4 |PRATIQUE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES DES STATION-SERVICES DANS LA VILLE DE NGAOUNDÉRÉ : ENTRE RISQUES ET POLLUTION ÉNVIRONNEMENTALE
PRACTICE OF ECONOMIC ACTIVITIES AT SERVICE STATIONS IN THE CITY OF NGAOUNDERE: BETWEEN RISKS AND ENVIRONMENTAL POLLUTION
Mots-clés:
Résumé
Cet article s’inscrit dans le vaste champ d’étude de l’extrême dangerosité des stations-services dans un milieu urbain. En effet, la ville de Ngaoundéré connait une multiplication effrénée des points de distribution des produits pétroliers exposant les citadins à des dangers. La situation sécuritaire est un aspect fondamental qui préoccupe un ensemble d’acteurs concernés dans le fonctionnement général des stations-service. Il s’agit entre autres des gestionnaires de l’environnement, des populations environnantes, des opérateurs des produits pétroliers. Ces dernières représentent une source importante de pollution urbaine au regard des différents déchets produits. C’est dans ce contexte que la présente étude vise à faire un état des lieux de l’impact des stations-services sous l’angle sécuritaire. Cette étude repose sur une méthodologie hypothético-déductive. Des questionnaires ont été administrés à 184 ménages (soit 9 ménages par station qui sont situés à 100 m) au tour de 22 stations-services. L’analyse des données empiriques permet de mettre en évidence les résultats des enquêtes qui montrent que 41% des ménages pensent que l’infrastructure des stations-service est extrêmement dangereuse, 31% très dangereux, 21% moyennement dangereux et 7% peu dangereux. Ces résultats permettent de conclure que les stations-services présentent des dangers sur le plan environnemental et social.
Introduction
La problématique de la sécurité urbaine est un sujet crucial qui interpelle avec acuité toutes les sociétés en pleine urbanisation. Qualifiées de risque industriel, les stations-services sont omniprésentes dans notre vie quotidienne. En effet, la plupart des produits de grande consommation sont issus des sociétés chimiques ou pétrolières qui sont génératrices de risques. Les substances dangereuses utilisées par celles-ci mais aussi les processus de fabrication, de manipulation ou de transport et les conditions de stockage peuvent être à l’origine de phénomènes dangereux. Tous les jours, une grande variété de marchandises dangereuses[1] est transportée dans le monde dont la majeure partie (80%) est destinée à des usages domestiques. Au demeurant, un autre facteur essentiel vient s’ajouter à cela : l’urbanisation autour des industries. Longtemps les populations se sont rapprochées des sites industriels, de nos jours le contraire semble de dessiner avec la ruée des sociétés de distribution des produits pétroliers. Au fil des temps, la coexistence entre les stations de distribution des produits pétroliers et le tissu urbain a parfois conduit à des accidents majeurs aux conséquences dramatiques. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont déployé des investissements juridiques importants en mettant en place des conditions d’exercice du secteur pétrolier et du gaz domestique. Il faut à cet effet répondre à des exigences légales mais surtout disposer d’un certain nombre de structures et des équipements capable d’assurer la manipulation et la maintenance sans risque. C’est le cas des stations-services reconnues pour la distribution au détail des produits pétroliers que sont le super, le pétrole lampant, le gasoil ou encore le gaz domestique.
Depuis la libéralisation du secteur pétrolier en 2000, les sociétés nationales de distribution des produits pétroliers ne cessent de se multiplier dans la ville de Ngaoundéré. En moins de 10 ans, on note à peu près 41 nouvelles stations-service même si le contrôle du marché revient aux multinationales étrangères. Nonobstant la présence des nationaux dans cette distribution, celles-ci réunies ne représentent que 3% environ du volume du carburant vendu chaque mois soit à peu près une moyenne de 4,2 millions de litres sur une demande évaluée à 140 millions de litres (INS, 2013).
