VOL.6-N° 11, Juil. 2023 : Villes, activités économiques et santé en Afrique

2 |ACTIVITES DE MECANIQUE AUTOMOBILE ET RISQUES DE SANTE SUR LE TRONCON AGBAN-CARREFOUR ZOO (ABIDJAN-CÔTE D’IVOIRE)

AUTOMOTIVE MECHANICAL ACTIVITIES AND HEALTH RISKS ON THE AGBAN-CARREFOUR ZOO SECTION (ABIDJAN-CÔTE D’IVOIRE)

Auteurs

  • DIABAGATE Abou statut aboudiaba76@yahoo.fr, Institut de Géographie Tropicale/ Equipe de Recherche Espace Système et Prospective
  • TRAORE Kinakpefan Michel statut traoremichel50@yahoo.fr, Département de Géographie/ Equipe de Recherche Espace Système et Prospective
  • KONATE Djibril statut konatedjibson@yahoo.fr, Département de Géographie/ Equipe de Recherche Espace Système et Prospective

Mots-clés:

Résumé

Capitale économique de la Côte d’Ivoire, Abidjan est l’expression visible de la prolifération d’activités, relevant du secteur informel. Parmi ces activités, apparaît la mécanique automobile, une activité quasi présente dans tous les communes et quartiers de la ville qui dans sa pratique, semble présenter des risques de santé pour les acteurs en particulier et pour la population en général. De facto, la présente étude veut mettre en lumière les risques sanitaires émanant de la pratique de cette activité. De ce fait, la combinaison des méthodes utilisées, à savoir l’approche territoriale systémique, la recherche documentaire, l’inventaire et l’enquête par questionnaires, a montré d’une part que la pratique de l’activité de mécanique renferme une diversité de branches ou spécialités. Ces spécialités, exécutées par des jeunes et adultes d’ethnies et de nationalités différentes, repartie entre la mécanique générale ou « côté fer », la tôlerie, l’électricité et la climatisation, se pratiquent dans des ateliers de « fortune » ou à « ciel ouvert ». D’autre part, la pratique de cette activité engendre des risques de blessures, de fatigue, de surdité, de pathologies comme les infections respirations. Une amélioration du cadre de travail s’impose dans les garages afin de réduire au maximum les risques de santé générés pour les acteurs et la population riveraine.

Introduction

Avec l’urbanisation incontrôlée et galopante que connaît la Côte d’Ivoire (A. Diabagaté, 2012, p 20), les villes ivoiriennes sont devenues des réceptacles du trop-plein de populations venues d’horizons divers. Ces populations pour « vivre » ou « survivre » en ville s’adonnent à la pratique de différentes activités, surtout informelles. Pour K. M. Koffi (2014, p. 2), l’informel signifie au sens large « tous les petits métiers et commerces, les activités artisanales et les prestations de services sur les marchés dont la pratique n’a besoin ni forcement d’une qualification diplômante ou compétente, ni d’un déboursement d’une somme d’argent ». Ce secteur qui représente une bouffée d’air pour de nombreuses familles démunies se définit officiellement comme « un ensemble d’unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer des emplois et des revenues pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme » (BIT, 1993, p. p. 5). Ce secteur est « actuellement le plus grand pourvoyeur d’emplois avec près de 60% des emplois urbains en moyenne mais peut excéder les 80% dans certaines villes du pays » (K. M. Koffi, 2014, p. 3). Parmi les activités de ce secteur, apparaît la mécanique automobile. Définie comme l’ensemble des tâches requises pour entretenir, contrôler, réparer et améliorer un véhicule, la mécanique automobile est un vaste domaine qui renferme une diversité de spécialités. Il s’agit de la mécanique générale, de l’électricité, de la climatisation, de la tôlerie, etc. C’est une activité qui est quasi présente dans toutes les villes et communes du pays.
Abidjan, vitrine économique du pays est l’illustration visible de cette émergence d’activités informelles. Cependant, avec l’urbanisation et l’étalement urbain, les métiers de la mécanique automobile sont de plus en plus présents sur de nouveaux sites avec des risques de santé. En effet, ces activités de mécanique se développement le plus souvent dans des espaces aedificandi, des habitations inachevées, des ateliers de « fortune » ou à « ciel ouvert » et le long des caniveaux. Ces sites utilisés présentent un cadre insalubre et indigent où s’entremêlent différentes sortes d’huiles usées et de carcasses de véhicules. La combinaison de tous ces indices semble être à l’origine de nombreux risques de santé encourus dans la pratique de l’activité par les acteurs et populations riveraines.
Dans la perspective d’appréhender les risques de santé émanant de cette activité de mécanique automobile, la présente étude s’est intéressée à une portion du tronçon Agban-carrefour zoo. Le problème que pose l’étude est la méconnaissance des risques de santé émanant des différentes activités mécaniques exercées sur cette portion du tronçon. La question qui en découle est : quels sont les risques de santé liés à la pratique des activités mécaniques sur le tronçon ? De ce fait, l’objectif principal visé par l’étude est d’appréhender les différents risques de santé émanant de la pratique de la mécanique. De façon spécifique, l’étude mettra d’une part, l’accent sur les différentes branches de l’activité mécanique et d’autre part, sur les risques de santé encourus par les acteurs et la population.

