5 |Les logiques socio environnementales du traitement de la fracture des os dans l’arrondissement de Ouedo (Commune d’Abomey-Calavi) au Sud du Benin
Socio environmental bones fracture treatment in Ouedo subdivision (Abomey-Calavi urban District) in Southern Benin
Mots-clés:
Ouèdo| guérisseur| traitement| syncrétisme médical| syncrétisme médical| fracture des os| médecine endogène|Résumé
Plusieurs pratiques endogènes telles que les huiles traditionnelles, les feuilles végétales et les espèces animales sont utilisées par les populations de Ouèdo dans la Commune d’Abomey-Calavi pour faire face à certaines pathologies comme la fracture des os. Ce travail analyse les différents fondements qui caractérisent le traitement de cette maladie dans l’arrondissement de Ouèdo. Il a pour objectif d’étudier les dimensions sociales et environnementales du recours au « syncrétisme médical dans le traitement de la fracture des os ». Et pour y parvenir, des techniques d’enquête fondées sur l’entretien et l’observation ont permis de collecter des informations à l’aide de la méthode d’échantillonnage à choix raisonné auprès de 97 acteurs ayant une connaissance de la maladie. Nos résultats, montrent que l’interaction entre les médecines endogène et moderne pour l’offre de soins aux malades de fracture est flexible même si la dominance est au niveau de la médecine endogène. Plusieurs malades en plâtre ou ceux dont les pieds fracturés sont en fer viennent chez les tradi-praticiens pour la réanimation. De l’analyse des résultats à l’aide de l’approche comparative, il ressort que la construction des chambres d’hébergement, la reconnaissance sociale des guérisseurs par l’affichage, les panneaux publicitaires et l’apprentissage de l’art de traitement de la fracture scellent le syncrétisme médical. Enfin, on note une amélioration du traitement de la fracture des os avec l’usage des béquilles modernes, du végébom et du calcium combiné à des produits traditionnels conçus à base d’espèces végétales et animales qui sort désormais les guérisseurs de l’ornière ancestrale.
Introduction
Toutes les maladies ont une histoire et chaque époque présente ses maladies (P. Adam et C. Herzlich, 2007, p. 89). Certes, toutes les maladies ne sont pas d’origine microbienne, mais il existe de phénomènes qui rendent les acteurs malades. Il s’agit notamment de la fracture des os. Elle prend le titre de la maladie parce qu’elle exempte les victimes des responsabilités habituelles. Quand on est malade, on ne peut les remplir : on ne peut ni travailler ni s’occuper de sa famille. A cet égard, il reste à mentionner que bien qu’elle soit vieille que le monde, la fracture des os est devenue une pathologie (E. Durkheim, 1991, p.263). En raison de sa récurrence due aux accidents de la route et des chutes qui sont passés de 83 à 159 cas entre 2016 et 2017 (CNSR, 2017, p. 157) dans la commune d’Abomey-Calavi. Elle est un phénomène qui interpelle la conscience de l’Etat surtout en ce qui concerne la politique de gestion des voies publiques au Bénin. Ainsi, pour amoindrir les cas d’accidents, il est interdit aux usagers des motos à deux roues d’emprunter certaines artères publiques au Bénin en général et dans la commune d’Abomey-Calavi en particulier. Pourtant, les excès de vitesse des voitures et des motos s’observent quotidiennement. Pour certains, les panneaux de signalisation permettant de discipliner les conducteurs sont des enjoliveurs tandis que pour d’autres, les agents de sécurité installés sur les artères principales pour rendre fluide la circulation sont des figuratifs. En conséquence, les hôpitaux et les tradi-praticiens ne cessent d’enregistrer des cas répétés d’accidents de part et d’autre avec pour conséquence, l’accroissement de la fracture des os qui est passé de 48 à 79 cas entre 2016 et 2017 (MS/HZC-S, 2017, p. 369) dans l’arrondissement de Ouèdo. Face à cette situation, les victimes ont recours à divers traitements. Les raisons des différents recours