2020/Vol.3-N°6 : Santé maternelle, néonatale et infantile en Afrique: Analyse de la situation et perspectives

6 |La pratique de l’accouchement à domicile en zones rurales enclavées : une adaptation à l’absence des structures de santé a Nzobi et Ediengo (région du littoral-Cameroun)

The practice of home birth in enclaved rural areas: an adaptation to absence of health structures in Nzobi and Ediengo (littoral region-Cameroon)

Auteurs

  • LEMOUOGUE Joséphine Enseignante-Chercheure, Chargé de Cours joséchrist5@yahoo.fr, Université de Dschang-Cameroun

Mots-clés:

Accouchement à domicile| Adaptation| système de soins| zone rurale enclavée| Cameroun|

Résumé

Les villages Nzobi et Ediengo situés dans l’arrondissement de Melong, région du Littoral au Cameroun, connaissent encore des accouchements à domicile assistés par un membre plus ou moins expérimenté de la communauté rurale. Il s’agit de deux villages fortement enclavés dont l’accès est difficile à voiture comme à moto. Ces villages peuplés de 3769 habitants, ne disposent pas de formations sanitaires proches de moins de 10 kilomètres. L’objectif de cet article est de démontrer que la persistance de la pratique de l’accouchement à domicile dans ces zones rurales enclavées, est une mesure d’adaptation aux contraintes d’accès aux soins de santé maternelle conventionnels. L’analyse s’adosse sur les données secondaires issues de l’exploitation des documents pluridisciplinaires traitant de la question de la santé maternelle et infantile en général, et, sur les données de terrain collectées au travers des entretiens avec des acteurs de la santé, ainsi que des observations. Les analyses s’appuient sur une approche de la géographie de la santé en général et spécifiquement, sur celle de la géographie des soins de santé. Il ressort de ces analyses que les acteurs de la pratique de l’accouchement à domicile, mobilisent le savoir-faire socioculturel et utilisent divers produits et objets locaux. L’ancrage socio-spatial de cette pratique séculaire dans la zone d’étude, pourtant en voie de disparition en général au Cameroun, est davantage expliqué par l’enclavement et la défaillance du système de soins conventionnels en zone rurale.

Introduction

Les femmes n’ont pas un accès adéquat à des services essentiels de maternité et à des soins de santé de base dans les pays d’Afrique subsaharienne (J.-P. O. De Sardan et al, 1999, p.1; M. Nkurunziza, 2014, p.173 ; H. Quashie et al., 2014, p.2, ONU, 2015, p.39 ; H-B. Nguendo-Yongsi et G. A. Tchango Ngale, 2016, p.11 ; A. Lilungulu et al., 2020, p.2). Les délais de réponse appropriés à leurs besoins en santé ne sont pas souvent respectés à cause des défaillances multiples dans le système de santé (UNICEF, 2009, p.2). L’ONU relevait en 2015 que « plus d’une mère sur quatre et son enfant ne reçoivent pas des soins médicaux cruciaux durant l’accouchement », il s’ensuit la concentration de 86 % des décès maternels mondiaux en 2013, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.  Il est également relevé que la proportion d’accouchements réalisés par un personnel soignant qualifié a peu augmenté au cours de la période des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). La tendance reste la même actuellement d’où la perturbation pour l’atteinte de l’Objectif 3 de Développement Durable (ODD). Le Cameroun ne présente pas un cliché différent de cette situation alarmante de la santé maternelle, au regard des rapports du Ministère de la Santé Publique (MSP). Des travaux de recherche le démontrent également. C’est le cas de H-B. Nguendo-Yongsi et G. A. Tchango Ngale, 2016, p. 1 ; P. B. Eloundou Messi et H. Waïbaï Yaye, 2017, p. 13 ; V. C. Méli, 2018, p. 6.). La situation est encore plus complexe en zones rurales où les offres en termes de structures de santé et du personnel qualifié sont rares (UNICEF, 2009, p. 2 ; Shewamene  Z. et al., 2017, p. 1 ; MSP, 2018, p.29). L’ONU à ce sujet relève que « La plus grande différence de couverture entre les zones rurales et urbaines se trouve en Afrique centrale, avec 52 points de pourcentage d’écart ». (ONU, 2015, p. 40)
Nzobi et à Ediengo, deux villages de la région du Littoral au Cameroun, où la prise en charge de la femme enceinte et du nouveau-né n’est offerte que par divers acteurs plus ou moins expérimentés qui mobilisent le savoir-faire socioculturel et ancestral local en la matière, constituent un cas atypique de campagnes défavorisées. On est en droit de questionner les raisons de la prédominance de cette pratique spécifiquement observée dans ces villages, malgré les efforts de diffusion des services et méthodes de la biomédecine. Entre autres pistes de recherche, cet article présume que la pratique de l’accouchement à domicile est une mesure d’adaptation en vue de satisfaire le besoin en service de maternité des femmes dans un milieu fortement enclavé et très éloigné des structures modernes de santé.
L’adaptation désigne la manière dont les êtres humains s’ajustent en fonction de leur environnement. Il s’agit du fruit de choix délibérés afin d’échapper aux contraintes du milieu, se démarquant ainsi du déterminisme biologique issu de la sélection naturelle en s’appuyant davantage sur la notion d’ajustement (G. Simonet, 2009, p.398). Ce concept traduit dans le présent article, l’ensemble de méthodes ou d’approches mobilisées localement, pour répondre aux besoins de soins de santé maternels et notamment ceux liés à l’accouchement, face aux difficultés d’accessibilité géographique des localités de Nzobi et Ediengo. En d’autres termes, les populations ont recours aux connaissances et pratiques socioculturelles et ancestrales pour répondre à l’inexistence de l’offre de service de santé maternelle dans un environnement rural où il faut parcourir de longues distances et de surcroit à pieds, pour atteindre la structure de santé la plus proche. L’absence des routes et donc de moyen de transport par automobile participe également à décourager les femmes enceintes qui souhaiteraient consulter dans un service de la biomédecine situé à plus d’une dizaine de kilomètres des villages. Celles qui s’engagent néanmoins sur le chemin d’une structure de santé en début des contractions, n’y arrivent pas souvent avant d’accoucher. Pour éviter les accouchements en cours de route, plusieurs d’entre elles décident de se faire accoucher à domicile par un praticien local. Il s’ensuit une vulnérabilité des femmes enceintes et des nouveau-nés, allant des complications prénatales et néonatales de l’accouchement, à la mortalité maternelle et infantile.  
L’objectif de cet article est de démontrer que la persistance de la pratique de l’accouchement à domicile en zones rurales enclavées de Nzobi et Ediengo, est une méthode d’adaptation aux contraintes d’accès aux soins de santé maternels conventionnels. Il s’agit plus spécifiquement de caractériser la pratique socio-culturelle de l’accouchement à domicile, de présenter les mobiles, les conséquences et les perspectives de ce service local. L’article met en exergue l’approche socioculturelle de l’accès aux soins de santé tel que abordée en géographie médicale / géographie de la santé. Il contribue plus spécifiquement aux recherches sur l’axe géographie des soins, qui consiste en l‘ « analyse sociale et spatiale des ressources sanitaires (offre de soins) et du recours aux soins et du niveau de médicalisation des populations » (M-O. Safon et V. Suhard, 2017, p.8). A travers la présentation du contexte d’accouchement assisté par des acteurs locaux à domicile, il démontre la défavorisation des campagnes en matière d’accès aux soins de santé maternelle et infantile.
Le texte est structuré autour de la méthodologie de recherche, puis de l’analyse des acteurs de l’accouchement à domicile (tradipraticiens, femmes concernées, les familles, les accoucheuses). Il présente ensuite les pratiques de l’accouchement proprement dit, en insistant sur les méthodes et les techniques traditionnelles utilisées. Il présente enfin les mobiles et les perspectives de l’accouchement à domicile.

