ACTES DE COLLOQUE 2024 : ACTES DE COLLOQUE 2024

12 |ACTIVITES PORTUAIRES ET SANTE DES TRAVAILLEURS AU PORT D’ABIDJAN

PORT ACTIVITIES AND WORKERS HEALTH AT THE PORT OF ABIDJAN

Auteurs

  • Kanga Konan Victorien Maître-Assistant konanvicky07@gmail.com, Université Félix Houphouet Boigny

Mots-clés:

Abidjan| activités portuaires| santé| travailleurs| port|

Résumé

Le milieu portuaire regorge de plusieurs activités entre autres ; la manutention, le remorquage, la consignation, le transit, la logistique, l’avitaillement, le carénage, le transport, le magasinage, l’entreposage etc. Ces activités sont exercées par des travailleurs qui sont présents à divers niveaux et exécutent les taches partant des plus difficiles aux plus accessibles. Mais, aussi des plus contraignantes aux moins contraignantes. Les conditions de travail s'inscrivent aussi des plus mauvaises au plus aisées. Les types d’activités et les conditions de leur pratique peuvent nécessairement affecter la santé des travailleurs. Cette contribution a pour objectif de montrer comment les activités exercées au port d’Abidjan influencent la santé des travailleurs. En nous appuyant sur une méthodologie qui prend en compte la recherche documentaire, les enquêtes sur le terrain, les entretiens, les interviews et la discussion de groupe. Les résultats montrent que plusieurs facteurs dans les milieux portuaires et maritimes influencent la santé des travailleurs. Les conditions de travail parfois difficiles, le manque de repos, l’absence de mesure de protection dans les magasins, l’excès de travail et les activités de manutention du ciment nuisent à l’environnement et à la qualité la vie. Le mauvais traitement des minerais pollue l’espace portuaire et les travaux d’aménagements portuaires influencent l’espace immédiat du port. Tous ces éléments impactent la santé des travailleurs en zone portuaire. Cependant, un apport de mesures idoines contribuerait à la protection des travailleurs dans le milieu des activités portuaires.

Introduction

Les ports en Afrique et partout ailleurs dans le monde sont les lieux d’exercice de nombreuses activités. Des ports industriels jusqu’aux ports de commerce en passant par les ports de plaisance la tenue des activités donne des physionomies typiques aux environnements portuaires. En Côte d’Ivoire, le port d’Abidjan se présente comme un port industriel car ayant des zones exclusives aux activités industrielles avec parfois des conséquences sur l’environnement immédiat. D’une superficie d’environ 800 hectares, la zone industrialo-portuaire d’Abidjan (ZIP) abrite à elle seule plus de 60 % des industries du pays, tournées pour la plupart vers les activités portuaires (PAA, 2016, p. 37). Le domaine portuaire d’Abidjan renferme des petites activités économiques sources majeures de production des déchets (ANDE, 2006, p. 37). Le port se présente également comme un port de commerce à travers toutes les infrastructures commerciales disponibles telles que les terminaux spécialisés, les équipements de manutention performants, le deuxième terminal à conteneurs etc. Le port est un véritable écosystème qui fourmille d’acteurs divers pour former tous les maillons de la chaîne logistique. Car pour qu’un navire accoste sans encombre, il faut compter sur la capitainerie mais aussi mettre en branle les opérations de remorquage, pilotage ou encore les opérations d’assistance à l’amarrage. Sur le quai, interviennent ensuite les manutentionnaires pour décharger les marchandises ou les charger, avant que des opérateurs accueillent ces marchandises dans les entrepôts. Par la suite les transporteurs routiers et ferroviaires prennent la relève, assistés par les transitaires pour organiser ces chaînes logistiques. Les acteurs portuaires pratiques des activités qui partent des plus contraignantes aux plus aisées depuis le traitement, le conditionnement et la manipulation de la marchandise. Ces types d’activités et les conditions de leur pratique peuvent nécessairement affecter la santé des travailleurs. Les activités portuaires sont essentielles pour le commerce mondial, mais elles peuvent également présenter des risques sanitaires. Vu l’expansion du transport maritime avec le transit, le transbordement, le stockage et la transformation de la marchandise. A cela j’ajoute les risques industriels du moment où le port est devenu un site industrialo-portuaire, concentrant des activités souvent à risques (V. DIARRASSOUBA, 2008, p 45). Ainsi, en tenant compte de l’approche globale de la sécurité avec des règlementations dévolues à des activités et qui ne sont forcément pas respectées (V. KANGA, 2023, p 25)
L’objectif de cette étude est de montrer comment les activités portuaires influencent elles la santé des travailleurs au port d’Abidjan. La question qui soutient cette contribution est la suivante : Quel est l’impact des activités portuaires sur la santé des travailleurs au port d’Abidjan ? Pour répondre à cette préoccupation et atteindre l’objectif assigné à cette étude nous nous proposons d’utiliser la méthodologie suivante.

