2019/Vol.2-N°3 : Migration et santé en Afrique subsaharienne

2 |Accès à l’eau potable et maladies hydriques chez les immigrés dans la ville de Gagnoa (Centre-ouest de la Côte d’Ivoire)

Access to drinking water and waterborne diseases among immigrants in the city of Gagnoa (West Central C

Auteurs

  • KOUADIO Anne Marilyse Maître de Conférences, Docteure en géographie sociale kamarilyse@yahoo.fr, Ecole Normale Supérieure d’Abidjan (Côte d’Ivoire)
  • MONDESIR Thierry Koraba Doctorant en Géographie de l’environnement et de la santé thierrymonde2014@gmail.com, Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan- Côte d’Ivoire)

Mots-clés:

Gagnoa| population| migration| accès à l’eau potable| maladies hydriques|

Résumé

La ville de Gagnoa en Côte d’Ivoire se distingue par l’ancienneté et l’ampleur des migrations étrangères. Si les flux constants de migrants étrangers vers la ville ont contribué à la dynamique urbaine, il n’en demeure pas moins qu’ils engendrent aujourd’hui avec l’insuffisance de planification urbaine, des problèmes d’exclusion du projet urbain et d’accès à l’eau potable. C’est pourquoi, les buts poursuivis par cet article sont : de caractériser les migrations étrangères vers la ville de Gagnoa, montrer leur influence sur l’accès à l’eau potable, tout en établissant leur lien avec les maladies hydriques. Fondés sur une approche transversale avec une méthode clivant données documentaires et informations de terrain, les résultats du travail montrent que les quartiers de la ville de Gagnoa à très forte composante d’immigrés, ceux nés spontanément sous la pression démographique et l’extension de la ville, sont ceux qui ont une forte prévalence de maladies hydriques du fait de leur accès limité à l’eau potable. Cette situation s’explique par la consommation de l’eau de qualité douteuse (puits non protégés des latrines, eau de surface et des ruisseaux) dans de fortes proportions soient 89,38% des ménages à Dar-Es-Salam, 84,34% à Sokouradjan, 83,59% à Odiennekourani, 74.20% à Delboh, 75,46% à Sokoura, 63,81% à Dioulabougou et 54,28% à Libreville.

Introduction

La Côte d’Ivoire se distingue dans la sous-région Ouest africaine par son modèle économique fondé sur les migrations. En effet, les cultures du café et du cacao constituent le socle de l’économie ivoirienne depuis l’époque coloniale. Aussi, pour le développement de cette économie de plantation, les autorités coloniales d’abord et celles post-indépendantes ensuite, ont-elles eu recours à d’importants contingents de migrants, à la fois pour les atouts écologiques de la zone, favorables à ces cultures, et pour son sous-peuplement initial en même temps que le système productif reposait sur des pratiques extensives (Ronan Balac, 1998 cité par Beauchemin, 2005, p. 10). S’il est clair que ce mouvement de colonisation a été encouragé par les autorités coloniales puis par le pouvoir indépendant, il n’en reste pas moins que les migrants, internes et internationaux, ont joué un rôle capital dans la dynamique urbaine surtout dans le Centre-Ouest du pays. Antoine Philippe et al. Parole d’un taux de croissance des villes de 10% par an en moyenne (1987, p. 47).
Ainsi, les flux migratoires constants ont impulsé une forte évolution du taux d’urbanisation dans le centre-ouest ivoirien d’année en année passant de 2,9% en 1932 à 12,9% en 1955, à 24,5% en 1965, à 32% en 1975 et 39% en 1988 (Antoine Philippe et al, 1989, p. 45). Sur la même période, cette évolution correspond à des taux de croissance urbaine de 4,1%, 8,5%, 14,3%, 8,2%, 5,5% et 6,5%. Par conséquent, la croissance des villes est toujours plus rapide que les plans d’aménagement et la planification des équipements. A propos, Jeannée E et Salem G (1989, p. 205) affirmaient que lorsque le poids démographique urbain n’est pas induit par le développement industriel, mais plutôt par les flux migratoires, cette urbanisation-démographique entraîne une pénurie de l’emploi, la naissance de quartiers précaires spontanés ou des quartiers lotis sous équipés. Dans un tel contexte l’arrivée en ville de migrants ruraux sans qualification, sans emploi stable mais des rôles de tâcherons, peu ou pas scolarisés, avec 75,2% d’analphabètes et 6,5% de personnes ayant appris l’instruction à l’école coranique parmi les populations immigrées (INS, 2001, p. 85), pose des problèmes divers dont celui de leur intégration dans la ville, et surtout celui de l’accès à l’eau potable. Dès lors, les immigrés exclus du projet urbain se réapproprient l’espace urbain à leur façon et adoptent des modes d’approvisionnement en eau de boisson de mauvaise qualité en se conformant aux pratiques traditionnelles de l’hygiène des puits (OMS, 1994, p. 19) Ces facteurs environnementaux favorisent la propagation des maladies liées à l’eau selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Cette logique s’observe dans la ville de Gagnoa où l’on observe le poids des migrants étrangers sur l’extension de ses quartiers Ouest. Ces populations désignées par le vocable « immigrés étrangers » au sens strict de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), c‘est-à-dire « des personnes qui ont quitté leur lieu de résidence habituelle, ont franchi la frontière internationale avec changement de leur statut juridique, peu importe le caractère volontaire ou involontaire du déplacement, les causes du déplacement ou la durée du séjour ». Quoique les populations ivoiriennes venues d’autres contrées internes du pays soient considérées comme « immigrées » à Gagnoa, la réalité constatée sur terrain met en selle des populations immigrées étrangères, précisément des populations venues de pays limitrophes. A ce propos, le RGPH 1975 chiffrait la proportion d’immigrés non-ivoiriens dans la ville de Gagnoa à 31,8%, cette taille est passée à 34,6% en 1988 et a légèrement régressé à 29,09% en 1998 et 25% en 2014 (INS, 2014). Ce processus de pseudo-urbanisation entretenu par les migrations surtout étrangères génère une transformation radicale des structures sociales traditionnelles et le cadre de vie des populations dans les quartiers Ouest de la ville. L’adoption de nouveaux modes de vie, de nouveaux codes d’hygiène du milieu et la consommation d’eau de puits dans des conditions sanitaires déplorables entraînent l’émergence de maladies hydriques dans les dits quartiers. Les buts poursuivis dans cet article sont : de caractériser le fait migratoire à Gagnoa, montrer son incidence sur l’accès à l’eau potable, tout en établissant son lien avec les maladies hydriques. Cette contribution repose sur l’hypothèse selon laquelle, les quartiers à très forte composante d’immigrées dans la ville de Gagnoa sont ceux ayant une forte prévalence de maladies hydriques à cause de leur accès limité à l’eau potable.

