matériels, et nécessite l’intervention d’un certain nombre d’acteurs. Le principal outil utilisé est la poubelle domestique sous forme de récipient, de sac ou de panier.
Une poubelle domestique est un récipient destiné à recevoir des déchets domestiques. Il s’agit d’un récipient qui permet de stocker les ordures en attendant leur évacuation. La poubelle est ainsi indispensable pour la pré-collecte des DMS. Cependant les données issues de notre terrain d’étude nous font constater que tous les ménages de la ville de Bafang ne trouvent pas la nécessité d’en avoir. En effet, il y ressort que 91% des ménages ont bel et bien un récipient ou un sac servant de poubelles domestiques, tandis que 9% n’en disposent pas. En fait, les ménages qui n’en disposent pas ont généralement le réflexe de déverser directement les DMS produits dans les champs de cultures situés à proximité des maisons d’habitation.
La nature de la poubelle domestique se réfère ici, à la matière du récipient servant de poubelles domestiques. Il peut s’agir d’un seau, d’un carton, d’un sac, d’un panier et bien d’autres, que les ménages utilisent pour les opérations de pré-collecte des DMS. Les informations issues de mon enquête de terrain attestent que les ménages de la ville de Bafang utilisent des poubelles inadéquates pour la plupart, et susceptibles d’exposer les habitants à des risques sanitaires (planche photographique 1).
Planche photographique 1 : Poubelles domestiques utilisées par les ménages
Les photos ci-dessus donnent un aperçu de la nature des poubelles utilisées par les ménages dans la ville de Bafang. En effet les ménages font usage de poubelles de diverses natures. Comme sur les photos, l’on a les seaux (A), les sacs en fibres de plastique(B), les cartons(C) et même des paniers (D).
2.4. Les lieux d’évacuation des DMS
Après l’opération de pré-collecte et de stockage, les ménages acheminent leurs ordures vers certains endroits qui servent de lieux d’évacuation et où les ordures sont parfois éliminées. Les modes d’élimination ici sont variés et sont pour la plupart susceptibles d’engendrer des effets indésirables sur la santé des populations et la qualité de l’environnement urbain.
La diversité des lieux d’évacuation des ordures ménagères dans la ville de Bafang met en évidence l’incivisme et l’ambiguïté des questions relatives à la gestion des ordures ménagères dans cette ville. Bien que des interdictions et des restrictions soient faites par les autorités communales pour réduire les décharges sauvages, les ménages continuent à déverser désespérément leurs ordures n’importe où. Aussi, l’évacuation des ordures ménagères dans la ville de Bafang donne lieu à d’autres pratiques qui témoignent davantage de l’incivisme des populations et du non-respect des normes environnementales en matière de gestion des déchets (G. Namekong, 2014). En effet, les populations abandonnent leurs ordures dans des endroits qui varient d’un quartier à un autre en fonction du site, de l’accessibilité, et de la présence des cours d’eaux. Ainsi, les bordures de route (35% de mon échantillon), les caniveaux (28%), les plantations (22%) et les rivières (15%) sont les lieux d’évacuation des ordures (planches photographiques 2 et 3).
Planche photographique 2 : Décharge sauvage d’ordures à un endroit proscrit par la Commune de Bafang
Planche photographique 3 : Déversement des DMS à l’intérieure d’un caniveau
Pour E. Ngnikam et al. (2006, p. 36), une décharge sauvage est une décharge non-autorisée qui se crée en dehors de tout respect des normes de sécurité de l’environnement. La prédominance des décharges sauvages dans la ville de Bafang est une preuve du laxisme des autorités compétentes et de l’incivisme des populations. Les décharges sauvages sont donc des endroits improvisés par les populations.
La carte ci-dessous présente les dépotoirs sauvages des DMS recensés dans la ville de Bafang ainsi que leur volume approximatif. Il y apparait que la ville de Bafang compte un nombre important de dépotoirs sauvages avec des tailles variables. Lors de nos enquêtes, nous avons pu repérer 30 au total avec des volumes approximatifs variant entre moins de 10m3 et plus de 40m3. Par ailleurs, il y a une forte concentration des dépotoirs d’ordures dans les quartiers centraux proches du centre-ville. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’au centre-ville notamment dans le quartier Mouankeu, les dépotoirs sont envahis par les ordures produites dans les marchés et les commerces. Toutefois, l’absence de dépotoirs dans certains quartiers ou leur rareté est le fait de la forte élimination des ordures via les rivières et les ruisseaux.
