VOL.6-N° 11, Juil. 2023 : Villes, activités économiques et santé en Afrique

5 |EXPOSITION CLIMATIQUE ET VULNÉRABILITÉ PALUSTRE À CONAKRY (GUINÉE)

CLIMATIC EXPOSURE AND MALARIA VULNERABILITY IN CONAKRY (GUINEA)

Auteurs

  • FOFANA Abdoulaye statut donfofana1er@gmail.com, Guinée
  • DIALLO Bano Nadhel statut nadhel3@yahoo.fr, Guinée
  • BAMBA Mamady statut bambamamadygina@gmail.com, Guinée

Mots-clés:

Résumé

Les éléments du climat constituent des facteurs susceptibles d’avoir des impacts sur la propagation du paludisme. Ainsi, les conditions climatiques, la présence des zones humides, propices à la multiplication des agents et des vecteurs de cette pathologie, exposent la population à un risque palustre récurrent. À Conakry, le paludisme est une maladie endémique. Il constitue la première cause de morbidité. Les statistiques sanitaires révèlent qu’en 2021, 138 406 cas de paludisme ont été enregistrés à Conakry, soit 40,64% des consultations, toutes causes confondues. Le climat de cette ville est caractérisé par une température élevée (23o C à 25o C), une pluviométrie abondante (2 650 mm à 5 345 mm) et une forte humidité relative (66% à 93%).
Les objectifs de cette étude sont d'analyser le lien entre chaque paramètre du climat et l'incidence du paludisme, mais aussi d'évaluer l'impact de l'exposition climatique sur la vulnérabilité de la population citadine de Conakry face à cette pathologie. L’approche méthodologique mixte utilisée s'appuie sur les investigations documentaires et les enquêtes de terrain.
Les résultats montrent qu'avec 132 653 cas de paludisme annuel à Conakry, la forte morbidité palustre se traduit par un taux d'incidence de 78,46‰ et une vulnérabilité de 19,96%. Le test de corrélation entre l'incidence palustre et le climat indique un lien significatif (- 0,42) entre ces deux variables. Au niveau des paramètres climatiques, l'humidité relative de l'air (- 0,44) et la pluviosité (- 0,41) ont des relations significatives avec l'incidence palustre alors que celle avec la température est non significative (0,069).     

Introduction

Capitale de la République de Guinée, la ville de Conakry bénéficie d'un climat de type sub-guinéen, appartenant au climat subéquatorial. Le climat compte deux saisons (saison sèche et saison des pluies) a durée sensiblement égale (R. Georges et al., 2001, p. 9). Le régime pluvial de cette ville est caractérisé par des variations mensuelles qui ont une répercussion sur la pluviométrie totale annuelle. Les précipitations sont abondantes pendant la saison des pluies (2 650 mm à 5 354 mm). Les humidités relatives, malgré qu'elles connaissent des fluctuations, sont fortes (66% à 93%). Quant aux températures, avec de faibles oscillations, sont élevées (23oC à 25oc), (DNM[1], 2017).
Les paramètres climatiques déterminent la répartition de certaines maladies à travers le monde. Les caractéristiques du climat et l’aire biogéographique permettent de dégager les types d’agents pathogènes ainsi que le nombre de cas de paludisme par zone climatique (C. Houssou et al., 2015, p. 3 ; J. Mouchet et al.,1993, p. 235). Les éléments du climat ont une influence sur le cycle du paludisme (M. Nadège et al., 2012, p. 79). En effet, le fonctionnement des gîtes larvaires est lié au rythme et à la quantité de précipitation (C. Pierrat, 2012, p. 20). Les températures affectent la transmission de cette maladie (I. Diouf et al., 2015, p. 137).
De par sa position géographique (carte no1), Conakry constitue une zone de prédilection du paludisme. La ville enregistre de nombreux cas de fièvres récurrentes (fièvre jaune, fièvre typhoïde, Ébola, paludisme), qui débouchent pour la majorité sur des états palustres (PNLP, 2016). Dans ce grand pôle national de congestion démographique qui renferme 15,80% de la population nationale (INS, 2020), le paludisme constitue la principale cause de consultation (40,64%) dans les structures sanitaires publiques (MSPH, 2021). Avec 138 406 cas enregistrés en 2021, cette pathologie a occasionné 10 752 cas d’hospitalisation dans les infrastructures sanitaires publiques. Le rapport du PNLP, en 2021, indique que la commune de Ratoma a enregistré la morbidité palustre la plus élevée (138 406 cas), suivie de Matoto (39 746 cas), de Kaloum (39 401 cas), de Matam (32 647 cas) et de Dixinn (12 585 cas).
Dans cette ville de Conakry où la densité (4 533 habitants/km2) est importante, l’impact du paludisme devient considérable (INS, 2021). Cette situation sanitaire suscite tant d’intérêt auprès des autorités sanitaires, des organismes internationaux et auprès des populations.  
 