La ville de Ngaoundéré s’illustre par une dynamique spatiale des stations-services. De 2005 à 2015 (dix ans), 14 nouvelles structures de distribution de produits pétroliers ont vu le jour dans cette ville de Ngaoundéré, soit le triple de ce qui existait avant la libéralisation (depuis 2000) du secteur pétrolier au Cameroun (Housseini et al 2019). La position charnière et stratégique de la ville de Ngaoundéré a entrainé une dynamique en termes de foisonnement des stations-services modifiant ainsi la configuration de son espace urbain. Dans cette multiplication rapide, celles-ci se localisent cependant proche des maisons d’habitations, des lieux des marchés, des lieux de culte, des établissements d’enseignement, des bâtiments administratifs ; créant ainsi une atmosphère d’insécurité.
Le cadre institutionnel du secteur énergétique camerounais a profondément évolué, consacrant l’option marquée du gouvernement de faire jouer à l’énergie un rôle de plus en plus important dans le développement socioéconomique du pays. En effet, bien qu’ayant été laissé sans organisation véritable pendant longtemps ; l’Etat s’est penché sur l’harmoniser et la gestion rationnelle du secteur pétrolier en mettant en place un instrument dénommé « code pétrolier ». Ainsi, les lois d'organisation insistent principalement sur l’aspect sécuritaire des populations, la lutte contre les déversements des hydrocarbures et la perturbation de l’équilibre environnemental. Il revient pour nous d’analyser la pertinence des critères prévus dans les dispositions réglementaires à l’implantation des stations-service. La santé publique et la protection de l’environnement constituent un champ d'investigation multidisciplinaire. Il s'agit d'un domaine scientifique où interfèrent les connaissances en géologie, en hydrologie, en hydrodynamique, en chimie et en analyse spatiale. Ce domaine est parmi les plus complexes à cause du comportement physico-chimique, du caractère inflammable et de la dangerosité des produits pétroliers. Du fait qu'elles constituent un risque permanent pour l’environnement et la santé publique, les stations de distribution des produits pétroliers sont appelées des Risques Technologiques Majeurs (RTM).
Dès lors, quels sont les facteurs justifiant la multiplication effrénée des stations-services dans la ville de Ngaoundéré? En quoi sa proximité avec les lieux de vente, de marché, des lieux de culte, des lieux de loisirs, des établissements d’enseignement, des bâtiments administratifs et des maisons d’habitations est une source de danger ? En quoi la distribution spatiale des stations-service expose les populations au danger des produits pétroliers ?
[1] On entend par marchandise dangereuse, une matière ou un objet qui par ses propriétés physiques et/ ou chimiques ou bien par la nature des réactions qu’elle peut engendrer est susceptible de provoquer des conséquences graves pour la population, les biens et l’environnement.
Méthodologie
1. Matériel et Méthode
1.1. Présentation de la zone d’étude
Cette étude couvre les trois arrondissements de la ville de Ngaoundéré (Carte n°1). La ville de Ngaoundéré est comprise entre le 7°09' de latitude Nord et le 13°01' de longitude Est sur la dorsale de l'Adamaoua. Chef-lieu administratif de la région de l'Adamaoua, la ville de Ngaoundéré a une superficie de 2177 km2 (DR/AD/MINDUH, 2013, p.3). Elle est composée des trois communes d’arrondissements à savoir Ngaoundéré 1er, Ngaoundéré 2ème et Ngaoundéré 3ème (FEICOM, 2009). La ville de Ngaoundéré avec sa superficie urbaine de 1188,9 km2 est caractérisée par un paysage urbain assez complexe où se juxtaposent deux villes à savoir : la vieille ville et la ville moderne (Nkoumba, 1999, p.23).
Carte n°1 : Carte de densité urbaine de la zone d’étude
Source : PSFE (2013), Google Earth et relevés de terrain. Réalisation : Housseini
1.2. Collecte des données
1.2.1. Observation de terrains
L’observation de terrain a constitué l’un des outils d’investigation permettant de saisir la diversité et la complexité des dangers liés aux stations-services dans la ville de Ngaoundéré. Dans cette étude, il a été nécessaire de mettre en évidence les lieux de déversements spontanés des déchets pétroliers et ses effets induits.
1.2.2.Enquête par questionnaire
Des questionnaires ont été administrés à 184 ménages qui sont repartis autour de 22 stations (soit une moyenne de 9 individus par stations) sur la base de la technique d’échantillonnage raisonné. Les 184 ménages ont été identifiés dans les trois (03) arrondissements, soit respectivement 39, 87 et 58 pour la commune de Ngaoundéré 1er, 2ème et 3ème. Ce sont les ménages riverains aux stations-services enquêtés.
