7 |Insécurité alimentaire en milieu urbain Africain : les évidences de l’observatoire de population de Ouagadougou
Food insecurity in african urban areas: evidence from the Ouagadougou heath and demographic surveillance system
Mots-clés:
insécurité alimentaire| milieu urbain| Afrique subsaharienne| Ouagadougou| Observatoire de Population|Résumé
Chaque année des millions de personnes en Afrique Subsaharienne sont frappées par la famine ou l’insécurité alimentaire. Le milieu rural, du fait de sa grande dépendance à l’agriculture de subsistance, connaît une situation d’insécurité alimentaire quasi-permanente. Ce phénomène n’épargne pas non plus les centres urbains face à l’urbanisation grandissante du continent avec le développement de quartiers informels, niches de pauvreté. Dans le but d’évaluer le niveau d’insécurité alimentaire et les facteurs sous-jacents en milieu urbain africain, cette étude a exploité des données récoltées en 2010 sur la situation alimentaire des ménages dans l’Observatoire de Population de Ouagadougou. Il s’agit de données issues d’une enquête transversale conduite dans les ménages entre février et juin 2010. En termes de méthodes, les catégories d’insécurité alimentaires ont été établies à l’aide de la méthode FANTA. En analyse descriptive, les différences entre catégories socioéconomiques et démographiques ont été estimées à l’aide d’un test de Chi-2 et l’analyse multivariée a mesuré les différences nettes à l’aide d’un modèle logit multinomial. Il ressort que près de neuf ménages sur 10 connaissent une forme d’insécurité alimentaire (sévère, modérée, faible). Le fait de vivre une des formes d’insécurité alimentaire est lié à plusieurs facteurs parmi lesquels la résidence en quartier informel, la grande taille des ménages, la pauvreté, le faible niveau d’instruction du chef du ménage et l’âge élevé de ce dernier.
Introduction
Les grands débats internationaux sur la sécurité alimentaire ont débuté en 1974 avec le sommet de Rome au moment où il régnait une situation de sous-alimentation généralisée dans le monde en développement (W. O. Fawole et B. Özkan, 2017, p. 630). A l’issu de ce sommet, les gouvernements ont convenu que chaque personne devrait être à l’abri de la faim et de la malnutrition afin de développer ses facultés physiques et mentales. La Conférence s'était fixée pour échéance 10 ans afin d’éradiquer la faim, l'insécurité alimentaire et la malnutrition. Face à la non-atteinte de cet objectif, en 1983, la FAO a élargi son concept de la faim à la garantie de l’accessibilité aux approvisionnements disponibles aux personnes vulnérables. En 1986, la Banque mondiale définit la sécurité alimentaire comme l'accès de tout le monde, à tout moment, à une nourriture suffisante pour avoir une vie saine et active (Banque mondiale, 1986). Un autre engagement contre la faim fut pris par les Etats lors du sommet mondial de l’alimentation de 1996 tenu encore à Rome (W. O. Fawole et B. Özkan, p. 630). Il s’agissait pour les gouvernements d’éradiquer la sous-alimentation de moitié d’ici 2015. A l’issu de ces différents congrès, le concept de la sécurité alimentaire a connu plusieurs évolutions pour enfin se situer sur quatre niveaux : individuel, ménage, national, régional et mondial. Au début des années 2000, le phénomène a eu encore de l’importance avec l’avènement des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui l’a logé dans son premier axe « Éliminer l’extrême pauvreté et la faim ». Récemment, en 2015, le deuxième objectif pour le développement durable « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable » lui a encore accordé une place centrale. A présent, la sécurité alimentaire est définie à travers quatre dimensions indépendantes : disponibilité, accessibilité, utilisation et durabilité (FAO, 2008 ; FAO et al, 2019).