[1] Direction Nationale de la Météorologie

Méthodologie

1. Outils et Méthodes

1.1. Présentation de la zone d'étude 

Située en Guinée maritime, la ville de Conakry, la capitale de la République de Guinée, est une presqu’île qui mesure 32 km de long avec une largeur variant de 1 et 6 km (M. Kourouma, 2016, p. 25). Elle  est comprise entre 13o 42’ et 13o 31’ Ouest ; 09o 30’ et 09o 40’ Nord, couvrant ainsi 450 km² (F. Bérété, 2000, p. 33). La ville est limitée:
  • au nord-est par la ville de Dubréka,
  • au sud, à l’ouest et au nord-ouest par l’océan Atlantique,
  • à l’est par la ville de Coyah,
  • et au Sud-est par la ville de Forécariah.
Elle a été érigée en gouvernorat par l’ordonnance n°002/PRG/SGG/89 du 05 janvier 1989 et le décret n° 192 à 196/PRG/SGG/90 du 26 septembre 1990, attribuant un statut particulier à cette ville. Dans ce statut, les collectivités territoriales (les communes) sont chacune dotée d’une personnalité morale ainsi qu’une autonomie financière. Les communes sont sous la tutelle du gouvernorat de Conakry.
Aujourd’hui, caractérisée par un étalement urbain, Conakry est constituée de trois types d’espaces : le centre-ville (la commune de Kaloum), la banlieue (les communes de Matam, de Dixinn, de Ratoma et de Matoto) et l’île de Kassa. Ce phénomène d’étalement accentue sa proximité avec les villes voisines de Coyah et de Dubréka. Les urbanistes parlent du « grand Conakry » pour traduire la grande aire d’extension de cette ville vers les villes voisines (carte no 1).  
Carte no1 : La zone d'étudeCarte 1

1.2. Techniques de collecte et de traitement de données

Du point de vue méthodologique, une méthode mixte, combinant les méthodes qualitative et quantitative, a été utilisée. Les données secondaires biomédicales, de 2014 à 2021, proviennent de la revue littérature, du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) et des Directions Communales de la Santé (DCS). Quant aux données relatives aux paramètres climatiques, de 1961 à 2016, elles ont été obtenues à la Direction Nationale de la Météorologie (DNM).
L’observation et les entretiens réalisés auprès de 384 de chefs de ménages dans la ville de Conakry, ont permis d'obtenir des données primaires. En effet, au niveau des ménages, un échantillonnage probabiliste a été calculé afin d’obtenir le nombre de ménages représentatifs, au sein de chaque commune, dans lesquels nous avons enquêté les chefs de ménages. Sur les cinq communes de la ville de Conakry (Kaloum, Dixinn, Matam, Ratoma et Matoto), trois ont été choisies pour abriter nos enquêtes. Ce choix s’est appuyé sur un échantillonnage typique, basé sur deux critères fondamentaux (la taille et la prévalence au paludisme). Dans chacun des trois communes retenues (Kaloum, Matoto et Ratoma), de manière raisonnée, nos enquêtes de terrain se sont déroulées dans le quart (1/4) des quartiers. Ainsi, dans les communes de Matoto (38 quartiers), de Ratoma (34 quartiers) et de Kaloum (11 quartiers) nous avons retenu respectivement 10, 8 et 3 quartiers. Un tirage aléatoire simple a permis de sélectionner les quartiers dans lesquels s’est déroulée l’enquête domiciliaire. Le choix des ménages sur le terrain, s’est fait de façon aléatoire tout en respectant le quota destiné à chaque quartier.
Grâce aux logiciels sphinx et Excel, les données furent d'abord intégrées et ensuite traitées afin d'obtenir des résultats sous forme de tableaux et de graphiques. Les cartes, en fonction des données, ont été réalisées à l'aide du logiciel QGIS.  

Résultats

2. Résultats

Les résultats ont été organisés suivant ces étapes : l'évolution des paramètres climatiques, le niveau de la morbidité palustre, la vulnérabilité palustre, le lien de corrélation entre le paludisme et les éléments du climat.