thérapeutiques varient d’un malade à un autre. Certaines personnes ont recours aux deux types de médecines : traditionnelle et moderne. Par contre, d’autres se fient à une seule, pour des raisons diverses. Plusieurs communautés du Bénin en général et celles Aïzo en particulier qui dominent dans l’arrondissement de Ouèdo ne font pas exception à ces pratiques de traitement de la maladie. Comprendre dès lors les raisons qui sous-tendent les différents choix thérapeutiques n’est toujours pas aisé au niveau de cette communauté. Cette situation est non seulement liée à la nature du mal, mais aussi et surtout à la conception que les acteurs sociaux se font de certains évènements de la vie. De ce point de vue, les fractures révèlent une vision du monde où de nombreuses interprétations se font de part et d’autre par les populations. La société est effectivement dotée de valeurs culturelles égalitaires et sécurisantes qui apportent des solutions voire des remèdes à la valeur d’anxiété qui habite le monde. Ainsi, perçues comme fait culturel, voire ‹‹ fait total ›› au sens de M. Mauss (1950, p. 368), les fractures ne peuvent être traitées que selon les principes du groupe auquel appartient l’individu. Au-delà des aspects biologiques, les Aïzo tout comme les autres groupes socio-ethniques au Bénin sont conscients de la multi-dimensionnalité de l’être humain : être physique, être spirituel, être psychique et être social. L’on a donc estimé que tout évènement et la maladie, en particulier doit être suivi d’une thérapie. Cette thérapie est souvent multidimensionnelle en Afrique en général et au Bénin en particulier avec la combinaison de plusieurs approches médicales et surtout le recours à des « pratiques traditionnelles de guérison » (P-C. Mihorto, 2006, p. 2). Mais force est de constater que cette approche endogène de traitement de la fracture des os est souvent associée à des méthodes modernes dans le milieu d’étude en vue de « soigner au pluriel » cette pathologie (J. Benoist, 1985, p. 142). Au regard de ces différentes étapes qui jalonnent le traitement de la fracture des os, la question fondamentale est de savoir quelles sont les logiques interprétatives développées autour de cette pathologie et quelles sont les pratiques socioculturelles qui justifient l’efficacité de son traitement chez les populations de l’arrondissement de Ouèdo ?
C’est pour mieux répondre à cette préoccupation que la présente recherche est axée sur le thème : « Les logiques socio environnementales du traitement de la fracture des os dans l’arrondissement de Ouèdo (Commune d’Abomey-Calavi) au sud du Bénin ».
Méthodologie
1. Cadre empirique d’investigation et démarche méthodologique
L’arrondissement de Ouèdo situé dans la commune d’Abomey-Calavi au sud du Bénin est limité à l’Est par l’arrondissement de Togba, à l’Ouest par l’arrondissement de Hêvié, au nord par Glo-Djigbé et au sud par l’arrondissement de Godomey. Compris entre 2°3’36,1’’ et 2°17’07,7’’ de latitude Nord et entre 6°24’33’’ et 6°30’47,8’’ de longitude Est, il couvre une superficie de 36 km² soit 6,68% de celle de la commune d’Abomey-Calavi. Il compte au total six villages que sont : Ouèdo centre, Adjagbo, Kpossidja, Dansèkomey, Allansankomey et Ahouato comme l’indique la carte n°1.
Sur le plan démographique, l’arrondissement de Ouèdo dispose de 3460 ménages avec une population totale de 27 522 habitants dont 13 589 hommes et 13 933 femmes (INSAE/RGPH4, 2013, p.17).
Du point de vue de la religion, c’est l’animisme (63%) qui est majoritairement pratiqué par les populations de ce milieu d’étude à travers le culte Vodoun. On y trouve notamment le Vodoun Honvê (23 %), le thron (25%) et attingalli (15%). Le christianisme (37%) est la seconde religion développée dans l’arrondissement de Ouèdo avec le catholicisme, le christianisme céleste, le témoin de Jéhovah, etc. Enfin, on note aussi la présence de l’Islam (10 %) qui est aussi pratiqué par les populations de cet arrondissement.
