2018/Vol.1-N°2 : La santé dans le monde rural

2 |Conséquences sanitaires de la dynamique du paysage rural dans le foyer de Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) de Bonon (Côte d’Ivoire) entre 2002 et 2015

Health consequences of rural landscape dynamics in the african human trypanosomiasis (tha) source in Bonon (C

Auteurs

  • COULIBALY Bamoro Doctorant en Géographie bamoroc@yahoo.fr , Université Alassane Ouattara de Bouaké
  • KROUBA Débora Isabelle Doctorante en Géographie deborakrouba@gmail.com , Université Alassane Ouattara de Bouaké
  • KOUAKOU Aristide Adjoua Colette Doctorante kouakoucoletteadjoua@yahoo.fr , Abidjan, Côte d'Ivoire
  • OUATTARA Aboubacar Adama Doctorant ouattaraaboubacaradama@yahoo.fr , Université Alassane Ouattara de Bouaké
  • BERTÉ Djakaridja Doctorant bertedjakaridja@yahoo.fr, Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan
  • TA BI Tra Dieudonné Doctorant tabitradieudonné@gmail.com, Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan
  • RAYAISSE Jean-Baptiste Maître de Recherche jbrayaisse@gmail.com, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso
  • JAMONNEAU Vincent Chargé de Recherche vincent.jamonneau@ird.fr, IPR Bouaké
  • SOLANO Philippe Directeur de Recherche philippe.solano@ird.fr, Montpellier, France
  • KOFFI Yao Jean-Julius Maître de conférences yao.julius@ird.fr, Bouaké, Côte d'Ivoire
  • KABA Dramane Chargé de Recherche kaba_dramane@yahoo.fr, Institut Pierre Richet de Bouaké
  • ANOH Kouassi Paul Professeur Titulaire de Géographie anohpaul@yahoo.fr, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire)
  • ASSI-KAUDJHIS Joseph Pierre Professeur Titulaire jkaudjhis@yahoo.fr, Bouaké,Côte d'Ivoire
  • COURTIN Fabrice Chargé de Recherche fabrice.courtin@ird.fr, IPR Bouaké

Mots-clés:

Côte d’Ivoire| Trypanosomiase Humaine Africaine| glossines| végétation| agriculture|

Résumé

Le foyer de Trypanosomiase Humaine Africaine de Bonon est le plus actif de Côte d’Ivoire (deuxième pays le plus touché par cette pathologie en Afrique de l’Ouest). Dans cet écosystème forestier, l’augmentation des densités humaines, sous le poids de l’accroissement naturel et de l’immigration agricole, a profondément modifié le paysage. La localisation des éléments du système pathogène (malades et glossines) a changé. En 2002 et 2015, l’Institut Pierre Richet a effectué un dénombrement géoréférencé de la population, une cartographie du territoire, une caractérisation de l’emprise rurale, une enquête entomologique et une prospection médicale. L’évolution du peuplement et de l’emprise rurale, associée à la distribution des cas de THA et des densités de glossines entre 2002 et 2015, permettent de montrer des changements cruciaux. La densité de population humaine est passée de 189 à 356 habitants au km2 de 2002  à 2015. Pendant la même période, la superficie de forêt est passée de 9,32 km2 à moins de 0,1. Les méthodes agricoles ont aussi évolué. La mise en valeur du bas-fond a doublée, conduisant à une extension des superficies vivrières de 17 km2 en 2002 à 55 km2, soit 47 % de la zone en 2015. Parallèlement, le nombre de trypanosomés diminuait ainsi que les densités apparentes de glossines (DAP) qui passaient de 4,74 à 1,12 glossines par piège/jour en 2015. Un changement dans la localisation des glossines est aussi apparu. Cette étude montre les conséquences de l’anthropisation sur le système pathogène de la THA en zone de forêt ivoirienne.