Méthodologie

1. METHODES ET OUTILS

1.1 Présentation de la zone d’étude

Le domaine portuaire d’Abidjan est vaste et s’étend sur plusieurs hectares en eau et sur terre. Il est à cheval sur trois communes d’Abidjan, en l’occurrence Treichville, Plateau et Port-Bouët (figure1). Chacune de ces communes abrite un certain nombre d’équipements bien spécifiques. L’espace portuaire comprend au total 1 860 ha de domaine terrestre et de plan d’eau répartis comme suit : 860 ha de domaine terrestre et 1 000 ha de plan d’eau. En plus de cet espace, le port d’Abidjan s’étend également sur 15 ha d’entrepôts de stockage couverts de 35 ha de terre-plein, six km de quais (7 à 11,5 m de T.E) et six terminaux spécialisés (à conteneurs, fruitier, minéralier, pétrolier, de bois et de pêche). Tout cet espace est divisé en trois zones spécifiques : la zone sous douane, la zone hors douane et les réserves foncières du port.
La carte n°1 ci-dessous présente ce domaine portuaire.

 

 

Cette figure nous présente le domaine portuaire d’Abidjan avec toutes ses composantes majeures, en l’occurrence les zones sous douane et hors douane, l’espace industriel, les réserves foncières destinées à la future extension du port, les différents bâtis du port ainsi que les zones d’habitation et les routes. Par ailleurs, nous pouvons y identifier les différentes communes qui abritent le port. Au total, l’espace du port d’Abidjan est relativement vaste. Ce qui a permis aux autorités portuaires de le subdiviser en trois zones distinctes dont une faisant office de réserve foncière et chacune de ces zones est soumise à différents types d’activités.

1.2 Méthodologie

La méthodologie utilisée afin d’atteindre l’objectif fixé s’est appuyée sur la recherche documentaire dans les bibliothèques et internet, des enquêtes de terrain pour des données d’appréciables et quantifiable et cela appariée à une observation directe. 
En effet, la recherche documentaire a été effectuée dans les bibliothèques de l’Institut de Géographie Tropicale (IGT), de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), du centre de documentation du Port Autonome d’Abidjan (PAA). Dans les centres de santé de la zone portuaire (Sempa-Bmod, Centre médical de la communauté portuaire, le centre médical des manutentionnaires et la clinique Sainte Etoile de la zone portuaire). Des données statistiques sur les répartitions travailleuses malades et pathologies ont été recueillies à partir de ces centres et du chu de Treichville et de l’hôpital de Port- Bouët. Les sources consultées sur le réseau internet ont permis d’obtenir des informations très intéressantes et diverses sur les maladies récurrentes dans les milieux portuaires.
L’enquête de terrain s’est déroulée de juin 2024 à juillet 2024 et a mobilisé la méthode du choix raisonné. Ainsi, des centres de santé, des corps de métiers et des activités ont été choisies selon que ces activités soient exercées dans des conditions contraignantes ou aisées. (Voir tableau 1).