Méthodologie

1. Matériels et méthodes

Cette rubrique rassemble la présentation de l’espace d’étude, le type de recherche menée et la méthodologie utilisée.

1.1. Matériels

La présentation de l’espace et le type d’étude constituent essentiellement la substance des données.
1.1.1. Présentation de Gagnoa, espace d’étude
La ville de Gagnoa, notre zone d’étude est le Chef-lieu de la région du Goh située dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire en pleine zone forestière. Elle est distante de 275 km d’Abidjan la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Elle compte environ 200.000 habitants estimés en 2018. Elle est parsemée de vallées alluviales marécageuses. Ces zones hydromorphes impropres à l’habitat ont été remblayées sur 292 ha sur les 1283 ha, puis investies par les migrants pour la construction d’habitations. Le site correspond à un plateau avec des collines de faibles altitudes délimitées par des bas-fonds dans lesquels circulent les ruisseaux Gnousso, Drebot et la principale rivière le Guéri (affluent du fleuve Sassandra). La localisation de la ville est comprise entre les 605 ’30’’  et 609 ’30 de latitude Nord et entre les 505 ’30 et 505 ’50 de longitude Ouest (Carte n°1).

carte1

La carte de localisation de la ville de Gagnoa ci-dessus, montre un site urbain très morcelé par les marécages et les zones humides. Ces zones humides compartimentaient jadis les interfluves par une succession de talwegs à fonds plats recoupant les collines de faibles altitudes en cinq entités spatiales. Ces zones humides sont drainées par les affluents de la rivière Guéri que sont les ruisseaux Drébot, Gnousso et Kouablo coulant en pleine agglomération.
1.1.2. Type d’étude
Cette contribution s’inscrit dans une approche transversale. Elle se fonde en partie sur des données livresques pour argumenter l’influence des mouvements migratoires sur la dynamique démographique de la ville de Gagnoa, le mode d’occupation de l’espace et la distribution des différentes populations dans la ville.
Par ailleurs, l’enquête épidémiologique à visée descriptive achevée par Mondésir dans la ville de Gagnoa en 2018 dans le cadre de sa thèse, a permis de mesurer les effets pathologiques des maladies hydriques, de cerner leur répartition, leurs fréquences, leur intensité et leur localisation dans l’espace urbain avant d’en analyser les causes (Bonita R et al, 2010, p. 26). Emboitant le pas aux géographes de la santé, l’épidémiologie descriptive permet de vérifier les hypothèses spatiales (Vigneron E, 1995, p. 37). En outre, l’OMS précise que pour réaliser des études épidémiologiques, il faut collecter des statistiques de santé sur les effets afin de révéler la mortalité ou la morbidité, avant d’évoquer les facteurs d’exposition de l’environnement (1972, p. 300-301).
De plus, l’enquête-ménage nous a été utile pour remplacer les données de santé manquantes dans les registres souvent mal renseignés par les professionnels de la santé, ou introuvables du fait que tous les malades ne vont pas à l’hôpital. Dans ce dernier cas, les données sont venues en complément de l’épidémiologie analytique pour cerner les liens de cause à effet.
1.1.3. La recherche documentaire
Elle se fonde sur plusieurs sources : bibliographiques, épidémiologiques, cartographiques et démographiques.
  • Les données bibliographiques sur les migrations
Leur convocation dans la contribution obéit à comprendre l’influence des courants migratoires sur la planification de la ville de Gagnoa, la présence des immigrés dans les quartiers Ouest et les problèmes d’assainissement et de manque d’équipements de base dans certains quartiers et leurs implications sur l’espace. Plusieurs auteurs ont confirmé la convergence des flux migratoires vers la zone forestière de l’ouest ivoirien (centre-ouest et sud-ouest). L’histoire de ces territoires se confond avec l’histoire économique de la Côte d’Ivoire. Les publications diverses et variées, font dates et quelques-unes sont récentes. Les différentes étapes des migrations (Saint-Vil, 1975 ; Dozon et Chauveau, 1985 ; Bocquier et Traoré, 2000 ; Beauchemin, 2005 ; Gary-Tounkara, 2007 ; Cissé, 2013, etc.) ont été au point de vue économique, bénéfiques pour gagnoa mais contraignantes en ce qui relève de la planification urbaine. A l’instar d’autres villes d’accueil de migrants en Afrique de l’Ouest et dans le monde, plusieurs quartiers sous-équipés ont vu le jour, et les politiques d’aménagement local ne les prennent pas en compte. On assiste donc au développement des établissements informels, tout portant à croire que les migrants sont marginalisés (Elisabetta Rosa, 2015).
  • Les données épidémiologiques
Elles concernent le dépouillement des registres de consultations curatives des centres de santé de la ville de Gagnoa à savoir : le dispensaire Notre Dame des Apôtre NDA, le Dispensaire Urbain, le CSU château, la PMI, le SSSU, l’Hôpital Générale et le CHR. Les informations recherchées sur les patients ont concerné les critères d’inclusion à savoir, la validation des maladies hydriques dans l’espace urbain à partir des signes cliniques, le lieu de résidence dans la ville, le sexe, l’âge, et la nationalité des consultants.
  • Les données cartographiques
Trois fonds cartographiques ont été nécessaires. Le plan parcellaire de la ville de Gagnoa du cadastre édité en 2015 à l’échelle 1/15000ème par le Ministère de la Construction et de l’Urbanisme (MCU), actualise les nouveaux lotissements habités. Les limites des quartiers permettent de faire correspondre les cas de maladies dans leur aire géographique.
  • Les données démographiques
Les données démographiques sur les immigrés ont été obtenues dans les archives de rapports techniques de la ville au Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) et dans les bases de données démographiques actualisées du RGPH, 1975, 1988, 1998 et ceux de 2014.
1.1.4. La recherche sur le terrain
L’observation de terrain a débuté par une enquête dans 20 ménages par sondage directif par la méthode boule de neige dans les quartiers Ouest de la ville à raison de 10 (Commerce, Résidentiel1, Résidentiel 3, Sogefiha) sur les crêtes et 10 ménages visités dans les zones basses (Dioulabougou, Odiennekourani, Dar-es-Salam, Delboh et Sokoura) choisis de façon aléatoire afin de connaître le temps de pression de l’eau potable au robinet surtout dans les foyers des quartiers Ouest. 5 ménages d’immigrés ont été visités respectivement dans chacune des composantes. Contrairement à Dos Santos S. (2006) qui estimait les niveaux d’accès à l’eau potable à partir des distances parcourues du domicile au point d’eau, nous avons plutôt adopté la technique du temps de pression de service dans le ménage par jour. Pour la vérification de la conformité technique des systèmes d’assainissement des excrétas humains et des puits, un audit environnemental des sanitaires a permis de cerner les risques encourus par la consommation d’eau de puits.