Introduction

La Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) ou maladie du sommeil, est une pathologie due à un parasite, le trypanosome, transmis à l’homme lors de la piqûre d’une glossine (plus connue sous le nom de mouche tsé-tsé). Cette pathologie sévit exclusivement en Afrique subsaharienne, dans l’aire de distribution des glossines. Il existe deux formes de THA. La forme à Gambiense (T.b.gambiense), que l'on retrouve dans les pays d'Afrique Centrale et de l'Ouest est responsable de 98 % des cas notifiés. La forme à Rhodesiense (T.b.rhodesiense), est présente en Afrique Orientale et Australe (C. Laveissière et al., 2000, p. 4). Elle est responsable de 2% des cas notifiés. En Côte d’Ivoire forestière, le trypanosome responsable de la THA est T.b.gambiense, transmis à l’homme par Glossina palpalis palpalis (C. Laveissière et al., 2000, p. 42). La population à risque de contracter la THA est essentiellement constituée d’agriculteurs, particulièrement de manœuvres qui travaillent dans les plantations de café et de cacao du sud forestier (JP. Hervouët, 2000, p. 221).
Caractérisé par sa situation en zone de transition forêt-savane, le foyer de THA de Bonon est situé en secteur de forêt mésophile. C’est le foyer de THA le plus actif de la Côte d’Ivoire. Ce pays est le deuxième le plus atteint en Afrique de l’Ouest par cette pathologie (OMS, 2014, p. 15). Le domaine de forêt mésophile est propice à l’agriculture de rente notamment celle du binôme café-cacao qui est le socle de l’économie ivoirienne. Une situation qui a eu une influence sur cet espace. Le faible peuplement autochtone Gouro des années 1960, composé de 20 unités d’habitation (IGN, 1959), a été profondément modifié par l’implantation depuis des décennies de plusieurs vagues d’immigrés de divers horizons géographiques. Ce sont essentiellement des populations du Nord (Sénoufo, Malinké, Lobi) et des Baoulés du centre auxquels se sont joints des populations venues du Mali, de la Guinée et surtout du Burkina Faso (Mossi en particulier).
Cette nouvelle configuration du peuplement a bouleversé la structure de l’habitat, l’emprise agricole et aussi le support forestier original. C’est dans cette situation de recomposition paysagère que l’endémie de la THA a connu une explosion en 1997 à Bonon (JP. Hervouët, 2000, p. 214). Dès septembre 1997, les équipes de chercheurs de l’Institut Pierre Richet (IPR), de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD, ex-ORSTOM) et du Projet de Recherche Clinique sur la Trypanosomiase (PRCT) ont initié la lutte contre la THA dans le foyer de Bonon. Des prospections médicales et entomologiques menées pendant plusieurs années ont permis de faire baisser considérablement les prévalences. Ainsi depuis 2007, c’est moins de 10 cas par an qui sont notifiés (MK. N’Djetchi et al., 2017, p. 3). En 2015, dans un espace presque totalement occupé par les hommes répartis dans 335 unités de peuplements, de rares malades sont dépistés dans le foyer de Bonon. Parallèlement à cette augmentation de la population et à la baisse des prévalences de la THA, la carte de la distribution des glossines se modifie. Bien que la lutte médicale et entomologique aient donné des résultats très significatifs dans le foyer de la THA de Bonon, quels sont encore les facteurs physiques et humains qui y maintiennent cette maladie? Ce travail vise à expliquer comment les changements subis par le paysage forestier du fait de la forte anthropisation ont eu des conséquences sur la distribution des glossines et la THA dans le foyer de Bonon. Il s’intègre dans une méthodologie pluridisciplinaire. Aussi, en plus d’une approche géographique, l’étude a-t-elle fait appel à des données des sciences biomédicales (entomologie et parasitologie).