Tableau n° 1 : Les centres de santé selon critères socio- professionnels

 

Source : enquêtes centres de santé portuaires, PAA, 2024

 

Au total, 234 patients ont été interrogés au cours de notre enquête. D’où 36 Dockers, 10 Palanistes, 63 ouvriers, 24 Transporteurs, 18 Transitaires, 15 Consignataires, 26 Manutentionnaires et 38 agents de bureau. Toutefois, la sélection de ces patients a été faite de manière aléatoire.
Plusieurs formes d’enquêtes, à savoir l’enquête par questionnaire, les entretiens individuels, interviews de groupe et les observations directes ont été menées.
L’enquête par questionnaire a été mémés avec les chefs d’équipes de quart à partir des fiches d’enquêtes. Elle s’est intéressée aux caractéristiques socioprofessionnelles et aux conditions de travail des ouvriers et manœuvres sur les lieux d’exercice (magasins et entrepôts) des patients des centres de santé portuaires.
Les entretiens ont permis de recueillir des données auprès de certains responsables des centres de santé portuaires, des CHU de Treichville et l’hôpital de Port-Bouët. Il s’agit des taux de fréquentation des patients, des types de maladies, des conditions de contractions et des modes de traitements etc. Des entretiens également avec le chef service et des cadres du département management de l’environnement, de la santé et de la sécurité au travail du port Autonome d’Abidjan (DMESST).
Les interviews de groupe avec les responsables des syndicats des dockers et des travailleurs ont porté sur la question des activités pratiquées par ces derniers, le temps de travail, les dispositions sécuritaires sur les lieux de travail, la nature des produits manipulées pendant les conditionnements et les conséquences sur la santé des travailleurs.
L’observation sur le terrain a consisté essentiellement à parcourir les différentes zones pour identifier les sites susceptibles d’être des zones pathogènes, décrire les types d’activités et les localiser. Les instruments et matériels de travail utilisés sont : un bloc-notes, un appareil photo pour les prises de vue, un GPS pour la géolocalisation.
Divers logiciels ont été utilisés à savoir, Microsoft Excel pour les tableaux et graphiques, Publisher Manager pour le traitement des photographies, Microsoft Word pour le traitement de texte et Adobe Illustrator CS 11 pour la confection des cartes.
Toute cette méthodologie a permis de présenter les résultats suivants.