2.1. L’évolution des paramètres climatiques

Dans la zone intertropicale, les paramètres du climat constituent une source de propagation du paludisme. L’analyse de l’évolution de ces grandeurs physiques au niveau de la ville de Conakry, située dans ladite zone, permet d'appréhender leurs impacts sur cette pathologie. Les paramètres climatiques retenus dans le cadre de cette étude sont la pluviométrie, l’humidité relative et la température. Leurs évolutions par rapport à la normale climatique[1] (1986-2005) montrent des variations, entre 1961 et 2016.
2.1.1. Une pluviométrie annuelle abondante
Le régime pluvial de la ville de Conakry est marqué par des variations mensuelles qui ont une répercussion sur la pluviométrie totale annuelle. La ville reçoit de fortes précipitations pendant la saison des pluies. Durant cette période, le cumul annuel moyen atteint 3 856,2 mm (DNM, 2016). La fluctuation des quantités annuelles des précipitations est liée aux phénomènes météorologiques qui ne sont pas immuables. Une comparaison des pluviométries moyennes annuelles, par rapport à la normale de 1986 à 2005, permet de dégager des écarts (graphique no 1).
Graphique no 1 : Évolution des écarts pluviométriques de 1961 à 2016 à Conakry
Graphique 1
Source : DNM[2], 2016
À partir de la normale climatique, la variabilité interannuelle dans la distribution des précipitations est mise en évidence. Par rapport à l'écart type, les précipitations annuelles ont connu des hausses (1961-1962, 1964, 1966, 1967, 1969, 1976, 1988, 1992, 2001, 2003, 2005, 2015) ; des baisses (1963, 1965, 1968, 1973-1974, 1984, 1987, 1989, 1993, 1995-1996, 2008-2011, 2014, 2016) et peu de constantes (1990, 1991, 1997, 2006, 2012). Ces fluctuations pluviométriques sont relativement distinctes les unes des autres. Les précipitations impactent le taux de la vapeur d’eau en suspendue dans l’atmosphère à travers une humidité.
2.1.2. Une humidité relative annuelle élevée
Les relevés météorologiques journaliers de l’humidité relative permettent d’obtenir des moyennes annuelles. Ainsi, de 1961 à 2016, les humidités oscillent entre 66,50% et 92,67%, soit une moyenne de 79,58% (DNM, 2016). Donc, l’analyse du taux d’humidité relative annuelle à Conakry montre qu'il est élevé. L’évolution interannuelle de la proportion de la vapeur d'eau en suspension dans l'air, par rapport à la normale climatique de 1986-2005, permet de constater plusieurs anomalies au sein desquelles les écarts positifs sont les plus nombreux (graphique no2).
Graphique 2 : Évolution des anomalies par rapport à la normale, entre 1961 et 2016Graphique 2
 Source : DNM, 2016
Les variabilités interannuelles du taux d'humidité relative moyenne, de 1961 à 2016, mettent en évidence plus d'écarts positifs (1961-1969, 1975-1983, 1994-2003, 2005, 2009, 2010, 2014, 2016) que négatifs (1970, 1971, 1974, 1984-1991, 1993, 2004, 2006-2008, 2013). Cependant, peu de constantes (1968, 1972, 1982) ont été enregistrées. Cette grandeur physique climatique détermine le degré de chaleur ou de fraicheur de l'atmosphère.    
2.1.3. Une température annuelle élevée
L’état moyen de l’atmosphère à Conakry permet de distinguer des températures maximales et minimales. La moyenne des températures annuelles varie entre 26o C et 28o C, soit une moyenne générale de 27o C (DNM, 2016). Par rapport à la normale climatique, on observe de fortes variations et très peu de constantes (graphique no3).
Graphique no3 : Écarts thermiques par rapport à 1986-2005, entre 1961 et 2016
Graphique 3
Source : DNM, 2016
L'observation de graphique no3 permet de distinguer deux grandes phases dans l'évolution des températures à Conakry. De 1961 jusqu’en 1996, les températures ont connu de nombreuses anomalies, toutes négatives, par rapport à la normale. Entre 1997 et 2016, on constate dans un premier temps des écarts positifs (1997-2006) et dans un second temps des écarts négatifs (2007-2016). De rares constantes (2011 et 2016) par rapport à la barre de 1986-2005, sont enregistrées.