Méthodologie

1. Méthodologie

1.1. La zone d’étude

Le foyer de THA de Bonon est situé au sud de l’axe routier bitumé Bouaflé-Daloa dans la sous-préfecture de Bonon (Carte n°1), dans le département de Bouaflé (région de la Marahoué). Situé dans une zone de mosaïque de forêt et de savanes incluses, le foyer bénéficie d’un climat de type guinéen caractérisé par quatre saisons avec une pluviométrie annuelle qui oscille entre 1 100 et 1 400 mm. Les températures varient peu et avoisinent 25°C toute l’année. La zone est animée essentiellement par l’activité agricole. Le binôme café-cacao et les cultures vivrières du riz, de la banane plantain, du maïs et de l’igname sont les plus pratiquées. Depuis quelques années l’élevage de bovins prend de l’importance du fait des transformations paysagères qui l’autorise désormais, il constitue un bon complément économique aux activités agricoles (F. Ruf, 2008, p. 7). Le réseau hydrographique de la zone est constitué exclusivement de cours d’eau temporaires qui s’assèchent de plus en plus vite au cours de l’année, du fait d’un raccourcissement de la saison des pluies depuis des décennies dû au dérèglement climatique (YT. Brou et al., 1998, p. 367). Au plan épidémiologique, c’est en 1997 que le foyer se révèle avec 20 cas de THA dépistés. L’épidémie atteint son pic avec 96 cas en 2000. Depuis 2007, le nombre de nouveaux cas notifiés est passé sous la barre de 10 cas/an (MK. N’Djetchi et al., 2017, p. 3).
Carte n°1 : Localisation de la zone rurale étudiée, située au sud de la ville de BononLocalisation de la zone rurale étudiée, située au sud de la ville de BononSource : 2CI-THA, IPR/IRD, 2017

1.2. Matériels et démarche géographique

L’étude est basée sur plusieurs sources. La première source est constituée de deux séries de recensements exhaustifs des populations et des unités d’habitat de la zone d’étude et d’une cartographie fine du réseau de pistes et des peuplements faîtes par GPS en 2002 et en 2015 par l’IPR. La deuxième source provient de deux images Landsat couvrant le foyer de Bonon (colonne 197 et ligne 55) : une image Landsat 7 ou EMT+ (Thématique mappers améliorée) prise le 20 janvier 2002 et une image Landsat 8 ou OLI (Operational Landsat Image) prise le 18 décembre 2015. La troisième source est composée des résultats des prospections médicales de dépistage de la population du foyer et des enquêtes entomologiques de capture de glossines. Ces deux séries d’enquête ont eu lieu en décembre 2002 et décembre 2015 pour le dépistage et en juillet 2002 et juin 2015 pour l’enquête entomologique.
Les données des recensements de 2002 et 2015 permettent de suivre les paramètres socio-démographiques notamment les volumes de populations et le caractère rural de la population. La cartographie fine du réseau de pistes et de peuplements rend compte du degré d’anthropisation de la zone. Cette anthropisation, marquée par l’occupation du sol est mise en évidence par le traitement des images Landsat des deux périodes. L’étude de l’évolution de l’occupation du sol est basée sur une analyse diachronique des images aux deux dates. Les scènes utilisées ont été enregistrées en saisons sèches.
Les données biomédicales géo-localisées, permettent de corréler les phénomènes d’anthropisation et leurs conséquences sur l’environnement des glossines et par ricochet sur la maladie du sommeil. En 2002 et en 2015, des dépistages médicaux de la THA ont été réalisés sur les populations du foyer de Bonon. Ces prospections sont censées être exhaustives mais dans la réalité, c’est une relative proportion de la population qui se présente aux postes médicaux (Photo n°1).

Photo n°1 : Dépistage actif de la THA par une équipe de santé mobile dans la zone rurale au centre du foyer en 2002 et à Gblo, hameau baoulé au sud-est de la zone d’étude en 2015

Dépistage actif de la THA par une équipe de santé mobile dans la zone rurale au centre du foyer en 2002 et à Gblo, hameau baoulé au sud-est de la zone d’étude en 2015Source : B. Coulibaly, 2002 et 2015
A l’occasion des prospections médicales, le personnel médical va vers la population : c’est le dépistage actif. Les personnes sont recensées à leur arrivée. Avec un ticket qui les identifie, ils sont soumis à deux séries de test. Le premier test est un test sérologique, il permet de constater la présence d’anticorps du trypanosome dans le sang. Lorsque ce test est négatif, la personne est dite indemne de THA. Si elle est positive, elle est dite suspecte et subie le deuxième test (parasitologique) pour la mise en évidence du parasite. Si le  parasite est vu dans le sang, la personne est déclarée malade et enregistrée comme tel. Dans le cas contraire, elle reste suspecte. Notre étude concerne seulement les malades. Un autre mode de dépistage permet de compléter notre liste des malades, c’est le dépistage passif qui est le fait d’une notification de cas à la suite d’une consultation médicale classique dans un centre de santé.
Les données entomologiques ont été collectées à l’aide de 320 pièges de capture « Vavoua » en 2002 (Photo n°2) et de 278 en 2015. Le piège « Vavoua » est un attractif visuel de la glossine. Il est composé d’un tissu bleu qui attire et d’un tissu noir sur lequel la glossine se pose. Une cage au-dessus du piège emprisonne les glossines.