Carte n°1 : Situations géographique et administrative de l’arrondissement de Ouèdo
Dans le cadre de ce travail, nous avons recouru à une approche mixte qui a permis la collecte des données qualitatives et quantitatives avec l’utilisation des techniques comme l’observation directe et l’entretien semi-structuré dans les quartiers de Sèhé et de Kassèho spécialisés dans le traitement de la fracture des os. Le guide d’entretien et la grille d’observation utilisés dans ce cadre ont permis d’identifier les causes, les conséquences et les différentes facettes de la fusion de traitement de la fracture entre les deux catégories de médecine dans l’arrondissement de Ouèdo. Le choix raisonné est la procédure de ciblage des acteurs interrogés en fonction des informations qu’ils sont susceptibles de fournir sur la pathologie. Cette approche méthodologique a permis de ne prendre en compte que les personnes capables de fournir des informations sur le sujet de recherche. Ces informations ont été collectées de juillet à décembre 2017. Ainsi, tous les malades de la fracture des os en cours et guéris, les guérisseurs traditionnels et les médecins dont nous avons connaissance et qui sont intervenus au cours de cette période dans la prise en charge de la pathologie dans l’arrondissement de Ouédo ont été pris en compte au niveau des lieux d’hébergement traditionnel de Sèhé et de Kassého et des centres de santé de la Commune d’Abomey. Ces différents acteurs interrogés sont récapitulés dans le tableau n°1.
Tableau n°1 : Taille des unités sociales de l’échantillon
La transcription, le dépouillement et l’analyse ont constitué les quatre étapes du traitement des données issues des enquêtes. La transcription des données est faite de manière individuelle et collective sur la base de l’écoute séquentielle des renseignements recueillis lors des entretiens en langues nationales (Aïzo, Fon et Goun) pour certains et en Français pour d’autres. Les fiches individuelles obtenues ont été classées par milieu d’enquête. Le dépouillement a été manuel et organisé avec des logiciels Word et Excel en tenant compte des variables comme les causes, les stratégies de traitement et les conséquences de la fracture des os. La lecture attentive et répétée de toutes les fiches ont permis de dégager les différentes logiques développées sur le plan social et environnemental dans l’arrondissement de Ouèdo pour la prise en charge de cette pathologie. Cette technique a permis de conserver les données recueillies sur le terrain, comparer les données et de dégager des spécificités et enfin définir les grandes lignes d’analyse. L’approche comparative a été utilisée en matière d’analyse pour comprendre les logiques, les interactions sociales, les avantages et les dysfonctionnements du jumelage de la médecine traditionnelle à celle moderne dans le traitement de la fracture des os dans l’arrondissement de Ouèdo.
Résultats
2. Résultats
Les populations de l’arrondissement de Ouèdo ont leur perception de la fracture des os et y développent en retour certaines normes pour son traitement.
2.1. Perceptions de la fracture des os par les populations Aïzo de l’arrondissement de Ouèdo
S’intéresser aux représentations, c’est chercher à comprendre les manières dont les individus construisent le monde qui les entoure, c’est-à-dire, leur environnement immédiat. Il s’agit d’une forme de connaissance socialement élaborée et partagée dont la visée pratique concourt à la construction d’une réalité commune à un ensemble de phénomènes sociaux (L.V. Campenhoudt, 2007, p. 52). L’individu est un acteur qui remodèle et catégorise les informations. La représentation est le résultat d’une activité mentale par laquelle, l’individu constitue le réel et lui attribue une signification. Comment les populations de ce milieu d’étude perçoivent-elles la fracture des os ?
Toute fracture survient au cours d’un accident, d’une chute ou toute action mal placée d’un organe peut la provoquer. Seulement, lorsqu’elle survient, les interprétations y afférentes ne relèvent pas du domaine du normal, de la fatalité c’est-à-dire de ce qui devrait arriver à l’homme mais se conçoit comme un acte de provocation, un effet d’envoûtement ou de malédiction. Sur les 42 malades fracturés et 37 guéris de la fracture des os, respectivement 37 et 34 ont reconnu que la cause de leur accident est due à un envoûtement. De plus, 7 sur les 10 guérisseurs traditionnels interrogés, ont également avoué que les fractures des os ne sont souvent pas des maladies naturelles. A cet effet, la survenue d’une fracture ne sort pas du néant, d’ex-nihilo. Ainsi, 90% des victimes enquêtées l’attribuent toujours à une tierce personne ou à un esprit nuisible. Le tort est toujours imputé à un être invisible ou individuel.