Au vu de son caractère multidimensionnel, il est difficile de trouver un indicateur parfait pouvant identifier le statut de sécurité alimentaire des ménages (K. Castetbon, 2017, p. 38). Par ailleurs, les différentes approches qui permettent de déterminer les seuils de la sécurité alimentaire dépendent de l’unité d’analyse (individu, ménage ou national) (K. Castetbon, 2017, p. 37). Malgré les difficultés d’identification, il est accepté que l’insécurité alimentaire est un problème majeur (ODD2) qui frappe le plus l’Afrique Subsaharienne (ASS). En effet, en 2018, la FAO estimait à 821 millions de personnes, la population sous-alimentée dans le monde, avec une proportion de 22,8% (239 millions de personnes) en ASS contre 11,3% en Asie et 6,5% en Amérique Latine et les Caraïbes. Une dichotomie selon le sexe montre que dans tous les continents la situation semble plus déplorable chez les femmes. En outre, entre 2013 et 2018 l’Afrique de l’Ouest a constitué la région de l’ASS qui a enregistré la proportion la plus élevée de personnes sous-alimentées (37% de hausse entre 2013-2018). Dans cette partie d’Afrique, la prévalence de l’insécurité alimentaire sévère (resp. Modérée) est estimée à 17,6% (soit 67 millions de personnes) (resp. 48%, 183 millions de personnes) en 2018. Cette situation s’expliquerait en partie par l’insécurité territoriale et l’instabilité socioéconomique (FAO et al, 2019). Comme en Ethiopie, l’insécurité alimentaire sur le continent résulterait en grande partie du sous-développement du secteur agricole qui aurait du mal à supporter la croissance démographique (T. Assefa, 2020, p. 2).
Nombreux sont les travaux qui ont montré l’importance de l’insécurité alimentaire dans la pauvreté en Afrique, notamment au Nigeria et en Afrique du Sud (S. B. Fakayode et al, 2009, p. 26 ; A. E. Obayelu, 2012, p. 248-249 ; S. A. Oni et al, 2010, p. 2291). Parmi les facteurs à l’origine de l’insécurité alimentaire, en plus de la guerre, l’instabilité politique et les faibles rendements de l’agriculture de subsistance (non mécanisée) déjà annoncés, W. O. Fawole et B. Özkan (2017, p. 633-634) ont énuméré : le fort taux de croissance d’urbanisation, la forte croissance démographique, et le changement climatique. A cela s’ajoutent d’autres facteurs tels que la pauvreté, la source de revenu, la taille du ménage, le ratio de dépendance du ménage, l’expérience des chocs, le milieu de résidence, le niveau de richesse, l’âge du chef de ménage, l’éducation, la proximité aux services sociaux de base (T. Assefa, 2020, p. 12 ; FAO et al, 2019 ; E. W. Kimani-Murage et al, 2014, p. 1103 ; P. L. Mukherjee, 2014, p. 19 ; A. Bogale et A. Shimelis, 2009, p. 1920).
En Afrique, l’insécurité alimentaire a pendant longtemps été considérée comme un phénomène rural (M. Mutisya et al, 2016,). Mais, l’urbanisation rapide du continent va faire changer de paradigme. En effet, on assiste dans les villes africaines à une multiplication de quartiers informels, peuplés essentiellement par des ruraux ayant migré en ville (UN-HABITAT, 2016), ce qui diminue la main d’œuvre agricole.
La population urbaine africaine vivant dans les quartiers informels représenterait 56% de la population citadine (UN-HABITAT, 2016). Ces localités informelles sont caractérisées par : l’accès limité à l'eau courante et l'assainissement, le surpeuplement et des logements insalubres, les possibilités d'emploi limitées, etc. À Ouagadougou (Capitale du Burkina Faso), les habitants de ce type de milieu seraient environ 33,5% de la population de la ville (C. Rossier et al, 2011, p. 6).
Si l’insécurité alimentaire en milieu rural est très dépendante de la production agricole, la situation des ménages dans les milieux urbains africains en général et au Burkina Faso en particulier est mal connue. Quelle est l’incidence de l’insécurité alimentaire au sein des ménages à Ouagadougou ? Par ailleurs, quels sont les facteurs socio-économiques à l’origine de l’insécurité alimentaire dans les ménages à Ouagadougou? Cette étude vise à mettre en évidence l’existence de l’insécurité alimentaire et des facteurs sous-jacents dans la capitale burkinabè.