2.2. Une forte morbidité palustre  

Les investigations sur le terrain ont permis de constater que sur une vingtaine de pathologies repertoriées à Conakry, le paludisme constitue la maladie dont presque la moitié (46%) des chefs de menages (384) enquetés est confrontée. En 2021, à Conakry, 138 406 cas de paludisme ont été enregistrés (MSPH, 2021), soit un taux d’incidence de 52‰. La morbidite et l'incidence de cette pathologie montrent la vulnérabilité de la population citadine. Entre 2006 et 2021, 1 755 365 personnes ont été atteintes par cette maladie à Conakry, soit un taux d'incidence annuelle de 69‰. Le graphique no4 illustre l'évolution des taux d'incidence de la pathologie au cours de cette période.
Graphique no4 : Évolution des taux d'incidences palustres à Conakry de 2006 à 2021
Graphique 4
Sources : PNLP, 2016 ; MSPH, 2021
Entre 2006 et 2011, les tendances du paludisme étaient au-dessus des 100 000 cas. De 2012 jusqu’en 2016, les morbidités palustres ont connu une baisse progressive, avant de connaitre une hausse de l'ordre de 45,11% en 2017. L'évolution des taux d'incidences du paludisme montre deux périodes de baisse. De 2006 à 2010, elles passent de 155‰ à 98‰. En 2011, un regain de paludisme est enregistré, ce qui permet à l'incidence palustre atteint la barre de 104‰. À partir de 2012, les incidences amorcent une chute progressive pour atteindre 26‰ en 2016. Mais, en 2017, le taux d’incidence a presque doublé par rapport à l'année précédente. De 2017 à 2021, le taux d'incidence passera de 52‰ à 69,20 ‰, avec un pic (186‰) en 2020.  Les fluctuations du taux d’incidence palustre s’expliquent par la variation de l'intensité de la lutte antipaludique à travers les politiques mises en place par l'État et ses partenaires.
Les incidences du paludisme connaissent de nombreuses variations d'une commune à une autre. Sur la période de 2006-2016, la commune de Kaloum (94,36‰) a enregistré le taux d'incidence palustre le plus élevé (graphique no 5).    
Graphique no5 : Incidences palustres par commune
Graphique 5
Sources : PNLP, 2016 ; MSPH, 2018
L'examen du graphique no 5 permet d'effectuer trois niveaux d'analyses. D’abord, les communes de Kaloum (94,36‰), de Matam (92,91‰) et de Ratoma (82,45‰) possèdent toutes des taux d’incidences palustres supérieurs à la moyenne de la ville (81,51‰). Ensuite, par rapport aux moyennes intercommunales, la commune de Kaloum (94,36‰) a le taux le plus élevé par rapport à celui de Matoto (67,45‰), ayant le taux le plus faible. Enfin, la distribution de la prévalence du paludisme révèle que, sur une période de onze ans, la commune de Kaloum a enregistré les taux d’incidences palustres les plus élevés au cours de six ans (2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017), suivi de Ratoma (2007, 2009, 2010) et de Matam (2006, 2011). Cette inégale répartition du taux d'incidence du paludisme met en évidence diverses vulnérabilités palustres au sein de cette ville.

2.3. Une vulnérabilité palustre élevée

Les statistiques paludométriques, de 2006 à 2021, montrent une persistance de la pathologie à Conakry, à travers un taux d'incidence moyen élevé (78,46‰). Cette forte incidence palustre qui se traduit par 132 653 cas de paludéens par an prouve la vulnérabilité de la population face à cette pathologie. En effet, la persistance de cette maladie s'explique par un taux moyen annuel de vulnérabilité qui varie selon les communes (tableau no1).
Tableau no1 : Nombres de cas et taux de vulnérabilités communales de 2017 à 2021
Tableau 1
Sources : PNLP, 2016 ; MSPH, 2021
De 2017 à 2021, avec 75 653 cas moyen annuel de paludisme à Conakry, le taux de vulnérabilité était de 19,96%. Dans les communes, il est très élevé à Ratoma (39,85%) et à Matoto (29%). Par contre, dans les communes de Dixinn (8,67%) et de Matam (9,27%), les taux de vulnérabilité palustre sont inferieur par rapport à la moyenne (19,96%) de la ville. La carte no2 illustre cette inégale vulnérabilité entre les communes de la ville de Conakry.
La multiplication des zones à risques palustres dans une commune par rapport à une autre explique la variation des taux de vulnérabilité intercommunale. En effet, plusieurs zones humides sont rencontrées dans les communes de Ratoma et de Matoto, situées à la périphérie de la ville, où des aspects de la ruralité (riziculture inondée, cultures maraichères, forêts classées) existent, en dépit du phénomène d'extension urbaine, accélère par l'urbanisation.
Carte no2 : Vulnérabilités palustres dans l'espace urbain de Conakry
Carte 2
L'analyse spatiale de la vulnérabilité urbaine à Conakry montre que dans les communes de Ratoma (39,85%) et de Matoto (29%), la vulnérabilité palustre est élevée par rapport aux trois autres communes. Cette vulnérabilité palustre est-elle en relation avec les caractéristiques climatique d ? Dans l'objectif d'apporter une réponse à cette question, il revient à évaluer le lien entre la prévalence du paludisme et les paramètres climatiques.