Les données empiriques et les discours des victimes interrogées dans les centres d’hébergement du guérisseur traditionnel appelé « Hounon » dans l’arrondissement de Ouèdo ont montré que cette pathologie, pour laquelle ils sont hébergés, est due à l’envoûtement. Ils ont conscience qu’ils ont fait un accident ou une chute, mais l’origine de ces faits est sociale. Ce sont les hommes qui en sont les artisans selon les différentes investigations faites auprès des victimes et des tradi-praticiens de la fracture des os. Cette appréciation sociale du phénomène est illustrée par différents verbatim qui suivent :
« Mon propriétaire comme il est Oli (visionnaire) m’avait signalé un jour qu’un accident me guette. Moi, je n’ai pas pris cela au sérieux. Au retour de mon voyage après avoir dépassé légèrement les douaniers qui sont à Avrankou en allant à Cotonou, je ne sais pas comment un titan a cogné le mien. C’est à l’hôpital de Porto-Novo que je me vois parmi mes parents trois jours après ». Propos du chauffeur D. H. victime de la fracture des os (Sèhé, le 12-07-2017).
Le principe étiologique de la fracture de ce chauffeur se trouve dans l’envoûtement ou au cœur d’un mystère. Les individus dans l’ombre veulent selon lui, à sa vie pour des raisons non élucidées. La fracture qu’il a eue, n’est pas un hasard ou bien n’est pas due à l’accident qu’il a effectué. De plus, la cause de son accident relève de la méchanceté humaine.
Le guérisseur du quartier Sèhé dans l’arrondissement de Ouèdo qui l’a reçu pour les soins confirme à son tour, cet aspect social et mythique de la pathologie en ces termes :
« Il n’y a pas cette fracture que je ne traite pas, mais le plus souvent, les victimes sont accompagnées par les esprits maléfiques, sorcelaires et lorsque les malades sont traités, nous aussi nous avons les conséquences ou bien ce sont nos enfants qui sont ensorcelés. A cet effet, je suis obligé de prendre la divinité Thron Kpétondéka ». Propos du guérisseur traditionnel de la fracture des os S.H (Sèhé, le 12-07-2017).
Le traitement des os apparaît dès lors au niveau de cette société, comme la création d'un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être inspirés de l'antériorité, qu'elle a mise en place et qui fonctionne harmonieusement. Ce qui se construit ne se fait pas sur du néant. Il l'est à partir de l’existant, c'est-à-dire de la mémoire collective ; c’est ce qui explique l’héritage culturel du traitement de la fracture dans l’arrondissement de Ouèdo (Concoin, 2018, p. 21). Au traitement de certaines fractures, comme l’a confirmé un tradi-praticien :
« J’ai traité trois victimes de fracture des os à Ouidah dans une même maison. Au retour le 16 janvier 2017, après avoir dépassé le pont péage, j’ai eu un accident mortel dans lequel je suis sorti avec mon pied cassé à deux endroits » Propos d’un guérisseur H.K de la fracture des os à Kassého, le 15-07-2017.
Ces différentes déclarations des acteurs à divers niveaux de cette pratique montrent que la représentation de la fracture ne se limite pas seulement aux victimes de la fracture mais aussi aux guérisseurs pour qui, le traitement est un acte de négociation ou de la quête du « mieux être » du malade. Sur ce, il faut consulter l’oracle pour savoir les présents qu’il faut offrir aux divinités afin que le traitement connaisse un aboutissement heureux. Toutefois, malgré, cette représentation qui moule le traitement de la fracture dans l’endogenéité, il faut reconnaître que les guérisseurs des os, de par leurs activités posent des actions qui prennent à la fois en compte des pratiques traditionnelles et modernes.
2.2. Dimensions sociales et environnementales de la prise en charge de la fracture des os et logique d’évolution dans l’arrondissement de Ouèdo
Les données de cette recherche révèlent aussi que le tradi-praticien de la fracture des os se dessoude de temps en temps des pratiques ancestrales afin de se frayer un passage dans le biomédical. Longtemps restés dans les marques de l’ancestralité, les guérisseurs de cette pathologie remodèlent le système de l’offre de soins. Ils ne sont plus des secouristes bénévoles qui offrent les soins à titre sentimental fondé sur les liens de parenté, d’amitié et d’ethnicité nécessaire pour la cohésion sociale. L’urbanisation, la croissance démographique et la transformation de l’arrondissement de Ouèdo en des cités dortoires ont modifié les rapports sociaux dans le cadre de cette pratique endogène. En conséquence, le traitement de la fracture des os n’est plus gratuit comme ce fut le cas autrefois, mais plutôt monétarisé. Ainsi, les 42 malades fracturés et les 37 guéris interrogés, ont unanimement reconnu que le traitement de la pathologie est désormais subordonné à des dépenses financières. Cette nouvelle dynamique sociale fait alors éclore la conscience des différents acteurs de cette médecine traditionnelle de telle sorte que toute relation devient marchande. A cet effet, les tradi-thérapeutes tout comme les agents de santé (infirmiers, sages-femmes, médecins) ont un lieu d’hébergement pour mieux soigner leurs patients. Déplacés autrefois pour aller voir les patients chez eux contre un prix dérisoire ou quelques verres d’alcool local, les 10 guérisseurs du milieu d’étude interrogés ont désormais construit des maisons d’hébergement où des malades sont sédentarisés et suivis comme s’ils étaient dans un centre de santé moderne.