Méthodologie

1. Méthodologie

1.1. Présentation de la zone d’étude

Situés tous à environ 1500m d’altitude au nord-ouest de l’arrondissement de Melong, département du Moungo et dans la région du Littoral, Nzobi et Ediengo sont des villages voisins fortement enclavés (Carte n° 1). Ces villages ont un relief accidenté fait de collines, de vallées et de plateaux. Il est particulièrement marqué par des fortes pentes. Nzobi et Ediengo ne sont pas desservis par des routes secondaires, mais, plutôt par des pistes et ne disposent pas de structures de santé. Les villages Ninong et Mama limitrophes à la zone d’étude, abritent des Centres de santé intégrés mais, qui ne fonctionnent pas depuis leur construction. Le personnel de santé affecté dans ces zones refuse de s’y rendre à cause du manque de moyen de transport adéquat lié, au mauvais état de la route ou à l’absence de cette dernière. Aussi, ces villages n’offrent pas les structures et infrastructures de base pour l’épanouissement de la population.
Les villages Nzobi et Ediengo, comme tout l’arrondissement de Mélong, sont soumis à un climat équatorial de type guinéen. Les pluies y sont abondantes et réparties sur presque toute l’année. La pluviométrie de l’arrondissement est de l’ordre de 2350 mm de pluie par an avec un maximum de précipitation en août et septembre. Le climat est marqué par deux saisons de pluies dont une grande qui va du 20 juin au 15 novembre et une petite qui va du 20 mars au 15 avril, et deux saisons sèches allant du 20 novembre au 15 mars pour la grande et du 20 avril au 15 mai pour la petite. Les températures sont basses et peuvent descendre jusqu’à 10°C au sommet des montagnes. L’amplitude thermique reste généralement faible.
Les villages Nzobi et Ediengo sont 2 villages parmi les 40 que compte l’arrondissement  de Mélong, qui abrite une population estimée à 102  000 âmes répartie dans ces 40 villages et le centre de l’arrondissement (PCD, 2011, p. 61). Nzobi compte 1 200 habitants tandis qu’Ediengo en compte 2 569. Les populations de ces villages partagent les mêmes valeurs culturelles.
Carte n° 1 : Localisation de la zone d’étude

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1.2. Données et outils de la recherche