1.2. Méthodes

Après la collecte des données sur les malades, le calcul du taux de prévalence a permis de révéler les zones à risque des maladies hydriques selon la formule suivante :
Le taux de prévalence a été rapporté à 1000 personnes. Ce taux a été calculé en estimant les populations à risque sur la base du RGPH 2014 et des ajustements prenant en compte la réalité de la densification complète ou partielle des quartiers neufs inexistants en 1997. Le traitement cartographique a consisté à faire « une corrélation spatiale » (Vigneron E, 1995, p. 40) par la synthèse cartographique afin de montrer le lien entre les niveaux d’accès à l’eau potable et les maladies hydriques. Cette approche synthétique permet de répondre aux questions fondamentales de la géographie de la santé que Picheral H (1989) résume en ces mots : « pourquoi ici et non pas ailleurs ? ». Pour ce faire, le logiciel Arc-Gis 10.2.2 a permis de créer la table attributaire de chaque groupe de variable afin de les gérer et faire l’analyse spatiale.

Résultats

2. Résultats

Les résultats issus de la synthèse de la littérature et de l’exploitation des résultats d’enquêtes réalisés entre 2016 et 2018, sont les suivantes : les flux migratoires surtout externes ont fortement influencé l’évolution démographique de la ville de Gagnoa ; les nouveaux arrivants investissent des espaces non pris en compte dans la planification urbaine. En conséquence, les quartiers informels ne bénéficient pas de l’accès des services urbains fondamentaux comme l’adduction d’eau potable et le raccordement au système d’assainissement des excrétas humains. Il s’ensuit la précarisation du cadre de vie des populations et la survenue des maladies hydriques.