1.2.3. Entretien et interview
Nous avons eu des entretiens avec les maires de trois communes. Lors des entretiens les informations en lien avec la superficie et de la taille démographique de chaque commune ainsi que les traits caractéristiques propres ont été abordées. Des entretiens avec le personnel de la Délégation Régionale de l’Eau et de l’Energie de l’Adamaoua ont aussi été menés. Ici, les informations sont relatives à la date d’implantation des stations, au processus d’implantation et aux différentes caractéristiques de chaque station-service.
Résultats
2. Résultats
Dans cette partie, il est question de mettre en relief les obligations juridiques liées au fonctionnement des stations-services ainsi que les facteurs expliquant la dynamique de ces dernières dans la ville de Ngaoundéré.
2.1. Les obligations juridiques de distribution des produits pétroliers
Ici, il s’agit de mettre en exergue les processus juridiques d’implantation et d’exploitation qui encadrent le fonctionnement des stations-services.
2.1.1. L’agrément pour l’implantation et l’exploitation des stations de distribution des produits pétroliers
Deux arrêtés structurent le processus d’implantation et d’exploitation des stations de distribution des produits pétroliers. Il s’agit respectivement des arrêtés N°01/97/MINMEE du 05 janvier 1998 et N°011/79/MINMEE/DEF du 16 mai 1979. L’article 2 de la loi fixant les modalités d’implantations des stations de distribution des produits pétroliers précise que cette implantation se fait dans le respect des textes régissant le domaine public et la gestion de l’environnement. Ainsi, toute demande d’autorisation d’implantation doit au préalable respecter les conditions liées au domaine public et à la gestion de l‘environnement.
La figure n°1 présente le schéma synoptique (simplifié) des modalités d'implantation des stations-service.
Figure n°1 : Schéma synoptique des modalités d'implantation des stations-service.
Conception : Auteurs
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Une sécurité compromise par la proximité des stations-services
La configuration de certaines stations-services à proximité des lieux de quotidienneté de la population de la ville de Ngaoundéré laisse percevoir un sentiment d’insécurité inhabituel. Les populations sont impuissantes face à un danger permanent qu’elles observent et s’interrogent sur la responsabilité des services compétents. Deux stations-services notamment Bocom /Tongo et Tradex /gare, permettent de saisir la complexité de la sécurité de la ville du fait de la proximité. La planche photo n°1 illustre à travers les stations-service Bocom et Tradex la promité que ces dernières sont des lieux de concentration humaine.
Planche photo n°1 : Stations-services à proximité des lieux de concentration humaine
X= 13,583449° Y= 7,324799° Z= 1131 m X= 13,58789° Y= 7,33801° Z=1100 m,
Clichés Housseini, 2015.
Ces deux images montrent la localisation de deux stations-services à proximité des lieux de quotidienneté des habitants de la ville de Ngaoundéré. Sur l’image de droite, nous avons la station-service Tradex au niveau de la gare voyageur. Celle-ci est implantée en bordure de la Nationale N°1 où un certain nombre d’activités y sont menées où l’on peut identifier une agence de voyage (Narral voyage). L’image de gauche quant à elle présente la station-service Bocom au niveau du petit marché dans le quartier Tongo.
La proximité des stations-service à proximité des lieux de quotidienneté des populations urbaine compromette la sécurité générale des personnes présentes sur les lieux.
2.2. Perception de l’échelle de danger
La disposition spatiale des stations-services présente un danger particulier surtout que le rapport de proximité avec le voisinage devient plus perceptible et inquiétant. Il s’agit à cet effet de la conséquence du non-respect des distances sécuritaires telles que établies par le décret encadrant ce secteur. Ceci dit, les dommages peuvent être importants notamment sur le plan humain, écologique, économique et social.
Afin de mieux situer la dangerosité des stations-services, la relation[1] ci-dessous permet de faire une parenthèse sur le produit super[2] :
Afin de situer le niveau de sécurité des stations-services de manière générale, cet article vise à dresser une échelle de perception sur laquelle le chef de ménage exprime son avis. Quatre catégories des dangers ont été identifiées (du plus dangereux au moins dangereux). Ainsi, les enquêtes auprès de 184 ménages présentent une diversité de points de vue qui tient compte de la sensibilité de chacun. La figure n°2 présente l’échelle de perception des dangers perçus par les ménages proches des stations-services.