Pour atteindre l’objectif de cet article, une méthodologie spécifique a été adoptée. Elle a consisté à collecter les données primaires et secondaires sur la thématique étudiée. Les données secondaires ont été obtenues via des lectures de documents pluridisciplinaires en géographie, anthropologie, sociologie, pharmacologie, etc., en général. Puis, les documents spécialisés en géographie de la santé et en santé maternelle ont été consultés en particulier.
Les données primaires ont été recueillies via les entretiens, et à travers l’observation participante, effectués durant le mois de février 2020. Les guides d’entretien utilisés pour la collecte des données sont structurés autour de l’utilisation de la médecine traditionnelle, des techniques traditionnelles d’accouchement à domicile, de ses méthodes et de ses mobiles. Ils sont adressés aux acteurs de cette pratique et les responsables de la santé en général. Il s’agit spécifiquement de 12 tradipraticiens, de 8 hommes chefs de ménages, de 22 femmes ayant déjà accouchés, tous résidents dans les deux villages concernés et du chef de District de Santé de Melong.
L’observation était centrée sur les caractéristiques physiques de la zone d’étude c’est-à-dire le relief, puis sur les indicateurs de l’enclavement à savoir l’état des routes/ pistes, l’absence des structures de santé modernes et éventuellement la pratique traditionnelle de l’accouchement. Un appareil photo a été utilisé pendant cette phase de la collecte des données.

1.3. Méthode d’analyse des données

Les données collectées ont été analysées suivant la méthode qualitative. L’analyse de contenu a été utilisée à cet effet. Il s’agissait d’analyser avec rigueur et objectivité, en rapport avec l’objectif/ hypothèse de la recherche, les discours notés lors des entretiens et des lectures. La méthode d’analyse a été structurée en trois étapes. La pré-analyse qui est l’étape préliminaire pendant laquelle les idées de départ ont été organisées, opérationnalisées et systématisées intuitivement en relisant les guides d’entretien et les blocs notes. La deuxième phase a consisté aux opérations de codage, décompte et énumération en fonction des indicateurs préalablement identifiés, concernant les acteurs, les pratiques, les mobiles et les conséquences de l’accouchement à domicile. Au final, l’interprétation par inférence des résultats obtenus a été faite.