2.1. L’influence des flux migratoires sur l’évolution démographique de Gagnoa

L’essor démographique de la ville de Gagnoa se confond à celui de son département de rattachement (département de Gagnoa) voire de sa zone de localisation (Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire). Et cela, du fait de la prépondérance des flux externes pendant deux périodes importantes de l’histoire de la Côte d’Ivoire : de 1930 à 1950 lors de la mise en valeur de la Basse Côte d’Ivoire, et après 1960 avec l’encouragement des autorités politiques pendant la réalisation des grands projets d’aménagement et de développement du Sud-Ouest et du Centre-Ouest (Port Autonome de San Pédro, routes, plantations d’Etat de café, de cacao, d’huile de palme, etc.). Par ailleurs, la migration scolaire impulsée à partir des années 1970 a contribué également à renforcer les flux des élèves dans « la capitale du fromager ».
2.1.1. L’impact de la mise en valeur du centre Ouest sur l’évolution démographique de la ville de Gagnoa
Le poste colonial de Gagnoa fut créé et mis en service en décembre 1912 par le lieutenant Person, venant compléter les postes d’Issia, de Daloa et de soubré en activité depuis la période 1898-1908, pour former le pays Bété rattaché au cercle de Sassandra (Dozon, 2000 : p. 49-54). L’essor démographique de Gagnoa est ancien et donc intègre le vaste ensemble ouest de la Côte d’Ivoire. A propos, Cissé Chikouna (2013, p. 21-84) qualifie les flux migratoires vers cette zone de « massifs forestiers et constitués de population étrangère (Gagnoa, Oumé, Bouaflé et Zuénoula) ». En effet, avec l’ouverture d’un front pionnier agricole dans la région de l’Ouest, un complexe agro-industriel de la Société des Plantations Réunies de l’Ouest Africain (SPROA) fut créé en 1926 à Gagnoa pour sa forêt luxuriante et favorable aux cultures de rente, singulièrement le café et le cacao. Ces vastes plantations agro-industrielles nécessitaient une main d’œuvre agricole bon marché. Pour ce faire, les premiers colporteurs dioula comme Sekou Baradji et Yacouba Sylla protégés et favorisés par l’administration coloniale ont créé leurs filières de recrutement de main d’œuvre utilisée par les planteurs européens. La subdivision de Gagnoa prit, dans les années 1930, une importance de premier plan dans le schéma d’ensemble de la mise en valeur agricole de la Côte d’Ivoire, depuis qu’elle fut recommandée par les instructions du gouverneur Reste qui favorisa grandement la nouvelle orientation économique de la Côte d’Ivoire. Ainsi, Gagnoa devint un pôle migratoire important alimenté par les travailleurs des cercles du nord et des colonies limitrophes du Soudan français, de la Haute-Volta et de la Guinée française. Ceux-ci furent employés principalement sur les exploitations agricoles. Selon le recensement nominatif du 1er Juillet 1926, la ville comptait 584 habitants dont 19 planteurs et commerçants. La population de la ville fut portée à 1207 habitants dont 57 planteurs et commerçants selon le recensement nominatif du 8 Mars1936 ; soit un doublement en 10 ans. En 1936, la SPROA employait pour ses plantations, un ensemble de 3000 manœuvres, en provenance aussi bien de la Haute-Volta que de la Moyenne Côte d’Ivoire à Gagnoa. Les contraintes étant levées avec la loi Houphouët-Boigny sur l'interdiction du travail forcé dans les territoires d'outre-mer en 1946, les travailleurs venus du pays soudanais et les autochtones vont porter la population à 2124 habitants en 1948. Le succès des cultures de rente à l’exportation renforça la présence des immigrés à cette période à Gagnoa où ils s’installent dans le quartier des affaires et de résidence des colons à Residentiel I, Libreville Nayraiville et le Commerce où y servaient comme domestiques, manœuvres dans les unités de scierie de bois, d’huilerie, de magasins de tissus, etc. Leur nombre fait tâche avec l’arrivée de leur famille. Plus tard, pendant la première décade de l’indépendance en 1960, ces populations ont été relogées sur le site de Dioulabougou (quartier à dénomination ethnique à cause de la communauté de la langue parlée par les résidents, le « jula » ou « Dyula » ou encore « Dioula »). Et cela, pour assainir et désengorger le Commerce. Par la suite, Dar-es-salam et Odiennekourani sites marécageux et Delboh, espace occupé par des rizières ont spontanément été investis sans la validation des collectivités locales mais avec leur mutisme complice comme pour les remercier de constituer un électorat pour le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA). Plusieurs ont acquis la nationalité pendant les échéances électorales de 1970 et même plus tard, tout en ne renonçant pas à leurs nationalités d’origine. Ils gardaient d’ailleurs des relations étroites avec leurs pays d’origine en s’y rendant régulièrement au moins une fois par an. Les déplacements vers Gagnoa étaient essentiellement liés à l’économie agricole coloniale.
A la proclamation de l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960, les flux importants en provenance de l’hinterland vers Gagnoa se sont maintenus par nécessité de main d’œuvre pour la construction des territoires ivoiriens. En 17 ans, elle a vu sa population multipliée par 10 avec 2,2% de taux d’accroissement naturel et 6,7% de taux d’immigration sur la même période. La population de la ville a atteint successivement 42 363 habitants en 1975 ; 84 911 en 1988 ; 107124 habitants en 1998 ; 170 380 en 2014 et est estimée à 190 000 habitants en 2018 (INS, 1975 ; 1988 ; 1998 et 2014). Ces populations correspondent à des taux d’accroissement moyen annuel de 7,2% entre 1965-1975, 5,5 entre 1975-1988, 2,7% entre 1988-1998 et 3% entre 1998-2014.
L’observance de l’occupation résidentielle dans la ville de Gagnoa traduit un pan de cette époque.
Le tableau n°1 signale une présence importante d’immigrés dans plusieurs quartiers de la ville de Gagnoa. Ces populations résident pour l’essentiel dans les quartiers d’habitats évolutifs sauf au Commerce. Leur présence est plutôt expressive dans les quartiers Ouest où leurs pourcentages sont élevés : 54,39% au quartier Commerce, 53,13% à Daresalam, 40,88% à Odiennekourani, 31,85 à Dioulabougou et 29,71% au quartier Delboh. La particularité de ces quartiers contrairement aux autres, est leur poussée comme des champignons à l’ombre de la planification urbaine. Par conséquent, ce sont des quartiers non lotis non viabilisés.
La proportion de non-ivoiriens dans la ville de Gagnoa qui était de 31,8% au RGPH 1975, est progressivement passée à 34,6% en 1985 et 29,09% en 1998. Le tableau 1 actualise les projections de l’INS en 2016 avec 52 109 immigrés estimés. Ainsi, on peut aisément affirmer que Gagnoa est un territoire d’immigration marqué par le temps. Car, pendant la periode inter censitaire 1988-1998, on note une contribution importante des migrations étrangeres à la dynamique de la population qui se chiffre à plus de 0,84 % pour un taux d’accroissement moyen annuel de 2,9 % ; soit plus de 29% de la croissance moyenne annuelle soit deux fois plus que plus la moyenne nationnale (moyenne nationnale 0,4% de solde migratoire éxterne positif, soit 12% du taux d’accroissement moyen annuel selon l’INS) du 1/4 de sa croissance s’expliquent par des mouvements migratoires (CIRES, 1988, p. 52). Cette situation se confirme par les données du RGPH 2014, la ville marque la présence de non-ivoiriens à 25% de la population avec 29,09% des résidents, soit plus d’1/4 de la population urbaine. Si la crise de 2002 justifie la réduction des flux, force est de constater que ce flux s’est maintenu jusqu’à nos jours. Parmi ces immigrants, on compte 30 000 naturalisés issus des 1ere, 2eme et 3eme generation d’immigrés et 28 549 étrangers avec 15 644 femmes soit 54,79% des effectifs et 12 905 hommes soit 45,21% des effectifs (RGPH, 2014). Les femmes immigrées rejoignent les hommes pour le regroupement familiale ou pour des raisons économiques. Si ces flux ont accusé un leger ralentissement entre 2002 et 2010 du fait de la crise, ils ont connu un regain de vitalité entre 2011 et 2019. Dans un tel contexte, les difficultés liées à l’aménagement, la viabilisation et l’approvisionnement en eau potable sont accentuées. Le constat de la non maitrise de cette urbanisation fondée sur d’importants flux migratoires étrangers engendre des contraintes de développement à l’opposé des principes d’une ville inclusive fondée sur l’équité, l’intégration et la participation des populations au projet urbain sans exclusion.  Ces afflux ont forcément des incidences sur le mode d’occupation de l’espace, sur l’accès aux équipements et services de base parmi lesquels l’adduction en eau potable.
2.1.2. Les migrations scolaires, une particularité de Gagnoa
La fonction scolaire de la ville en partie facilitée par la création du collège d’enseignement général en 1958, a eu une nette influence sur l’augmentation de la population, soit 40 % de la population totale de Gagnoa en 1974. J Saint-Vil (1975, p. 387) parle de 14109 élèves en 1974, sur une population urbaine de 42363 habitants en 1975. Sur 7 établissements secondaires que comptait la region 6 demeuraient dans la ville de Gagnoa avec 3561 jeunes orientés dans la ville. C’est ainsi que 80% des collègiens en provenance des villages et sous-préfectures de la Région du Goh entretenaient un flux migratoire constant. Cet exode se poursuit encore aujourd’hui avec une fonction scolaire très marquée. A propos, en 1992 le PDM réalisé par le DCGTx donnait un effectif de l’enseignement primaire de 12 567 élèves repartis dans 279 classes, pour 43 écoles, 8849 éleves dans le secondaire avec 12 établissements pour 178 classes et 4 écoles d’enseignement technique pour 346 éleves . Aujourd’hui, avec le développement des lycées et colleges dans les chefs lieux de sous prefecture de la region du Goh, aussi bien les autochtones que les enfants d’immigrés entretiennent ces flux migratoires vers la ville, portant l’effectif du primaire à 6538 éleves pour 24 écoles privées, 25 colleges privés pour 17109 éleves, 22000 éleves du primaire public, 14660 des lycées et 734 éleves dans l’enseignement professionnel. Ce qui donne un total de 61042 éleves selon la Direction Régionale de l’Education Nationale et de l’Enseignement Technique (DRENET) de Gagnoa. Sur cette base, on estime la part des migrants scolaires à 27% sur les 174 719 habitants en 2015. Ces chiffres montrent l’influence de cette migration sur le croit démographique de la ville de Gagnoa, tout comme les migrations de travail des immigrés vers la ville.