Ces centres sont des habitations construites qui servent de chambres d’hospitalisation pour les victimes des fractures venant de divers horizons. Les effectifs varient entre 7 et 8 dans une chambre. Les malades rencontrés et interrogés au niveau des différentes chambres proviennent souvent des localités comme Akpakpa, Gbodjè, Hèvié, Tori-Bossito et autres. Toujours dans le cadre de la visibilité de ces centres d’hébergement traditionnels des fracturés, un panneau publicitaire est installé à l’entrée des bâtiments pour orienter les usagers comme l’indique la photo n°1.
Photo n°1: Panneau publicitaire d’un guérisseur traditionnel des victimes de la fracture des os dans le quartier Sèhé
Source : Prise de vue Concoin, juillet 2017
A l’instar des centres de santé moderne, ce panneau est installé pour indiquer le lieu de prestation des soins aux victimes de la fracture des os. De plus, plusieurs séances de formation et de sensibilisation sont régulièrement organisées par l’Association des guérisseurs traditionnels à l’attention des tradi-praticiens de fracture dans la Commune d’Abomey-Calavi pour renforcer leurs capacités. Des avancées notables sont alors remarquées dans la pratique et le traitement des fractures par la médicine endogène et illustrées par les propos du tra-praticien M.P :
« Selon les formations, trois comprimés de calcium de Pliya sont recommandés par jour aux patients : ‘’en réalité, après utilisation de quatre boîtes environ de calcium de Pliya de 5 800FCFA/boîte, le patient se serait déjà rétabli’’. A ceux-ci, s’ajoute l’usage des anti-inflammatoires. Mais pour un rétablissement rapide et efficace des patients, nous associons également des produits traditionnels ». (Kassèho, le 15-07-2017).
De ce qui précède, il ressort que deux catégories de produits sont utilisées dans le milieu d’étude pour soigner les victimes de la fracture des os. Il s’agit d’une part, des produits modernes et ceux endogènes présentés par la planche n°1 suivante.
Les huiles contenues dans « la boîte de pharmacie traditionnelle » sont issues de la divinité sur laquelle les rites expiatoires sont faits si les victimes de la fracture viennent à recouvrer leur santé. Une divinité sur laquelle sont jetés les habits des accidentés et des feuilles végétales et qui veille en retour sur les malades de la fracture des os. Elle constitue également une courroie de transmission de l’héritage culturel à la postérité de la collectivité « Yodo » spécialisée dans le traitement de cette pathologie. Ainsi, tout enfant né de cette collectivité subit aux pieds de cette divinité, l’initiation pour le traitement des os. Cette mixité de soins fait afficher une étiquette de reconnaissance aux guérisseurs au point où, nombre de malades portent leur préférence sur leur traitement.
La photo n°4 présente la divinité sur laquelle les différents rites de traitement sont effectués au profit des victimes de la fracture prioritairement avec du matériel végétal.