Dans un premier temps, nous présenterons l’Observatoire de Population de Ouagadougou en tant que site d’étude ainsi que l’enquête transversale au cours de laquelle des données ont été collectées sur l’insécurité alimentaire. Dans un deuxième temps nous procéderons à l’élaboration d’un indicateur de sécurité alimentaire puis à travers une analyse bivariée et multivariée, nous rechercherons les facteurs associés à l’insécurité alimentaire des ménages.
Méthodologie
1. Site d’étude et données
Comme nous l’avons déjà indiqué, les données utilisées dans cet article proviennent d’un observatoire de population. C’est un dispositif qui consiste à suivre sur une période relativement longue la population d’une zone géographiquement définie (ensemble de villages, ville) en y recueillant les évènements vitaux (naissances, décès, unions, migrations, etc.) par enquêtes à passages répétés (G. Pison, 2005, p. 302). Le suivi longitudinal de la population permet la correction des erreurs de collecte commises au cours d’un passage donné lors des passages suivants. Les informations collectées dans les observatoires sont donc plus précises et plus complètes que celles des sources habituelles (recensements et enquêtes transversales).
L’Observatoire de Population de Ouagadougou (OPO) a été mis en place en 2008 par l’Institut Supérieur des Sciences de la Population (ISSP) de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou après une phase pilote qui a duré 5 ans (2002-2006). L’OPO suit des ménages de la périphérie nord de la ville de Ouagadougou où près de 50% des habitants vivent dans des quartiers informels (Nioko II, Polesgo et Nonghin/ Markoussy) et l’autre moitié à Kilwin, Tanghin (Carte n°1). Après un recensement initial en 2008 qui a touché 77 000 personnes, des collectes d’informations démographiques (arrivées, départs, naissances, décès, entrées et ruptures d’unions, etc.) sont faites assez régulièrement auprès de tous les ménages. Le suivi de 2018 a concerné 95 267 individus résidents (vivant dans 23 494 ménages). Des données sur la possession de biens (bétail, volaille, véhicule, mobylette, etc.) et les caractéristiques de l’habitat des ménages sont aussi collectées.
Spécifiquement, cet article exploite les données d’une étude intitulée « inégalités de santé dans un contexte d’urbanisation croissante en Afrique de l’Ouest » et réalisée dans l’OPO entre février et juin 2010. Il s’agissait d’une enquête directe auprès des ménages pour recueillir des informations sur leur état de santé. Elle a porté sur plusieurs modules dont un était relatif à l’insécurité alimentaire au sein des ménages, sujet de la présente recherche. Les ménages ayant participé à ce module ont répondu à neuf questions du questionnaire standardisé portant sur le vécu du ménage en termes d’insécurité alimentaire. Ce questionnaire est élaboré selon une méthode connue appelée Food and Nutrition Technical Assistance (FANTA) et mise en place par la United States Agency for International Development (USAID). En effet, pour identifier les ménages dans l’insécurité alimentaire, la typologie faite à partir des mesures prises sur ces derniers tels que le niveau de revenu et l’adéquation calorique, est techniquement difficile à mettre en œuvre (J. Coates et al, 2007, p. 1 ; W. O. Fawole et B. Özkan, 2017, p. 630). Cela a alors conduit à la mise en place de solutions alternatives très rigoureuses (J. Coates et al, 2006, p. 2). Une de ces techniques couramment utilisées et que nous privilégions ici est justement la méthode FANTA.
Les neuf questions standardisées de survenance de situations se rapportant à l’insécurité alimentaire et permettant d’appliquer la méthode FANTA sont les suivantes :
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Le répondant a-t-il été inquiet par le fait que le ménage puisse manquer de nourriture ?
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Le ménage n'a-t-il pas pu manger des aliments qu'il consomme d'habitude ?