Méthodologie

1. OUTILS ET METHODES

1.1. Présentation de la zone d’étude

L’espace choisi pour mener cette étude est une portion du tronçon Agban-carrefour zoo à Abidjan. Ce tronçon de 2,2 kilomètres est situé sur la voie express reliant les communes d’Adjamé et d’Abobo. La portion du tronçon qui intéresse l’étude s’étend sur environ un kilomètre et sert de zone de transit aux quartiers des Deux-Plateaux, Paillet et Cimetière (Cf. carte n°1). Ce tronçon est en proie à une prolifération tout azimut des activités informelles dont celles relevant de la mécanique automobile. Certaines sont visibles le long du tronçon et d’autres dans les encablures et les voies sous-jacentes du tronçon.
Carte n°1 : Localisation du tronçon Agban-carrefour zoo à Abidjan
 
                       Source : Google Earth   Conception et réalisation A. Diabagaté, 2022
1.2. Données méthodologiques
La méthodologie utilisée s’est d’abord focalisée sur la recherche documentaire afin de mieux cerner et circonscrire les contours du sujet mais aussi de mieux argumenter les analyses. Pour l’enquête de terrain l, plusieurs visites de terrain et entretiens avec les acteurs ont été nécessaires. L’approche territoriale systémique aidée par la méthode de choix raisonné a été utilisée. Le recours à cette approche était de privilégier l’examen des phénomènes dans leurs interactions multiples et dont on retrouve la transcription dans les paysages. Il s’est agi de rechercher les corrélations entre les activités et l’espace basées sur une connaissance antérieure du milieu. Pour cerner la zone d’analyse, l’étude s’est aussi basée sur une section du tronçon partant du carrefour cimetière au carrefour zoo, à laquelle a été associée un certain nombre de critères (activités mécaniques exercées, acteurs, nationalités, ethnies, risques de santé). La méthode de choix raisonné a fait appel à un questionnaire administré à un échantillon de 75 individus (50 chefs d’atelier soit 1/3 des 150 chefs de garage recensés) et 25 clients ou usagers (choisis au hasard) afin de recueillir des données quantitatives et qualitatives. A côté, une interview avec 02 médecins a été réalisée pour recenser les différents cas de maladies ou d’infections encourus par les acteurs. Enfin, cette approche est soutenue par les techniques de l’observation sur le terrain et de l’inventaire pour appréhender les réalités de l’occupation de la portion du tronçon, d’inventorier les différents types d’activités de mécanique, de dégager leurs caractéristiques, d’identifier et de dénombrer les acteurs de ces activités. La conjugaison de toutes ses techniques de recherche a permis d’obtenir les résultats développés plus bas.
Le traitement des informations alphanumériques collectées à travers ces différentes techniques s’est fait selon une approche à la fois analytique et statistique. Cette approche a permis d’intégrer les données dans une matrice organisée sous la forme de tableaux croisés dynamiques dans le tableur Excel. Ce module permet d’automatiser le dépouillement et d’élaborer des tableaux statistiques à une ou double entrée issue de croisements des variables les plus pertinents (W. G. Koukougnon, 2012 ; S. Touré, 2018, p. 103). Cette approche, dont l’expression sont des tableaux et des figures, a permis de rendre compte des distributions, des fréquences d’apparition, des moyennes et des tendances générales des phénomènes observés ou exprimés (K. M. Traoré, 2016, p. 92).