Résultats

2. Résultats

2.1. La pratique culturelle de l’accouchement à domicile

2.1.1. Les acteurs de l’accouchement à domicile
L’approche culturelle de l’accouchement est une pratique traditionnelle qui mobilise les connaissances et savoir-faire locaux pour assister une femme en travail, en facilitant son accouchement à domicile. Les femmes concernées peuvent également se rendre chez les praticiens pour accoucher, contrairement à celles qui se rendent dans les services de maternité des structures de la médecine conventionnelle pour le même objectif. Dans les villages Nzobi et Ediengo, l’on note une diversité d’acteurs impliqués dans la pratique de l’accouchement à domicile.  
Les résultats des données d’enquêtes obtenues dans les villages Ediengo et Nzobi, témoignent de la diversité des acteurs impliqués dans la pratique culturelle de l’accouchement dans les villages (tableau n°1). De prime à bord, les femmes en gestations préparent et utilisent suivant l’expérience séculaire de la communauté, certaines décoctions et produits traditionnels pour assurer le suivi de leur grossesse et ensuite, pour préparer leur organisme pour un accouchement facile. Elles consomment d’autres produits à titre de soins post-partum. Il ressort de l’enquête qu’environ 95% de femmes enceintes ou non au moment de l’enquête, ont affirmé toujours faire des rites traditionnels et utiliser en automédication, des décoctions pour le suivi de leur grossesse et pour préparer leur organisme à l’accouchement. Elles pilent ou écrasent certaines feuilles, herbes et écorces ou les laissent macérer dans de l’eau, ou encore elles les font bouillir, pour les soins de santé maternelle. Les femmes sont accompagnées dans ce processus par les membres de la famille à savoir, les époux, les parents et les amis. Elles obtiennent en plus, les soins des tradipraticiens ou des femmes accoucheuses reconnus dans le village. Ainsi, 84% de femmes interrogées déclarent également avoir déjà accouché au moins une fois à domicile sous les soins de ces acteurs locaux. Seulement 16% de femmes en revanche ont déclaré n’avoir jamais accouché à domicile. Elles préfèrent se déplacer vers le chef-lieu d’arrondissement avant le terme de la grossesse, pour se rapprocher des structures de santé conventionnelles. Elles doivent, toutefois, y avoir une famille d’accueil ou un hébergement avant d’envisager une telle mobilité.
Les tradipraticiens et les femmes accoucheuses quant à eux, sont un maillon d’acteurs qui fait accoucher les femmes dans le contexte de défaillances observées dans le secteur moderne de la santé en milieu rural de Nzobi et Ediengo. Il s’agit des personnes qui offrent régulièrement leurs services en cas d’accouchement dans les ménages ruraux. Enfin, dans d’autres cas, près de 80% d’époux et de parentés proches, affirment avoir déjà participé ou assistés à la prise en charge des soins de santé maternelle dans leurs ménages.
2.1.2. L’accouchement à domicile proprement dit à Nzobi et à Ediengo
Dans les villages Nzobi et Ediengo, l’accouchement se fait généralement au domicile de l’accouchée ou chez le tradipraticien ou encore chez une femme accoucheuse. Il est pratiqué dans ces villages enclavés par des tradipraticiens, des femmes et des personnes plus ou moins expérimentées (tableau n°1). Ces derniers utilisent des connaissances empiriques et des techniques socio-culturelles et ancestrales pour le suivi des femmes enceintes jusqu’à l’accouchement. La pratique de l’accouchement proprement dit dans ce milieu se caractérise par la mobilisation des méthodes et produits locaux dits traditionnels, par opposition aux méthodes biomédicales. En cas de contractions, le prestataire de service se déplace vers la femme en travail, ou bien cette dernière est transportée d’urgence vers l’accoucheur.
Tous les tradipraticiens n’offrent pas le service de soins maternels et néonatals ; il est la spécialité de 60% de tradipraticiens des villages étudiés. Ces derniers administrent les soins thérapeutiques aux femmes, durant tout le processus de leur grossesse et même en postpartum en général, c’est-à-dire des consultations prénatales jusqu’aux soins néonatals. Cette pratique ayant pour fondement les croyances culturelles et le savoir-faire ancestral, mobilise divers produits et objets (tableau n° 1). De ce fait, ils utilisent comme produits les plantes médicinales parmi lesquelles celle appelée en langue locale Mouangue mmuée et des objets traditionnels (naturels) à l’instar de la calebasse. Ces éléments servent à accompagner le processus de l’enfantement, du suivi de la grossesse aux soins du nouveau-né en passant par l’étape de l’accouchement.  
Avant la phase d’accouchement proprement dit, il y a une phase préparatoire qui commence quelques mois après la conception. Les soins administrés durant cette phase sont assimilables aux soins prénataux connus dans le secteur de soins modernes de santé maternelle. Pendant cette phase, l’accoucheur administre à la femme, des boissons faites à base de mixture des plantes. Cette boisson sert à préparer le corps de la femme, à la fortifier tout en contribuant à la maturation du fœtus, pour le futur travail d’accouchement. Ils pratiquent également le redressement du fœtus dans le ventre, si à travers l’acte de voyance[1], ils constatent que ce foetus occupe une position latérale dans le ventre. Le redressement qui consiste à masser délicatement le ventre de la femme enceinte avec certains médicaments traditionnels, permet au fœtus de prendre la position verticale qui est plus favorable pour l’accouchement par voie basse. Ces tradipraticiens ou juste certains parmi ceux-ci, disposent dans leurs domiciles, des pièces qu’ils peuvent transformer à tout moment en salles d’accouchements. Ils peuvent aussi transporter le matériel de travail, pour se rendre dans le domicile de la femme ayant entamé le processus de contraction, pour la faire accoucher. L’accouchement par les tradipraticiens obéit à un certain nombre d’étapes.
L’étape pré accouchement : Cette étape survient lorsque la femme enceinte enregistre les premières douleurs de contraction. Elle est donc conduite d’urgence chez le tradipraticien pour l’accouchement. Lorsqu’elle y arrive, ce dernier l’ausculte et l’installe dans la salle réservée à l’accouchement. Il lui donne éventuellement des décoctions qu’elle boit pour faciliter la dilation du col de l’utérus, soulager les douleurs de l’enfantement, tout en accélérant le processus d’accouchement. La femme couchée dès lors sur une natte qu’elle a apportée ou qu’elle a achetée sur place, est en observation. L’accoucheur l’ausculte de temps en temps pour apprécier l’évolution du processus d’accouchement.
L’étape de l’accouchement : l’accouchement est une étape cruciale qui est déclenchée par la dilatation maximale du col de l’utérus. A partir de ce moment, la femme est assistée de façon continue par l’accoucheur qui pratique délicatement le massage de son ventre, avec des produits et objets traditionnels, question pour lui de faciliter la sortie du nouveau-né. Tout au long de cette étape, la femme est appelée à pousser l’enfant à la demande de l’accoucheur. Aussi, les rites traditionnelles et les incantations sont organisées autour de la patiente, afin d’exhorter les Dieux des ancêtres pour un accouchement dans de très bonnes conditions. Les époux participent nécessairement à l’accouchement de leurs femmes. Ils sont souvent appelés à faire des scarifications sur leur peau, accompagnées de prières, afin d’y appliquer des produits sous forme de poudre ou de pâte ou encore d’huile essentielles issues de plantes. Ce type de soins est assimilé localement à l’injection stimulant la sortie du bébé. Dans les cas où la femme à terme éprouve des difficultés à accoucher, cette « injection » lui est donc administrée uniquement par son époux ou un parent proche pour faciliter la sortie du bébé. Ce traitement n’est utilisé dans les ménages qu’en cas d’accouchement difficiles. La prise en charge de la mère et du bébé suit l’étape de l’accouchement.
La phase post-accouchement : cette phase est marquée par la coupure du cordon ombilical, puis par l’administration des médicaments traditionnels à la mère et au bébé. Les médicaments ont pour rôle de fortifier la mère et l’enfant. Elle est enfin ponctuée par la pratique de certains rites traditionnels comme le bain du nouveau-né dans une calebasse contenant des feuilles et écorces macérées dans de l’eau, en guise de bénédictions des ancêtres. Le tradipraticien spécialiste de l’accouchement des femmes ayant terminé son travail avec succès, ordonne alors la sortie de la mère et du bébé de la chambre d’accouchement. Ils doivent rejoindre par la suite leur domicile où la femme continuera la prise régulière des produits traditionnels prescrits.
Tableau n°1 : les acteurs des pratiques culturelles d’accouchement