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Le ménage a-t-il été contraint de manger tous les jours la même chose ?
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Le ménage a-t-il été contraint de manger des aliments qu’il ne préfère pas manger d'habitude ?
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Le ménage a-t-il été contraint de diminuer la quantité mangée au cours d'un repas ?
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Le ménage a-t-il été contraint de réduire le nombre de repas qu’il consomme habituellement par jour ?
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Au moins un membre du ménage est-il allé se coucher le soir avec la faim ?
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N’y avait-il rien à manger du tout dans la maison par manque de moyens ?
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Au moins un membre du ménage a-t-il passé toute une journée sans manger ?
La période de référence était les 30 derniers jours et le répondant (la première question lui est directement adressée) était la personne principalement en charge de l’alimentation dans le ménage. Les réponses aux questions étaient les fréquences de survenance suivantes : jamais, rarement, parfois, souvent. Nous reviendrons plus bas sur la construction de l’indicateur d’insécurité alimentaire.
En plus de la variable d’insécurité alimentaire (variable dépendante) dont la construction fera l’objet d’un développement à la section 2, nous utiliserons également en guise de variables indépendantes quelques caractéristiques socioéconomiques et démographiques des ménages : l’âge du chef de ménage (CM), son niveau d’instruction, son activité, le nombre total des membres du ménage, le niveau de vie du ménage, le statut migratoire du CM, etc. La variable niveau de vie du ménage a été conçue à partir des biens durables que possèdent les ménages en utilisant la méthode de l’analyse en composantes principales, suivie d’une classification. Ce proxy de niveau de vie est en adéquation avec celui conçu sur toute la ville de Ouagadougou à partir des données de l’Enquête Intégrale sur les Conditions de Vie des Ménages burkinabè (EICVM) en 2009. L’utilisation de cette approche non monétaire s’explique par le fait que l’OPO ne collecte pas encore des données sur les dépenses et les revenus des ménages. Les variables utilisées pour la construction du proxy sont : la possession ou non d’au moins une bicyclette, une mobylette, un véhicule, un réfrigérateur, un téléphone fixe à domicile ou un téléviseur.
1.1. Indicateur d’insécurité alimentaire : Score d’insécurité alimentaire et catégorie d’insécurité alimentaire
Nous retenons dans cette étude comme insécurité alimentaire, toute situation d’incapacité d'acquérir ou de consommer de la nourriture en qualité ou en quantité suffisante ou d’être incertain de s’en procurer (S.I. KirkPatrick et V. Tarasuk, 2008, p. 324 ; E.M. Power, 2006, p. 258). Nous utilisons la dimension de l’accessibilité déterminant l’insécurité alimentaire des Ménages à travers une adaptation de la technique mobilisée pour évaluer l’insécurité alimentaire aux Etats-Unis. Un questionnaire de type quantitatif a été mobilisé et permet de mesurer l’impact des programmes de sécurité alimentaire à travers la dimension accessibilité de la sécurité alimentaire des membres du ménage sans exception d’âge ni de sexe. Cet outil de collecte résume trois domaines (accessibilité) de l’insécurité alimentaire : l’angoisse et l’incertitude, la qualité et l’apport alimentaires insuffisants et les conséquences physiques.
Le score d’insécurité alimentaire est construit à partir des réponses aux neuf questions du questionnaire standardisé préconisé par la méthode FANTA. Pour chaque réponse, un score est attribué en fonction de la fréquence avec laquelle l’événement correspondant a été vécu par le ménage au cours du mois précédent : 0 (jamais), 1 (rarement), 2 (parfois) ou 3 (souvent). Le Score d’Insécurité Alimentaire (SIA) correspond à la somme des scores attribués aux neuf questions et varie donc de zéro à 27, « zéro » correspondant à une situation où aucune insécurité alimentaire n’a été ressentie par le ménage et « 27 » traduisant une insécurité maximale dramatique (J. Coates et al, 2007, p. 17).