Figure n°2 : Dépotoirs d’ordures dans la ville de Bafang
Source : Atlas forestier (2011) et enquêtes de terrain, 2022
2.5. Risques environnementaux et sanitaires liés à la mauvaise gestion des DMS dans la ville de Bafang
2.5.1. Risques environnementaux des DMS dans la ville de Bafang
Les décharges sauvages et non contrôlées des DMS qui abondent dans la ville de Bafang ont un impact négatif sur son environnement urbain. Tout en rendant la ville insalubre, ces dépotoirs d’ordures à travers les diverses formes de pollution qu’elles engendrent polluent l’air, les sols et affectent les ressources en eau tel qu’indiqué par le schéma ci-dessous.
Figure n°3 : Impacts d’une décharge sauvage sur l’environnement
Source : Revue n°01 « Environnement et vie », 2004
La pollution de l’air
Au cours de leur décomposition, les DMS, surtout lorsqu’ils sont constitués en majorité de substances putrescibles, dégagent des odeurs nauséabondes et pestilentielles dans l'atmosphère. Il en est de même des eaux usées et pluviales qui stagnent dans les caniveaux à l’intérieur desquels les populations déversent leurs ordures et qui par la suite dégagent des odeurs insupportables. Ces odeurs polluent l’air ambiant, et les populations des habitations environnantes subissent des nuisances olfactives, notamment dans l’environnement immédiat des dépotoirs anarchiques des DMS dans la ville de Bafang. Par ailleurs, le méthane (CH4) qui est abondamment dégagé lors de la décomposition et la fermentation anaérobique des matières organiques contenues dans les ordures ménagères, contribue fortement à l’effet de serre.
La pollution des eaux de surface et des sols
L’élimination des ordures à travers les cours d’eaux, les rivières et les ruisseaux contribue fortement à la pollution de ces eaux qui par la suite, deviennent des sources potentielles de maladies. Par ailleurs, une fois stockées dans les décharges sauvages, les ordures tout au long de leur décomposition libèrent un liquide appelée léxivat. Ce dernier concentre des polluants et substances toxiques et demeure une menace pour les sols et les ressources en eaux. À cet effet, les léxivats à force de stagner s’infiltrent dans le sol, et peuvent rejoindre la nappe phréatique polluant ainsi les eaux souterraines. De nombreux cas de maladies liées à l’injection de l’eau de mauvaise qualité dans la ville de Bafang pourraient être liés à cette pollution des eaux des sols.
Les inondations
Lors des pluies, les déchets divers et les ordures ménagères jonchant les chaussées et les rigoles obstruent les caniveaux, empêchant l'écoulement des eaux pluviales. Cette situation expose certaines populations aux inondations. En effet, l’encombrement des bas-fonds du fait des dépôts des DMS dans les rivières existantes, est une cause majeure de ces inondations dans les quartiers marécageux de la ville de Bafang. Les effets dévastateurs qui en résultent sont nombreux : l’accroissement des maladies surtout hydriques, les éboulements, etc. Durant nos enquêtes nous avons rencontré dans les quartiers Tomchi, Dokovi, et Mouankeu, 22 chefs de ménages avouant avoir été victimes de telles inondations à maintes reprises. Toutefois, il s’est avéré que ces inondations étaient de faible ampleur avec de faibles dégâts.
2.5.2. Risques sanitaires des DMS dans la ville de Bafang
L’analyse du cas de l’évacuation des ordures solides révèle que dans l’ensemble, le choix de celui-ci semble influencer l’exposition au paludisme, à la diarrhée et à la fièvre typhoïde (tableau 3).
Tableau N°3 : Prévalence des maladies liées aux DSM à Bafang
Source : Enquêtes de terrain, 2022
Pour ce qui concerne le paludisme, les ménages qui choisissent de jeter les ordures dans des terrains vagues à proximité de leurs maisons d’habitation sont les plus exposés à cette maladie. Le paludisme urbain, est un cas particulier. Le relief de la ville de Bafang décrit une mosaïque de collines et de bas-fonds. Le profil de transmission est hétérogène, généralement caractérisé par des piqûres infectantes allant de 0 à 33 par homme et par nuit, en fonction des quartiers (F. C. Djeutchouang, 2010, p. 31). Dans nos enquêtes, nous avons fait le constat selon lequel il existe une différence entre les quartiers de bas-fonds, qui sont les plus affectés, et les quartiers sur versant qui le sont moins. En effet, les bas-fonds sont des zones de convergence et de stagnation des eaux, dans lesquelles vont se développer les agents vecteurs du paludisme.
L’urbanisation exponentielle des grandes villes africaines du fait de l’accroissement démographique fait planer des risques d’épidémie de paludisme en zone urbaine pendant la saison de transmission (Nimpaye et al., 2001, p. 12). On estime à plus de 200 millions (24,6% de la population totale africaine) le nombre d’individus vivant en zone urbaine et courant un risque de développer un paludisme (J. Keiser et al., 2004, p. 1).