Photo n°2 : Piège « Vavoua » posé à l’intersection d’une rue et d’un bas-fond dans la ville de Bonon

Piège « Vavoua » posé à l’intersection d’une rue et d’un bas-fond dans la ville de BononSource : B. Coulibaly, 2015
Ces pièges sont posés dans les lieux de contact homme-vecteur (passage de voie communication dans les bas-fonds, points d’eau, périphérie des peuplements, plantations) et les gîtes potentiels (cours d’eau, bas-fonds, clairières de forêt).
En 2002, les pièges ont été posés pendant 4 jours successifs et récoltés toutes les 24 heures. En 2015, cet exercice s’est répété dans les mêmes espaces pendant 2 jours et des récoltes toutes les 24 heures. Cette différence de durée de pose ne biaise pas la comparaison entre 2002 et 2015. La densité apparente de glossine (DAP) par jour est calculée selon la formule suivante :
DAP = Nombre de glossines / (nombre de pièges x nombre de jours)
Cette variable exprime le nombre moyen de glossines que l’on capture par jour dans un piège posé à un point précis.
Les cartes ont été réalisées avec le logiciel QGIS 2.8.2 à partir des fonds de cartes topographiques, de relevés GPS et des tables de données géoréférencées tandis que les images Landsat ont été traitées par le logiciel ENVI 4.8 avec des précisions (overal accuracy) de 94, 61 % pour l’image de 2002 et de 97, 45 % en 2015. Le coefficient de Kappa est de 0,91 et 0, 96 respectivement en 2002 et 2015. Ce qui explique une bonne caractérisation de l’occupation du sol. Ces résultats ont été intégrés dans une base de données pour le SIG sur QGIS 2.8.2. Ce traitement s’est basé sur une classification colorée pour discriminer le paysage forestier de la zone d’étude.
La démarche géographique s’articule autour des éléments du complexe pathogène représentés par l’homme (victime et réservoir de parasite), la glossine (vecteur, à écologie exigeante nécessitant un bon couvert végétal pour l’ombre et une hygrométrie adaptée à sa survie), le trypanosome (l’agent pathogène) et le milieu naturel où ces éléments tissent leurs relations, (H. Picheral, 1982, p. 167) (Figure n°1). Il s’est agi d’apprécier comment les éléments de ce complexe ont évolué dans le temps et corrélativement, l’état de leurs interrelations. Spécifiquement, l’étude montre l’évolution du contact de l’homme et du vecteur dans un environnement favorable à la survie de celui-ci.

Figure n°1 : Schéma du complexe pathogène et les relations qui les lient

Schéma du complexe pathogène et les relations qui les lientSource : P. Grébaut, 2009

Résultats

2. Résultats

2.1. Le foyer de Bonon, une zone en saturation foncière 

2.1.1. Une transformation physionomique spectaculaire

Au moment où la THA revêtait un aspect épidémique à la fin des années 1990 et au début des années 2000, le foyer de Bonon connaissait déjà des signes de saturation foncière. En 2015, cette saturation s’amplifie. En effet, la caractérisation de l’occupation du sol par le traitement d’image Landsat ETM+ et Landsat OLI respectivement de 2002 et 2015 a donné la répartition du tableau 1.