tableau1

Source : enquête de terrain 2020
2.1.3. Quelques cas d’accouchements assistés par les tradipraticiens
Les méthodes et les techniques déployées par les personnes qui pratiquent l’accouchement des femmes en milieu rural mal desservi en structure de santé, aboutissent très souvent à des fins heureuses avec la venue au monde du nouveau-né. On enregistre néanmoins parfois des cas d’accouchement difficile, qui se terminent soit par un problème de santé majeur à cause duquel la famille doit impérativement conduire la femme et le bébé à l’hôpital de District de Melong pour la prise en charge sanitaire, soit par le décès de la mère et/ou de l’enfant. Un tradipraticien explique son intervention pendant un accouchement en ces termes :
 « On est venu m’appeler aux environs de 20 h 30 minutes qu’une femme enceinte pleure les douleurs des contractions et lorsque je suis arrivé, je l’ai auscultée pour m’assurer de son état de santé et de celui du bébé, puis du niveau d’avancement du processus d’accouchement. Je l’ai assisté par la suite pendant plus de 2 heures dans ce processus. Lorsque je me suis rendue compte que l’enfant est déjà à une phase de sortie acceptable, je l’ai fait boire le remède traditionnel car, ce dernier non seulement soulage des douleurs, mais aussi, contribue à accélérer le processus. Il permet également de limiter la perte de sang et la fatigue chez la femme. Aux environs de 23 h, après avoir constaté que le bébé était déjà proche de la sortie, j’ai dit le moment est venu ! Pousses ! Elle a donc poussé et l’enfant est sortie. Actuellement, la mère et l’enfant se portent bien. » (Extrait de l’entretien avec le tradipraticien nommé Edjobi R., le 26 avril 2020).
Tous les accouchements ne se déroulent pas toujours rapidement et sans stress. Certains nécessitent des traitements spéciaux.
En cas d’accouchement difficile, les tradipraticiens consultent les lieux sacrés ou sanctuaire de culte ancestral, afin de bénéficier de leur esprit qui pourrait faciliter la sortie du bébé. Ainsi, une accoucheuse témoigne de l’efficacité de cette pratique en ces termes :
« Lorsque l’enfant refuse de sortir, je me dirige vers les lieux sacrés question pour moi d’invoquer les esprits qui vont exciter la rapide sortie du bébé. Il peut arriver que je demande à la famille d’aller invoquer les Dieux de leurs ancêtres pour la délivrance de la femme enceinte et du fœtus. Je peux aussi balayer le corps de la concernée avec la poule, ou « l’arbre de la paix » ou les déposer sur sa tête pendant ce processus ». (Extrait de l’entretien avec une accoucheuse, madame Epalle M., avril 2020).
Dans ce cas, le membre de la famille assistant à l’accouchement va au sanctuaire ou aux lieux sacrés de la famille pour chercher la terre sacrée qui va servir à compléter les médicaments de la patiente. Selon les ménages et les praticiens de l’accouchement, les cas de décès sont rares dans la zone d’étude. Tous les praticiens de l’accouchement en milieu rural relèvent que l’accouchement est avant tout un processus naturellement déclenché par l’organisme. Dans plusieurs contrés de l’Afrique, la femme accouchait seule en famille, sans assistance de spécialiste.  « L'accouchement était une affaire de famille ou de voisinage (prenant même souvent une forme solitaire, les femmes se vantant alors d'avoir accouché seules). Certaines vieilles femmes plus habiles ou plus expérimentées prêtaient main forte en cas de besoin. C'était essentiellement autour de la "coupure du cordon" que telles ou telles se spécialisaient partiellement » (J.-P. O. De Sardan et al, 1999, p.11). Les accouchements à domicile ne sont pas toujours fatals comme d’aucuns peuvent le penser. L’UNICEF le relève d’ailleurs en ces termes : « Beaucoup de femmes dans le monde en développement – et presque toutes dans les pays les moins avancés – accouchent à domicile, sans l’assistance d’un personnel qualifié, et pourtant leurs bébés sont en général en bonne santé et survivent à leurs premières semaines, puis jusqu’à leur cinquième anniversaire et au-delà ». (UNICEF, 2009, p. 2).
Le cas de l’accouchement de Marianne en est un exemple. Marianne, femme âgée de 32 ans habitant le village Ediengo, a accouché chez le tradipraticien au mois de janvier 2020. Elle a donné naissance à un garçon bien portant, âgé de 2 mois au moment de l’enquête. Elle raconte son accouchement en ces termes :
« Aux environs de 2 heures du matin lorsque j’ai commencé à ressentir les douleurs, mon époux est immédiatement allé chercher le tradipraticien accoucheur chez lui, il m’a ausculté dès son arrivée, puis m’a administré les produits naturels. Une heure de temps après, il m’a demandé de pousser. Il a par la suite coupé le cordon ombilical à l’aide d’une lame de rasoir trempée dans une décoction qu’il a au préalable préparée dans une calebasse. Il a ensuite fais le bain de l’enfant avec la même décoction en guise de bénédiction. Il m’a enfin donné les produits traditionnels à consommer pour me fortifier. Tout s’est bien passé et mon fils et moi sommes bien portants » (Extrait de l’entretien effectué avec Marianne le 2 mars 2020).       
Il ressort des investigations auprès des accoucheurs traditionnels que les cas de complications de ce processus ne sont pas nombreux et sont causés par des esprits maléfiques, par la colère des ancêtres à cause de la rupture avec ces derniers, ou par une maladie qui n’a pas été soignée pendant la grossesse. Les tradipraticiens accoucheurs déclarent accompagner la femme enceinte pendant l’accouchement pour intervenir en cas d’éventuelles perturbations de ce processus naturel, par une quelconque cause.
Il faut relever en revanche que 91% de femmes aimeraient être prises en charge par des spécialistes de la santé maternelle et infantile dans des formations sanitaires conventionnelles. Au regard de ce pourcentage fort important, l’on peut retenir que la continuité de la pratique de l’accouchement à domicile n’est pas un choix véritablement assumé par ces acteurs, mais, plutôt une solution de rechange, une mesure d’adaptation dans une situation d’incapacité à accéder aux services de maternité de la médecine conventionnelle.