2.2. Impact des migrations sur l’accès à l’eau potable et au système d’assainissement des excrétas humains

Les quartiers investis par les immigrés sont pour la plupart sous-intégrés à la ville et à l’ombre de la planification urbaine. Les populations ne peuvent donc pas bénéficier des services publics urbains dont l’adduction d’eau potable et l’assainissement, deux services de base nécessaires à l’hygiène en milieu urbain.
2.2.1. Les difficultés d’accès à l’eau potable dans les quartiers à fort contingents d’immigrés
Depuis 2006, le développement de la ville de Gagnoa n’a pas donné lieu à de véritables extensions de nouvelles canalisations en conduites maitresses et une optimisation des diamètres du réseau d’adduction d’eau potable déjà posés dans les quartiers lotis et habités. Tout particulièrement, les quartiers Daresalam, Odiennekourani, Sokouradjan, et Sokoura occupés par les migrants issus des dernières vagues de migrations externes, ne disposent pas de réseaux secondaires adéquats au point d’en faire des quartiers exclus du projet urbain. D’après nos enquêtes de terrain 2016-2018, sur 322 Km de voierie urbaine, seulement 125 Km de conduites maitresses assurent la distribution d’eau potable, soit un taux de couverture de 38%. Cependant, 198 Km de réseaux de conduites restent manquantes soit 62% du linéaire. Par conséquent, ces chiffres relatif à l’alimentation des nouvelles zones d’extension urbaine s’appuient très souvent sur des antennes très éloignées du front pionnier urbain faute de réseaux secondaires adéquats. Cette situation ne permet plus de satisfaire de nombreuses demandes d’abonnement au risque de déséquilibrer davantage le réseau. Si en 2006, les abonnés de la société de distribution d’eau potable (SODECI) étaient 6922, en 2016, ils s’évaluaient à 10200 abonnés soit une hausse de 3278 en 10 ans. Pourtant, le réseau n’a pas fait de bond significatif. Toujours selon nos estimations, la proportion des ménages urbains utilisant l’eau courante s’établit à 31.09% des 32 800 ménages estimés en 2016. Ce qui parait assez faible.
Malgré un équipement sommaire en conduite secondaire dans les quartiers d’immigrés comme Daresalam, Odiennekourani, Sokouradjan, et Sokoura, avoir le réseau de conduites maitresses à proximité ne signifie pas pour autant avoir un accès régulier à la pression d’eau de service. Compte tenu du sous-équipement des nouveaux lotissements, plusieurs quartiers sont confrontés à des irrégularités de service ou des difficultés d’accès à l’eau potable qui diffèrent des quartiers Ouest aux quartiers Est de la ville de Gagnoa. Au cours des sondages réalisés au sein de 20 ménages, les résultats ont montré que les quartiers qui souffrent très peu du stress hydrique ou qui bénéficient d’un accès à l’eau potable très amélioré (accès très facile) avec une pression d’eau potable au robinet supérieure à 22h /24 sont situés à proximité du centre historique de la ville ou de l’usine de traitement d’eau situé à Cocoville. En revanche, les quartiers qui souffrent peu de stress hydrique ont un accès amélioré, (accès facile) reçoivent une pression d’eau potable au robinet de 18 à 21h/24. Les quartiers qui souffrent moins de stress hydrique ont un accès moyen avec une pression d’eau potable au robinet qui varie de 10 à 17h /24h. De 6h à 9h/24h, les quartiers qui souffrent plus de stress hydrique ont un acces médiocre (accès difficile), autrement dit le niveau de service est faible. Cependant, de 0 à 5h/24h, l’accès à l’eau potable est très médiocre (accès tres difficile) avec un très faible niveau de pression d’eau potable dans les quartiers qui souffrent beaucoup plus du stress hydrique (Carte n°2).
carte2Au regard de la carte 2, on observe que les quartiers évolutifs à la périphérie Ouest de la ville où vivent en majorité les immigrés, ont des difficultés d’accès à l’eau potable avec un niveau de service très faible moins de 5h/24h à Dar-es-salam et Sokoura et 7h par jour à Sokoura et le quartier château ou Odiennekourani. Contrairement aux zones d’extension récente déjà mentionnées, les quartiers Dioulabougou et Commerce sont des exceptions où la pression de service dépasse les 20h jour. Cela s’explique par le fait que ces quartiers historiques sont traversés par des conduites de gros diamètres qui distribuent l’eau potable à chaque extrémité de la ville. Ces quartiers centraux ont été canalisés au milieux des années 1970 par des grosses conduites qui offrent une bonne pression d’eau de service.
Cette irrégularité dans la distribution d’eau potable à Gagnoa en générale et dans les quartiers périphériques à fortes proportions d’immigrés, influence le mode d’approvisionnement en eau des ménages dans un environnement dominé par un système d’assainissement des excrétas défectueux.
2.2.2. L’influence des systèmes d’assainissement des excrétas humains sur la qualité de l’eau de boisson des ménages
Dans ces quartiers très densément peuplés et occupés en majorité par des migrants étrangers, il n’existe pas de réseau d’assainissement. Dans le meilleur des cas, le traitement de excrétas humains et animaux est assurée au niveau de la parcelle par des fosses septiques pour 12% des ménages enquêtés et 88% de fosse sèche non étanche de latrine. Si durant ces dernières décennies, l’approvisionnement en eau des nouveaux sites urbains colonisés par les émigrés se faisait par la construction systématique de puits tolérés par l’administration, cette tolérance a souvent fait passer au second plan le souci de la qualité et de la qualité de l’eau. Parmi les principales sources de pollution des eaux de puits, figurent les formes non hygiéniques d’évacuation des excretas humains et des eaux usées domestiques. Car les fosses sèches des latrines en principe non étanche sont mal utilisées par les populations ou sont  très souvent humides à cause de l’utilisation conjointe des fosses pour l’évacuation des eaux de ménage, les excrétas humains et des eaux de toilette. Ces pratiques non hygiéniques d’évacuation des eaux usées domestiques contaminent les réserves d’eau souterraine par des particules d’eau vannes contenant des germes microbiens.
La preuve de cette contamination bactérienne par les germes microbiens témoins de pollution fécale a été faite au cours d’une enquête de terrain effectuée sur la période 26, 27 et 28 Avril 2018 au cours de laquelle des prélèvements d’eau ont été effectués pour analyse par l’Institut National de l’Hygiène publique (INHP). Les résultats de cette analyse microbiologique des eaux des puits revèlent que ces eaux à usage de boisson dans la ville et en particulier celles des ménages des quartiers à forte proportion d’immigrés sont non conformes aux normes de qualité des eaux de boisson de la directive de la qualité des eaux de l’OMS (2004). Et cela est conforme aux résultats obtenus lors de nos enquêtes auprès de 365 ménages en juin 2016 (Mondesir TK et al, 2018b, p. 34), 189 ménages buvaient l’eau de 94 puits traditionnels et avaient leurs eaux de puits contaminées par des bactéries témoins de pollution fécale. Cette pollution fécale en provenance des latrines concerne 96,9% des échantillons analysés. Les taux de non-conformité bactérienne des puits analysés sont respectivement de 98,7% de coliformes totaux, 98,7 % de coliformes thermo-tolérants, 91,4 % d’Escherichia coli et  98,7 %, de streptocoques fécaux. La géolocalisation des puits dans l'espace a confirmé que les sites de bas-fond des quartiers Dioulabougou, Odiennekourani, Dar-es-Salam, Delboh et Sokoura exposent beaucoup plus l'eau des puits à la pollution bactérienne que les versants ou les interfluves en ville. Cette pollution s’explique pour plusieurs raisons: la très forte densité de fosses dans les environs des réserves d’eau souterraine, le niveau élevé de la nappe dans les zones basses, la saturation des ouvrages d’assainissement par un surcroit de population, la non-conformité technique des fosses de latrine d’étanchéité douteuse ou des zones d’implantation inappropriée de fosses de latrine dans le sens d’écoulement des eaux souterraine et enfin le non-respect des distances entre puits et ouvrages d’assainissement (Photos n°1 et n°2).
Photo n°1 et n°2 : Puits situés en aval de latrines à fosse sèche combinée à une fosse de douche