Résultats

2-RESULTATS

2.1-Typologie des activités et Les zones d’activités vulnérables

Le milieu portuaire et maritime renferme une multitude d’activités qui sont pratiquées en divers lieux.
2.1.1-La typologie des activités
Le milieu portuaire regroupe plusieurs activités qui sont les suivant. 
La manutention qui est l’ensemble des opérations de chargements et de déchargement des navires dans les ports de commerce y compris toutes les opérations y afférents dans la zone portuaire à savoir les empotages, les dépotages, la palettisation etc. Le remorquage qui est une activité ayant pour but de guider, de tirer et pousser les gros bateaux, entrant et sortant des ports. Il est effectué à l’aide de remorqueurs qui aident en particulier les navires à l’accostage. C’est une activité délicate demandant des efforts et de la prudence.
La consignation consiste à la représentation des armateurs vis-à-vis de tous les autres acteurs portuaires dans les ports lors de l’escale d’un navire. Elle aide à la préparation de l’escale du navire et agit pour les besoins du navire et de l’équipage (préparation de la marchandise, ravitaillement etc.).  Le transit, c’est la représentation des chargeurs auprès de l’administration des douanes. Il consiste à planifier l’importation et l’exportation des marchandises c’est-à-dire le passage de la marchandise. Quant à la logistique, elle consiste à mettre en place l’ensemble des principes et moyens techniques de ravitaillement et de soutien organisés pour le succès d’une opération dans le port et le transport maritime. L’avitaillement est l’opération qui a pour but de faire le plein de tous les éléments nécessaires pour assurer la sécurité du navire (source d’énergie) la restauration et la survie de l’équipage à bord du navire. Le carénage, se présente comme une activité qui a pour but le nettoyage et la réparation de la coque des navires. Ce sont en somme toutes les activités qui visent à apporter une assistance mécanique au navire en passage dans un port et sous la demande du capitaine. Le transport, c’est l’action d’acheminer des personnes ou des biens d’un lieu à un autre au moyen d’équipements particuliers (camions, trains, navires, voitures, etc.) dans un but économique ou commercial. L’amarrage est une activité qui consiste à l’immobilisation d’un navire à quai au moyen d’un cordage à l’inverse le désamarrage est le départ du navire du quai après avoir levé le cordage. Dans les ports ivoiriens c’est deux activités sont regroupées dans le lamanage, un terme qui désigne l’ensemble des opérations d’assistance à l’amarrage, au désamarrage des navires et également de leur mouvement (changement de poste à quai) à l’intérieur du port. Les lamaneurs sont des marins spécialisés.  Le magasinage et l’entreposage, ce sont des activités qui consistent au dépôt ou stockage momentané de marchandise dans un lieu donné. Lorsque le lieu en question est un magasin on parle de magasinage et lorsque c’est un entrepôt on parle d’entreposage. Les marchandises stockées sont mises en sécurité pour attendre l’exportation ou réservées pour être livrées aux clients retardataires après importation et dédouanement. Le stockage des marchandises ne résistant pas aux intempéries se fait dans les magasins, les entrepôts ou les hangars. Celles résistantes et non périssables sont stockées sur des surfaces libres. Il y a également le groupage qui consiste en la réunion de marchandises destinées à être acheminer vers un même lieu. Le groupage concerne toutes les formes de marchandises.
Toutes ces activités mobilisent une main d’œuvre importante composé de dockers, d’ouvriers divers, d’agents de terrain et de bureau qui fourmillent dans tous les compartiments de la zone portuaire. Et ce pour permettre un fonctionnement optimal de la zone portuaire.
 2.1.2 Les zones d’activités vulnérables
En fonction des équipements et infrastructures, on peut distinguer des entités spatiales polyvalents et des entités spatiales spécialisées. Les entités spatiales polyvalentes sont le lieu d’activités portuaires diverses. Les entités spatiales spécialisées quant à elles accueillent deux grandes formes d’équipements qui sont les quais ou les parcs et les terminaux. Cependant, c’est la règlementation douanière qui structure le mieux le domaine terrestre du port. En effet, sur une superficie de 800 hectares ce domaine se repartie en espace sous-douane et en espace hors douane.
-L’espace sous douane comprend les installations situées à l’intérieur de l’enceinte douanière et celles qui s’y rattachent. Il coïncide avec la zone commerciale du port et s’étend sur 3,260 km de long. Il renferme les quais Nord, Ouest et Sud qui constitue le port de commerce. Les magasins-cales se localisent dans l’espace sous-douane et servent de lieux de stockage et de conditionnement. Entre ceux-ci et les quais d’accostage se trouvent les terre-pleins qui sont des espaces non couverts situés entre les magasins cales et les quais. Les terre-pleins reçoivent les activités de manutention, la conteneurisation et servent au stationnement.
-L’espace hors-douane est le plus étendu c’est là où se déroulent toutes les activités économiques relatives aux activités portuaires et au trafic maritime. Il s’y localise les différents types d’industries, les sociétés maritimes et divers autres services. Cet espace hors-douane peut se subdiviser en plusieurs zones dont les principales sont les suivantes : La zone des entrepôts ou les sociétés maritimes font du groupage et les activités de traitement de la marchandise. La zone du port de pêche qui reçoit toutes les activités liées à la pêche au port d’Abidjan. Et la zone de Vridi qui est l’espace industrielle par excellence du port d’Abidjan avec le site des industries navales, le site des hydrocarbures et le site de la zone industrielle de Vridi. 
Ces espaces constituent les lieux de prédilection des activités portuaires. Sur la carte 2, nous observons de façon distincte ces différentes zones et sur ces espaces d’exercices des activités où certains facteurs peuvent être sources de fragilisation de la santé des travailleurs.