Résultats

2. ANALYSE DES RESULTATS

2.1. Caractéristiques des activités de mécanique automobile sur le tronçon

2.1.1. Un espace dédié aux activités mécaniques automobiles
Sur le tronçon, la mécanique automobile occupe la section partant du carrefour cimetière aussi surnommé « carrefour l’homme n’est rien » par les apprentis de gbaka, à 200 m après celui du quartier Paillet avec plus d’une centaine de garages ou ateliers de « fortune » ou « à ciel ouvert » (Cf. photo n°1).
Photo n°1 : Vue d’un garage à ciel ouvert

 (Cliché Abou D., 2022)
« À l’instar de cette photo, les différents garages qui foisonnent sur la portion du tronçon ont la même configuration ».
Il n’existe pas de garages de spécialités. Toutes les spécialités cohabitent généralement dans le même espace et se partage la même clientèle. En réalité, le mécanicien fait appel aux autres spécialistes (le tôlier, l’électricien et parfois le peintre). Cette association de spécialistes se fait généralement par affinité (parenté, amitié). Elle a pour objectif principal d’attirer plus de clientèle tout en leur offrant tous les services au même espace. Ces garages fonctionnent selon une certaine hiérarchie. À la tête de celle-ci, se trouve le chef principal ou propriétaire appelé communément « chef de garage » par ses pairs. Il est secondé dans sa tâche par les responsables de spécialité ; qui à leur tour ont sous leur responsabilité deux à cinq apprentis ou apprenants/stagiaires. Ces garages de « fortune », sans aucune commodité offrent plutôt des « génies » dans le domaine de la réparation. Sur la portion du tronçon dédiée aux activités de la mécanique automobile, notre enquête a dénombré 150 garages sur lesquels travaillent environ 752 agents toutes spécialités confondues, chefs et apprentis compris. Cette répartition dans les spécialités fait la part belle à la mécanique générale ou « côté fer » (Cf. tableau n°1).  La pratique de la mécanique ne s’improvise pas. Elle devrait se faire après une formation formelle préalable (à travers une formation adéquate dans un établissement assorti d’un diplôme) et non formelle (en dehors des salles de classe, sur le tas et sanctionnée par une confiance du chef ou propriétaire du garage). Sur les 752 agents recensés sur cet espace, 20 % disposent de diplômes soit 152 agents, dont 50 chefs et 102 apprentis/stagiaires. Ce faible taux est dicté par le choix des diplômés d’exercer dans des garages modernes et professionnels dotés de toutes les commodités. Les 80 % restants (soit 600 mécaniciens) sont sans diplômes et pour la majorité analphabète.
                      Tableau n°1 : Répartition des agents par spécialité
                         Source : Enquête de terrain, 2022
2.1.1.1. La mécanique générale ou mécanique « côté fer »
C’est le cœur de l’activité de mécanique automobile. Elle est la plus répandue et la plus connue sous l’appellation de « mécanique générale » ou « mécanique côté fer ». Elle s’intéresse au côté fer du véhicule avec des domaines d’intervention bien précis. Le mécanicien ou réparateur automobile jongle avec aisance entre entretien courant, dépannage et réparation. Cette spécialité compte 73 garages qui enregistrent 363 mécaniciens sur le tronçon. Les 10 usagers interrogés ont reconnu l’existence et la pratique de cette activité ; pour eux, la mécanique générale est la plus répandue et la plus connue ; même pour un problème