2.2. Mobiles et conséquences de l’accouchement à domicile

2.2.1. Les mobiles de la persistance de la pratique de l’accouchement à domicile
Le milieu physique des villages Ediengo et Nzobi influence considérablement l’accès aux soins de santé maternelles dans les ménages. L’absence des routes aménagées et le mauvais état des pistes rurales ne favorisent pas le déplacement des femmes enceintes vers les formations sanitaires situées à plus d’une dizaine de kilomètres des ménages. Les distances à parcourir à pieds par les femmes enceintes pour atteindre une formation sanitaire sont longues. Les dames préfèrent par conséquent comme moyen d’adaptation, accoucher à domicile, assistées soit par un tradipraticien, soit par des membres de la famille ou de la communauté ayant une expérience ou non en matière d’accouchement, à défaut de chercher à rejoindre en vain une structure de santé moderne éloignée. Les coûts de transport[2] vers les formations sanitaires sont inévitablement très élevés, à cause de la mauvaise accessibilité de ces villages. Ces coûts de transport sont justifiés par de longues distances à parcourir, influencées par la nature des pistes caillouteuses, qui arpentent les flancs de collines et soumettent les transporteurs de patients à de nombreuses heures de marches avant d’atteindre les formations de santé les plus proches. Les patients sont dès lors transportés dans ces villages sur des brancards fabriqués avec les matériaux locaux. La population villageoise s’est organisée pour rendre ce service en créant une équipe appelée en langue locale « Nkeimein » et en français « équipe d’ambulance ». Cette équipe est chargée de transporter les patients gravement malades et les femmes enceintes qui ne parviennent pas à marcher, vers les structures de santé. Néanmoins certaines femmes malgré toute la volonté d’accoucher dans une structure de santé moderne, accouchent en route avant même d’y arriver.
Les nombreux dysfonctionnements observés dans le système de soins local, expliquent l’adoption de l’accouchement à domicile par 91% de femmes interrogées comme signalé plus haut. Il s’agit de la distribution inéquitable des structures sanitaires. Les villages Ediengo et Nzobi ne disposent pas de formations sanitaires. Aussi, les centres de santé construits et équipés dans des villages voisins à savoir, le Centre Médical d’Arrondissement de Ninong et le Centre de santé intégré de Mama, pourtant limitrophes aux villages Nzobi et Ediengo sont non fonctionnels. Ces formations sanitaires pallieraient par le fait de la proximité, à l’absence de services sanitaires dans les villages lésés. Ces structures de santé ont été plutôt abandonnées dans la broussaille après la construction comme l’on peut observer sur la photo n°1.
Photo n°1 : Centre Médicale d’Arrondissement de Ninong, non fonctionnel, abandonné dans la broussaillephoto
Source : Enquête de terrain, Février 2020
Il ressort des échanges avec le Chef Service du District de Santé de Melong que certains personnels recrutés et affectés dans les formations sanitaires refusent d’y aller à cause du mauvais état de la route ou tout simplement à cause de l’absence de celle-ci par endroit. Ces personnels préfèrent installer leurs familles dans le chef-lieu de l’arrondissement pour qu’elle puisse bénéficier des infrastructures de base. Ils effectuent ensuite la mobilité entre leurs postes de travail et la résidence de la famille. Sauf que les distances qui séparent le centre-ville où les familles sont installées et le poste de travail sont longues et les routes difficilement praticables. Les difficultés à s’y rendre ou à rejoindre les familles lorsqu’on y est, l’absence du minimum de commodités dans les campagnes enclavées, conduisent au découragement, ensuite à l’abandon du poste de travail.
De ce qui précède, le manque criard de personnels de santé dans  les milieux ruraux en général est un problème profond. Ce cliché est bien observé dans l’arrondissement de Mélong, où les ratios personnel de santé par catégories et population demeurent défavorables, car ils sont loin des normes de l’OMS. Le tableau n°2 suivant présente ces ratios.
Tableau n°2 : Ratio personnel médical et population de l’arrondissement de Mélong