Carte n° 2 : Les zones d’activités vulnérables au port d’Abidjan

 

 

2.2- Les facteurs influençant la santé des travailleurs au port d’Abidjan

Les activités portuaires pratiquées dans une certaine mesure et dans des conditions peu recommandables influencent la santé de ceux qui l’exercent soit directement ou indirectement Les acteurs de la place portuaire sont soumis à plusieurs facteurs dans cet environnement toujours en mouvement et qui peuvent agir sur la santé de ceux-ci. Au nombre de ces facteurs, cette étude étale les suivants.
2.2.1-Les conditions de travail difficiles
Le port fonctionne 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, ce fonctionnement continu et régulier est dû à une permanence des travailleurs sur la place portuaire. Pour rentrer dans les délais et éviter aux navires de perdre du temps dans le port, ce sont plusieurs acteurs et services qui sont en activités. Depuis les administrations portuaires et douanières passant par les sociétés maritimes prestataires de service jusqu’aux dockers et ouvriers, c’est une chaine d’activités et de travailleurs qui sont mobilisés. Au niveau des Dockers et ouvriers sur les navires, selon le mode conditionnement, la manutention varie. Le type le plus difficile demandant assez d’effort physique est le mode par pré-élingage où les dockers doivent disposer dans les cales des navires des sacs de marchandise (café, cacao, anacarde) pesant entre 50 et 100 kilogrammes pour atteindre des milliers de tonnes. Au niveau des quais la préparation des palettes est également une activité qui sollicite un nombre important de dockers vue la hardiesse des opérations.  Quel que soit la marchandise à transporter les odeurs restent à désirer dans les cales des navires. Les conditions de travail sont difficiles pour ces ouvriers qui sont obligés de faire des heures supplémentaires pour éviter les ruptures. Cela occasionne le manque de repos ayant pour conséquence des maladies liées à la fatigue générale. Les photographies 1et 2 présentent des équipes de dockers en activités sur les quais pour le chargement de navire.

Photo n°1 : Manutention par pré-élingage Photo n°2 : Manutention par palette

 

Source : Enquêtes de terrain PAA, 2024

2.2.2-L’absence de mesures de protection dans les magasins et entrepôts
Dans les magasins et entrepôts sont stockés plusieurs types de marchandises. Ces marchandises sont pour plupart en vrac et doivent être conditionnées soit dans les sacs ou dans les boîtes. Durant ce travail les manœuvres sont en contact direct avec ces produits et souvent sans protection. Pour les marchandises comestibles comme le café, le cacao, l’anacarde, le riz etc. Le mal est moindre, mais pour des produits comme le caoutchouc, les engrais et autres cela peut constituer des risques. De même les magasins et les entrepôts sont les lieux de la palettisation, les ouvriers sont chargés s’empiler les sacs contenance le fret sur les palettes et ensuite les conducteurs de fourchette font le rangement à l’aide des machines. Ces machines dégagent du gaz carbonique (CO2) qui se mélange aux odeurs des marchandises dans les entrepôts créant ainsi un milieu pauvre en oxygène. Aussi, pour lutter contre les parasites et entretenir les magasins il y a parfois l’utilisation des produits phytosanitaires qui souvent peuvent agir contre le bien-être des travailleurs.
2.2.3- La pollution de l’air par les activités de manutention du ciment
Les activités de manutention du ciment en zone portuaire d’Abidjan représentent une véritable menace de pollution de l’air dans zone de la cimenterie, aux environs de la direction du port et du chu de Treichville. Les particules de poussière de ciment (PM 2,5 et PM10) sont présentes à un niveau très élevé dans les zones des cimenteries (nord-ouest du domaine portuaire) avec 27,88% de PM 2,5 et 56,45% de PM10 (enquête, PAA ,2024). Dans les normes la manutention du ciment doit se faire à partir des bandes transporteuses et trémies. Mais une bonne partie du ciment est transportée par des camions chargés par des tracteurs. Cette activité libère une quantité importante de poussière dans l’air et cela est nuisible à l’environnement, à la qualité de la vie et la santé des travailleurs dans la zone portuaire. Les photographies 3 et 4 présentent la zone des cimenteries.