d’électricité ou de tôlerie, ils se réfèrent à ces mécaniciens, car ils entretiennent des liens fraternels. Les gains que perçoivent les acteurs sont fonction de la nature de la tâche à exécuter. Néanmoins, leurs gains journaliers oscillent entre 20 et 30 000 FCFA. Pour K.B. (chef de garage). : « Les gains sont proportionnels à la qualité du service rendu…il n’y a pas de prix fixe pour une prestation. En période d’abondance de clients, nous pouvons faire des entrées de 150 000 francs et plus, par contre en période de vaches maigres, c’est autour de 30 000 que nous gagnons par jour ». La mécanique « côté fer » est une activité noble qui demande beaucoup de sérieux et d’abnégation ; toujours selon lui : « Nous exerçons cette activité par amour et non par dépit ». Ces mécaniciens sont facilement identifiables par leur accoutrement (souvent combinaison ou vêtements délavés) recouvert d’huile ou de graisse de moteur.
 2.1.1.2. L’électricité et la climatisation
C’est la spécialité dont les acteurs sont les plus propres en termes d’apparence physique. En effet, la spécialité d’électricité demande moins de contact avec les huiles et les graisses de moteur. L’électricien se charge du circuit électrique « côté masse ». C’est une spécialité qui nécessite une connaissance préalable des véhicules d’intervention. À côté de l’électricité, il existe la climatisation ou « fréon ». Cette spécialité intervient dans la réparation ou/et l’installation de la climatisation dans le véhicule. Ces deux entités travaillent très souvent ensemble sur les véhicules en tenant compte de leur champ respectif d’intervention. Selon nos enquêtes, les électriciens qui devraient être les plus nantis financièrement de l’activité mécanique ne le sont pas. En effet, leurs entrées journalières oscillent entre 15 et 20 000 FCFA. Cela est nettement inférieur aux entrées journalières des mécaniciens.
 2.1.1.3. La tôlerie
La tôlerie est la spécialité de la mécanique automobile qui s’intéresse à la remise en état physique des déformations subies par le véhicule. Cette spécialité demande une grande dextérité et des connaissances précises sur la carrosserie des véhicules et leurs accessoires. Les tôliers procèdent également à la mise en conformité du châssis. Pour certains cas de soudure, le tôlier peut faire appel au ferronnier. Le tôlier vit de son activité, puisque la journée, son gain avoisine les 20 000 FCFA. Ce gain est aussi fonction de l’ampleur des tâches à accomplir. En définitive, la mécanique automobile exercée sur la portion du tronçon Agban-carrefour zoo renferme une pluralité de spécialités qui travaillent en symbiose et en complémentarité avec des ateliers extérieurs de parallélisme, d’équilibrage et souvent de scanner (procédé informatique qui permet à partir d’une connexion avec la boîte noire du véhicule de détecter les différentes anomalies difficiles à percevoir) et fait intervenir une diversité d’activités annexes comme la vulcanisation, les stations informelles de lavage auto, la ferronnerie, la peinture auto, le commerce de pièces détachées comme l’atteste la carte n°2. C’est une activité qui se pratique en réseau, car les différentes spécialités se fédèrent pour le bien-être des clients. Cependant, il serait judicieux d’apprécier le profil des acteurs de cette activité.
                                  Carte 2 : Localisation des activités informelles sur le tronçon