Tableau n°1 : Statistique d’occupation du sol de 2002 à 2015

Statistique d’occupation du sol de 2002 à 2015Source : B. Coulibaly, 2015
Le tableau montre de grands bouleversements dans la distribution des éléments de l’occupation du sol. La forêt a quasiment disparue en 2015. Ne subsistant que sous la forme de forêts sacrées, elle couvre moins de 1 % de la superficie de la zone, alors qu’en 2002 elle couvrait 8 % de la zone d’étude. Le complexe café-cacao (plantation arbustive) qui domine l’espace en 2002 avec 73,6 km2 (63 %) sur une superficie totale de 117 km2, décline pour atteindre 30,42 km2 (26 %). La surface perdue est affectée en 2015 à la culture arborée de l’hévéa, de l’anacarde et du teck ainsi qu’aux cultures vivrières. Ces deux formations qui occupaient en 2002 respectivement 0,1% et 14,4 % de la zone, en occupent 23,14 % et 47 % de la surface en 2015. En 2015, en même temps que les superficies de forêts connaissent une réduction drastique, la savane qui était peu utilisée est mise en valeur sous la forme de plantation arborée notamment le teck. La carte 2 montre comment en l’espace de 13 ans les parcelles de vivriers ont plus que triplé passant de 14 % de la zone à 47 %. Elle montre aussi le déclin du binôme café-cacao et l’introduction de nouveaux plants. Les sols nus, conséquences d’une jachère trop courte des parcelles vivrières de plateaux (maïs et haricot) de 2002 sont résorbés en partie par les tecks, l’anacarde et l’hévéa.

2.1.2. La recomposition d’une agriculture en crise

Trois formations de l’occupation du sol attirent l’attention du témoin de la zone pendant les 2 périodes. L’évolution des vergers de cacaoyers et de caféiers, l’utilisation des bas-fonds et l’invasion des adventices herbeux. La première formation est le complexe cacao-café, qui occupait la majeure partie de la surface de la zone d’étude en 2002 (63 %) et qui en représente encore le ¼. Mais force est de constater que les vergers qui étaient verdoyants en 2000 sont affectés par une série de problèmes. La photo 3 montre une replantation de cacao  souffrant de la sécheresse.

Photo n°3 : Jeune plantation de cacao affectée par une saison sèche rigoureuse

Jeune plantation de cacao affectée par une saison sèche rigoureuseSource : B. Coulibaly, 2015

Carte n°2 : Occupation du sol du foyer de la THA de Bonon en 2002 et 2015

Occupation du sol du foyer de la THA de Bonon en 2002 et 2015           Source : Image landsat EMT+ de 2002 et landsat 8 de 2015                                Réalisation: B. Coulibaly, 2015                                                                                                             
Les problèmes de la cacaoculture sont : le vieillissement du verger, la maladie du swollen shoot (Photo n°4). Ces problèmes ont pour corolaire la transformation des plans malades ou séchés en bois de chauffe et aussi l’adoption des nouvelles mesures enseignées par les agents d’encadrement du ministère de l’agriculture. Ces mesures sont entre autre la replantation du cacaoyer ou l’introduction des nouvelles cultures telles que l’anacarde, l’hévéa et le teck (Photo n°5).

Photo n°4 : Pancarte de sensibilisation aux méfaits du swollen shoot dans un champ dévasté par le vieillissement et la maladie virale (swollen shoot)

Source : B. Coulibaly, 2015

Photo n°5 : Replantation de cacaoyers et jeunes plants d’hévéa à Kouamékro

Source : B. Coulibaly, 2015
La deuxième formation concerne le profond changement des bas-fonds sous la pression des cultures vivrières. En 2002, les superficies de bas-fonds étaient sous-exploitées ou encaissées dans des vergers boisés de cacao (Photo n°6).

Photo n°6: Bas-fond rizicole encaissé dans la cacaoyère au sud-ouest du foyer (a) et un bas-fond non cultivé au bord de la piste au sud de Deux-Côtes (b)

Source : B. Coulibaly, 2015
En 2015, les bas-fonds sont des espaces découverts, affectés à l’exploitation de différentes spéculations vivrières dont la riziculture et les maraîchers (Photo n°7).

Photo n°7 : Bas-fond complètement ouvert sous le poids des cultures vivrières

Source : B. Coulibaly, 2015
La troisième observation est la prolifération des adventices nuisibles principalement chromolaena odorata et digitaria (Photo n°8) qui donne au paysage un aspect de savane dans la forêt.