2.4. La corrélation entre le paludisme et le climat

Le test statistique multivarié révèle qu’il existe une relation significative (- 0,42)[3] entre le paludisme et le climat. Le signe du coefficient de corrélation étant négatif, alors l’augmentation de la transmission du paludisme correspond à une baisse des grandeurs physiques du climat et vice versa. Donc, le coefficient de détermination, issu de la corrélation, montre que 35,4% des cas de paludisme enregistré à Conakry ont un lien avec le climat. Ces tests mettent en lumière l'impact de l'état moyen de l'atmosphère sur le cycle du paludisme à Conakry. Toutefois, cet impact varie d'un paramètre climatique à un autre (tableau no2).
Tableau no2 : Coefficients et dépendances
Tableau 2
Sources:  MSPH, 2017; DNMG, 2016; PNLP, 2016
L’humidité (- 0,44) et la pluviosité (- 0,41) ont des liens significatifs avec la prévalence du paludisme, car les coefficients de corrélation tendent vers -1. Les liens se traduisent par des coefficients de détermination qui stipulent que respectivement 19% et 16% des cas de paludisme enregistré sont liés à ces deux paramètres. Alors que le test de corrélation entre la température et la prévalence palustre est quasiment insignifiant (- 0,06) parce que le coefficient de corrélation tend vers 0.
Le test de corrélation multiple indique qu’il existe entre la morbidité palustre paludisme et les deux paramètres climatiques (pluviométrie et humidité), les plus impactant, une relation significative (- 0,42). Cette corrélation se traduit par des évolutions de sens contraire. Ainsi, la hausse de la prévalence palustre coïncide avec une faible pluviométrie ainsi qu’un taux d’humidité bas à Conakry. Le graphique no6 montre la divergence d’évolution entre le nombre de cas de paludisme et ces deux (humidité et pluviosité) paramètres du climat.
Graphique no6 : Combinaison paludisme/pluviométrie/humidité
Graphique 6
Sources : DNM, 2016 ; PNLP, 2016
Le graphique n°6 montre que la morbidité palustre évolue dans un sens contraire à ceux des précipitations et des humidités. Le constat est qu’une diminution de la transmission du paludisme correspond à une forte pluviosité et à un taux d’humidité de l’air élevé et vice versa.
La combinaison de l'humidité et de la pluviométrie permet de réaliser un test statistique multivarié (humidité-pluviosité-prévalence palustre) qui notifie que 35% des cas palustres enregistrés à Conakry ont un lien avec ces deux paramètres, sur 35,4% des cas palustres qui ont un lien avec l'ensemble des éléments du climat.
L’intensité et le sens des relations sont différents, d'une commune à une autre. Les coefficients y sont révélateurs de nombreuses divergences (tableau no 3).
Tableau no3 : Corrélations paludisme et paramètres climatiques par commune
Tableau 3
Sources : DNMG, 2016 ; PNLP, 2016
Les corrélations dans l'ensemble, entre le climat et le paludisme montrent que le lien est plus significatif dans les communes de Matam (- 0,63), de Dixinn (- 0,62) et de Matoto (- 0,61) plus qu'à Ratoma où le lien est faiblement significatif (0,25).
L’analyse des tests de corrélation entre chaque paramètre climatique et la prévalence du paludisme montre d’abord que l'humidité est le seul paramètre climatique qui entretient un lien significatif avec le paludisme dans toutes les communes. Ensuite, la température constitue le paramètre climatique qui a un lien très significatif (> 0,80) avec cette pathologie dans toutes les communes sauf à Ratoma, où le lien est non significatif (0,19). Enfin, la pluviosité est le paramètre le plus impactant à Ratoma où son lien avec la prévalence du paludisme est non seulement très significatif (0,99), mais aussi positif.
La combinaison des paramètres révèle que la température et l'humidité relative impactent plus le paludisme dans les communes de Kaloum, Matam et Matoto, alors qu'à Dixinn et à Ratoma, respectivement les couples pluviométrie-température et pluviométrie-humidité constituent les paramètres qui impactent le plus la prévalence du paludisme.
Sur l'ensemble des paramètres climatiques, dans les communes de Dixinn et de Matam, les trois éléments ont des liens significatifs avec le paludisme, tandis que dans les communes de Ratoma (humidité, pluviosité), Kaloum (humidité, température) et de Matoto (humidité, température), ce n'est que deux paramètres qui ont des relations significatives avec cette pathologie. Les liens de corrélation entre le paludisme et les paramètres du climat se traduisent par des taux de dépendance au niveau des communes (tableau no 4).
La dépendance palustre par rapport aux paramètres climatiques met en évidence l'impact de chaque élément du climat sur la propagation de la maladie. La prévalence palustre communale ayant un lien avec les éléments du climat, dégage plusieurs constats. D'abord, le coefficient de détermination entre le paludisme et la pluviométrie indique un taux de dépendance élevé à Ratoma (98%) contre une dépendance palustre quasiment insignifiante (00,2%) dans la commune de Matoto. Puis, les proportions de dépendance palustre par rapport à la température sont très élevées dans les communes de Matoto (98%), de Kaloum (94%) et de Matam (84%) alors qu’elle est très faible à Ratoma (3,60%). Ensuite, par rapport à l’humidité relative, les dépendances palustres dans les communes de Kaloum (84%) et de Matoto (81%) sont plus élevées qu'à Ratoma (16%). Enfin, la dépendance du paludisme envers le climat, dans son ensemble (Palu/climat), varie selon les communes.
Tableau no4 : Proportions communales des dépendances palustres aux paramètres du climats
Tableau 4
 Sources : DNM, 2016 ; PNLP, 2016
Dans toutes les municipalités, la dépendance palustre au climat est importante, sauf dans la commune de Ratoma (6,65%). La commune de Matam est la municipalité où la dépendance du paludisme au climat est la plus importante (40,09%).
La représentation cartographique no 3 montre une distribution inégale des proportions du paludisme liées au climat au niveau des communes. Elle montre une diversité de dépendance palustre aux conditions climatiques dans chaque municipalité. La dépendance de la prévalence du paludisme à l’exposition climatique est plus importante dans la commune de Matam que dans celle de Ratoma. Cette situation s’explique par le fait qu'à Matam, le risque palustre est en grande partie (84%) lié à la température, un facteur déterminant dans le cycle du paludisme. Cette grandeur physique du climat a un impact très important dans la transmission du paludisme dans la majorité (3/4) des communes. Elle est constante toute l’année, ainsi la transmission du paludisme est pérenne d’où la persistance de cette pathologie à Conakry.
Carte no3 : Proportions du paludisme lié au climat dans les communes à Conakry
Carte 3
La faiblesse du taux de dépendance du paludisme au climat à Ratoma est due à la forte dépendance du paludisme (98%) à la pluie. Or celle-ci est périodique (de mai à novembre), d’où la faible dépendance paludisme-climat dans cette mairie.
Une comparaison des rapports de dépendance palustre à l'exposition climatique, dans les communes, révèle une hétérogénéité. Ces taux sont révélateurs au niveau des liens entre cette affection et chaque élément du climat, mais aussi expressifs en ce sens que le nombre de la population totale de chaque commune a un effet sur ces proportions.
En somme, il existe un lien de corrélation significatif entre la prévalence du paludisme et le climat à Conakry. Mais, la dépendance climatique du paludisme varie selon chaque paramètre et d'une commune à une autre.
 