Photo n°3 : Une vue de la cimenterie Photo n°4 : Arrosage du site de la cimenterie

 

Source : enquête, PAA, 2024

Sur la photographie 3 s’observe une zone pleine de poussière de partout. Quant à la photographie 4 c’est un camion-citerne qui arrose le sol pour amoindrir l’effet de la poussière de ciment.
A cette pollution de l’air par la poussière de ciment s’ajoute la pollution gazeuse par les industries, le transport terrestre et les activités portuaires. Les déchets gazeux liés aux activités industrielles au port d’Abidjan concernent les polluants atmosphériques tels des fumées, du dioxyde de soufre (SO2), de l’oxyde nitrique (NOX) émis par les raffineries ou les centrales thermiques, la poussière toxique dégagés par les slops. L’industrie rejette également des polluants dans l’air, notamment du monoxyde de carbone (CO), du NH3, du CI2, du HNO3, CH4, du Cr, Pb, du Hg, de l’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du Benzène, du Dioxines et du furanne. (PAA, 2024). Le transport terrestre dans la zone portuaire est tellement intense vue le nombre d’engins en mouvement (camions remorque, tracteurs, chariots élévateurs et autres véhicules. Ce sont des quantités importantes de CO2 émises dans l’atmosphère portuaire. La manutention à quai utilise encore des portiques à moteur qui émettent du CO2. Tous ces gaz sont nocifs à la santé des travailleurs dans ces zones d’émissions. La carte 3 présente ces zones et le niveau de pollution de l’air.

Carte n° 3 : Les zones de pollution de l’air au port d’Abidjan

 

Source : PAA ,2022   Conception et réalisation : k. k. Victorien, 2024

Le niveau de pollution de l’air par la poussière (cimenterie, le transport) et les gaz atmosphériques (centrale thermique et hydrocarbures) se répartissent en zone très polluée, moyennement polluée et polluée comme indiqué sur la carte.
2.2.4-La pollution des eaux liées aux activités industrielles et portuaires au port d’Abidjan
Les déchets liés aux activités industrielles au port d’Abidjan sont regroupés en effluents industriels liquide et graisseux, en huiles usées, en acides /bases, en résidus d’hydrocarbures et en eaux usées. Les déchets liquides des activités portuaires sont des solvants usés, des eaux usées des opérateurs de nettoyages de soute des navires, des rejets liquides contenants des encres, des rejets liquides de tannerie, des rejets liquides contenants des  huiles et graisses, des rejets de liquides de pré-conditionnement, des acides sulfuriques, des eaux de cale, des eaux de lavage et autres eaux usées des navires polluées d’ hydrocarbures. Tous ces déchets se retrouvent dans les eaux au niveau de la CARENA où les maintenances et entretiens des navires génèrent des déchets venant de l’extérieur et de l’activité de traitement des navires. Les métiers comme l’avitaillement, les vidanges, le carénage, le soutage, la soudure navale etc. sont continuellement soumis aux résidus de déchet provenant des navires, occasionnant des risques de maladies. Les déchets industriels et les déchets provenant des navires polluent le plan d’eaux lagunaires comme le présente les photographies suivantes.

Photo n°3 et n°4 : vue de la pollution liée aux activités industrielles et portuaires

 

Source : enquêtes, PAA, 2024

2.2.5- Le mauvais traitement des minerais
Au port d’Abidjan, l’exportation des minerais commence à prendre de l’ampleur le manganèse est passé de 1.227.006 tonnes en 2020 à 1.325.537 tonnes en 2023 soit une hausse de 21%. La bauxite provenant de Bongouanou en direction de la chine a atteint 750.000 tonnes en 2023. Le zinc et les minerais de zinc sont tout aussi en majoration pour atteindre 229.226 de tonnes contre 177691 en 2020 soit une fausse de 22,5%. Le traitement de ces minerais se fait à l’air libre au quai minéralier puisse que le conditionnement, est en vrac. Les minerais sont exposés et soumis aux intempéries (pluie, soleil et vent) et rarement protégés par des sachets noirs. Ces minerais dégradent l’espace et leur manutention expose les travailleurs à des risques sanitaires.
2.2.6-les travaux d’aménagements portuaires influencent l’espace immédiat du port.
Les autorités portuaires dans le but de créer des conditions favorables à la pratique des activités mettent en place des activités de dragage. L’objectif est de satisfaire les besoins des opérateurs et d’augmenter la compétitivité. Cependant, cette activité entraine d’énormes conséquences. En général, les sédiments non contaminés ne posent pas de problèmes graves sur l’environnement. En revanche, le dragage et le rejet de matériaux contaminés relèvent des soucis importants sur la qualité physico-chimique des eaux, le devenir des substances toxiques et leurs effets sur les organismes vivants et l’environnement direct. L’eau devient trouble et les produits prélevés sont susceptibles d’altérer l’environnement lagunaire. A cela s’ajoute les fortes odeurs qui sortent des profondeurs de la lagune. Lorsque les sédiments sont contaminés comme cela est souvent le cas lors des dragages d’entretien des zones industrielles portuaires, les relargages de substances toxiques est à l’origine de problèmes environnementaux potentiels. Les impacts que les travailleurs peuvent subir de la part des opérations de dragages se matérialisent par la respiration des de l’air contaminée. Sur les photographies 5 et 6 nous observons des travaux de dragage pour la réalisation d’ouvrage portuaire.