La catégorie d’insécurité alimentaire pour chaque ménage est attribuée selon la grille proposée par FANTA (Figure n° 1). La catégorie dans laquelle est classé un ménage correspond à la catégorie la plus précaire identifiée par au moins une réponse à l’une des questions (K. Alaimo et al, 1999, p. 274 ; Coates J. et al, 2006, p. 20). Autrement dit, un ménage est classé en « sécurité alimentaire » si toutes les réponses sont dans des cases vertes ; il est classé en « insécurité alimentaire faible » si une réponse au moins est dans une case jaune, sans qu’aucune ne soit dans une case orange ou rouge, et ainsi de suite. Du fait de la proportion moins importante de ménages en insécurité alimentaire faible, ces derniers ont été rajoutés à ceux qui sont dans la situation modérée pour former un groupe d’insécurité alimentaire faible ou modéré. C’est cette variable qui est utilisée comme variable dépendante.
Par ailleurs une analyse de la variance du SIA par uniquement la catégorie d’insécurité alimentaire (non présentée ici) montre que cette dernière explique à 85% la variabilité totale du SIA, cela témoigne une forte homogénéité à l’intérieur de chaque catégorie.
1.2. Méthode d’analyse des relations
L’association entre les variables explicatives et la catégorie d’insécurité alimentaire est mesurée par le test de chi 2 dans l’analyse bivariée. La variable dépendante, la catégorie d’insécurité alimentaire est un facteur à 3 niveaux pour lesquels est observée une relation d’ordre (croissance de l’intensité suivant la modalité) entre les différents niveaux (sécurité-insécurité faible ou modéré-insécurité sévère). En statistique ce genre de variable dépendante nécessite le recours à un modèle de régression multinomiale pour étudier l’effet des variables indépendantes. Parmi les modèles multinomiaux, le plus adapté semble être le modèle multinomial ordonné car il prend en compte la relation d’ordre qui existe entre les modalités. Cependant, une des conditions fondamentales d’application de ce modèle est l’hypothèse des rapports de chances proportionnels. Cette hypothèse a été rejetée (calculs non présentés) par un test statistique, faisant en sorte que les conditions ne sont pas remplies pour l’application de la régression multinomiale ordonnée. Nous procéderons donc à une régression multinomiale généralisée. Pour les détails mathématiques de cette méthode, se référer à J. HAUSMAN et D. MCFADDEN (1984, p. 1221-1226).
Résultats
2. Résultats
2.1. Caractéristiques socioéconomiques et démographiques des ménages selon la catégorie d’insécurité alimentaire
Une proportion non négligeable de ménages de l’OPO a connu des difficultés pour se mettre en sécurité alimentaire (Tableau n° 1). Au cours des 30 derniers jours, environ 70% des ménages ont vécu au moins une des situations suivantes : inquiété par le manque de nourriture, contraint de manger de la nourriture non préférée, manger quotidiennement le même repas, diminuer la quantité de repas et enfin diminuer le nombre de repas. À cela, s’ajoute 58% de ménages où au moins un membre c’est couché avec la faim et environ 46% qui n’avait au moins une fois rien à manger. Cette première distribution nous montre la profondeur de l’insécurité alimentaire dans la ville de Ouagadougou. Selon le regroupement en catégories d’insécurité alimentaire par FANTA, on a 66% des ménages en insécurité alimentaire sévère, 15,5% en insécurité alimentaire moyenne, six pour cent en insécurité alimentaire faible et seulement 12,5% des ménages sont en sécurité alimentaire.