[1] Formule de la normale climatique = PTA-M (1986-2005) /M (1986-2005)
[2] Direction Nationale de la Météorologie de Guinee
[3] Le test de corrélation varie de -1 à +1, 0 est le centre. Lorsque le coefficient de corrélation tend vers 0, il est de moins en moins significatif. Mais, s'il tend vers -1 ou vers +1, il est de plus en plus significatif. Si le signe du coefficient est positif (+), alors les phénomènes évoluent dans le même sens. Par contre s'il est de signe négatif (-), les phénomènes croisés évoluent dans des sens opposés.   
[4] Dépendance paludisme-pluviométrie
[5] Dépendance paludisme-température
[6] Dépendance paludisme-humidité

Conclusion

À Conakry, le test de corrélation montre l'existence d'un lien significatif entre le climat et le paludisme. En effet, les conditions climatiques dans cette ville sont favorables à la prolifération du paludisme. Cependant, les impacts de chaque paramètre climatique sur la morbidité palustre diffèrent. L'humidité relative et la pluviométrie ont des liens plus significatifs avec cette maladie par rapport à la température. Le risque face au paludisme connait des variations intercommunales où les dépendances de la morbidité palustre aux paramètres climatiques varient d'une commune à une autre. Cette exposition climatique se traduit par une vulnérabilité de la population citadine face à cette pathologie qui varie aussi selon les municipalités.