tableau2

Source : enquête de terrain 2020 et OMS
D’après le tableau n°2, l’OMS recommande au minimum un médecin pour 10000 habitants, alors que dans l’arrondissement de Mélong, pour une population estimée à 62 225 habitants (SDS, 2019) l’on a deux médecins qui exercent d’ailleurs dans le centre urbain et non en milieu rural. Pour ce qui est des sages-femmes, l’OMS recommande une sage-femme pour 300 femmes pourtant dans l’arrondissement de Mélong, il n’y a que cinq sages-femmes pour 62 225 habitants. Le nombre d’infirmiers est tout aussi insuffisant et l’on note en plus, les fortes disparités dans leur distribution entre les zones rurales et le chef-lieu de l’arrondissement. La situation est bien plus critique dans les villages Nzobi et Ediengo, défavorisés en termes de routes et de structures de santé.
De plus, les ménages relèvent la pauvreté financière comme étant une raison de la non fréquentation des structures de santé. Chez les tradipraticiens, outre quelques objets à acheter pour le processus d’accouchement, la somme symbolique généralement payée par les femmes après l’accouchement varie entre 1000 F et 2000F selon l’accoucheur. Cette somme dépend également de la volonté de la famille de la patiente. Elle est estimée abordable pour les ménages les plus démunis, qui ne peuvent pas se déplacer à coûts plus élevés, variant entre 5000F et 20000F en fonction de la destination, puis payer les frais médicaux exigibles afin de bénéficier des soins de santé maternelle et infantile dans les structures de santé éloignées. Les tradipraticiens considèrent le service de maternité rendu plutôt comme un devoir envers sa communauté. C’est donc un service gratuit qu’ils rendent avec plaisir à la communauté à laquelle ils appartiennent.  
Les raisons ci-dessus présentées s’ajoutent aux contraintes physiques pour réitérer l’inaccessibilité aux soins de santé maternelle et infantile à Nzobi et Ediengo, et amplifier ipso facto le choix de l’accouchement à domicile. Les tradipraticiens, les femmes accoucheuses et toutes autres personnes expérimentées, réussissent à répondre à la demande continue en services de maternité à Nzobi et Ediengo, malgré les limites de leurs interventions qui peuvent engendrer les conséquences graves, voire fatales.  
2.2.2. Les conséquences de l’accouchement à domicile
Les conséquences de l’accouchement à domicile sont de plusieurs ordres. Sur le plan sanitaire, les accouchements à domicile présentent de gros risques pour la mère et le bébé car, les accoucheurs ne disposent d’aucun moyen d’intervention en cas de survenue de complications. Pourtant l’état de la route ne permet pas d’envisager une évacuation d’urgence vers les formations sanitaires de la ville de Melong. Les tradipraticiens et accoucheuses relèvent à ce sujet que tous les accouchements n’ont pas toujours des fins heureuses. Ils ont parfois assisté à des accouchements difficiles, voire fatals. Malgré ses compétences avérées en matière d’accouchement dans le village, Monsieur Edjobi R., tradipraticien accoucheur a connu un cas d’accouchement fatal qu’il explique en ces termes : « Une femme est décédée ici chez moi en voulant donner la vie. J’ai fait tout ce que je pouvais en lui administrant tous les médicaments traditionnels à ma disposition mais, hélas !  Elle a rendu l’âme après avoir perdu beaucoup de sang sous mon regard impuissant ». (Extrait de l’entretien avec un tradipraticien nommé Edjobi R., le 26 avril 2020).
Dans un autre cas de figure, l’on assiste à des accouchements difficiles qui nécessitent souvent la césarienne. Face à cette situation, les praticiens de l’accouchement traditionnel deviennent impuissants. Dès lors, si les dispositions de référence de la patiente ne sont pas prises à temps, on peut enregistrer une perte en vie humaine, étant donné que les structures sanitaires sont situées à plusieurs dizaines de kilomètres.
En cas d’accouchement sans difficultés ni de complications, c’est du domicile que le nouveau-né pourra être conduit à l’hôpital de temps en temps pour des vaccinations. Les premiers vaccins conseillés immédiatement à la naissance se feront avec un retard plus ou moins important, en fonction du moment où la mère décidera de le faire ou lorsque les agents du comité de santé passeront pour la campagne de vaccination. Toutefois, toutes les femmes ne sollicitent pas ces vaccins. 76% de celles interrogées ont toujours fait vacciner leurs enfants sauf qu’elles ne respectent pas le calendrier de vaccinations. Par contre, 24% n’ont soit pas du tout fait vacciner leurs enfants, soit attendent le faire pendant le passage de l’équipe des agents de santé lors des campagnes de vaccination. Les vaccins contenus dans le Programme Elargie de Vaccination (PEV) ne sont pas administrés complètement à tous les enfants nés dans la zone d’étude, ces enfants sont par conséquent très vulnérables sur le plan sanitaire.
L’accouchement à domicile implique le suivi médical non adéquat des mères et de leurs enfants, ce qui a également des conséquences sociodémographiques importantes. Au regard de l’absence des registres chez les accoucheurs, il se pose le problème d’absence de chiffres et d’autres informations sur les naissances, la morbidité et la mortalité maternelle et infantile. Il se pose également le problème d’enregistrement des naissances à l’état civil et par conséquent, celui d’établissement des actes de naissance.
[1] C’est le processus à travers lequel le tradipraticien prédit les faits futurs. Dans le cas d’espèce, il «voit le fœtus dans le ventre de sa mère ». Cet acte participe à faire par des méthodes locales, une sorte  « d’échographie».
[2] Etant donné que les voies de communication sont en majorité des pistes, le transport des patients se fait sur des brancards traditionnels tenus par une équipe de 4 personnes qui se déplacent à pieds, vers la structure de santé la plus proche.