La distribution de l’échantillon en fonction des caractéristiques du ménage est présentée dans le Tableau n° 2. Suivant la zone de résidence, 54% des ménages vivent dans des quartiers informels contre 46% en zone lotie. Pour ce qui est du statut économique des ménages, 48% sont dans la classe pauvre, 44% sont dans la classe intermédiaire et seulement huit pour cent ont un niveau de vie élevé. En ce qui concerne la taille des ménages, 27% sont de petite taille (un à trois membres), 40% de taille moyenne (quatre à six membres) et 33% ont au moins sept membres. Concernant les caractéristiques liées au premier responsable du ménage (CM), 24% des ménages ont un chef qui ne travaille pas, 23% sont des salariés du public ou du privé et 53% sont des indépendants, ils mènent essentiellement des activités du secteur informel (voir plus loin). Selon le niveau d’éducation, 61% des ménages ont des CM qui n’ont reçu aucune instruction, 20% n’ont que le niveau primaire et seulement 17% ont au moins le niveau secondaire. Aussi, les CM sont en majorité musulman (60% contre 39% de chrétiens et 1% pour les autres), les hommes CM représentent 85% contre 15% de femmes. Ces chefs sont essentiellement des migrants (82% contre 18% qui sont nés à Ouagadougou) et en union (83% contre 17% de célibataire/divorcé/séparé). Concernant l’âge du CM, 28% de l’échantillon a moins de 35 ans, 59% a entre 35 et 64 ans et 13% a plus de 65 ans. Et enfin, ils sont à 93% de l’ethnie mossi (ethnie majoritaire du pays).
De l’analyse bivariée, il ressort que le lieu de résidence, le niveau de vie du ménage, le niveau d’éducation du CM, son activité, son âge, son ethnie et son lieu de naissance sont associés à l’insécurité alimentaire (Tableau n° 3). Suivant le type de zone, les quartiers informels sont plus frappés par l’insécurité alimentaire sévère que les quartiers formels (71% contre 52 % des ménages). Selon le niveau d’instruction du CM, les plus instruits (secondaire et plus) sont ceux dont les ménages sont les plus en sécurité alimentaire (32% contre 16% des CM de niveau primaire et sept pour cent de ceux qui n’ont aucun niveau). Pour ce qui est de l’emploi, la proportion des ménages de salarié dans la sécurité alimentaire est deux fois celle des ménages d’indépendants tandis que cette dernière est statiquement égale à la proportion des ménages de chômeur (chevauchement des intervalles de confiance). L’insécurité alimentaire sévit plus dans les ménages dirigés par les personnes âgées. En effet, suivant l’âge, il ressort que 79% des ménages dont le CM a 65 ans ou plus sont dans une insécurité alimentaire sévère contre 64% et 57% respectivement pour les CM de 35-64 ans et de 19-34 ans. Par rapport à l’ethnie, les CM Mossi sont les plus touchés, 87% de leurs ménages sont dans l’insécurité alimentaire (faible, modéré et sévère) contre 76% pour les autres. Par rapport au niveau de vie, 72% des ménages ayant un faible niveau de vie, sont dans une insécurité alimentaire sévère contre respectivement 58% et 31% pour les ménages ayant un niveau de vie médian et élevé.
2.2. Les déterminants de l’insécurité alimentaire à Ouagadougou
L’interprétation des résultats porte sur les ratios de risque relatifs (RRR) (Tableau n° 4) et non les coefficients de régression ; la probabilité de première espèce est fixée à 10%. Toutes choses égales par ailleurs, relativement à la sécurité alimentaire, les ménages vivant dans les quartiers informels ont 79% plus de risque d’être dans l’insécurité alimentaire faible ou modérée par rapport à ceux vivant dans les zones formelles. Ce risque est plus de trois fois celui des ménages vivant en zone lotie lorsqu’il s’agit de l’insécurité alimentaire sévère (relativement à la sécurité alimentaire). En ce qui concerne la taille du ménage, contrairement à l’analyse bivariée, cette caractéristique est associée à l’insécurité alimentaire, les ménages les plus grands en termes d’effectifs en sont les plus exposés. En effet, par rapport à la sécurité alimentaire, les ménages de quatre à six personnes ont un risque de 79% plus élevé d’être dans l’insécurité alimentaire faible ou modéré que ceux d’au plus trois membres, ce risque est de deux fois pour les ménages de sept membres et plus. Pour ce qui est de l’insécurité alimentaire sévère, les ménages de quatre à six membres et sept et plus ont respectivement plus de deux fois et plus de trois fois le risque d’en souffrir par rapport aux ménages de moins de quatre membres. Concernant le niveau de vie du ménage, par rapport à la sécurité alimentaire, les ménages les plus nantis ont 66% de moins de risque d’être dans l’insécurité alimentaire faible ou modéré que les ménages les plus pauvres. Relativement à la sécurité alimentaire, les ménages de niveau de vie médian et élevé ont respectivement 45% et 85% de moins de risque d’être dans l’insécurité alimentaire sévère par rapport aux ménages les plus pauvres.