Références

ACMAD : Centre Africain pour l’Application de la Météorologie au Développement, 2010, « Conditions climatiques et environnementales en Afrique », Bulletin climat et santé, Niamey, Niger, 5 p.
AZONHE Thierry Herve, 2009, Analyse systémique des déterminants environnementaux de la morbidité paludique et diarrhéique chez les populations du secteur agricole dans la dépression des Tchi au sud du Bénin. Thèse de doctorat, Université d'Avomey-calavi, Bénin, 238 p.
BAH Ousmane, SOW Aichetou, BA Hampate, DAHDI Sid Ahmed, LO Baidy, 2019, « Transmission saisonnière du paludisme au niveau de la vallée du fleuve Sénégal : cas de la ville de Kaédi-Mauritanie », The Pan African Medical Journal https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7179359/# Pan Afr Med J. 2019; 34: 185. 
Published online 2019 déc. 6. French. DOI : 10.11604/pamj.2019.34.185.20011
BAMBARA Dasmané, SAWADOGO Jacques, KABORÉ Oumar et BILGO Ablassé, 2019, « Variabilité́ de certains paramètres climatiques et impacts sur la durée des périodes humides de développement végétal dans une station au centre et une autre au nord du Burkina Faso », VertigO, 19 (1). URI : https://id.erudit.org/iderudit/1065431ar, consulté le 7 juillet 2023.   
BESANCENOT Jean Pierre et COHEN Jean Claude, 2004, Les maladies susceptibles d’être influencer par le changement climatique en France : quelles sont les maladies humaines qui peuvent être influencées par le changement climatique en France Métropolitaine et dans l’outre-mer, 208 p.
BESANCENOT Jean-Pierre, 2007, « Changement climatique et impacts sanitaires : une évolution déjà observable ? », AirPur n° 72, p. 13-20.
BERETE Frantoma, 2000,  Analyse critique du processus d’urbanisation de la ville de Conakry, Mémoire de maîtrise en Géographie. Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, 125 p.
BLACK Peter, NUNN Mike, 2009, « Conséquences du changement climatique et des modifications environnementales sur les maladies animales émergentes ou ré-émergents sur la production animale », ACT 2601, Conference OIF 2009, Camberra, Australie p.15-25.
BORDERON Marion, 2016, Entre distance géographique et distance sociale : le risque de paludisme-infection en milieu urbain africain : l’exemple de l’agglomération de Dakar, Sénégal. Thèse de Doctorat Géographie (en Santé Publique), Université Aix Marseille, 290 p.
CARNEVALE Pierre, ROBERT Vincent, MANGUIN Sylvie, CORBEL Vincent, FONTENILLE Didier, GARROS Claire, ROGIER Christophe et ROUX Jean, 2009, « Les anophèles : biologie, transmission du Plasmodium et lutte anti vectorielle ». Marseille, IRD, 45 p.
DANSOU Brice Saturnin et ODOULAMI Léocadie, 2015, « Paramètres climatiques et occurrence du paludisme dans la commune de Pobè, au sud-est du Bénin », Actes du XXVIIIe colloque de l’Association Internationale de Climatologie, Liège, p.129-132.
DIOUF Ibrahim, DEME Abdoulaye, RODRIGUEZ Fonseca Belem, CISSE Moustapha, NDIONE Jean André, GAYE Amadou Thierno, 2015, « Détermination des paramètres du paludisme au Sénégal à partir de données météorologiques de stations et de ré-analyses », Actes du XXVIIIe colloque de l’Association Internationale de Climatologie, Liège, p. 133-139.
DJOHY Gildas Louis, EDJA Ange Honorat et NOUATIN Guy Sourou, 2015, « Variation climatique et production vivrière : la culture du maïs dans le système agricole péri-urbain de la commune de Parakou au Nord-Benin », Afrique SCIENCE 11(6), p. 183-194, 183 ISSN1813-548X, http://www.afriquescience.info, consulté le 7 juillet 2023. 
DOUMBIA Sidy, 2010, Impact du changement climatique sur l’incidence du paludisme au Mali de 1998 à 2007. Thèse de doctorat en Médecin, Université de Bamako, 86 p.
EDS-MICS : Enquête Démographique et de Santé en Guinée à indicateurs Multiples, 2018,  Enquête Démographique et de Santé : indicateurs clés, Conakry, 61 p.
GENSLER Gian et BUCHOT Claude, 1979, « Introduction à la Bioclimatologie. Sensibilités aux changements de temps et au foehn », Revue de géographie alpine, Tome 67, n°3, p. 349-358.