photo1-2

Les puits sur les photos 1 et 2 ne respectent pas les distances réglementaires d’hygiène de 15m ainsi que la position en amont du puits de la source de pollution que representent les fosses de latrine. Par conséquent, ces exemples montrent que ces puits sont exposés au transfert d’effluents d’eau vannes en provenance des fosses de latrines d’étanchéité douteuse, combiné à l’eau de toilette des douches qui inondent les réserves d’eau de boisson des ménages en micro-organismes pathogènes, surtout dans les zones de bas-fond.
2.2.3. Les modes d’approvisionnement en eau de boisson dans les quartiers d’immigrés dans la ville de Gagnoa
Face à un accès difficile des ménages à l’eau potable les seuls recours restent les ressources alternatives telles que l’eau de puits ou l’eau de pluie. A propos, la plupart des populations migrantes ayant une capacité à payer un abonnement au réseau réduite, consomme l’eau de puits à 69,66% de l’ensemble des ménages. Dans les quartiers ouest, la proportion des ménages urbains utilisant de l’eau de qualité douteuse (puits non protégé des latrines, eau de surface et des ruisseaux) reste très forte à Daressalam pour 89,38% des chefs de ménage, 84,34% à Sokouradjan, 83,59% à Odiennekourani, 74.20% à Delboh, 75,46% à Sokoura, 63,81% à Dioulabougou et 54,28% à Libreville. Cette généralisation de la consommation d’eau de qualité douteuse impacte le profil sanitaire de la ville de Gagnoa, dans la mesure où les defauts de conception des systèmes d’assainissement des excrétas humains dégradent la qualité de l’eau de boisson des ménages. Dans l’espace urbain, l’impact de la consommation d’eau de boisson de qualité douteuse génère des inégalités spatiales des maladies hydriques dans la ville en génrale, mais surtout dans les quartiers à forte concentration d’immigrés.