Selon Levine (1988, p. 60), 4 espèces de plasmodium infectent l’homme :
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Le plasmodium falciparum: la seule espèce qui tue, très fréquente, endémique dans toutes les zones tropicales et intertropicales.
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Le plasmodium vivax: agent de la fièvre tierce bénigne, elle sévit au sud-est de l'Afrique.
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Le plasmodium ovale : agent responsable de la fièvre tierce bénigne très répandue en Afrique centrale. La période d’incubation chez l’homme est d’environ 30 jours mais peut aller jusqu’à 9 mois et une longévité de 4 ans.
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Plasmodium malariae: agent de la fièvre quatre bénigne avec une longue incubation d’environ 3 semaines ; il a une longévité pouvant atteindre 20 ans et sévissant dans les zones intertropicales.
Les DMS entassés pendant un temps plus ou moins long attirent des mouches, des moustiques, des cafards et autres rongeurs. Le rejet des boîtes de conserve ou de vieux récipients à l’instar des seaux, favorise la formation des gites larvaires de moustiques, agents vecteurs du paludisme.
De même, l’obstruction des égouts, des caniveaux et des rigoles par les DMS rend difficile l'écoulement des eaux de pluie et des ruisseaux provoquant, outre les inondations, leur stagnation. Emprisonnées dans des creux et de petites dépressions, ces eaux vont voir se développer des gîtes pour les larves et les mouches. Ces mouches souillent les aliments qui, après consommation, peuvent provoquer des diarrhées. La ville de Bafang est sous la menace des maladies d’origine hydrique dont les agents pathogènes se développent dans de l’eau souillée par des déchets ménagers et même humains. Les milieux insalubres et les eaux souillées sont des réceptacles de germes de nombreuses maladies telles que la diarrhée et la fièvre typhoïde. Les enquêtes auprès des ménages et les statistiques médicales révèlent qu’après le paludisme, les maladies d’origine hydrique représentent la première raison de consultation médicale (cas de la diarrhée et la fièvre typhoïde).
La typhoïde plus particulièrement est une maladie causée par les bactéries Salmonella typhi. Les personnes deviennent infectées après avoir consommé des aliments ou des boissons qui ont été manipulées par une personne infectée ou par de l’eau de boisson qui a été contaminée par des effluents contenant les bactéries (parfois les léxiviats). En effet, et comme souligné plus haut, les ordures tout au long de leur décomposition libèrent un liquide appelée léxivat. Ce dernier concentre des polluants et substances toxiques et demeurent une menace pour les sols et les ressources en eaux (nappes phréatiques). La pollution dans ce cas est directe, et expose les populations habitant surtout dans les bas-fonds au péril fécal, car ces derniers consomment généralement de l’eau de source et des puits. Une fois que les bactéries pénètrent dans l’organisme d’une personne, elles se multiplient et se propagent des intestins vers le courant sanguin. Les symptômes peuvent être bénins ou graves et comprennent une fièvre prolongée pouvant être aussi élevée que 39-40° C, des malaises, une anorexie, des céphalées, etc.
Conclusion
Le développement accéléré et incontrôlé des villes africaines a entraîné une prolifération des systèmes autonomes de gestion des ordures ménagères dans les différents quartiers. En effet, l’accumulation d’immondices dans les villes d’Afrique se justifie selon A. Onibokun (2002, p. 10) par les changements sociaux et économiques qu’ont subis la plupart des villes africaines depuis les années 1960. En effet, le bouleversement des modes de vie a engendré une hausse considérable des DMS. Tout comme l’assainissement, l’évacuation des ordures ménagères constitue une question épineuse pour les ménages de la ville de Bafang, surtout en termes d’accès à des services de collecte de qualité. Ainsi, l’évacuation des ordures ménagères dans cette ville est une question à géométrie variable. À côté du circuit officiel, les ménages développent une multitude de recours pour pallier les insuffisances du dispositif organisationnel. Ainsi, par le balayage à l’intérieur comme à l’extérieur des concessions, et l’accumulation des déchets dans des récipients (corbeille, demi fût, bassine, seau, sac, caisse, etc.) placés généralement près de la porte, les ménages se situent à la base du processus d’évacuation. Les caractéristiques des ordures ménagères, largement dépendantes du niveau socio-économique, peuvent cependant subir à certaines occasions des transformations liées à l’exercice d’activités spécifiques dans le cadre domestique. La meilleure gestion des DMS et la réduction des risques y afférents, passe d’abord par une amélioration des habitudes des populations, liées à la gestion desdits DMS. Par ailleurs, les autorités communales doivent placer la gestion des DMS et autres déchets au centre de leurs préoccupations.
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Publié
31 Juillet 2023
Comment citer
Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2023,, mis en ligne le 31 Juillet 2023. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=288
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