Photo n°5 et n°6 : Travaux de dragages au port d’Abidjan

 

Source : enquêtes PAA, 2023

2.2.7- Le non-respect des mesures sécuritaires par les travailleurs 
Le milieu portuaire et maritime est régi par plusieurs mesures de sécurité et de sureté. Les travailleurs sur l’espace portuaire, les quais, les navires, les engins de manutention et de levage et dans les magasins doivent s’y conformer pour leur propre sécurité. Afin de limiter les accidents lors de l’exercice de la profession et aussi l’exposition à certains produits dangereux qui se retrouvent transportés par les navires en zone portuaire. Le contact pour donner suite à nos enquêtes et observations est que plus de 30 % des travailleurs en zones portuaires ne respectent pas les mesures d’ordres sécuritaires. Ils jugent ces mesures parfois contraignantes et limitant leur mouvement. Il n’est pas rare de voir des ouvriers sur les espaces de travail sans casque, sans gang, sans chasuble ni botte et sans masque ou cache-nez. Ces comportements exposent les travailleurs à des risques sanitaires. 
Ces facteurs ici présentés impactent la santé des travailleurs en zone portuaire Abidjanaise. Cependant quelles sont les pathologies fréquentes au niveau des travailleurs dans la zone portuaire.

2.3 - Les types de pathologies

Nos investigations dans la zone portuaire au niveau des centres de santé et aussi à partie des interviews et discussion de groupe ont permis d’avoir des informations sur les types de pathologies causées par les activités portuaires à Abidjan. Le tableau suivant fait cas de ces maladies.

Tableau 2 : Les types de pathologies fréquentes en zone portuaire

 