Photo n°8 : Invasion de chromolaena odorata dans une vieille plantation de cacao de Saakro (a) et de digitaria en compétition avec une replantation de cacaoyers à Blablata (b)

Source : B. Coulibaly, 2015
L’aspect du paysage à grande échelle géographique passe d’un espace couvert de forêts et de vergers de cacaoyers à un espace très ouvert constitué de jeunes vergers et d’herbes : un espace en reconstruction en 2015.
Cette transformation rapide du couvert végétal est l’œuvre d’une démographie agricole galopante dans le foyer.

2.2. Une évolution rapide de la population

La population de la sous-préfecture à l’instar de la ville de Bonon, connait une croissance rapide, tirée par deux facteurs : l’accroissement naturel, l’immigration suscitée par l’attraction économique de la ville de Bonon (RGPH, 2014). De 2002 à 2015 la population de la ville de Bonon est passée de 28 140 habitants à 90 792. Quant au foyer de THA de Bonon, les recensements effectués en 2002 et en 2015 par l’IPR montrent que le volume de la population a doublé passant de 22 273 à 41 925 habitants. Cela fait presser une forte densité humaine sur la zone. Déjà largement au-dessus de la moyenne nationale (71,3 habitants/km2), la densité de la zone d’étude est passée de 189 habitants/km2 en 2002 à 356 habitants/km2 en 2015. Mais cette population est inégalement répartie. En effet la ville de Bonon et les villages sur les limites du foyer regroupent l’essentielle de la population. Le centre du foyer est constitué de campements, de culture avec de faibles populations. La carte 3 illustre l’évolution du volume de population des localités de la zone.

Carte n°3 : Evolution des volumes de population dans le foyer de THA de Bonon de 2002 à 2015

         Source : Images landsat 7 de 2002 et landsat 8 de 2015; Recensements IPR/IRD de 2002 et 2015                   Réalisation : B. Coulibaly, 2015
En plus de la ville qui s’agrandit, les hameaux augmentent aussi en taille et en nombre.
La double dynamique caractérisée par l’accroissement démographique rapide et les pressions sur le couvert végétal engendre des conséquences sur la distribution des glossines vectrices de la THA et la maladie dans la zone.

2.3. Redistribution des glossines et localisation des trypanosomés dans le foyer de Bonon

Cette recherche fait deux constats principaux concernant les populations de glossine:
- premièrement, les volumes de glossines ont baissé entre 2002 et 2015 et ;
- deuxièmement une variation dans des localisations selon l’importance de la densité de glossines. La carte 4 présente cette situation. Elle montre la variation des densités apparentes de glossines (DAP) tant dans son volume que dans sa répartition spatiale. Rappelons que cette densité entomologique est une moyenne journalière de capture de glossine et se rapporte à un point : celui de la localisation du piège.
 La densité moyenne est plus forte en 2002 qu’en 2015 soit respectivement 4,7 et 1,1 glossines par jour et par piège. La zone rurale notamment le centre du foyer, au milieu des champs est particulièrement infesté de glossines en 2002 contrairement aux grosses agglomérations (ville et villages). L’ouest de la zone est aussi infesté. En 2015, les fortes densités se localisent surtout dans les villages et la ville de Bonon. Le sud de la zone est aussi densément peuplé par les glossines. Le centre du foyer est presque assaini de glossines. Cette redistribution des glossines à une répercussion sur celle de la Trypanosomiase Humaine Africaine (THA).
Le foyer de THA de Bonon connait une baisse significative de ses prévalences entre 2002 et 2015 (Carte n°5). En 2002, au plus fort de l’épidémie, 96 malades ont été dépistés. Quinze ans plus tard, soit en 2015, seulement 2 malades sont dépistés dans la périphérie Sud de la ville de Bonon. Les malades dans leur grande majorité résident en ville principalement au Sud de la voie bitumée Bouaflé-Daloa en 2002. Ils sont aussi résidents de la zone rurale Sud. En effet, on les retrouve dans le village de Blablata et dans les hameaux de Saakro et Kouamékro à l’ouest et de Tiégbekaha au Sud-Est ainsi que dans les campements au centre du foyer. En 2015, seule la ville abrite des cas notamment dans sa périphérie Sud. En somme, la THA devient une maladie urbaine en 2015.