Photo n°4 : Divinité sur laquelle les rites expiatoires sont faits et les habits des accidentés sont posés
Source : Prise de vue Concoin, juillet 2017
De plus, pour garder les os dans un état de fixation, 25% des tradi-praticiens du milieu d’étude continuent de recourir à des ressources environnementales comme des branches de palme raclées et tracées à la manière des Xla de Guézin et à la nasse traditionnelle des Toffins pour le traitement des malades démunis. Mais de plus en plus, ce sont les bois menuisés et enroulés par la bande qui constituent les garrots des victimes de la fracture. En dehors de la pommade appelée « Végébom », le massage se fait non seulement avec l’huile rouge ou le beurre de karité qui sont des dérivés des espèces végétales issues de l’environnement. Enfin, dans le processus d’évolution du traitement de la pathologie, notons qu’autrefois, les malades des fractures de membres postérieurs se promenaient avec un bâton préparé pour la circonstance. Un bois long servait de mobilité aux malades et celui-ci est abandonné dès que le malade recouvre sa santé : marche normalement. Mais, de nos jours, il existe une modification de l’outil ou de l’objet de la mobilité des malades avec l’usage des béquilles modernes perfectionnées. Bien que celles-ci ne soient pas toutes faites en fer, elles ont pourtant gardé les mêmes marques que celles en fer. Au lieu de se réanimer avec le long bois d’autrefois que le malade devait tenir avec les deux mains en trottant sur le pied cassé comme un homme piétinant le charbon ardent, les malades contemporains se déplacent aisément à Ouèdo avec une béquille comme la démontre la planche n°2.
Un malade est en réanimation lorsqu’il s’appuie sur ses béquilles artisanales, semi-modernes ou modernes c'est-à-dire en fer. Ce nouvel outil est différent de ce que les malades utilisaient il y a quelques années c'est-à-dire un bois long sur lequel, ils sautillent. A cet effet, il est capital de noter que la compétence technique des guérisseurs s’arrime avec celle de la modernité. Les béquilles ne restent pas les seuls outils perfectionnés dans ce domaine. En effet, le garrot actuel utilisé par les patients prend également une nouvelle forme qui combine les technicités de la tradition à celles de la modernité.
Mais face à ces deux pratiques dans le traitement de la fracture des os, les populations de l’arrondissement de Ouédo ont finalement opté pour quel système et quelles sont les raisons y afférentes ?
2.3. Les mobiles du choix de traitement endogène de la fracture des os
Les murs qui délimitent les services de santé, comme une sorte de territoire biomédical, sont des frontières fictives que franchissent les populations pour chercher un autre traitement, ou une autre explication à leur mal (J. P. Olivier de Sardan, 1999, p.146). En effet, la frontière entre les deux médecines n’est pas trop étanche car les malades naviguent entre les deux selon leur conception. Le choix entre l’une de ces médecines est relatif et exigeant puisque dès qu’il y a accident, nombre de malades sont volontairement transportés par les tiers ou par les sapeurs-pompiers. Au niveau des autres malades, c’est par l’entremise de leurs parents ou amis qu’ils se retrouvent chez les tradi-praticiens. De toutes les façons, ce sont les conditions de vie du milieu qui déterminent la volonté de rester ou de partir chez le malade. Mais des différentes investigations, il ressort que trois critères justifient le maintien des malades soit à l’hôpital soit chez le tradi-thérapeute dès les premiers jours : l’accueil, l’économique et le milieu physique.
L’accueil constitue pour le malade un réconfort moral qui est, selon les discours des acteurs, un premier remède aux maux dont il souffre (D. Fassin, 1992, p. 91). Il est un intrant qui est sollicité par les entreprises pour leur rayonnement ou développement économique. Le mauvais accueil est une pratique très développée dans les centres de santé surtout ceux publics qui frustrent beaucoup et constituent en retour une entrave à leur guérison. Ainsi, ces déceptions répétées enregistrées dans le rang des patients ne les encouragent plus à réitérer la même expérience lorsqu’il s’agit du traitement de la fracture des os.
Les propos ci-après d’un malade en est un exemple très illustratif du phénomène :
« Je ne sais pas comment les choses fonctionnent à BETHESDA. Dès que j’ai eu l’accident, je me suis fait emporter directement dans ledit centre. Nous sommes partis à la radio. Leur négligence à ce niveau de l’hôpital franchement, si ce n’est pas un ami qui me connaît on n’allait pas me faire la radio. C’était un week-end prolongé, ils m’ont abandonné là. Nous avions attendu le chirurgien pendant trois heures de temps mais il n’est pas venu. C’est de là que nous avions pris la décision d’aller vers ce guérisseur que quelqu’un qui a déjà vécu cette malheureuse situation nous a indiqué ». Propos de la victime de la fracture des os M.P (Kassèho, le 15-07-2017).