Figure n°2: Échelle de perception des dangers perçus
Source : enquête de terrain, 2022
A travers la figure 3, les avis sont divers et dépendent du degré de sensibilité de chaque ménage. En effet, 41% des ménages pensent que l’infrastructure des stations-service est extrêmement dangereux, 31% très dangereux, 21% moyennement dangereux et 7% peu dangereux.
2.2.1. Le dispositif de sécurité : un critère déterminant à observer
Les stations-services font parties des établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes selon la loi N°98/015 du 14 juillet 1998. Ainsi, plusieurs installations font partie des dispositions de la présente loi parmi lesquelles les dépôts, les chantiers, les installations industrielles artisanales ou commerciales exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et qui présentent ou peuvent présenter soit des dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, l’agriculture, la nature et l’environnement en général, soit des inconvénients pour la commodité du voisinage. Article 17 :(1) pour la préservation soit des dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, l’agriculture, la nature et l’environnement en général, soit des inconvénients pour la commodité du voisinage, des prescriptions additionnelles peuvent en cas de besoin être édictées contre les inconvénients inhérents à l’exploitation d’un établissement de deuxième classe.
De manière déterminante, les dispositifs de sécurité concourent à la sécurité des installations de la station de distribution des produits pétroliers. L’aspect sécuritaire est l‘élément crucial de toute société de distribution des produits pétroliers (sécurité incendie, lutte contre les déversements des hydrocarbures). Il est donc nécessaire de prendre en compte la dimension sécuritaire tout au long de la chaîne partant du point de ravitaillement jusqu’au point de distribution. Pour la sécurité, les stations-services disposent des extincteurs (a), le bac à sable(b), les consignes de sécurité(c), le mur par feu. Par exemple les extincteurs présents dans les stations-service de la ville de Ngaoundéré sont de deux ordres : ABC à poudre et à CO2. Ils permettent de prévenir les incendies. La planche n°2 photo présente les dispositifs de sécurité dans une station-service.
Planche n°2 photos : Dispositifs de sécurité
X=13,56687°Y=7,37317° Z= 1096 m.
Les images ci-dessus montrent les différents dispositifs de sécurité qui doivent caractériser les stations-services. Afin de mieux récapituler ces dispositifs, deux sites des stations-service ont été retenus : les stations-services Pétrolex et Tradex au quartier Madagascar. Il s’agit de l’extincteur (A), du bac à sable (B) et des consignes de sécurité (C). Ces dispositifs vont de la distribution au dépotage. En effet, l’extincteur est un outil utilisé dans la prévention de dangers en cas d’incendie ; par contre les bacs à sable servent à imbiber la surface ayant subie un déversement des produits pétroliers.
2.2.2. Facteurs de la dynamique des stations de distribution des produits pétroliers
2.2.2.1. La croissance urbaine
La croissance urbaine avec l’extension spatiale est l’un des facteurs explicatifs de la dynamique des stations-services. Ainsi, plusieurs interprétations entrent en jeu dans cette justification de la dynamique des stations-services. La plus simpliste est que le niveau de vie à augmenter à Ngaoundéré. Mais une analyse profonde permet de comprendre cette connotation impulsée par la croissance démographique qui se caractérise par l’augmentation de la consommation des produits pétroliers dans tous les secteurs. Afin de mieux apprécier cette dynamique actuelle, il est impérieux de faire un bref état de la consommation dans les années antérieures. Le pétrole était la source principale d’énergie dans la ville de Ngaoundéré dans la décennie 50 (Nkutchet, 2004). Plus l’espace urbain augmente plus le cadre d’aménagement des infrastructures connaît des améliorations tant au niveau des lieux d’habitation qu’au niveau des infrastructures des stations-service. La dynamique des stations de distribution des produits pétroliers dans la ville de Ngaoundéré est réelle (Carte n°2).