FANE Moussa, 2011, Impact du climat sur l’écologie et la transmission du paludisme : analyse du risque palustre dans le septentrion Malien. Thèse de Doctorat en médecine humaine et pathologie, Université de Grenoble, France, 145 p.
GEORGES Rossi, FONTANA André, BAZZO Didier et LAUFFER Marc, 2001, Atlas info-géographie de la Guinée Maritime, REGARDS-CNRS-IRD, Edition IRD, Conakry, 180 p.
HOUSSOU Christophe Sègbè, BOKO Nouvêma Patrice Maximilien, MEDEOU Fidel Kouassi, VISSIN Expert, GIBIGAYE Martin, 2015, « Types de temps bioclimatiques et santé des populations dans les villes côtières du Bénin », Actes du XXVIIIe colloque de l’Association Internationale de Climatologie, Liège, p. 164-169.
INS: Institut National de la Statistique, 2021, Annuaires statistiques 2020, Ministère du plan et du développement économique, Conakry, 336 p.
INS: Institut National de la Statistique, 2020, Annuaires statistiques 2019, Ministère du plan et du développement économique, Rapport, Conakry, 336 p.
KEDRÉ Ousmane, 2017, La lutte contre le paludisme au Burkina Faso : privilégier une approche éco-santé. Mémoire de Maîtrise en sciences de l'environnement, Université du Québec à Montréal, 106 p.
KOUROUMA Mohamed, 2016, Urbanisation et gouvernance du foncier urbain à Conakry. Mémoire de Master en Géographie. Université General Lansana Conté Sonfonia-Conakry, 125 p.   
MOUCHET Jean, CARNEVALE Pierre, COOSEMANS Marc, FONTENILLE Didier, RAVAONJANAHARY Charles, RICHARD Alain, ROBERT Vincent, 1993, « Typologie du paludisme en Afrique », Cahier santé, 3, p. 220-238.
MSPH: Ministère de la Santé Publique et de l’Hygiène, 2021, Annuaire statistiques sanitaires 2021, Conakry, Guinée, 140 p.
MSPH: Ministère de la Santé Publique et de l’Hygiène, 2018, Annuaire statistiques sanitaires 2017, Conakry, Guinée, 138 p.
MUNKIOMO Wivine Mufuba, 2004,  « Impact des variations climatiques sur la santé publique à Kinshasa », 4 p, https://www.sifee.org.
N’DIAYE Ousmane, HESRAN Jean Yves, ETARD Jean Francois, DIALLO Aldiouma , SIMOUDOU François, WARD Michael Neil et ROBERT Vincent 2001, « Variations climatiques et mortalité dans la zone de Niakhar, Sénégal, de 1984 à 1996 », Revue Cahiers santé, p. 25-33.
NADEGE Martiny, DESSAY Nadine, YAKA Pascal, TOURE Ousmane, SULTAN Benjamin, 2012, « Le climat, un facteur de risque pour la santé en Afrique de l’ouest », Météorologie spéciale A.M.M.A, p. 73-80. Repéré à http://journals.lww.com/neuroreport.
OMS : Organisation Mondiale de la Santé, 2018, Stratégie de coopération en Guinée : un aperçu, 2 p. https://www.nu.org, consulté le 15 mars 2020.
OMS : Organisation Mondiale de la Santé, 2020, Rapport 2020 sur le paludisme, 19 pages. https://www.who.int/teams/global-malariaprogramme/reports.world-malaria-report-2020, consulté le 24 juin 2021.
ORLANE Délias et CLARA Simonny, 2015, « Analyse et cartographie du risque de transmission du paludisme Le Kenya au fil des mois », E.N.S.G, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 27 p.
PIERRAT Charlotte, 2012, « Risque palustre : appréhender la vulnérabilité des individus à l’échelle locale (Sud du Bénin) », Revue Vertigo, 3, vol. 11, p. 22.
PNLP: Programme National de Lutte contre le Paludisme, 2016, Rapport de quantification des intrants antipaludiques 2016-2021. Ministère de la santé publique et de l’hygiène, Conakry, 55 p.
SALEM Gérard et ALBERT Samé-Ekobo, 2001, « Processus d'urbanisation, paludisme et autres maladies à vecteurs », Hypnose médicale View project, p. 191-202, Paris. https://www.researchgate.net/publication/282170304.
VIGNOLLES Cécile, 2014, « Impacts des facteurs climatiques sur la production des vecteurs du paludisme en zone rurale du sahel et stratégies d’adaptation application à la région de Nouna au Burkina Faso », Projet PALUCLIM, Paris, 23 p.

Downloads

Publié

31 Juillet 2023

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2023,, mis en ligne le 31 Juillet 2023. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=290

Numéro

Rubrique

Qui sommes-nous ?