Conclusion

Conclusion

Il était question dans cet article de décrypter la pratique de l’accouchement à domicile dans les villages Ediengo et Nzobi au Cameroun. L’analyse s’est appuyée sur les données quantitatives et qualitatives de terrain et les données issues de l’exploitation des documents. Il en ressort que les acteurs locaux mobilisent de plus en plus le savoir-faire socio-culturel, pour répondre aux besoins en services d’accouchement. Ces acteurs plus ou moins expérimentés en matière d’accouchement, interviennent pour pallier aux difficultés d’accès aux services de santé maternelle liées à l’enclavement et à l’éloignement des établissements sanitaires conventionnels. Ils perpétuent ainsi nécessairement une pratique ancestrale séculaire en voie de disparition dans plusieurs contrées du pays à cause de la prédominance de la biomédécine. Près de 84% de femmes se soumettent en effet à cette pratique tandis que 16% vont se faire accoucher hors de leurs villages, dans les campagnes disposant des centres de santé intégrés ou dans le chef-lieu de l’arrondissement. Presque toutes les femmes de la localité ont cependant confiance en l’intervention des accoucheurs(ses) locaux et aux décoctions qu’ils administrent comme médicaments. La pratique de l’automédication avec les plantes médicinales y étant d’ailleurs commune à toutes en raison de leur appartenance à la même ethnie et par conséquent à la même culture médicinale, explique la croyance en la prise en charge sanitaire par les tradipraticien(e)s.
Les 16% de femmes qui ont toujours accouché dans une structure de santé, sont celles qui ont reçu le conseil et les facilitations des relais communautaires ou d’un membre de la famille, leur permettant de quitter le village avant le terme de la grossesse, pour profiter des soins de santé conventionnels. Il s’agit aussi de celles qui ont eu une mauvaise expérience de l’accouchement à domicile, et qui se sont résolues à se rapprocher désormais d’une formation sanitaire pour les consultations prénatales et l’accouchement. Les agents de santé communautaires étant des facilitateurs servant de relais entre le service du district de santé et la population, ils réussissent à convaincre certaines femmes parmi les plus vulnérables, de se rendre dans les structures de santé pour le suivi de leurs grossesses ainsi que pour l’accouchement. L’efficacité de leurs interventions dans ces villages est toutefois impactée par les mêmes difficultés d’enclavement, mais également, par la prédominance de la médecine traditionnelle qui est une alternative sans concurrente, aux limites du système de soins conventionnels. Nombre de femmes qui ne mettent pas en pratique les conseils des relais communautaires sont par conséquent tournées vers cette dernière.
Le présent article interpelle sur le rôle fût-il non formalisé, des pratiques socio-culturelles relevant de la médecine dite traditionnelle, dans le système de soins de la population. Il  remet en débat, la question de valorisation du savoir-faire local ancestral, pour répondre aux besoins en soins de santé au moment où l’accès à l’offre des structures de la médecine modernes reste limité. Il révèle une dynamique d’utilisation de la médecine traditionnelle en guise d’adaptation à la défaillance du système de soins conventionnels, qui, loin d’être l’affaire des communautés villageoises, devrait susciter une attention particulière de la part des autorités étatiques. Il revient aux autorités de vérifier la portée des contributions de la médecine traditionnelle en général et des tradipraticiens et accoucheurs(ses) en particulier, au système de soins, puis d’encadrer ou d’interdire leurs pratiques et enfin, de formaliser si nécessaire, la complémentarité entre les deux types de médecines. Cette implication permettrait d’éviter des désagréments relevant de la santé publique, causés par une médecine socialement et spatialement bien ancrée, mais, formellement inconnue.
Les limites de cet article, sont indiscutablement en rapport avec la non prise en compte de la médecine traditionnelle par les autorités étatiques. Elles résident au niveau des données de terrain. Il s’agit de l’absence des informations chiffrées sur la natalité, la morbidité maternelle et sur la mortalité maternelle et néonatale. En fait, les tradipraticien(e)s et les accoucheuses n’ont pas de registres pour consigner les informations sur les patients, les naissances ou les décès. Ils n’ont aucune obligation à fournir ces informations aux districts de santé. Ils ont communiqué lors des investigations de terrain, des chiffres estimatifs sur ces indicateurs démographiques, qui à cause de leur caractère très approximatif, n’étaient pas utilisables dans cet article. De plus, les naissances vivantes et les décès sont enregistrés tardivement aux centres d’état civil par les familles ou ne le sont pas du tout (pour ce qui concerne les décès). L’intégration formelle de la médecine traditionnelle dans le système de soins, la complémentarité établie entre les médecines conventionnelle et traditionnelle pourraient permettre d’avoir davantage les informations fiables sur la santé dans des zones où prédominent les pratiques de santé dites parallèles. Elles permettaient également d’atteindre les OMD en rapport avec la santé maternelle et infantile à savoir, réduire le taux de mortalité maternelle, éliminer des décès évitables de nouveau-nés et d’enfants.

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Publié

31 Decembre 2020

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2020,, mis en ligne le 31 Decembre 2020. Consulté le . URL: https://retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=122

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