2.3. Épidemiologie descriptive des maladies hydriques dans la ville de Gagnoa

Les maladies hydriques sont fréquentes dans la ville et varient selon les années et surtout en fonction des caractéristiques sociodémographiques des consultants. 
2.3.1. Les fréquences des maladies hydriques dans la ville de Gagnoa
Par ordre d’importance, les maladies hydriques ont été rangées selon leur prédominance et leur proportion (Tableau n°2).
Tableau n°2: Fréquence des maladies diagnostiquées dans la ville de Gagnoa en 2013 et en 2015

tableau2

Au regard des données du tableau n°2, on note que plusieurs maladies sont diagnostiquées chez les malades des centres de santé de Gagnoa en 2013 et en 2015. Si certaines pathologies comme la gastro-entérite (34,32% de cas signalés en 2013 pour 29,38% en 2015), l’amibiase (19,36% de cas signalés en 2013 pour 14,90% en 2015), les entérites (18,65% de cas signalés en 2013 pour 18,90% en 2015) et l’anémie clinique (14,75% de cas signalés en 2013 pour 7,74% en 2015) sont en regression dans les centres de soins de Gagnoa, elles n’en demeurent pas moins présentes. Certes elles ne sont pas en hausse comme la fièvre typhoïde (6,45% de cas signalés en 2013 pour 8,63% en 2015), la dysenterie bacillaire (3,26% de cas signalés en 2013 pour 4,73% en 2015), les parasitoses intestinales (8,58% de cas signalés en 2013 pour 11,26% en 2015), les ictères hépatiques (0,42% de cas signalés en 2013 pour 1,36% en 2015) et les autres pathologies bactériennes ou non (0,85% de cas signalés en 2013 pour 2,89% en 2015) mais demeurent quasi-présentes dans les diagnostics. La particularité des pathologies est leur caractère commun, leur origine bactérienne. On pourrait l’attribuer aux pratiques communes des malades de consommation de l’eau non traitée et donc non potable conforme à l’adage médical qui enseigne que « l’être humain boit 80% de ses maladies ».
2.3.2. La répartition des maladies hydriques selon les caractéristiques sociodémographiques des consultants
Le profil épidémiologique des malades selon les tranches d’âge médical présente une répartition dominée par les personnes de plus de 15 ans pour 51,71% des cas en 2015 à Gagnoa. Les enfants de moins de 5 ans viennent en deuxième position avec 36,16% des consultés. Cette réalité reflète la proportion d’âge des patients des centres de soins de la ville de Gagnoa.
La distribution des maladies hydriques selon le sexe des consultants montre que le genre féminin est le plus touché avec 1082 cas pour 56,98% des effectifs des consultants dans la ville de Gagnoa en 2015 ; contrairement au genre masculin qui comptabilise 817 cas soit 43,02% de l’effectif. Ce profil est le meme dans les quartiers à forte proportion d’immigrés.
Au niveau de la nationalité des consultants, les ivoiriens sont les populations à risque les plus touchées avec 1366 malades, soit 71,93% de l’effectif des consultés, suivi des guinéens avec 146 malades, soit 11,21% des consultés, les burkinabé ont 122 malades, soit 7,68% des cas et les Maliens avec 6,42% des consultés. Au regard des deux distributions, on constate que les ivoiriens sont les populations les plus à risque dans la mesure où l’étude se déroule en Côte d’Ivoire et les ivoiriens ont un fort taux de fréquentation des centres de santé de la ville de Gagnoa. Parallèlement à cette réalité, on note que 29% des immigrés de la CEDEAO complètent le tableau. Ce résultat est conforme à la réalité ivoirienne où 26% environ de la population ivoirienne est de souche étrangère avec en majorité les ressortissants de la CEDEAO: Mali, Guinée, Burkina Faso pour l’essentiel.
2.3.3. Relation entre la localisation géographique des maladies hydriques et les niveaux d’accès à l’eau potable dans la ville de Gagnoa
La corrélation cartographique entre maladies hydriques  et les niveaux d’accès à l’eau potable dans la ville  de Gagnoa, montre bien une influence des taux d’accès à l’eau potable sur le volume des malades  déclarés en 2015 (Carte n°3).
Carte n°3: Correlation spatiale des maladies hydriques selon le niveau d’accès à l’eau potable dans la ville de Gagnoa

carte3

Sur la carte n°3, on observe que le quartier Odiennekourani (Château) qui a un faible niveau d’accès à l’eau potable concentre le plus gros volume de cas diagnostiqués soit 23,74% des malades de la ville. Dans ce quartier, la Gastro entérite est en tête avec 32,59% des consultés, suivi des Entérites et des Parasitoses qui ont respectivement 19,73% et 17,73%. L’Amibiase vient en 4ème position avec 9,97% suivi des Anémies cliniques avec 7,09%, la Fièvre typhoïde avec 5,32% de l’effectif total des consultations. Au total, Odiennekourani ou quartier Château enregistre en 2015, 451 cas. Après ce quartier, Daresalam vient en deuxième position avec 291 cas chez les consultés. Dans ce quartier, le niveau d’accès à l’eau potable est également très faible. La Gastro-entérite est également le risque sanitaire le plus fréquent avec 27,49%. En revanche, l’Amibiase est en deuxième position avec 24,39% des maladies hydriques les plus courants. Ces pathologies sont suivies par les Entérites 19,93%, les Anémies avec 10,30%, les Parasitoses intestinales 7,21%, la Dysenterie bacillaire 5,16%. Toutefois, la Fièvre typhoïde représente 4,12% des maladies. Le quartier Dioulabougou vient en troisième position avec 215 malades soit, 11,32% des effectifs des malades de la ville. Malgré son excellent niveau d’accès à l’eau potable avec 20 heures de régularité de service, la Gastro entérite représente 32,55% des cas, ensuite l’Amibiase représente 18,13%, les Entérites 13,02%, les Parasitoses 8,37%, l’Anémie 8,83%, la Dysenterie bacillaire 7,44% et la Fièvre typhoïde 6,97%. La Gastro entérite représente également la première pathologie la plus fréquente dans les autres quartiers de la ville avec 39% à Sokouradjan, 33,90% à Sokoura, 38,96% à Zapata un quartier et 33,78% à Babré des quartiers autochtones, 32% à Libreville, 32,69% au quartier soleil, 25,45% à Garahio, 25,53% à Barouhio pour ne citer que ces autres quartiers autochtones. En dehors du quartier commerce qui a le plus fort taux d’immigrés, les quartiers à fort contingents d’immigrés comme Daresalam, Odiennekourani, Dioulabougou, Delboh et Sokoura sont ceux qui concentrent les plus gros volumes de malades supérieurs à la moyenne de la ville de Gagnoa 94 malades en 2015.
Cette premiere étape de l’étude descriptive des maladies hydriques sera completée par une analyse du risque de maladies hydriques dans la population à travers l’analyse de la densité de prevalence des maladies hydriques.
La prévalence d’une maladie est définie par le nombre de patients atteints par le risque sanitaire, divisé par la population en une année. Malgré un volume de malades réduit un quartier peut avoir un taux de prévalence élevé lorsque l’effectif de la population à risque (exposé et non  exposé) est faible voir carte n°4.
Carte n°4 : Densité de prévalence des maladies hydriques en 2015 dans la ville de Gagnoa
catre4La carte des densités de prévalence des maladies hydriques en 2015 à Gagnoa montre des foyers endémiques circonscrits autour de la périphérie urbaine. L’analyse spatiale montre que les quartiers centraux mieux canalisés et bénéficiant d’une bonne pression d’eau potable comme Commerce, le quartier Résidentiel I, Dioulabougou et Nairayville, Gnousso et les quartiers Résidentiel 2 et 3 ont des taux de prévalence nettement inférieurs à la moyenne de la prévalence urbaine de 10,26‰ habitants. En règle générale, on remarque également un faible taux de prévalence des maladies hydriques dans les quartiers qui profitent d’un meilleur accès à l’eau potable sauf les quartiers Cocoville et Babré qui ont des taux de prévalence supérieurs à la moyenne de la ville. Contrairement aux quartiers mal approvisionnés en eau potable comme Daresalam, Odiennekourani, Sokoura, Delboh, Libreville avec 13,67‰ habitants, sont les espaces où les flambées endémiques sont plus ressenties.