2.2. Des agents aux caractéristiques diverses

L’activité de mécanique automobile exercée sur le tronçon présente diverses caractéristiques surtout au niveau des acteurs.
2.2.1. Une diversité de nationalités
Les activités de mécanique automobile qui foisonnent sur le tronçon sont exécutées par de nombreux acteurs de diverses origines. En effet, ces acteurs se constituent à 48 % de nationaux ivoiriens et à 52 % de nationaux étrangers composés à 35 % de Maliens, de 32 % de Burkinabés, de 26 % de Guinée et moins de 5 % pour les Togolais et Béninois (Cf. tableau n°2). Cette population mécanique se caractérise par son extrême jeunesse à dominance masculine et par son fort taux d’analphabètes.
Tableau n° 2 : Répartition des mécaniciens par nationalité
                                                   Enquête de terrain, 2022
2.2.2. De jeunes « génies » en mécanique
Les différentes activités mécaniques exercées sur la portion du tronçon sont l’apanage des jeunes (90 % des acteurs) dont l’âge varie de 15 à 35 ans. Les adultes (10 %), dont l’âge oscille entre 35 et 60 ans, sont principalement les chefs ou propriétaires de garage. Ils interviennent rarement et laissent la tâche à leurs seconds, qui à leur tour, ont le soutien des apprentis. Ces derniers sont constitués majoritairement d’adolescents dont l’âge oscille entre 15 et 20 ans. Ces jeunes se sont adonnés à la mécanique à 60 % par amour et par volonté de se prendre en charge par l’apprentissage d’un métier dès le bas âge, pour les 40 % restants, c’est par manque de moyens financiers des parents. Aussi, viennent-ils pour certains du village et sont confiés à des parents ou connaissances afin de recevoir une « éducation citadine » d’où leur présence dans cette activité. De même, nos enquêtes ont révélé que 85 % des acteurs sont de confession religieuse musulmane à dominance Dioula. Ce qui peut s’expliquer par le fait que « très tôt, le petit dioula est confronté à la débrouillardise. Il forge sa personnalité dans la rue, où il acquiert les rouages des activités » (A. Diabagaté et al, 2015, p 10). « Chez les groupes islamisés, l’école officielle est traditionnellement perçue de façon défavorable, car en plus des obligations financières qu’elle impose aux parents, elle est considérée comme un facteur de « désislamisation » (K. Atta, 1996, p 8). Aussi, étant donné que cette activité mécanique demande une débauche permanente d’énergie, d’endurance et de force physique, elle est de ce fait exclusivement réservée à la gent masculine. En outre, dans « l’esprit africain », la mécanique est une activité qui ne relève pas de la compétence des femmes ou incompatible avec le statut de la femme (activité salissante, à risque, femme au foyer).
2.2.3. Une majorité analphabète
Les résultats des enquêtes menées auprès des acteurs de la mécanique automobile sur la portion du tronçon Agban-carrefour zoo montrent une part très importante d’analphabètes. En effet, selon l’enquête permanente auprès des ménages « 68 % des personnes employées dans le secteur informel sont sans instruction et 70 % seraient entre l’analphabétisme et le niveau primaire » (K. J. M. YAO et al, 2001 cités par K. M. Koffi, 2014, p. 3). Sur les 50 individus interrogés, les ¾ n’ont pas été à l’école faute de moyens financiers, par obligation culturelle et idéologique.  À côté de cette majorité analphabète, il existe 12 acteurs scolarisés dont le niveau varie de la classe du Cours Elémentaire 2 (CE2) à la classe de 5è et 4è. Aussi, cette activité enregistre-t-elle 05 diplômés des Centres de Formation Professionnelles (CFP) et des Centres de Métiers ont le Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) et le Brevet de Technicien (BT). Ils exercent en ces lieux depuis plus d’une dizaine d’années pour les anciens et pour les nouveaux, à la fin de la crise post-électorale de 2010 et à la faveur des opérations de déguerpissement initiées par le pouvoir actuel. De ce fait, leur nombre ne cesse de croître au fil du temps et à mesure de la disponibilité d’une portion d’espace. Les activités de débrouillardises issues de la mécanique sont exercées par plusieurs analphabètes. Toutefois, elles ont plusieurs effets, notamment sur la vie de ses acteurs et sur le tronçon.