Source : Enquêtes, PAA, centre de santé SEMPA, chu, 2024

Ce tableau fait état de plusieurs maladies provoquées par les activités portuaires à Abidjan. Sur 234 patients, les cas de maladies respiratoires qui sont dominants 42 personnes pour les ORL/ Poumon et 26 pour la rhumatologie soit 68 cas. L’impact de la pollution de l’air est important en termes de maladies provoquées et parfois de mortalité. Certains cas de maladies sont en relation avec les concentrations des différents polluants, l’inhalation prolongée des poussières provoque des maladies et affections respiratoires. Ainsi, au sein des cimenteries la prévalence de maladie parmi des travailleurs dans l’usine et aux environs est imputable aux émissions de poussières. Presque tous les travailleurs des cimenteries ont souffert au moins une fois de maladies respiratoires. Les impacts des autres polluants comme le dioxyde de soufre et l’oxyde d’azote, les hydrocarbures, dioxyde de carbone sur la santé est le résultat d’une longue exposition des travailleurs à ceux-ci. Ces polluants se fixent sur les globules rouges du sang entrainant des troubles respiratoires et des effets d’asphyxie à fortes doses.
Les troubles musculo-squelettiques sont la deuxième affection prédominante avec 55 patients. C’est une maladie des muscles, des nerfs, des ligaments et des tendons en relation avec une sollicitation intense des membres obligeant à des efforts excessifs. Le traitement des marchandises dans les cales des navires, les magasins, sur les quais en est la résultante
La troisième affection est la fatigue générale qui en terme clinique et médicale est appelée asthénie. Le tableau présente 30 cas, c’est une fatigue anormale qui survient après des efforts physiques et intellectuels intenses et qui perdure même après un temps de repos. Le fonctionnement des activités portuaires 24 heures sur 24 oblige souvent les travailleurs à des heures et travaux supplémentaires.
Le paludisme est quatrième pathologie pour 25 patients, c’est une maladie parasitaire qui est transmise à l’homme par la piqure de certains moustiques. Les travailleurs sur le domaine portuaire surtout pendant les activités de nuit ne sont pas à l’abri des piqures de moustique.
Les affections du rachis lombaire sont la cinquième pathologie recensée avec 24 patients. Cette maladie est appelée couramment mal de dos, de plus le patient peut ressentir un inconfort général qui dans de nombreux cas peut provoquer la fièvre. Ces douleurs sont provoquées par le fait de porte une charge à la suite d’une activité physique. C’est pratiquement le cas pour les Dockers, qui à force de s’abaisser et soulever les sacs sont la cible de cette pathologie.
Les troubles auditifs interviennent en sixième position avec 19 cas, c’est la diminution de la capacité à percevoir le son cela concerne une ou les deux oreilles elle peut souvent être irréversible. Cette perte auditive peut être due à une exposition à des niveaux sonores trop élevés. Dans la zone portuaire les activités comme le palanisme, la conduite des tracteurs émettent des bruits énormes (les moteurs des portiques et des navires etc.).
Au titre des autres pathologies représentant 13 cas, se trouvent de petits accidents, les fractures et commotions, des blessures, les chocs traumatiques, les luxations, foulures ou entorses qui sont les lésions les plus courantes. Les principales causes sont les chocs, les chutes, les traumatismes des mains et des pieds pour donner suite à des imprudences de quelques travailleurs. Sur la figure 1, on observe les différentes pathologies dans les proportions selon les nombres de patients affectés.

Figure n°1 : Les pathologies selon les proportions des patients au PAA

 

Source : enquêtes, PAA, centre de santé SEMPA, CHU, 2024

Ce diagramme présente de façon plus précise les maladies dont pourraient être victimes les travailleurs du port d’Abidjan dans l’exercice des activités portuaires selon l’environnement et les conditions de travail. Pris au cas par cas les trouble musculo-squelettiques sont les plus récurrentes avec 23% des cas, par la suite ce sont les ORL/Poumon pour 18%. La fatigue générale représente 13% des cas recensés, viennent ensuite le paludisme et la rhumatologie 11% chacun. Respectivement suivent les affections du rachis lombaire10%, les troubles auditifs 8% et les autres maladies 6%.
Toutes ces proportions s’expliquent par le fait que les activités portuaires se résument en grandes partie par la gestion, le traitement et la manipulation marchandises nécessitant ses efforts et surtout le contact physique des travailleurs avec les marchandises.
En somme, les effets des exercices des activités portuaires impactent la santé des travailleurs dans des proportions différentes. Les activités portuaires à moyen et long terme créent des problèmes de santé aux travailleurs.

Conclusion

CONCLUSION

Retenons que les activités portuaires sont exercées par des travailleurs présents à divers niveaux et exécutant les taches partant des plus contraignantes aux plus aisées dans des conditions de travail s'inscrivant des plus mauvaises au plus bonnes.  Plusieurs facteurs peuvent affecter la santé des travailleurs notamment la pollution environnementale (air, eau,) par la poussière, les gaz toxiques et les déchets (navires, industriels), le manque de mesures de protection et la difficulté de l’exercice du travail. Les pathologies les plus courantes sont les troubles musculo-squelettiques, les ORL / Poumon, la fatigue générale, le paludisme. Toutefois en classant ces maladies de professionnelles par les entreprises portuaires enclenchera une vraie dynamique qui n’existe pas dans le secteur maritime ivoirien. De même que la sécurité des travailleurs et l’attractivité des activités maritimes et portuaires.

Références

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Publié

30 Janvier 2025

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2024,, mis en ligne le 30 Janvier 2025. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/detail_article/317/13

Numéro

Rubrique

ACTES DE COLLOQUE 2024