Conclusion

Conclusion

Dans la ville de Gagnoa, la relation entre l’accès à l’eau potable et la distribution géographique des maladies hydriques surtout dans les quartiers à forte proportion d’immigrés apparait clairement. Les installations anarchiques des immigrés dans des aires non aedificandi ou leur dynamique démographique constante impacte la faible capacité résiduelle d’accueil de la ville. Surtout lorsque cette situation pèse sur la planification et le développement urbain durable. Certains quartiers ont poussé comme des champignons. Ils sont habités par un fort contingent d’immigrés, principalement Dioulabougou, Libreville, Sokouradjan (les lotissements Delboh 2 et Delboh 2 extension. Ces sous-quartiers ont été électrifiés en 2018 après notre enquête. Sokoura, Daressalam, Odiennekourani dans les marges Ouest de la ville ne sont quasiment pas approvisionnés en eau potable. Ces espaces n’ont pas bénéficié de véritables extensions de réseaux d’eau potable et une optimisation des diamètres des conduites maitresses fait défaut pour assurer une bonne pression de service dans les quartiers partiellement canalisés. En outre, la généralisation des systèmes d’assainissement des excrétas humains non hygiénique impacte la qualité des eaux de puits traditionnels à partir des effluents pollués des fosses de latrine. La plupart des populations migrantes ayant une capacité à payer un abonnement au réseau réduite, consomme l’eau de puits à 69,66% de l’ensemble des ménages. De façon spécifique, les ménages immigrés des quartiers Ouest,  utilisent de l’eau de qualité douteuse (puits non protégé des latrines, eau de surface et des ruisseaux) dans de fortes proportion à Daressalam pour 89,38% des chefs de ménage, 84,34% à Sokouradjan, 83,59% à Odiennekourani, 74.20% à Delboh, 75,46% à Sokoura, 63,81% à Dioulabougou et 54,28% à Libreville. Cette généralisation de la consommation d’eau de qualité douteuse impacte le profil sanitaire de la ville de Gagnoa, dans la mesure où les défauts de conception des systèmes d’assainissement des excrétas humains dégradent la qualité de l’eau de boisson des ménages. Malheureusement, la consommation encore trop importante des eaux de puits de qualité douteuse expose les populations en générale et celles issues des dernières vagues de migration étrangère aux maladies hydriques. Dans ces quartiers à forte proportion d’immigrés, les statistiques des centres de santé ont montré que le premier motif de consultation pour maladies hydriques reste la Gastro-entérite avec 558 cas ; soit 29,38% des maladies hydriques en 2015. Au niveau de la nationalité des consultants, les populations immigrées les plus à risque sont les guinéens avec 146 malades, soit 11,21% des consultés de la ville et 27,08% des populations immigrées, les burkinabé ont 122 malades, soit 7,68% des cas et les Maliens avec 6,42% des consultés. Au total, 539 consultants, soit 29% des immigrés de la CEDEAO font la maladie. Les quartiers les plus à risque sont également les quartiers ouest dominés par de fortes proportions de populations immigrées que les maladies hydriques atteignent des taux de prévalence supérieurs à la moyenne de 10,26‰ habitants.
En termes de recommandations, nous paraphrasons Rosa (2015) dans sa contribution sur la marginalisation socio-spatiale des Rom à Turin, en invitant à se pencher sur la question posés par les impacts de la logique des politiques néolibérales sur les pratiques des populations vulnérables, surtout migrantes et, plus largement, sur leurs modes de vie. Cette orientation est suggérée par les travaux récents de plusieurs auteurs (Vitale, 2009 ; Legros, Olivera, 2014) qui insistent sur la nécessaire dé-labélisation ou dé-ethnicisation des enclaves investis par les migrants. Du point de vue de Rosa, le fait de restituer cette question dans le contexte, plus large, de l’aménagement urbain répond aux mêmes impératifs. Pour notre part, il est nécessaire de décloisonner la « question des enclaves habitées par les immigrés » fortement abusée dans le discours politique en la restituant dans une réflexion plus large sur l’accessibilité et l’habitabilité des villes, et sur les dynamiques de « dé-marginalisation » des espaces bien sûr, mais aussi et surtout des personnes. L’enjeu est académique, mais également politique : ce décloisonnement est en effet une condition sine qua non de la transformation en profondeur des politiques en direction des populations migrantes dans une demarche inclusive. La garantie d’une ville inclusive est à ce prix.

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Publié

30 juin 2019

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2019,, mis en ligne le 30 juin 2019. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=51

Numéro

Rubrique

Espace,Sociétés et Santé