Carte 4 : Distribution des glossines dans le foyer de THA de Bonon en 2002 et 2015

Image Landsat 7, Janvier 2002 et Landsat 8, Décembre 2015
Enquêtes entomologique IPR/IRD 2002 et 2015; Réalisation B. Coulibaly, 2016

Carte n°5 : Localisation des résidences des cas de THA dans le foyer de Bonon en 2002 et 2015

Image Landsat 7, Janvier 2002 et Landsat 8, Décembre 2015 ; Prospection médicale IPR/IRD 2002 et 2015                      Réalisation B. Coulibaly, 2016

Conclusion

Conclusion

Le foyer de THA de Bonon s’est révélé à la fin de l’année 1997 dans un contexte favorable à l’expression de son système pathogène. Les éléments de ce système ont évolué dans le sens d’un blocage. D’une part la scène de cette dynamique se décrit comme suit : le biotope forestier a connu une forte dégradation et tend à annihiler le rôle du vecteur (la glossine) en le confinant dans de rares reliques et forêts sacrées en lisière des villages Gouro et de la ville. D’autre part la lutte médicale a diminué considérablement le réservoir de parasite. Ainsi, la faiblesse du réservoir de trypanosomes chez l’Homme, corrélée à la diminution des possibilités de rencontre entre l’Homme et les glossines du fait des mutations spatiales observées entre 2002 et 2015, ne semble plus permettre la transmission du trypanosome à l’Homme. Le cycle épidémiologique de la THA n’est plus fonctionnel, excepté dans des lieux très localisés, situés à la périphérie des villages autochtones Gouro caractérisés par la présence de forêts sacrées encore bien conservées, qui représente un refuge pour les glossines, d’autant plus dangereux qu’il est situé à proximité des Hommes.
Les résultats de cette étude doivent permettre au programme national d’élimination de la THA (PNETHA) d’orienter la lutte médicale et anti-vectorielle en direction des peuplements les plus à risque d’héberger des cas de THA, afin d’éliminer durablement cette maladie centenaire.