Carte n°2 : Carte de localisation des stations-services de la ville de Ngaoundéré
Source : BD SOGEFI (2022), Réalisation : Housseini
2.2.2.2. Ngaoundéré : pôle d’échange et densification du réseau routier
La position charnière entre le Sud et le Nord, est un élément justificatif de la dynamique observée dans la ville de Ngaoundéré au niveau des points de distribution des produits pétroliers. Cette ville est un passage obligé des automobilistes et la route joue un rôle prépondérant dans cette dynamique de support des activités et d’implantation des infrastructures. La route nationale N°1 Ngaoundéré-Garoua est un élément catalyseur dans le brassage des échanges tant régionaux que sous régionaux. Cet état de chose fait qu’on assiste à un trafic routier qui se densifie dans le temps. Il est important de préciser que la route est plutôt un support favorisant l’implantation des stations de distribution car son implantation est liée à la position géographique de la clientèle qui obéit aux lois de la concurrence. C’est dans ce sens que Kamberé (2008) montre que le facteur majeur pour lequel les stations-services sont implantées est d’abord économique dont l’objectif est la recherche du lucre. Le milieu de distribution des produits pétroliers est donc un milieu de concurrence à outrance. Cependant, un constat pertinent se dégage : La distribution des produits pétroliers à Ngaoundéré va en contradiction avec l’état de la route. Dès lors, que font les municipalités taxes qui sont prélevées concernant la dégradation de la chaussée ? Toute analyse faite, la taxation des hydrocarbures est un phénomène très compliqué qui ne relève pas uniquement des municipalités mais plutôt de la fiscalité globale.
2.2.2.3. Le dynamisme du parc automobile
Le parc automobile de Ngaoundéré a connu une augmentation remarquable entre les années 2004 et 2011. Selon les données issues de l’estimation de l’immatriculation des véhicules dans la ville de Ngaoundéré, les camions par exemple ont connu une augmentation de 4,05 entre 2004 et 2011. L’automobile joue donc un rôle crucial dans la consommation des produits pétroliers. Plus le parc automobile est élargi et diversifié, plus la demande en produits pétroliers est élevée.
2.3. Catégories de risques
2.3.1. L’insécurité routière causée par la configuration spatiale des stations-services
De manière générale, l’insécurité routière est causée par un certain nombre de facteurs classiques. Il s’agit entre autres du mauvais état de la voirie, de la faible emprise routière, de la prolifération anarchique des activités à proximité des routes et de la mauvaise gestion des flux de trafic (défaut des panneaux de signalisations par exemple). A côtés de ceux-ci, vient se greffer un nouvel élément caractéristique des manifestations d’insécurité routière qu’est la configuration spatiale des stations-services. Celles-ci, de par leur proximité à la voirie urbaine (quatre mètres en moyenne) accentuent le phénomène d’embouteillage qui existe déjà.
2.3.2. Pollution environnementale due aux déversements des déchets pétroliers
La pollution environnementale autour des stations-services se caractérise par des déversements des déchets pétroliers.
Le déversement se définit comme toute pollution, dépôt direct ou indirect de déchets pétroliers issus des activités de la station-service susceptible d’altérer la qualité de l’environnement (eaux de surface, couvert végétal) et du voisinage. En effet, le déversement est le facteur le plus visible et le plus manifeste des activités de distribution des produits pétroliers qui se caractérise par un défaut de gestion des huiles usées. Il est également l’un des aspects manifestes de l’insécurité des stations de distribution des produits pétroliers. En revanche, au-delà de la vente classique des produits pétroliers, cette gestion des huiles est l’aspect le plus opaque qui échappe aux opérateurs pétroliers et au contrôle des gestionnaires de l’environnement. Les opérateurs des stations-services sont plus occupés par le capital financier que la protection de la biodiversité urbaine et périurbaine. Ceci dit, la nature des déchets pétroliers est variée (notamment les huiles de vidanges). Il s’agit entre autres des déchets plastiques (les scellés) ; les déchets dangereux issus des manutentions des véhicules (batteries usées, éponges ayant été utilisées dans le nettoyage des produits pétroliers). Les huiles usées contiennent des éléments qui font qu’elles sont peu biodégradables, d’où la nécessité de les recycler. Il est recommandé de ne pas jeter les huiles de vidange dans les égouts, les caniveaux ou la nature. Selon les spécialistes (INERIS, 2013), un litre de cette huile peut couvrir 1000 m2 d’eau. La photo n°1 présente un état de déversement des huiles usées dans la station-service MRS en face de la SCDP
Photo n°1 : Huiles usées déversées au sol caractérisant l’assèchement du couvert végétal
X=13,57039° ; Y= 7,36190° ; Z= 1085 m
La photo 1 présente un état de déversement des huiles usées dans la station-service MRS en face de la SCDP. Nous avons en avant-plan un dépôt de boue pétrolière reconnaissable par sa couleur noir autour desquels se dressent quelques herbacés asséchés, témoignage des dégâts des dits-déversements. Cet asséchement nous laisse croire de la dangerosité des produits pétroliers qui ont des effets dommageables pour le couvert végétal.