Plusieurs hôpitaux perdent les clients en raison des comportements des agents hospitaliers. En effet, les insultes, les cris, les écarts de langage et les lorgnes des malades constituent leurs débats sociaux. Au lieu de sympathiser avec les malades, nombre d’agents de santé prennent les malades comme leurs ennemis qui leur causent de peines alors qu’ils ont prêté serment et sont payés pour cette profession. Il est toujours martelé dans les discours des acteurs politiques ou des gouvernants que les premiers soins seront administrés aux malades dans les hôpitaux. Pour renforcer ce programme, le paradigme Régime d'Assurance Maladie Universitaire (RAMU) est réinventé afin de permettre aux malades d’être mieux pris en charge. Dans le même temps, le Gouvernement avait décrété la gratuité de la césarienne. Cependant, entre le discours et les actes, le fossé est très grand. La conséquence est que les accidentés qui ont la fracture ouverte perdent de lourd tribut, comme le témoigne cette victime rencontrée :
« J’ai fait cinq jours à l’hôpital et les gens n’ont pas touché à mon pied parce qu’ils m’ont demandé de verser 200 000 FCFA avant qu’ils ne commencent le traitement et n’ayant pas l’argent, mon pied a commencé par pourrir. C’est ainsi que mes parents m’ont pris pour ici. Il y a seulement cinq jours que je suis venu ici et avec 50 000FCFA les plaies sont soignées et les os sont réajustés ». Propos du chauffeur V.N rencontré le 15-07-2017 à Kassèhlo et qui figure sur la photo n°8.
Les soins des tradi-praticiens comme ceux des médecins nécessitent de moyen financier. Seulement, que les coûts au niveau des tradi-praticiens sont flexibles et négociables. Après avoir pris les frais de consultation qui s’élèvent souvent à 10 000FCFA en plus d’une bouteille de bière et une liqueur, ils administrent les premiers soins aux malades avant de réclamer leur dû qui varie en fonction des membres atteints. Il arrive qu’ils libèrent les malades à crédit et ceux-ci viennent payer plus tard les frais de traitement. Cependant, il faut mentionner que certains malades paient tous les frais exigés par l’administration biomédicale, mais les résultats obtenus en matière de guérison ne comblent toujours pas leurs attentes ont-ils évoqué. C’est pour cette raison que 80% des malades victimes de la fracture des os enquêtés ont opté pour la méthode endogène car ils y trouvent non seulement la satisfaction escomptée mais aussi la prise en charge financière est adaptée à la bourse du malade. Ce sont-là autant de facteurs socioéconomiques qui justifient l’affluence des populations du milieu d’étude vers ce type de traitement.
La figure n°1 présente la situation du coût moyen de la prise en charge des patients fracturés aussi bien chez les tradi-praticiens que dans les centres hospitaliers de 2012 à 2017 dans l’arrondissement de Ouédo.
Figure n°1 : Evolution du coût moyen de traitement de la fracture des os en millier de FCFA de 2012 à 2017 chez les tradi-praticiens et dans les centres hospitaliers
De cette figure, il ressort que sur la période allant de 2012 à 2017, le coût moyen du traitement de la fracture au niveau de la médecine moderne a varié entre 769 000 FCFA et 1 050 000 FCFA tandis qu’au niveau de celle traditionnelle, il a varié entre 70 000 FCFA et 110 000 FCFA. Au niveau de la médecine moderne, cette croissance est due d’une part, à l’évolution de la technologie et d’autre part, à l’augmentation du coût des produits pharmaceutiques. Quant à la médecine traditionnelle, elle s’explique par des pratiques plus ou moins modernes et des nouvelles techniques : le syncrétisme. Il s’observe par l’utilisation des produits pharmaceutiques, les nouvelles formes de plâtres traditionnels (adja) et l’intervention du personnel sanitaire moderne professionnel.
Malgré ce coût élevé du traitement de la médecine moderne, les patients sortent parfois insatisfaits avec soit le membre atteint, mal en point ou décalé selon 70% des enquêtés. Les tradi-praticiens soignent les fracturés mais leur technique se fonde sur des logiques empiriques et l’héritage culturel.