Références

Références bibliographiques

ASSI-KAUDJHIS Joseph Pierre, 2011, « Reconversion des bas-fonds et mutations agro-économiques et sociales en milieu rural forestier ivoirien », In Annale Universitaire de Lomé, Tome XXXI-1, Lomé, p.111-125.
BALAC Ronan, 1997, «L’acheminement du système d’économie de plantation ivoirien vers un blocage structurel : analyse d’une crise  In : Le modèle ivoirien en questions : crises, ajustements, recompositions», Paris, KARTHALA ; 1997.  p. 311-324. 
BROU Yao Télésphore, SERVAT Eric et PATUREL Jean-Emmanuel, 1998, « Activités humaines et variabilité climacique : cas du sud-forestier ivoirien», Water Resources Variability in Africa during the XXIII Century (Proceedings of the Abidjan'98 Conference held at Abidjan, Côte d'lvoire, November 1998), IAHS Publ, N°. 252, 1998, p. 365-373.
BROU Yao Télesphore, 2009, « impacts des modifications bioclimatiques et des amenuisements des terres forestières dans les paysanneries ivoiriennes: quelles solutions pour une agriculture durable en côte d'ivoire », Cuadernos Geográficos, Núm. 45, Universidad de Granada, Granada, España, p. 13-29.
COURTIN Fabrice, JAMONNEAU Vincent, OKE Emmanuel, COULIBALY Bamoro, OSWALD Yohan, DUPONT Sophie, CUNY Gérard, DOUMENGE Jean-Pierre, SOLANO Philippe, 2005, «Towards understanding the presence/absence of Human African Trypanosomiasis in a focus of Côte d’Ivoire : a spatial analysis of the pathogenic system», International Journal of Health Geographics, 2005, 4, 27. http://www.ij-healthgeographics.com/content/4/1/27.
HAUHOUOT Asseypo Antoine, 1992, «Les ressources forestières dans la problématique du développement en Côte-d'Ivoire», In: Espace géographique, Tome 21, N°4, 1992, p. 357-365, Doi : 10.3406/spgeo.1992.3110. http://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1992_num_21_4_3110.
HAUHOUOT Asseypo Antoine, 2002, «Développement, aménagement, régionalisation en Côte d'Ivoire», Abidjan, Editions universitaires de Côte d'Ivoire.
HERVOUET Jean-Pierre, LAFLY Dominique, CARDON Laetitia, 2000, «La maladie du sommeil en Côte d’Ivoire : à la recherche d’indicateurs de risque», Espace, Populations, Sociétés, 2000, 2, p. 209-225 (OMS, 2013). https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_2000_num_18_2_1942.
IBO Guei Jonas, 2006, «Retraits de terres par les « jeunes » autochtones sur les anciens fronts pionniers de Côte d’Ivoire : expression d’une crise de transition intergénérationnelle», Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues", Montpellier, 2006, p. 21.
IGN, 1960, «Carte régulière de l’Afrique de l’Ouest à 1/200 000, Daloa, République de Côte d’Ivoire – Feuille NB-29-XVIII», Dépôt légal n°452-2ème édition trimestre 1968.
LAVEISSIERE Claude, GREBAUT Pascal, HERDER Stéphane, PENCHENIER Laurent, 2000, «Les glossines vectrices de la maladie du sommeil» Paris, Yaoundé, IRD, OCEAC.
LAVEISSIERE Claude, GARCIA André et SANE Bocar, 2003, «Lutte contre la maladie du sommeil et soins de santé primaire» Paris, IRD.
LAVIGNE-Delville Philippe., BOUCHER Luc et VIDAL Laurent, 1996, «Les bas-fonds en Afrique tropicale humide : stratégies paysannes, contraintes agronomiques et aménagements», In : Pichot et al. (Eds.). Fertilité du milieu et stratégies paysannes sous les tropiques humides, actes du séminaire international, CIRAD : pp 148 – 161.
N’DJETCHI Martial Kassi, ILBOUDO Hamidou, KOFFi Mathurin, KABORE Jacque, KABORE Justin Windingoudi, KABA Dramane, COURTIN Fabrice, COULIBALY Bamoro, FAURET Pierre, KOUAKOU Lingué, RAVEL Sophie, DEBORGGRAEVE Stijn, SOLANO Philippe, DE MEEUS Thierry, BUCHETON Bruno, JAMONNEAU Vincent, 2017, «The study of trypanosome species circulating in domestic animals in two human African trypanosomiasis foci of Côte d’Ivoire identifies pigs and cattle as potential reservoirs of Trypanosomabruceigambiense», PLOS Neglected Tropical Diseases.  https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0005993 October 18, 201.
OMS, 2014, «Trypanosomiase humaine africaine: lutte et surveillance, Rapport dun comité dexperts de lOMS», Genève, Suisse.
OSZWALD Johan, 2005, «Dynamique des formations agroforestières en Côte d’Ivoire (des années 1980 aux années 2000): Suivi par télédétection et développement  d’une approche cartographique», Thèse de doctorat de Géographie de l’Université des Sciences et Technologies de Lille.
OUATTARA Aboubacar Adama, KROUBA Gagao Isabelle Débora, KOUAKOU Aristide Colette Adjoua, ADEPO Adjinan Isabelle Régina., FAURET Pierre, COULIBALY Bamoro, KABA Dramane., KOFFI Yao Jean Julius, ASSI-KAUDJHIS Joseph Pierre, COURTIN Fabrice, 2017, « Pression anthropique et dynamique paysagère en zone de forêt ivoirien dans la région de Méagui », In Conflits, dynamique des paysages et sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne, Tropicultura numéro spécial, Belgique, Agri-Overseas, p. 47-58.
PICHERAL Henri. 1982, «Géographie médicale, géographie des maladies, géographie de la santé», In: Espace géographique, Tome 11, N°3, 1982. p. 161-175, Doi : https://doi.org/10.3406/spgeo.1982.3751.
https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1982_num_11_3_3751RUF François, 2008, «Les zones forestières et la lente intégration de l’élevage dans les exploitations de cultures pérennes : Ghana, Côte d’Ivoire et Sulawezi (Indonésie). Systèmes de production et de durabilité dans les Suds », Poitier, MSHS, Février 2008. http://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1992_num_21_4_3110.
 

Downloads

Publié

19 Janvier 2019

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2019,, mis en ligne le 19 Janvier 2019. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=34

Numéro

Rubrique

Cartographie, Imagerie, SIG et Santé