2.3.3. Les dispositions Camerounaises de lutte contre les déversements des déchets d’hydrocarbures.
Le cadre juridique et réglementaire du sous-secteur des hydrocarbures envisage des aspects contraignants en matière de santé, de sécurité des personnes et des biens, et de protection de l’environnement. Par exemple, le décret d’application du code pétrolier crée, à son article 62, un Comité de protection contre la contamination due aux hydrocarbures qui a pour mission d’assister le Gouvernement dans l’application de la législation et de la règlementation en vigueur en matière de protection de l’environnement et de sécurisation des opérations pétrolières. Par ailleurs, d’après l’arrêté n° 022/MINMEE du 28 septembre 2001 précisant certaines conditions d’exercice des activités du secteur pétrolier aval, l’obtention d’un agrément pour l’exercice d’une activité dans le secteur pétrolier aval est subordonnée à la justification des moyens pour assurer le recyclage des déchets d’hydrocarbures et une formation du personnel sur le module dénommée « Module de Sécurité et Environnement » qui porte, entre autres, sur :
- Les propriétés physico-chimiques des produits pétroliers ;
-Les effets des produits pétroliers sur la santé humaine, l’environnement et l’écosystème ;
- Les mesures préventives de protection ; les mesures curatives ;
- La gestion des déchets d’hydrocarbures.
D’autres textes tels que l’arrêté N°006/PM du 12 janvier 2009 fixant les règles techniques et de sécurité relatives à l’implantation, à l’aménagement et à l’exploitation des dépôts de stockage et des centres emplisseurs de Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL) ou encore la loi n°98/015 du 14 Juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes exigent la mise en place d’un système de sécurité, de prévention d'accidents et de plans d'urgence à adopter en cas de sinistre ou de menace de sinistre présentant un danger pour l'environnement et la sécurité des populations et des biens.
2.3.4. Le risque d’incendie : un sentiment d’insécurité
Le risque se définit comme le produit de deux termes à savoir l'ampleur de l'impact et la probabilité d'occurrence. En ce qui concerne le RTM, quatre critères rendent compte de la gravité d'un événement majeur. Une première caractéristique concerne l'ampleur des phénomènes. Ces derniers sont très étendus dans l'espace. C’est dans ce sens qu’Andurand (1999) déclare dans le contexte des RTM que « des quartiers, des villes entières peuvent être concernées ». Le second critère fait référence à l'importance des dommages humains. En effet, les victimes sont très nombreuses et Lagadec (1981) emploie à ce sujet le terme « d’hécatombe ». Vient se rajouter à cela, l'ampleur temporelle des atteintes, car un tel risque fait planer la menace non seulement sur les vivants, mais sur leur descendance (Lagadec, 1981). Enfin, dans le cas d'un accident majeur, les enjeux sont multiples et les implications sont à la fois sociales, économiques et écologiques. Ce qui rend par ailleurs la gestion de la crise fort complexe en raison du grand nombre d'intervenants.
De ce qui précède, les sources d’incendie potentiel des stations-services sont liées à l’activité principale de distribution des produits pétroliers notamment au niveau de la zone de distribution (pompes) et de dépotage (cuves). Les risques d’incendie dans les stations-services sont dus à une source d’inflammation lors de la livraison et de la distribution. Ils se manifestent donc par les fuites et les déversements de produits inflammables. Parmi les sources d’inflammation, sans être exhaustif l’on peut citer : les étincelles produites par l’accumulation d’électricité statique[3], les éclairs et les flammes nues. Afin de mieux appréhender le sentiment d’insécurité dans la ville de Ngaoundéré, les études de terrain ont montré que le risque d’insécurité est le risque le plus craint. C’est dans ce sens que 62% perçoivent le risque d’incendie comme une menace permanente, ce qui confère aux stations-services, un lieu d’une extrême vulnérabilité.