Regardant l’activité du premier responsable du ménage, une différence statistique n’est observée qu’entre les sans-emplois et les salariés au niveau de l’insécurité alimentaire sévère en rapport avec la sécurité alimentaire. En effet, par rapport à la sécurité alimentaire, les CM qui n’ont aucun emploi ont deux fois plus de risque que leur ménage soit frappé par l’insécurité alimentaire sévère que les ménages dont le chef est un salarié. Par rapport à l’instruction, les ménages dont le chef est instruit sont moins exposés à l’insécurité alimentaire. En effet, relativement à la sécurité alimentaire, les ménages dont le chef a le niveau primaire et ceux dont le chef a le niveau secondaire ou plus ont respectivement 54% et 62% de moins de risque d’être dans l’insécurité alimentaire faible ou modérée par rapport aux ménages dont le chef n’a aucun niveau. Concernant l’âge, relativement à la sécurité alimentaire, les ménages dont le chef a 65 ans et plus ont quatre fois le risque de ceux dont le chef a moins de 35 ans d’être dans une insécurité alimentaire sévère. Pour cette variable, aucune différence n’est observée au niveau de l’insécurité alimentaire faible ou modérée. Quant à la religion du CM, il ressort que les ménages dirigés par les musulmans sont moins exposés à l’insécurité alimentaire. En effet, relativement à la sécurité alimentaire, les ménages dirigés par les musulmans ont 46% moins de risque d’être dans l’insécurité alimentaire faible ou modérée par rapport aux ménages dont le chef est un chrétien. Ce risque est de 48% de moins pour les ménages gérés par les musulmans par rapport à ceux des chrétiens pour ce qui est de l’insécurité alimentaire sévère (relativement à la sécurité alimentaire).
Conclusion
Conclusion et perspectives
En faisant l’état des lieux de l’insécurité alimentaire, cette étude a montré que le phénomène touche la plupart des ménages (neuf ménages sur 10) de l’observatoire de population de Ouagadougou. Par ailleurs, les ménages les plus touchés par toutes les formes d’insécurité alimentaire (surtout la plus sévère) sont ceux qui habitent les zones informelles, ceux qui sont matériellement pauvres ainsi que ceux qui sont de grande taille. Par contre les ménages dont le chef a un niveau d’instruction élevé par rapport à ceux qui sont sans instruction sont moins exposés aux différentes formes d’insécurité alimentaire. Au vu de l’âge, les ménages dont le chef a 65 ans et plus sont les plus exposés à l’insécurité sévère par rapport aux ménages dont le CM a moins de 35 ans. Concernant toujours l’insécurité alimentaire sévère, les ménages dont le chef n’a aucune activité sont deux fois plus exposés que ceux dont le chef est salarié.
Au vu de ces résultats, pour l’efficacité de la lutte contre l’insécurité alimentaire, une politique de la part des autorités allant dans le sens de la maîtrise des facteurs qui lui sont associés est nécessaire. On a par exemple la possibilité pour les autorités politiques de procéder à des opérations de lotissement afin de transformer les quartiers informels en lotis en vue de les doter d’infrastructures sociales de base (centre de santé, eau potable, électricité, etc.). Elles peuvent aussi s’investir davantage auprès des populations dans l’accès aux emplois stables tels que les emplois salariés et de s’impliquer encore plus dans la réduction du coût d’accès aux denrées alimentaires. Un effort doit également être consenti au niveau de l’éducation nationale, les instruits étant plus à l’abri de l’insécurité alimentaire que les non-instruits.
Références
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