2.4. Régime alimentaire lié au traitement de la fracture des os : fait culturel ou biomédical
Chaque pathologie ou maladie a son régime alimentaire dans le milieu d’étude. Il est de notoriété médicinale que le malade ne doit pas consommer certains repas. A titre illustratif, la consommation des espèces végétales comme la sauce gluante du nom de « crincrin » ou bien d’autres gluants dans leur totalité est interdite à toute personne victime de la fracture. Certains spécialistes de la médecine traditionnelle affirment que le gluant ne donne pas une solidification de l’os alors que pour d’autres, comme ceux de Sèhé, c’est leur divinité qui ne consomme pas de gluant. A cet effet, les victimes de fracture sont comme les initiés de la divinité et par conséquent, tant qu’ils suivent les soins, ils sont interdits de consommer certains aliments considérés comme totem comme en témoigne le discours d’une victime de la fracture des os :
« On m’a interdit pour le moment la consommation de la viande fraîche du poulet, du mouton, du porc, la viande frite d’aileron, l’igname, pas de rapport sexuel, le haricot ». Propos du menuisier M.P victime de fracture (Sèhé, le 12-07-2017)
Selon la logique d’un guérisseur, la consommation de la viande fraîche c'est-à-dire non frite est interdite puisqu’elle produit de l’eau qui empêche l’os de vite se souder. Pour un autre, les malades peuvent consommer de l’aileron frit. Pour ce dernier, l’huile chaude assèche la viande et la vide de l’eau. Quant au rapport sexuel interdit, ce n’est pas parce qu’il agit sur le sang mais lors dudit acte, il peut arriver des mouvements qui désorientent les os en cours de fixation ou de soudure. La période de cette abstinence est fonction de l’évolution de la maladie ou du rétablissement. Elle peut ainsi varier d’une période allant d’un à trois mois selon les cas. Aussi, les conseils donnés aux malades suivent une logique médicale, lorsqu’un malade prend du poids malgré les soins, il lui est demandé de suivre un régime alimentaire approprié, de peur que son poids ne pèse sur l’os. Ce sont-là autant de conseils qui éloignent les guérisseurs du monde de commun ou de vulgaire.
Conclusion
Conclusion
Le présent sujet portant sur les logiques sociales et environnementales du traitement de la fracture des os dans l’arrondissement de Ouédo montre que toute maladie est un phénomène signifiant et l’activité médicale est toujours interprétative. Le médecin interprète les symptômes ressentis par son patient et les retraduit dans les catégories du savoir médical fondées sur des notions biologiques. Quant au guérisseur, il cherche les modèles étiologiques c’est-à-dire les conceptions qu’expriment les membres de différents groupes sociaux concernant les causes de la maladie. Pour les interpréter, ce dernier s’appuie sur des notions, des symboles et des schèmes de références intériorisés du fait de leurs appartenances socioculturelles. Ces deux champs ont des représentations différentes sur les maladies en général et la fracture des os en particulier, quelles que soient les causes.
Pour répondre aux demandes de traitement des victimes de la fracture des os et au regard de l’urbanisation des arrondissements de la commune d’Abomey-Calavi, la monétarisation des services sociaux des guérisseurs a désormais pris le dessus sur le système de solidarité qui caractérisait autrefois la prise en charge des malades. De plus, les comportements des tradi-praticiens contemporains s’appuient sur le syncrétisme médical pour plusieurs raisons socioéconomiques. Autrefois, les guérisseurs de la fracture étaient des secouristes bénévoles sollicités pour l’offre des soins à domicile contre une somme dérisoire suivie d’une buée d’alcool local, mais aujourd’hui, cette chaîne de solidarité est brisée pour céder place à une activité à allure commerciale. Enfin, les données de recherche ont également prouvé que ces tradi-praticiens ont construit à l’instar des hôpitaux, des normes évolutives de prise en charge de la maladie. Au nombre de celles-ci, figurent les maisons d’hébergement des malades de la fracture des os, la présence des panneaux indiquant la spécialité du guérisseur suivis de ses différents contacts téléphoniques, les béquilles en fer ou en aluminium qui se substituent désormais à celles en bois et le développement de certains interdits alimentaires et comportementaux.
Au regard de ces différentes pratiques endogènes combinées à certaines méthodes modernes dans le traitement de la fracture des os dans l’arrondissement de Ouédo, il faut noter que le syncrétisme médical est une réalité socio-environnementale à ne pas négliger pour une meilleure prise en charge des pathologies.
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