[1] Il s’agit de la relation mise en évidence par Meva’a Abomo Dominique dans son article intitulé : logiques d’Aménagement des marches urbains ou construction du risque environnemental dans les villes du tiers-monde : l’exemple du marché Mboppi à douala (Cameroun), laboratoire de recherche en géographie, université de douala.
[2] Le choix de ce produit se justifie par son degré de volatilité élevé que les autres produits pétroliers tels que le pétrole lampant, le gasoil ou même le gaz domestique. D’après les personnels de la SCDP, il s’agit du produit qui nécessite plus de précaution et donc extrêmement dangereux.
[3] L'électricité statique peut être générée par des liquides en mouvement en contact avec d'autres matériaux, notamment des canalisations et des citernes à combustible pendant le chargement ou le déchargement du produit.
Conclusion
En définitive, l’étude portant sur la pollution environnementale des infrastructures des stations de distribution des produits pétroliers s’est fixée pour objectif principal de cerner l’impact des stations-services dans la ville de Ngaoundéré. En effet, le secteur de la commercialisation des produits pétroliers est encadré par deux arrêtés principaux. Le premier arrêté concerne le processus d’implantation (celui du 05 janvier 1998) et le deuxième concerne le processus d’exploitation des stations de distribution des produits pétroliers (celui du 16 mai 1979). En dépit de l’existence des dispositions juridiques, l’applicabilité des textes pose encore des soucis. De plus, la proximité des stations-service près des habitations compromette la sécurité générale des personnes présentes sur les lieux. Raison pour laquelle, le non-respect des distances sécuritaires prédispose les citadins à une série des risques et dangers. D’ailleurs, les avis des populations sur la perception du danger révèlent quatre catégories des dangers allant du plus dangereux au moins dangereux. En effet, 41% des ménages pensent que l’infrastructure des stations-service est extrêmement dangereux, 31% très dangereux, 21% moyennement dangereux et 7% peu dangereux. De manière générale, il ressort que les stations-services présentent une double conséquence à savoir : environnementale et sociale. Spécifiquement, sur le plan environnemental, La pollution environnementale des stations-services s’illustre par des déversements des déchets pétroliers.
En bref, la caractérisation des dangers a permis de saisir et d’étudier les différents risques réels que celles-ci peuvent engendrer dans une ville en pleine extension. D’où l’urgence d’une attention particulière des pouvoirs publics.
Références
CHRISTINE Johnson, 2010, « Contribution à l’amélioration de la politique de distribution des produits pétroliers de l’opérateur chevron au bénin", in Université d’Abomey-Calavi, 68 p.
ERIC Duchemin, 2015, « Vulnérabilités environnementales : perspectives historiques », Vertigo, pp.10-15.
FAYEZ Boctor et RENAUD Jacques, 2001, Nouvelles approches pour l’approvisionnement des stations-service, CRSNG (Canada), 30 p.
HOUSSEINI.Vincent, 2019, « Distribution des produits pétroliers et dégradation de l’environnement à N’Gaoundéré (Nord-Cameroun) », 2019.In Revue Ivoirienne de Géographie des Savanes, Numéro 6, ISSN 2521-2125, 250-476p.
NGODI Etanislas, 1999, Pétrole et géopolitique en Afrique Centrale : Défense, Stratégies et Relations Internationales, L’Harmattan, 105 p.
NGUENDO YONGSI .Blaise, SALEM Gérard, BRUNEAU Jean Claude, 2008, « Épidémiologie géographique des maladies diarrhéiques à Yaoundé (Cameroun) », in Mappemonde, n° 89, pp. 4-7. URL: http://mappemonde.mgm.fr/num17/articles/art08102.html
NKUTCHET Modeste., 2004. L’énergie au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 125 p.
WETHE Joseph, RADOUX Michel et TANAWA Emile, 2003, « Assainissement des eaux usées et risques socio sanitaires et environnementaux en zones d’habitat planifié de Yaoundé (Cameroun) », Vertigo - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 4, pp. 15-22.
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Publié
31 Juillet 2023
Comment citer
Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2023,, mis en ligne le 31 Juillet 2023. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=293
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