2.3. Des agents exposés à des risques de santé

2.3.1. Une exposition à des pathologies liées à l’environnement des garages
L’environnement dans lequel s’exercent les activités mécaniques laissent à désirer au point où il est perçu comme un facteur de risque de santé pour les acteurs et la population riveraine. En effet, le cadre insalubre qui sert d’espace de travail est propice à la divulgation de maladies telles que la diarrhée, le paludisme, la fièvre typhoïde, la gale (démangeaison), les ballonnements, les nausées, les fortes migraines et les infections respiratoires. Les espaces occupés par les activités de mécanique sont envahis par les carcasses de voitures, des pneus usés, des huiles et graisses de tous genres, les parebrises abimés, les filtres à huile utilisés, les batteries usagées, qui deviennent de véritables nids de rongeurs et d’insectes agents de transmissions de certaines pathologies. Ce mélange disharmonieux et indigent expose les acteurs et populations riveraines à certaines maladies citées plus haut. Nos enquêtes auprès des acteurs ont révélé que 60% des pathologies contractées par les acteurs et populations riveraines émanent des garages automobiles. De plus, le contact fréquent des mécaniciens avec les huiles, graisses et autres produits altère leur état de santé physique au point où certains ont perdu l’éclat de leur teint et aussi vivent avec la présence de tâches sur le corps.
2.3.2. Une exposition aux risques de blessures et de fatigue           
La pratique de l’activité expose les acteurs à des risques de blessures et de fatigue. En effet, astreints en permanence à des dépannages de clients, à la portée de charges lourdes et à des postures contraignantes pour accéder aux organes des véhicules (élévation prolongée des bras, position accroupie, flexions et rotations du dos, à genou ou couché en dessous des véhicules(G. Thomas, 2022, p. 141), les acteurs sont confrontés à des pathologies de la colonne vertébrale et des articulations, mais également à la fatigue générale. D’après les enquêtes de terrain, 80 % des acteurs ont affirmé avoir connu ce genre de pathologies. Quant aux blessures, elles sont le fait des objets tranchants, des brûlures ou chocs lors des différentes interventions de réparation. Selon les acteurs enquêtés, les blessures sont les premiers risques de santé auxquels ils sont confrontés. Les enquêtes ont révélé que 96 % des mécaniciens toutes spécialités confondues ont été « baptisés » ou victimes de ces risques. D’autres risques de blessures provoqués par les glissades sont aussi engendrés par l’environnement dégradé et délabré de pratique des activités. De plus, les outils et techniques utilisés pour les interventions sur les véhicules sont aussi responsables des blessures corporelles subies par ces derniers.
2.3.3. Des risques de surdité et d’infections respiratoires
La présence des garages automobiles est un facteur de nuisance sonore pour les acteurs et les populations riveraines. En effet, les activités génèrent souvent des bruits assourdissants et intenses qui indisposent certains acteurs et les riverains en créant un état d’irritation, de stress, d’anxiété, de perte auditive, d’acouphène (sifflement ou bourdonnement dans les oreilles) et d’hyperacousie. Au-delà des risques directement liés aux nuisances sonores engendrées par la pratique des activités mécaniques, les acteurs sont également confrontés à la baisse de vigilance et à l’augmentation des accidents de travail.
De plus, d’autres risques de santé se présentent aux mécaniciens et sont surtout liés à leur exposition aux produits toxiques par inhalation ou par contact cutané avec les huiles, graisses, carburant, solvants, fumée des gaz d’échappement des moteurs. Les produits nuisibles à la santé des personnes sont fréquemment présents dans leur quotidien ; ce qui est à la base de certaines irritations de la peau, et des problèmes respiratoires. Les médecins interrogés durant nos enquêtes ont révélé que la plupart de leurs patients mécaniciens ont des infections respiratoires dues au contact permanent avec ces produits.
Dans l’ensemble, les risques de santé engendrés par la pratique des activités de mécanique automobile sont réels et matérialisés par la figure n°1 ci-dessous. Cependant, les risques encourus sont dominés par les blessures et la fatigue qui concentrent environ 60 % des acteurs.
Figure n°1 : Proportion des signes de risques de santé dans l’activité de mécanique
                             automobile
   Source : Enquête de terrain, 2022

Conclusion

L’invasion du tronçon Agban-carrefour zoo par les activités informelles a eu pour incidence un foisonnement d’activités de mécanique automobile sur une portion d’environ un kilomètre. Cette activité renferme une diversité de spécialités méconnues des populations. Ces spécialités, qui concernent la mécanique générale ou « côté fer », la tôlerie, l’électricité et la climatisation, se pratiquent dans des ateliers de « fortune » ou à « ciel ouvert » sur un espace à risque. Ces différentes spécialités travaillent en réseau et en synergie avec certains ateliers externes et ont souvent recours à d’autres activités annexes comme la peinture automobile, la ferronnerie, la vulcanisation et les stations de lavage. En outre, ces activités sont exécutées par des nationaux ivoiriens et de ressortissants de la CEDEAO. Aussi, ces mécaniciens exclusivement masculins, se caractérisent-ils par leur extrême jeunesse et leur fort taux d’analphabètes. Cependant, cette prolifération d’activités de mécanique automobile qui se déroule dans des conditions difficiles et un cadre indigent, engendre des risques de santé pour les acteurs directs, indirects et pour les populations riveraines. Les risques encourus concernent les blessures, la fatigue, la surdité, les maladies et les infections respiratoires. Les autorités devraient se pencher sur l’amélioration du cadre de travail dans les garages afin de réduire au maximum les risques de santé générés.

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Publié

31 Juillet 2023

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2023,, mis en ligne le 31 Juillet 2023. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=289

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